Les transformateurs nationaux de noix de cajou en Côte d'Ivoire ont exprimé au gouvernement leur besoin de renouveler un accord d’approvisionnement et d’appui aux nationaux, les avertissant d’un risque imminent de faillite, si aucun soutien n'est apporté au secteur en difficulté, selon une lettre consultée par Reuters.
La Côte d'Ivoire, le plus grand producteur mondial de cacao, est également devenue l'un des principaux producteurs de noix de cajou ces dernières années, mais seul un petit pourcentage de ses noix est transformé localement. Les transformateurs locaux sont confrontés à une forte concurrence sur les achats de noix brutes de la part des exportateurs asiatiques qui alimentent les usines en Asie très compétitives et fortement subventionnées par leurs États.
Le Groupement des Transformateurs de Cajou Ivoiriens (GTCI), qui représente cinq transformateurs nationaux de noix de cajou d'une capacité de transformation de 41 000 tonnes par an et un investissement global de 15 milliards FCFA, a lancé plusieurs appels à l’aide au Gouvernement, dont le dernier remonte à fin décembre 2023, dans une lettre consultée cette semaine par Reuters.
Les transformateurs nationaux ont demandé le renouvellement de l’accord avec l'État en vigueur depuis 2022, garantissant leur approvisionnement par le Conseil Coton Anacarde (CCA) en noix de cajou brutes, à hauteur de 20 % de leur capacité de transformation au début de chaque saison. Ce stock censé être livré par le CCA en début de campagne, est appelé le « stock d’amorçage » et doit en théorie leur permettre ensuite de financer avec la Banque Nationale d’Investissement (BNI) l’achat en propre de 80% de leurs capacités.
Alors que la saison d’achat 2024 est imminente, le GTCI a déclaré que ses membres risquaient de faire faillite sans le renouvellement de cet accord.
« Sans ce renouvèlement, il nous sera impossible de s’approvisionner et c’est la faillite assurée parce que nous ne pourrons pas faire face à la concurrence des entreprises asiatiques sur les noix brutes » a déclaré un membre du GTCI.
Le GTCI a également demandé une compensation pour les pertes d’environ 7,5 millions de dollars liées aux problèmes d’approvisionnement par le CCA « afin que nous puissions éponger les pertes liées aux défaillances du programme d’approvisionnement du CCA sur les deux dernières années».
Les transformateurs nationaux attendent de bénéficier de ces avantages, qui se résument à des approvisionnements par le CCA en noix brutes de cajou à hauteur de 20% de leur capacité de transformation, et seulement lorsqu’ils arrivent à acheter les 80% restant, ils ont droit sur ces 80% uniquement à une subvention à l’achat de 100 FCFA par kilo de noix brute achetée et transformée.
Cependant les transformateurs nationaux obtiennent ce stock d’amorçage du CCA, seulement en fin de campagne lorsqu’il n’y a plus de noix de cajou, ce qui ne leur permet pas d’acheter les 80% restant de leur capacité. Ainsi les transformateurs nationaux ne bénéficient donc pas des subventions d’achat et opèrent à 20% de leur capacité.
En dehors de ces mesures destinées spécifiquement aux transformateurs nationaux, tous les transformateurs qu’ils soient internationaux ou nationaux, bénéficient au titre d’une incitation à la transformation d’une subvention de 400 FCFA par kilo d’amande, soit 80 FCFA par kilo de noix brute transformée et exportée. Cette somme correspond à l’écart officiel de compétitivité entre le Vietnam et la Cote d’Ivoire, calculé il y a plus de 10 ans.
Dans le cadre de l’incitation à la transformation locale, le soutien annuel de l’État à la filière noix de cajou s’élève à environ 10 milliards de francs CFA (16 millions de dollars), selon une source gouvernementale.
Un transformateur Ivoirien à Yamoussoukro explique « 90% de la transformation en Côte d’Ivoire est effectuée par des opérateurs internationaux et donc l’incitation gouvernementale est captée à 90 % par les usines internationales de transformation qui sont pour la plupart asiatiques ».
Un autre transformateur à Abidjan ajoute : « le coût de transformation est entre 380 et 400 FCFA par kilo de noix brute en Côte d’Ivoire. Avec un prix d’achat bord champ de 275 FCFA (soit 329 FCFA /kilo à l’entrée usine transformateur), nous sommes donc à un coût total entre 709 et 729 FCFA par kilo de noix brute. Or le prix actuel de l’amande de cajou (noix brute transformée) est de 2 USD/LB, soit 528 FCFA/kilo de noix brute, c’est donc une perte sèche de 200 FCFA par kilo de noix brute transformée avant paiement de l’incitation et de 120 FCFA par kilo de noix brute après paiement de l’incitation » .
La demande du GTCI est toujours à l'étude, car les subventions coûteuses pour la noix de cajou et le cacao mettent à rude épreuve les fonds publics, a déclaré une autre source au ministère des Finances, s'exprimant sous couvert d'anonymat.
La Côte d'Ivoire, qui a produit 1 200 000 tonnes de noix de cajou brutes en 2023, prévoit de transformer 50 % de sa production d'ici 2026 grâce à des allégements fiscaux et des subventions gouvernementales, selon le régulateur du secteur, le Conseil du Coton et de l'Anacarde (CCA).
Pour soutenir l’industrie, qui se remet également des impacts de la pandémie de COVID-19, les transformateurs étaient jusqu’en 2023 exonérés du paiement des taxes à l’importation sur les équipements.
Cependant depuis fin 2023 les transformateurs de cajou doivent payer des frais de douane sur toutes les machines et les pièces de rechange, ce qui alourdit davantage leurs pertes ».
Huit transformateurs nationaux de noix de cajou ont fait faillite depuis 2020. La semaine dernière, AISA une usine internationale basée à Toumodi a aussi dû cesser ses opérations et vendre ses actifs.
Un expert asiatique de cajou commente « en conditions normales la transformation de noix de cajou nécessite au départ de fortes subventions et de la formation, comme cela s’est passé au Vietnam. Cela n’est pas encore le cas en Côte d’Ivoire et en plus l’activité de transformation est sujette à une crise mondiale qui a poussé les prix de vente des amandes à leur plus bas niveau depuis 15 ans. Si les usines de transformation en Inde et au Vietnam ont disposé de soutiens gouvernementaux face à cette crise historique, les transformateurs nationaux qui sont beaucoup plus fragiles n’ont pas reçu de soutien ».
La campagne de la noix de cajou s'étend chaque année de février à juin. Elle démarre officiellement seulement une fois que le gouvernement a fixé un prix minimum garanti pour les producteurs de noix de cajou, souvent après le début de la campagne en février, empêchant les opérateurs d’acheter les noix brutes en début de campagne.
Selon le plan d’approvisionnement des transformateurs nationaux du CCA en vigueur depuis 2022, les transformateurs nationaux sont censés recevoir du CCA en début de campagne, un stock d’amorçage correspondant à 20% de leur capacité, mais dans la pratique, ils ne reçoivent ce stock d’amorçage qu’à la fin du mois de Mai lorsque la campagne se termine.
(1$ = 605,7500 francs CFA)