Je viens d'apprendre ce mardi 1er août vers 20h, comme tous nos concitoyens, que le Président Henri Konan Bédié est décédé. Certes je ne suis pas de sa famille politique, mais en tant qu'Ivoirien épris de paix, je m'incline pour lui rendre un hommage.
Sans le connaître, j'ai eu le grand privilège de l'approcher à son invitation à Daoukro en 2016. Nous y avons passé 48h. Je continue de m'interroger pourquoi cet illustre grand Homme de notre pays a bien voulu m'inviter et passer autant de temps avec moi ?
Avant de partir à Daoukro pour répondre à l'invitation, j'ai pris la précaution de prévenir Son Excellence le Président Alassane Ouattara, Président de mon parti. J'ai été autorisé par lui. Je me suis fait accompagner par Adjoumani, un de mes DG et conseillers.
À mon arrivée à Daoukro, le Président Bédié m'a reçu à déjeuner à sa résidence et c'était pour moi la toute première fois que je rencontrais de très près ce grand Monsieur. Je suis resté intrigué, car durant le déjeuner, le doyen n'a rien dit de particulier si ce n'est l'admiration qu'il avait pour moi en tant que ministre de la Construction, du logement de l'assainissement et de l'urbanisme. Il m'a dit qu'il suivait les actions de chaque membre du Gouvernement de l'époque, car nous étions en alliance RHDP. Il m'a surtout dit qu'il a beaucoup apprécié la grande réforme de l'ACD que nous avons proposée et l'énergie que je déployais pour lancer les Logements sociaux sans grand moyen à l'époque etc.
Le lendemain, il m'a invité à prendre place à côté de lui dans sa Range Rover noire pour une sortie de promenade. À bord à son côté, me sentant très crispé, il m'a proposé un cigare comme il affectionnait. J'ai poliment décliné en disant que j'aurais bien voulu mais je ne fume pas. « Tu ne sais pas ce que tu perds, jeune Homme », a-t-il dit avec un large sourire.
« Nous allons partir à Pepressou comme il fait beau ce matin », a- t-il ajouté. J'ai répondu en disant « avec plaisir monsieur le Président. » J'avoue que j'étais certes heureux d'être à côté de ce grand de notre pays, mais toujours je me demandais pourquoi il m'invitait ? Pourquoi sans me connaître, étais-je aussi rapidement dans son intimité, car sur le parcours de Daoukro à son village, il m'a raconté une partie de son enfance à l'école primaire. Il m'a montré des champs actuels de café-cacao, qui à l'époque, étaient des grandes forêts denses où les enfants rencontraient des singes et autres animaux sauvages. J'ai retenu dans son récit que les camions de transport étant rares à leur temps, ils faisaient ce trajet très souvent à pied.
Trente (30) mn environ après notre départ de sa résidence, nous sommes arrivés à Pepressou dans son village où une quarantaine de personnes nous attendaient. Nous avons été accueillis avec ferveur et chaleur dans sa famille où certains de ses cousins étaient au premier rang. Après les libations, j'ai présenté des bouteilles de Gin que mon conseiller Adjoumani qui connaissait les coutumes Akan m'a glissées.
Après les introductions, mon conseiller Adjoumani est venu me souffler à l'oreille l'attitude à avoir, car tout se passait dans la pure tradition du pays Baoulé.
Chaque membre de l'auditoire m'a été présenté par le Président Bédié lui-même. J'ai été très impressionné par sa simplicité au village avec ses frères, cousines et cousins dans cette ambiance bon enfant. J'ai commencé à me détendre. Je me demandais toujours pourquoi il m'a invité ici, moi.
Quarante-cinq (45) mn environ, nous avons pris le chemin de retour pour Daoukro. À quelques encablures du village, il a demandé au chauffeur de s'arrêter au niveau du cimetière. Il a demandé à toute la petite délégation d'attendre sur la route. Seuls lui et moi et son garde du corps un peu en retrait sommes allés vers un caveau. Il m'a pris la main et devant le caveau de ses proches parents, il m'a invité à entrer seul avec lui. Il y avait la tombe de son frère et de sa sœur et bien d'autres.
Nous nous y sommes inclinés pour prier.
Après, il a indiqué un espace non occupé en me soufflant ou chuchotant: « C'est peut-être ici que je vais reposer bientôt » et moi de répondre: « Non Président, la Côte d’Ivoire a encore besoin de vos sages conseils, vous ne viendrez pas ici maintenant. »
Après, nous sommes répartis lentement vers sa Range Rover noire. Nous sommes restés silencieux quelques minutes dans la voiture. Après, il a repris un autre cigare. Il a continué à me raconter tout le long du parcours ses souvenirs d'enfance et beaucoup d'histoires à moi qu'il venait de rencontrer pour la première fois. Il a dit qu'à l'époque, ce trajet qu'on fait en quelques minutes durait des éternités pour lui, car il était obligé d'attendre souvent les vacances pour revenir au village. Je l'écoutais avec beaucoup d’attention et bien sûr avec admiration. Je venais de trouver un ami, un père, car il m'a fait l'honneur de me présenter au village avec beaucoup d'affection; lui qui ne me connaissait pas, ne m'avait jamais vu avant.
Au retour à sa résidence, nous avons papauté comme de vieux amis. Le soir, j'ai pris congé de lui en lui demandant l'autorisation de rentrer à Abidjan le lendemain, car ma mission gouvernementale m'y attendait. J'avoue que j'ai été très marqué par ces 02 jours en compagnie du Président Bédié. Dès mon arrivée, j'ai rendu compte fidèlement à mon patron, le Président Alassane Ouattara.
Jusqu'à ce jour, je n'ai jamais pu décoder le pourquoi de cette invitation et surtout le parcours et les étapes durant le bref séjour. Malheureusement, je n'ai plus jamais eu l'occasion de le revoir à nouveau de près et même d'échanger avec lui.
J'ai retenu en Son Excellence le Président Bédié, l'image d'un très grand Homme, humain, simple, ancré dans la tradition Akan et très proche de ses parents, car il semblait connaître nommément chaque habitant du village.
Le Président Bédié va nous manquer.
Qu'il repose en paix.
Mamadou SANOGO
Ex Ministre
Président du Conseil régional du Bafing