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Société Publié le vendredi 10 octobre 2025 | BBC

Sécurité en Côte d'Ivoire : un équilibre instable dans un environnement sous pression

Sécurité en Côte d'Ivoire : un équilibre instable dans un environnement sous pression
© BBC
Sécurité en Côte d'Ivoire : un équilibre instable dans un environnement sous pression
Après avoir traversé des troubles en 2010-2011 et en 2020, une accalmie fragile s’est installée en Côte d'Ivoire, surtout dans le nord du pays depuis 2021. Mais la situation sécuritaire n’est pas rassurante compte tenu des activités des groupes armés dans la région.

Le dispositif sécuritaire XXL mis en place par la Côte d'Ivoire à partir du 5 octobre, en prévision de l'élection présidentielle du 25 octobre 2025, traduit le contexte sécuritaire encore très fragile du pays, malgré l'accalmie observée ces derniers mois, selon de nombreux observateurs.

Selon le Conseil national de sécurité (CNS) présidé par le président Alassane Ouattara lui-même, 44 000 hommes, agents de forces de défense et de sécurité (FDS) seront déployés sur toute l'étendue du territoire pour assurer la sécurisation de l'élection présidentielle, dans le cadre d'une opération baptisée « Espérance ».

Il s'agira d'une force de patrouilles mixtes, pédestres et motorisées de 18 000 policiers, 18 000 gendarmes et d'environ 8 000 militaires, dans les grandes villes comme dans les zones rurales. Ils seront en alerte sur le territoire jusqu'en novembre.

L'effectif de cette force est supérieur d'environ un quart à celui de l'opération « Barrissement de l'Éléphant », mise en place lors de l'élection présidentielle de 2020.

La situation au nord du pays est particulièrement préoccupante et les forces de défense et de sécurité sont actives dans la région depuis quelques années, appuyées par des partenaires. L'accalmie observée dans la région reste fragile à cause des menaces régionales constantes.

La Côte d'Ivoire se bat pour oublier un passé sombre, une crise post-électorale de 2010 qui a fait plus de 3 000 morts, tandis que le scrutin de 2020 a causé au moins 85 morts et 484 blessés, selon le bilan officiel.

Mais au-delà des questions électorales, il existe un risque continue d'activités djihadistes en raison de la présence des groupes armés et des milices dans les zones de la frontière nord du pays. On craint des affrontements entre ces groupes et les forces de sécurité à tout moment.

Quelle est la situation sécuritaire actuelle en Côte d'Ivoire ?

La crise post-électorale de 2010 a considérablement affaibli les institutions de sécurité de la Côte d'Ivoire.

En 2012, le gouvernement a décidé de mettre en place une Réforme du secteur de la sécurité (RSS). Elle a consisté à réorganiser les Forces de Défenses et de Sécurité (FDS), à les former, les équiper, et les déployer sur toute l'étendue du territoire.

Deux ans plus tard, en décembre 2014, le président Alassane Dramane Ouattara s'est félicité de l'amélioration de la situation sécuritaire du pays, la comparant même à celle de New-York ou de Genève, selon un article du site d'information Abidjan.net.

Cependant, de nombreux rapports ont émis des doutes sur cette affirmation.

D'après le sous-indice Sécurité et Sûreté du Legatum Prosperity Index — qui prend en compte des indicateurs tels que les guerres et conflits civils, le terrorisme, la violence politique ainsi que les crimes violents et liés à la propriété — la Côte d'Ivoire a été classée 132ᵉ sur 167 pays en 2019.

Et selon le Social Progress Index du Social Progress Imperative, qui mesure notamment le taux d'homicides, le niveau de criminalité violente, la perception de l'insécurité, la terreur politique et les décès liés aux trafics, la Côte d'Ivoire occupait la 128ᵉ place sur 163 en 2020.

Enfin, le World Justice Project / Rule of Law Index, dans son sous-indice Ordre et Sécurité, a classé le pays 84ᵉ sur 128 en 2020, en se basant sur l'absence de criminalité, de conflits violents et de recours à la violence pour la réparation des torts.

Ces différents classements montrent que le problème de sécurité reste préoccupant dans le pays, malgré les efforts consentis par le gouvernement.

La criminalité, les conflits violents, les attaques sont toujours craints par les populations.

Selon une étude d'Afrobaromètre en 2021, le sentiment d'insécurité au milieu de la population ivoirienne est en nette progression. La moitié (49%) des Ivoiriens ont affirmé s'être sentis en insécurité dans leur quartier au moins une fois au cours de l'année de 2020, une augmentation de 13 points de pourcentage depuis 2014. Le sentiment d'insécurité est plus prononcé en milieu urbain et parmi les plus instruits.

L'étude ajoute qu'un Ivoirien sur deux (49%) considère « plutôt mal » ou « très mal » la performance du gouvernement dans la prévention ou la résolution des conflits violents.

« À l'heure où la Côte d'Ivoire est en quête de stabilité politique et économique, la sécurité demeure une question préoccupante. Les résultats font ressortir, en effet, que de nombreux Ivoiriens continuent de ressentir au quotidien de grandes appréhensions par rapport aux fléaux de criminalité et de conflits violents existant dans leur pays. Ces inquiétudes exprimées s'accompagnent également d'une forte insatisfaction par rapport aux performances du gouvernement pour les prévenir ou les résoudre », a indiqué Afrobaromètre dans son rapport.

A cela s'ajoute les activités des groupes criminels qui sont légions dans le nord du pays, surtout dans les zones frontalières avec le Burkina Faso. L'axe Bouaké-Korhogo à l'ouest et les zones autour de Bouaké et Bouaflé sont considérés comme des zones à risque.

Dans le pays, les enjeux sécuritaires sont significatifs surtout à la frontière nord. Le gouvernement d'Alassane Ouattara a pris au sérieux la situation, déployant des moyens colossaux aux Forces armées de Côte d'Ivoire (FACI) qui assurent la sécurité dans la zone.

Mais cela n'a pas empêché que la Côte d'Ivoire soit frappé en juin 2020 par une attaque qui a coûté la vie à 14 soldats au Nord du pays, plus précisément à Kafolo. Une autre attaque en mars 2021 avait tué deux soldats.

L'attaque d'août 2025, un signal d'alerte ?

C'est dans cette incertitude que dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 août dernier une attaque a été perpétrée par « des individus armés non identifiés » dans un village situé au nord-est de la Côte d'Ivoire, plus précisément dans le département de Téhini, dans le hameau de Difita, situé à deux kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso.

L'attaque a fait, selon le chef d'état-major le général Lassina Doumbia, quatre morts, tous des villageois, et un porté disparu. Il a ajouté également qu'une femme a été grièvement brûlée, plusieurs cases incendiées et du bétail emporté.

Cette attaque n'a pas été revendiquée, mais elle était la première attaque meurtrière de ce type dans le pays depuis 2021.

William Assanvo, Chercheur à l'Institut d'étude de sécurité (ISS) avait confié à l'AFP qu'il pourrait s'agir d'éléments de groupes jihadistes comme d'une « simple attaque de représailles entre communautés ».

« Le fait qu'on assiste à une attaque de cette nature contre des populations civiles avec des morts, des personnes qu'on a voulu brûler, c'est nouveau, c'est inhabituel », ajoute-t-il.

Une source gouvernementale citée par l'AFP a indiqué qu'« il pourrait s'agir d'un règlement de compte entre des personnes soupçonnées d'apporter du soutien aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) burkinabè ».

Les VDP sont des supplétifs civils de l'armée du Burkina Faso. Ils sont déployés aux côtés des militaires pour lutter contre les djihadistes.

Ils sont également accusés de commettre des exactions contre des civils, en particulier contre la communauté peule, stigmatisée car soupçonnée de constituer le gros des rangs jihadistes ou de collaborer avec eux.

Mais toujours est-il que cette attaque révèle à quel point la zone est vulnérable. « On est dans un environnement où les groupes terroristes sont actifs. Mais depuis plusieurs années, il n'y a pas eu d'attaques ou d'incidents majeurs attribués ou revendiqués par ceux-ci de ce côté de la frontière », estime M. Assanvo.

Le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara n'a pas manqué de présenter cette situation précaire lors de son intervention à la suite de l'attaque d'août dernier.

« La Côte d'Ivoire fait face à beaucoup de défis, que ce soit en matière de terrorisme, en matière de grande criminalité, en matière de cybercriminalité, d'orpaillage illégal. Face à tous ces défis, l'armée de Côte d'Ivoire est déployée et fait face de façon victorieuse, de façon importante, à ces différents défis », a-t-il déclaré.

Et cette attaque montre à quel point la zone est encore très vulnérable, malgré les dispositions prises par le gouvernement pour assurer sa sécurité.

Soutiens des partenaires

Le gouvernement ivoirien a de tout temps sollicité l'appui des partenaires internationaux pour résoudre la question sécuritaire dans le pays.

En dehors de l'accord de coopération militaire et de partage de renseignements signé en 2017 avec ses voisins, notamment le Bénin, le Ghana et le Togo, la Côte d'Ivoire bénéficie d'un appui de la France, des Etats-Unis, de l'Israël ou encore de l'Inde.

L'Union européenne aide également la Côte d'Ivoire sur les questions de paix et sécurité, surtout au nord du pays. Les actions portent sur la lutte contre le blanchiment d'argent, la criminalité organisée et le terrorisme, notamment par l'intermédiaire de l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme.

Ce partenariat porte également sur la fourniture d'un soutien socio-économique et d'une aide alimentaire et non alimentaire ainsi que des actions de prévention des conflits afin de renforcer la résilience de la population locale, des réfugiés et des déplacés internes.

Ce soutien travaille en outre sur le développement à long terme des régions du nord, grâce aux infrastructures et à la gestion du parc national de la Comoé et le renforcement de la sécurité et de la gestion des zones frontalières, conformément à l'initiative de l'UE en matière de sécurité et de défense dans le golfe de Guinée.

Malgré ces actions, l'indice de sécurité est resté bas en 2024, se trouvant à 1,1 sur 5, selon l'Institut France Team.

Une accalmie fragile s'est installée dans la zone depuis 2021, mais la situation sécuritaire n'est pas rassurante compte tenu des activités des groupes armés dans la région, surtout avec le voisin Burkina Faso qui subit des attaques continuellement.

La frontière Burkina-Côte d'Ivoire, une zone constamment sous tension

Les pays du Golfe de Guinée à l'instar du Burkina Faso, du Mali, du Niger, du Bénin, du Togo et du Ghana tentent d'endiguer la propagation du djihadisme dans le Sahel. La Côte d'Ivoire qui partage une frontière de près de 600 Km avec le Burkina, se bat pour la stabilité de cette zone.

Mais les incursions des groupes armés dans la région, surtout au Burkina Faso ne facilitent pas les opérations. Selon l'armée ivoirienne, des moyens terrestres et aériens sont déployés dans la zone pour neutraliser les assaillants et prévenir des attaques.

Depuis le coup d'Etat de septembre 2022 par le Capitaine Ibrahim Traoré et le refroidissement des relations entre les deux pays la situation se complique.

Le Burkina Faso accuse régulièrement son voisin ivoirien de tentatives de déstabilisation, des accusations que les autorités d'Abidjan ont toujours rejetées. Et tandis qu'ils doivent tous deux surveiller leur longue frontière commune pour prévenir les attaques djihadistes, les deux pays se regardent en chiens de faïence.

Dimanche 28 septembre dernier, lors d'une interview télévisée, le Capitaine Ibrahim Traoré a confirmé l'arrestation, vers fin août, de six fonctionnaires ivoiriens qui travaillent pour une ONG d'aide aux réfugiés. La junte au burkina a indiqué qu'ils « avaient franchi la frontière » de son pays.

« Chaque fois que quelqu'un franchit la frontière, mène des actions… ça, c'est de l'espionnage », a déclaré le Capitaine Traoré.

Il a rappelé qu'avant ces fonctionnaires, des gendarmes ivoiriens avaient franchi la frontière en septembre 2023 et en juin 2025. Ils avaient été arrêtés, puis libérés.

Réfutant ces accusations, les autorités ivoiriennes ont indiqué que Ouagadougou n'a jamais apporté des preuves de cette déstabilisation. Elles ont annoncé des discussions avec les autorités militaires pour la libération des fonctionnaires ivoiriens.

« Nous continuons de discuter avec les autorités (burkinabè). Nous sommes discrets sur ces questions, jusqu'à ce que nous obtenions des résultats. Ce sont des discussions qui ne sont pas faciles. Il faut rester prudent… Ce n'est pas la première fois que nous nous trouvons confrontés à ce genre de situation, mais à chaque fois, c'est la sagesse qui a prévalu », a indiqué Amadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement ivoirien.

Son pays, a-t-il poursuivi, n'a aucun problème avec le Burkina Faso et ses dirigeants, rappellant que le pays accueille quelque 70 000 Burkinabè demandeurs d'asile qui ont fui les violences des groupes djihadistes ou de l'armée.

Coopération militaire entre les deux pays ?

La Côte d'Ivoire, par le biais de son ministre de la Défense, a annoncé qu'elle est en discussion avec le Burkina Faso pour la mise sur pied des patrouilles mixtes pour sécuriser les deux côtés de la frontière.

« On l'a toujours souhaité. La partie Burkinabé nous avait donné des assurances dans ce sens, mais pour le moment ce n'est pas effectif. Mais c'est notre souhait parce que cela permettrait de régler un problème. Cela permettrait à la Côte d'Ivoire de nettoyer le Nord ivoirien et au Burkina le Sud », a déclaré Téné Birahima Ouattara, le ministre ivoirien de la Défense en février dernier.

Il regrette que cette force ne soit pas encore effective. La dernière opération entre les troupes ivoirienne et Burkinabè date de 2021.

« Depuis donc, nous n'avons pas encore pu mener d'opération ensemble », a-t-il souligné, rappelant les liens historiques qui existent entre les deux pays : « Nous avons des populations de part et d'autre qui parlent la même langue. C'est un certain nombre de choses qui fait que la Côte d'Ivoire ne peut pas se fâcher avec le Burkina, vice-versa ».

S'agissant de la question de la délimitation des frontières entre les deux pays, M. Ouattara avait confirmé la reprise des discussions avec Ouagadougou. « Je pense qu'il n'y a pas de problème a priori », avait-il lancé.


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