Gagnoa (AIP) - Dans le village de Dignago, situé à 40 km de Gagnoa, une centaine de femmes regroupées au sein de l'association "Benkéléman" ont trouvé un moyen innovant de lutter contre la pauvreté et surtout pour l’autonomisation de la femme. Selon l’AIP, en utilisant comme seul outil, des moitiés de bidons vides de 25 litres, elles chargent deux fois la semaine, un camion-remorque de 40 tonnes, remplit de coagulum de caoutchouc (saigné dont le liquide se solidifie dans une tasse), moyennant la somme de 100 000 F CFA).
Érigée en chef-lieu de sous-préfecture depuis plusieurs années, hormis le bitume de l’axe Gagnoa-Guibéroua-Dignago-Issia qui traverse la ville, Dignago a conservé tout son caractère de village. Il est 12h45mn de jour-là à Dignago. A l’entrée de la ville, sur la gauche, une quinzaine de femmes produisent du charbon de bois, très occupé à diverses tâches autour d’une dizaine de fourneaux artisanaux, construits à l’air libre. « Décidément, il n’y a pas que le caoutchouc qui occupe les femmes dans cette ville, » s’exclame le chauffeur du véhicule (transport en commun) qui avait connaissance du motif du déplacement de l’équipe de reportage à Dignago.
Trois cent mètres plus loin, le chauffeur gare sous un arbuste de l’autre côté de la rue. Une dame, la soixantaine, s’approche, s’exprimant en Malinké, exprime sa joie de savoir que la presse vient découvrir l’activité de l’association « Benkéléman ». Aussitôt après, le point focal, Awa Doumbia, secrétaire générale de cette coopérative, intervient. « Vous êtes déjà là ! » s'exclame-t-elle.
Toute la délégation se déplace au quartier Sokoura, par un chemin accidenté. Un camion-remorque de 18 roues, est immobilisé sur le bas-côté de la route en terre, cachant un terrain non bâti de 20 sur 20 mètres. En fait d’espace vide, plusieurs centaines de sacs de coagulum dégageant une forte odeur jonchent le sol. Une dizaine de jeunes gens munis de couteau éventrent l’un après l’autre, chacun des sacs fait de polystyrène. Le contenu des fonds de tasse de caoutchouc encore humide, mais déjà solidifié remplit toute la superficie des 400 mètres carrés de terrain. « Notre tâche s’arrête là. Celle des femmes peut donc commencer » fait savoir Ibrahim, un jeune homme, la vingtaine entamée.
« Effectivement », confirme le convoyeur du camion-remorque, Koné Moussa. « Je préfère que ce travail soit exécuté par les femmes. Avec les hommes, il y a trop de querelles », souligne-t-il.
Le chargement débute très exactement à 14h45. Une dizaine de femmes commencent à installer des tabourets au milieu du tas de caoutchouc. Elles remplissent de fonds de tasse, la moitié des bidons de 25 litres. Au bout d’une demi-heure, l’on est passé d’une vingtaine de femmes à plus de 80 femmes. Un véritable travail à la chaîne se met progressivement en marche, avec six autres femmes montées à bord du camion. Elles commencent à déverser le caoutchouc depuis le fond de la remorque.
La cadence devient de plus en plus accélérée, avec de plus en plus de femmes qui remplissent les moitiés de bidon. Deux autres échelles sont installées sur une table, de chaque côté de la remorque. Prenant appui sur ces échelles, deux femmes reçoivent les pots, qu’elles transmettent à d’autres, plus jeunes, assises sur le rebord du camion. Ces dernières ont pour tâche de les déverser à l’intérieur de la remorque. Le chargement s’opère ainsi en trois endroits différents du véhicule, au lieu d’un seul au départ. A 16 h 10, les deux tiers de la remorque sont pleins de coagulum.
Etonné de la performance réalisée par des femmes.
« C’est comme cela tout le temps Monsieur ! », lance le guide Awa, qui lisait un grand étonnement dans notre regard. À 17 h 15, les 109 femmes présentes ce jour-là commencent à libérer le terrain. Elles referment les deux battants de la remorque. Celles qui occupaient les échelles, les déplacent vers les portières, afin de remplir de caoutchouc, le petit espace encore vide, qui permettrait que la remorque soit pleine. Il est 17 h 35. Le site se vide progressivement et la joie est palpable sur les visages. « Chacune va maintenant vaquer à ses occupations ménagères », souligne la secrétaire générale, qui explique que c’est ainsi chaque fois que le chargement a lieu. Elle relève que depuis le début du mois de mai, six chargements de 40 tonnes ont déjà été réalisés par sa coopérative. Notons que les chargements ont lieu toute l’année, à l’exception du mois de février. En effet, à cause de la forte sécheresse, il n’y a pas de saigné de pieds d’hévéa en cette période, expliquent les convoyeurs.
« Cette somme n’est pas à partager », dit dame Doumbia. Elle déplore qu’au début du projet, les femmes avaient réussi une épargne de trois millions de FCFA. Cette somme a « malheureusement » été partagée entre les membres, confie-t-elle, avant de s’insurger « qu’aucune n’avait eu plus de 20 000 FCFA ».
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Aujourd’hui, la coopérative Benkéléman, comprenant des femmes de toutes les communautés autochtones et allogènes, est la plus importante (nombre de femmes) des quatre coopératives de Dignago qui font le même travail. La vision de ses femmes est de construire un forage, afin de résorber le manque d’eau potable à Dignago, et notamment au quartier Sokoura. Elles expliquent avoir entamé ce travail, dans l’espoir de bénéficier plus tard, d’appui pour des activités génératrices de revenus (AGR).
A termes, l’épargne devra servir à octroyer des prêts aux femmes, une fois que le problème de l’eau sera résolu. « Il nous faut résolument sortir de la pauvreté et de l’état de précarité dans lequel nous sommes», prie dame Awa. Solidaire de leurs conjoints, elle confie que les femmes ont pris l’engagement d’étendre ces prêts, au cas par cas, à leurs époux. Avant de quitter le site, redevenu un espace vide, les membres de la coopérative ont tenu à présenter le seul homme du groupe Benkéléman, le trésorier Diarrassouba Issa, qui assure de bien s’entendre avec toutes ces femmes.
(AIP)
dd/fmo