Fatigue persistante, démotivation, irritabilité, perte de sens… Et si c'était plus qu'un simple coup de mou ? Le burn-out, ou épuisement professionnel, touche de plus en plus de salariés, cadres comme employés.
Dans un contexte professionnel marqué par des objectifs toujours plus exigeants et un manque de prise en charge psychologique, de nombreux travailleurs s'épuisent en silence.
Le stress chronique et le burn-out ne sont plus des concepts abstraits : ce sont des réalités vécues dans les entreprises privées, les administrations publiques et les organisations internationales.
Défini comme un mal-être lié au travail, le burn-out est bien plus qu'un simple coup de fatigue. C'est une alerte rouge, un cri silencieux du corps et de l'esprit.
Il associe perte d'énergie, inefficacité, sentiment d'échec et dépersonnalisation.
Troubles du sommeil, douleurs musculaires, perte de motivation, isolement, désengagement progressif...les premiers signes du stress professionnel sont multiples et souvent banalisés. Pourtant, leurs conséquences peuvent aller jusqu'à la dépression, en passant par les maladies cardiovasculaires, les troubles digestifs ou les addictions.
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"Je rentrais chez moi en pleurant"
Au Sénégal, parler de santé mentale reste encore tabou, bien que de plus en plus de salariés s'effondrent sous la pression professionnelle. Une étude de la Société Sénégalaise de Psychiatrie (2021) estime que 1 salarié sur 3 à Dakar présente des signes de détresse psychologique liée au travail.
Dans les secteurs comme les centres d'appel, le commerce ou la finance, le turn-over élevé et la pression sur les objectifs accentuent le phénomène.
Derrière les sourires de façade et les apparences de réussite, des vies s'écroulent, en silence.
A 34 ans, Aïssatou superviseure dans un centre d'appel à Dakar, semblait avoir tout pour elle : un poste stable dans une boite renommée, une équipe de conseillers clientèle à encadrer, un bon salaire. Mais derrière cette réussite professionnelle se cachait un combat quotidien contre un mal invisible : le burn-out.
"J'ai commencé dans ce centre d'appel il y a huit ans, d'abord comme téléopératrice. J'étais enthousiaste, motivée. J'aimais le contact humain, même par téléphone. Mais au fil des années, tout a changé. Depuis que je suis devenue superviseure, la pression est constante. On nous demande des résultats impossibles, des objectifs qui changent chaque semaine. Et on doit les atteindre avec des équipes démotivées, épuisées, souvent mal formées. Je devais tout gérer sans jamais me plaindre. À la maison, je n'étais plus que l'ombre de moi-même."
Pendant des mois, elle ignore les signes avant coureurs : migraines, insomnies, anxiété, pleurs incontrôlables. Jusqu'au jour où son corps lâche, en pleine réunion.
"Je rentrais chez moi vidée, incapable de parler à mes enfants. Mon sommeil est devenu irrégulier, je faisais des crises de larmes sans raison. J'avais des migraines, des douleurs dans le dos, une fatigue écrasante. Mais quand j'en parlais à mes supérieurs, on me disait juste de 'tenir bon', que c'est normal avec le boulot, tout le monde est stressé. Un jour, j'ai craqué au bureau. Je me suis effondrée en pleine réunion", confie t-elle à BBC Afrique.
"C'est le médecin qui m'a parlé de burn-out. J'ai du arrêter le boulot pendant un mois, mais la peur de perdre mon emploi m'a poussée à revenir trop tôt. Aujourd'hui, je suis en train de chercher une reconversion. Ce travail m'a détruite psychologiquement. On parle très peu de santé mentale dans nos entreprises, surtout quand on est une femme."
Aujourd'hui, Aïssatou envisage une reconversion dans un domaine moins toxique. Elle déplore le manque de soutien psychologique et de formation des managers au Sénégal.
Selon une enquête de la Direction de la Prévention au Travail, plus de 60 % des salariés sénégalais déclarent vivre un stress professionnel intense, mais moins de 10 % consultent un professionnel de santé mentale.
Des initiatives voient le jour, comme des ateliers de gestion du stress ou des journées bien-être en entreprise. Mais elles restent isolées. Beaucoup de salariés jonglent entre obligations professionnelles, responsabilités familiales et manque d'espace pour souffler.
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Comment sortir du "tunnel de l'épuisement " ?
Forte de vingt ans d'expérience en entreprise, la coach sénégalaise Amsatou Sakho Ndiaye plaide pour une démarche collective et proactive. « Managers et employeurs doivent intégrer la prévention du stress dans la culture d'entreprise, former les équipes et adapter les conditions de travail à l'humain. Une entreprise saine est celle qui place le bien-être de ses employés au cœur de sa stratégie. »
Manager RH aguerrie du secteur maritime, spécialiste certifiée en développement personnel et en management, la coach Amsatou Ndiaye partage quelques conseils essentiels pour éviter l'effondrement.
1. Savoir s'organiser et poser ses limites
La surcharge de travail est un facteur direct de l'épuisement professionnel. Pour s'en prémunir, Coach Amsa recommande d'apprendre à prioriser les tâches, fixer des objectifs atteignables et ne pas culpabiliser à dire non. Des formations sur la gestion du temps et des outils pédagogiques peuvent renforcer cette capacité à s'auto-organiser.
2. Bouger pour respirer
L'activité physique n'est pas qu'une affaire de silhouette : elle agit comme un antidépresseur naturel. Une simple marche, des étirements au bureau ou des séances de yoga peuvent réduire considérablement la tension mentale. En entreprise, cela peut se traduire par des pauses actives ou des programmes de bien-être intégrés à la vie professionnelle.
3. Adopter une hygiène de vie équilibrée
Bien dormir, bien manger, bien s'hydrater : ces gestes simples ont un impact direct sur la résistance au stress. Coach Amsa insiste sur la nécessité de campagnes internes de sensibilisation à la nutrition et au sommeil, souvent négligés dans les environnements à haute pression.
4. Apprendre à relâcher la pression
La relaxation et la gestion des émotions sont des armes puissantes contre le stress chronique. Méditation, cohérence cardiaque ou pleine conscience peuvent être intégrées au quotidien. En entreprise, créer des espaces calmes ou proposer des modules de formation sur la régulation émotionnelle contribue à un climat de travail apaisé.
5. Briser le silence et demander de l'aide
Le burn-out s'installe souvent dans le silence. Il est donc vital de favoriser un climat de confiance et d'expression. « Parler de ses difficultés n'est pas un signe de faiblesse, mais une preuve de lucidité », souligne Coach Amsa. La mise en place de cellules d'écoute, de référents santé ou de groupes de parole permet de libérer la parole et de détecter précocement les signaux d'alerte.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'épuisement professionnel comporte trois éléments : un sentiment d'épuisement, un détachement mental de son travail et une baisse des performances au travail.
« Nous devons apprendre à reconnaître nos préférences et nos limites, comprendre nos facteurs de stress, savoir lesquels sont sous notre contrôle. » relève Anna Katharina Schaffner, historienne de la culture et coach de dirigeants spécialisée dans l'épuisement professionnel.
Dans sa vie antérieure d'universitaire, Anna Schaffner a souffert d'épuisement professionnel. Aujourd'hui, elle travaille comme coach spécialisée dans l'aide aux personnes épuisées et a écrit un livre intitulé Exhausted: An A-Z for the Weary (Épuisé : un guide de A à Z pour les personnes fatiguées).
« Je devenais non seulement épuisée, mais aussi irritable, amère...Je m'apitoyais sur mon sort », explique Anna. « Je n'aimais plus mon travail. Je me trouvais dans un environnement de travail très toxique. J'ai remarqué que cela avait un impact sur tout mon être et que la souffrance au travail avait vidé ma vie de toute joie. Lorsque nous souffrons au travail, cette souffrance se répercute sur tous les aspects de notre vie. Lorsque j'ai pris conscience de cela, j'ai lentement commencé à préparer mon départ. »
Dans son travail de coach, Anna Katharina Schaffner utilise les principes de la thérapie d'acceptation et d'engagement (ACT). Une méthode qui aide à accueillir nos émotions sans les fuir ni les combattre.
« Il est normal d'avoir des pensées ou émotions négatives comme la peur ou la colère. Plutôt que de les rationaliser ou de lutter contre elles, on apprend à les observer avec distance. On passe de "Je suis en colère" à "Je remarque que je ressens de la colère". Ce petit changement donne un sentiment de pouvoir. »
Anna Katharina Schaffner propose des conseils fondés sur des preuves pour faire face au stress que la vie nous impose.
« Plus on donne de soi au travail, plus le reste de notre vie s'appauvrit. On ne se rend compte du vide qu'en s'arrêtant. C'est pourquoi il est crucial de reconstruire d'autres sources de sens, de joie, de plaisir. »
Un phénomène en hausse
Les études sont formelles : l'épuisement professionnel est en hausse dans tous les secteurs, partout dans le monde. Et pour Schaffner, cela tient à plusieurs raisons :
« Nous vivons dans une culture du travail plus précaire et plus compétitive. Nous avons tendance à surévaluer le travail. Nous lui demandons trop : non seulement un revenu et un statut, mais aussi du sens, une forme de légitimation de nous-mêmes. »
Autrefois, la séparation entre vie privée et professionnelle était plus claire. Mais aujourd'hui, la technologie a brouillé les frontières. Mails, messages, notifications… nous sommes connectés en permanence.
« Il devient très difficile de se déconnecter. Même en dehors du bureau, nos pensées tournent autour du travail. »
Ce que dit l'OMS sur le burn-out
Le burn out ou l'épuisement professionnel n'est (toujours) pas reconnu comme maladie professionnelle et ne figure pas dans la Classification internationale des maladies (CIM-11).
En 2019, lors de la 72ème assemblée mondiale de la santé, l'Organisation mondiale de la santé a revu la définition du burn out en ces termes : "un syndrome résultant d'un stress chronique au travail qui n'a pas été géré avec succès."
Autrement dit, ce n'est pas une maladie mentale, mais un phénomène lié au travail.
L'OMS recommande aux États de renforcer les politiques de santé au travail, d'assurer un équilibre vie privée / vie professionnelle, et d'intégrer la santé mentale dans les services de santé primaire.
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