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Société Publié le jeudi 22 mai 2025 | BBC

Qu'est-ce que la dissolution des partis politiques signifie pour les Maliens ?

Qu'est-ce que la dissolution des partis politiques signifie pour les Maliens ?
© BBC
Qu'est-ce que la dissolution des partis politiques signifie pour les Maliens ?
La décision radicale de la junte militaire malienne de dissoudre tous les partis politiques marque une étape nouvelle dans sa consolidation autoritaire depuis le coup d'État de 2020. Dans ce contexte, quels sont les moyens d’expression publique dont disposent les Maliens ?

La décision radicale de la junte militaire malienne de dissoudre tous les partis politiques marque une étape nouvelle dans sa consolidation autoritaire depuis le coup d'État de 2020. Dans ce contexte, quels sont les moyens d'expression publique dont disposent les Maliens ?

La décision de dissoudre tous les partis politiques au Mali a été annoncée mardi 13 mai 2025, par un décret présidentiel, à la suite des assises nationales et des concertations populaires.

Comment en est-on arrivé là ?

Cette décision du gouvernement malien découle d'un long processus de dégradation politique, institutionnelle et sécuritaire.

En août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keita est renversé par un coup d'Etat militaire, à la suite de nombreuses manifestations populaires, tenues souvent les vendredis après la prière, pour dénoncer l'insécurité et la corruption dans le pays.

Près d'un an plus tard, en mai 2021, le Mali connait un second coup d'Etat, avec l'arrivée au pouvoir du colonel Assimi Goita. Le régime militaire en place, censé assurer une transition rapide vers un régime civil, est soupçonné par une partie de la classe politique de repousser délibérément les élections pour rester au pouvoir.

Les autorités avaient proposé un chronogramme de 24 mois à partir de mars 2022 pour l'organisation d'une présidentielle et transmettre le pouvoir aux civils.

« Quand on est allé au changement de système, (…) de régime, la première chose que la population elle-même avait réclamé, c'était de refonder le pays. Il fallait reformuler, réformer, revoir le pays, le refonder », rappelle Baba Moulaye Haidara, ancien ministre de l'Agriculture sous le président Ibrahim Boubacar Keita.

Cette volonté, dit-il, avait conduit « à un certain nombre de concertations qui ont abouti aux Assises nationales pour la refondation ».

Selon lui, « ce sont les ANR qui ont demandé de diminuer le nombre des partis politiques et certains ont même demandé de les dissoudre ».

Par conséquent, dit-il, « les autorités étaient dans l'obligation de respecter les souhaits des populations » représentées par « à peu près 80 000 maliens, c'est-à-dire de la base au sommet ».

« Je pense qu'il faut d'abord signaler qu'il y a eu une première décision de suspension des activités des partis politiques et des organisations à caractère politique », rappelle Dr Gilles Yabi, analyste politique, fondateur et directeur exécutif de WATHI, think tank citoyen de l'Afrique de l'Ouest basé à Dakar, la capitale du Sénégal.

« Cela faisait suite à la menace de manifestation de la part d'un certain nombre d'acteurs de l'opposition et de la société civile qui voulaient exiger un calendrier clair de retour à un pouvoir civil et l'organisation d'élections », poursuit-il.

Un moyen pour les militaires de se maintenir au pouvoir ?

En avril 2024, par un décret présidentiel, le gouvernement de transition suspend tous les partis politiques et toutes les associations à caractère politique du Mali.

La décision est contestée mais le gouvernement de transition invoque une volonté de préserver « l'unité nationale » dans un contexte de crise sécuritaire, avec la lutte contre le terrorisme, mais aussi de révision constitutionnelle.

Il y a eu des arrestations à la suite de la suspension des partis politiques et aussi la mise en place du dialogue inter-malien qui a été boycotté par quelque 80 partis politiques.

Dr Gilles Yabi rappelle que « le référendum sur la Constitution devrait être le premier pas dans un retour progressif à l'ordre constitutionnel et devait se terminer par des élections et une élection présidentielle ».

« Aujourd'hui, à l'issue de ces consultations, qui n'ont rassemblé que des personnes qui soutenaient finalement les militaires, on a une recommandation de maintien au pouvoir du président actuel pour cinq ans renouvelable », fait remarquer Dr Gilles Yabi.

« On voit bien que l'accent n'est pas vraiment mis sur cette réflexion profonde sur les institutions. Mais qu'il est quand même mis essentiellement sur des mesures qui permettent aux militaires de rester au pouvoir le plus longtemps possible ».

« C'est exactement ce qui est déjà acté au Niger, un autre pays de l'Alliance des États du Sahel. Donc, on voit bien que le résultat concret pour l'instant des différentes décisions au Mali, c'est l'extension à durée indéterminée du pouvoir des militaires », poursuit-il.

L'analyste politique reconnait que cette dissolution des partis politiques « va quand même clairement à l'encontre des principes qui ont été confirmés par la constitution malienne ».

« Le pouvoir présente cela comme étant une volonté de restructurer le champ politique et donc d'avoir de nouvelles règles, notamment pour la création des partis politiques, des règles beaucoup plus dures, notamment en augmentant considérablement les montants qui seront nécessaires pour les partis politiques pour pouvoir être créés et des règles aussi qui vont pousser au fond à une réduction significative du nombre de partis politiques », argumente-t-il.

« Mais évidemment il n'y a pas de calendrier sur la mise en œuvre de cette réforme du champ politique partisan et cela se fait tout de même sans avoir le point de vue de la diversité des acteurs politiques maliens, et notamment (ceux) qui ne soutiennent pas le pouvoir militaire en place ».

Les acteurs politiques dénoncent

L'ancien Premier ministre Moussa Mara, figure de l'opposition, a exprimé sur les réseaux sociaux sa « profonde tristesse » pour ce que les restrictions imposées par la junte représentent « pour la démocratie multipartite ».

« Cette décision a porté un coup sévère aux efforts de réconciliation initiés l'année dernière », a-t-il ajouté dans son message sur les réseaux sociaux.

Nouhoum Togo, président de l'Union pour la sauvegarde de la République (USR), a lui aussi réagi dans un autre message sur les mêmes canaux. « Peu importe les efforts qu'ils déploient pour vous rendre invisibles, votre valeur ne dépend pas de leur reconnaissance », a-t-il indiqué.

Les Maliens de la diaspora ne sont pas en reste dans ce combat pour recouvrer leur démocratie constitutionnelle. Ils ont eux aussi dénoncé ce qu'ils décrivent comme une tentative de réduire l'opposition au silence.

Sadio Kané, membre du Panel des démocrates maliens, un groupe de la diaspora dirigé par des civils qui s'oppose au régime militaire au pays, a exprimé sa déception face à une telle initiative.

« Ils [la junte] démontrent qu'ils sont incapables d'organiser des élections malgré la tenue d'un référendum en 2023 », a-t-elle déclaré à la BBC.

Selon lui, les chefs militaires "n'ont plus rien à offrir, raison pour laquelle ils doivent effacer les autres pour rester seuls sur le terrain [politique]".

Une coalition d'une centaine de partis politiques a engagé une bataille juridique pour contester la légalité du décret de dissolution.

Quels cadres d'expression restent-ils aux Maliens ?

Dans ce contexte conflictuel où les médias traditionnels, surtout d'Etat, peuvent être contrôlés par le régime, les réseaux sociaux deviennent une sorte d'exutoire, une alternative pour l'expression populaire. Mais Baba Moulaye Haidara estime que les citoyens conservent encore leur liberté d'expression.

« Je vais vous rappeler que le parti politique n'existe plus. Si nous respectons la loi, nous respectons nos autorités, les partis politiques n'existent plus. En tout cas, moi, je ne suis pas de ceux-là qui parlent encore au nom des partis politiques », souligne Baba Moulaye Haidara.

« Je parle (aujourd'hui) en tant que citoyen, (puisque) les partis politiques n'existent plus… Les espaces d'expression qui restent aux citoyens. Oui, vous pouvez poser la question, mais les citoyens continuent de s'exprimer. La preuve, c'est que moi, je suis en train de m'exprimer », souligne Baba Haidara.

« La presse existe et continue de s'exprimer. Tant que la presse qui va être chez nous va respecter nos lois, nos textes, nos règlements, nos dispositions, il n'y a aucun problème, la presse va continuer à s'exprimer », dit-il.

« Et vous le voyez aujourd'hui, même sur les réseaux sociaux, On parle de tout. Il y a même des gens qui disent des mots que je n'admire pas par rapport aux autorités, par rapport à des personnalités de ce pays, par rapport à d'anciennes personnalités de ce pays, par rapport à des communautés même. C'est pour vous dire qu'en réalité, les gens parlent, les gens s'expriment librement », soutient l'ancien ministre des Transports du Mali.

« Mais quand tu dépasses quand même les limites, parce qu'on dit, votre liberté s'arrête là où commence celle des autres, quand vous dépassez les limites et que les personnes ou les groupes de personnes que vous attaquez se plaignent de vous en lieu indiqué, il va de soi (…) que la justice passe à l'action et dise ce qu'elle doit dire », avertit-il.

L'ancien ministre Baba Moulaye Haidara rassure de l'existence d'un « espace d'expression » qui permet aux gens de parler, de s'exprimer.

Les institutions religieuses sont également des canevas d'expression à travers lesquelles certains leaders religieux ont pu faire preuve de leur influence.

C'est le cas de l'imam Mahmoud Dicko, figure de proue des manifestations contre le régime d'Ibrahim Boubacar Keita.

Toutefois, le 14 février 2025, neuf partisans de l'imam Mahmoud Dicko, devenu entretemps critique farouche de la transition militaire, avaient été arrêtés lors d'une mobilisation à Bamako pour accueillir leur guide religieux exilé en Algérie depuis décembre 2023.

Poursuivis pour attroupement illégal, ils étaient condamnés le jeudi 3 avril dernier. Le 6 mars 2024, la CMAS (Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko), avait été dissoute par les autorités.

« La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko (CMAS), créée en vue d'œuvrer pour la stabilité et la paix sociales, s'est transformée en un véritable organe politique de déstabilisation et de menace pour la sécurité publique », avait annoncé le gouvernement dans un communiqué du Conseil des ministres pour justifier sa décision.

Exilé en Algérie depuis décembre 2023 après une supposée tentative d'empoisonnement, l'imam Dicko n'est pas encore en mesure de rentrer dans son pays.

Possibles conséquences sur le plan international

Alors que d'aucuns évoquent la possibilité d'une concentration du pouvoir et d'un éventuel affaiblissement du processus de transition démocratique, à la suite de la dissolution des partis politiques, l'ancien ministre Baba Moulaye Haidara estime qu'il faut positiver les choses.

« Je pense qu'il faut positiver les choses. C'est vrai que les partis politiques, c'est important dans le dispositif démocratique, mais le peuple est au-dessus des partis politiques (qui) sont mis en place pour le peuple et par le peuple lui-même », avance-t-il.

En revanche, l'analyste politique Dr Gilles Yabi estime « qu'il n'y a pas vraiment de doute sur le fait que cette manœuvre et la dissolution des partis politiques s'inscrivent dans le cadre d'une orientation qui vise à prolonger le pouvoir des militaires au Mali », alors « qu'il y a quand même eu au départ des engagements assez clairs de leur part pour organiser des élections ».

Quand aux possibles répercussions que ce choix politique pourrait avoir sur les relations avec les partenaires extérieurs, Dr Yabi souligne que le Mali dispose d'une « très grande diversité de pays qui ont leurs intérêts, leurs alliances et il y a effectivement, plutôt un changement dans les préférences au niveau des partenaires du Mali depuis quelques années ».

Selon lui, dès lors que le Mali entretient « des relations privilégiées avec la Russie », mais aussi « avec la Chine, la Turquie et d'autres pays en Afrique et dans le monde », il ne peut pas être isolé.

« Je ne pense pas que ce soit nécessairement la décision concernant les partis politiques qui provoquera des réactions particulières au niveau des différents partenaires du Mali », explique Dr Gilles Yabi.

« Il y a de toute façon déjà un groupe de pays qui mettent l'accent sur la démocratie, l'état de droit et le pouvoir civil et de l'autre côté un groupe de pays qui estime que tout cela relève de la politique intérieure des États et qu'ils ne se mêlent pas au fond de ce qui se passe au Mali en termes de règles démocratiques », poursuit-il.

« La Chine évidemment, la Russie sont des pays qui ne mettent pas l'accent sur ces questions de démocratie, des droits de l'homme, de soumission des militaires à l'autorité politique élue », indique-t-il.

« Je pense qu'il y a, bien sûr, pour le Mali comme pour les autres États de l'AES, un certain nombre de partenaires privilégiés qui sont ceux qui ne les gênent pas dans leur volonté de rester au pouvoir le plus longtemps possible », conclut-il.


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