En marge du dîner-gala qu’il organisait la nuit du 31 décembre 2008 au 1er janvier 2009, à Bamako, Boncana Maïga s’est prêté à nos questions. Le grand musicien-arrangeur malien déclare dans l’interview qui suit, sa foi de voir un maximum de jeunes chanteurs africains se doter d’une culture musicale académique.
Notre Voie : Vous qui connaissez bien la Côte d’Ivoire pour y avoir passé une partie non négligeable de votre vie, comment vivez-vous la crise qui complique la marche de ce pays depuis 2002 ?
Boncana Maïga : Je ne saurais être indifférent à ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Quoi qu’on dise, mes enfants y sont nés (ils sont tous devenus des cadres). J’ai ma famille en Côte d’Ivoire. Donc, je ne peux que souhaiter à ce pays de bonnes choses. A commencer par le retour de la paix totale sur toute l’étendue de son territoire.
N.V. : Vous étiez tellement bien intégré en Côte d’Ivoire que beaucoup pensaient que vous étiez naturalisé ivoirien…
B.M. : Mais non ! L’intégration, c’est lorsqu’on vient partager son expérience professionnelle ou idéologique par exemple avec les uns et les autres. C’est ce que j’ai fait en Côte d’Ivoire. Vous devez donc savoir que lorsqu’on est ivoirien et qu’on ne donne rien à la nation, qu’on ne partage pas, on ne sert à rien. Moi, je ne m’imagine jamais étranger qui vient faire ceci ou cela dans un quelconque pays avant de rentrer chez moi. J’ai passé toute ma jeunesse en Côte d’Ivoire. Au total, j’y ai vécu 25 bonnes années de mon existence. Ce pays représente énormément pour moi.
N.V. : N’aviez-vous pas là de bonnes raisons de devenir un citoyen ivoirien ?
B.M. : Je dirais tout simplement que je suis un Africain parce que tous les pays où j’ai un tant soit peu vécu m’ont proposé leur nationalité. C’est le cas du Niger où j’ai grandi…et bien sûr de la Côte d’Ivoire où j’ai passé 25 ans…Il faut reconnaître quand même que je suis né au Mali et que ça, on ne peut pas le changer. Mais cela ne m’empêche pas de me retrouver en Côte d’Ivoire avec mes “frères et sœurs”. D’ailleurs, je pense qu’il ne se pose pas de problème de nationalité. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’étranger peut apporter son grain de sable pour participer à la construction du pays.
N.V. : Peut-on quand même savoir pourquoi vous avez décliné toutes ces offres ?
B.M. : Je l’ai fait pour des raisons professionnelles. Je pense qu’après avoir tout donné pendant 25 années passées en Côte d’Ivoire, j’avais besoin d’aller m’installer en France. Et là-bas, j’ai eu aussi plaisir à partager mon expérience professionnelle avec mes pairs musiciens d’autres horizons. Après avoir passé 17 ans dans ce pays, j’ai décidé maintenant de rentrer dans mon pays, le Mali, pour continuer de partager cette expérience avec mes frères et sœurs. Vous savez, je suis comme un nomade qui aime former les gens. En tout cas, j’adore cela.
N.V. : Maestro a-t-il, malgré tout, pris la nationalité française ?
B.M. : Non, je ne suis qu’un résident en France. Je n’ai jamais voulu, là non plus, prendre la nationalité. J’ai une carte de séjour de 10 ans renouvable. En plus, j’ai ma maison, je paye mes impôts.
N.V. : Je suppose. Vous suivez l’actualité musicale africaine en général et ivoirienne en particulier dominée par des artistes qui ne sont pas de votre génération. Quels commentaires leurs œuvres vous inspirent-ils ?
B.M. : Beaucoup de chanteurs ne vont pas au fond de la musique. Hélas, ils courent tous après le succès immédiat, le “m’as-tu vu ?” immédiat. C’est tout simplement croquer des arachides et boire beaucoup d’eau. Et là, on se rend compte qu’on a bu beaucoup d’eau. Je me dis qu’il est bon de savoir danser, de savoir plaire. Je me dis aussi que lorsqu’on a 30 ans, il faut pouvoir vivre de son art. C’est bien de décaler, de couper ou de savoir faire beaucoup d’autres choses. Mais il ne faut pas oublier que la musique est un métier comme le journalisme, l’agronomie, la médecine, le football : il faut l’apprendre. Certains me citeront l’exemple de gens qui ont connu du succès sans avoir fait le conservatoire mais je dois vous dire que, moi qui suis devant vous, je continue de vivre de la musique parce que j’ai appris le métier. J’ai chanté avec succès et je peux le faire encore ; je peux aller enseigner la musique partout dans le monde. Tout cela, parce que la musique est un métier que j’ai considéré depuis le départ de ma carrière. J’ai appris ses rudiments.
N.V. : Certains amateurs voudraient bien apprendre la musique mais ils se heurtent à des problèmes de moyens financiers, d’infrastructures ou de cherté des instruments…Que proposez-vous pour ces cas de figure ?
B.M. : Nous autres, à notre temps, nous n’avons pas attendu tout cela. Nous avons donné ce qu’il fallait donné et cela a bien marché. Souvenez-vous du temps des Ziglibitiens de feu Ernesto Djédjé, celui de ORTI que j’ai dirigé ou des Mewlessel. Ces différents orchestres baignaient tous dans la même situation mais ils ont travaillé et fait parler d’eux. Aujourd’hui, il y a plus de possibilité en Côte d’Ivoire qui s’offre à la nouvelle génération. Je pense que cette génération doit penser à exploiter autrement les richesses de ce pays. Mais il faut qu’ils soient aidés en cela par les ministères de la culture de nos pays en inculquant à nos jeunes gens la politique de la culture musicale.
N.V. : Mais les personnes comme vous n’ont-elles pas aussi leur partition à jouer ? Au Mali, quel acte avez-vous déjà posé dans ce sens ?
B.M. : J’ai mis en place une structure dans le domaine de l’audiovisuel et une autre dans celui de la production.
N.V. : Et dans le domaine de la formation musicale ?
B.M. : Ecoutez, pensez-vous que quelqu’un qui a enseigné pendant 25 ans dans un conservatoire de musique n’a pas apporté son grain de sel à l’évolution de la musique ? Aujourd’hui, il y a de nombreuses personnes qui enseignent la musique dans les lycées et collèges après leur formation à l’Institut national des arts (INA). C’est ce que, moi, j’appelle la formation. Il faut aider les gens à comprendre leur métier et en vivre.
N.V. : Pourquoi pas un conservatoire de musique fondé par Boncana Maïga ?
B.M. : Ce sera pour plus tard.
N.V. : Qu’est-ce qui vous empêche de le faire maintenant ?
B.M. : Il est vrai que j’ai les moyens de le faire maintenant. Mais souffrez que je ne dévoile pas mon secret. Au moment opportun, je vous inviterai pour qu’on en parle dans les détails.
N.V. : Pour quels conseils opteriez-vous à l’endroit des jeunes désireux de mener une carrière musicale ?
B.M. : On ne vient pas à la musique comme ça. On a le don ou non. Mais le don n’est rien quand on ne le travaille pas. Et pour travailler le don, je le disais tantôt, il faut apprendre le métier. Il est vrai qu’on peut avancer sans cela mais la marche du musicien sera éphémère. Aujourd’hui les machines font chanter les hommes.Malheureusement.
Interview réalisée à Bamako par Schadé Adédé
Notre Voie : Vous qui connaissez bien la Côte d’Ivoire pour y avoir passé une partie non négligeable de votre vie, comment vivez-vous la crise qui complique la marche de ce pays depuis 2002 ?
Boncana Maïga : Je ne saurais être indifférent à ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Quoi qu’on dise, mes enfants y sont nés (ils sont tous devenus des cadres). J’ai ma famille en Côte d’Ivoire. Donc, je ne peux que souhaiter à ce pays de bonnes choses. A commencer par le retour de la paix totale sur toute l’étendue de son territoire.
N.V. : Vous étiez tellement bien intégré en Côte d’Ivoire que beaucoup pensaient que vous étiez naturalisé ivoirien…
B.M. : Mais non ! L’intégration, c’est lorsqu’on vient partager son expérience professionnelle ou idéologique par exemple avec les uns et les autres. C’est ce que j’ai fait en Côte d’Ivoire. Vous devez donc savoir que lorsqu’on est ivoirien et qu’on ne donne rien à la nation, qu’on ne partage pas, on ne sert à rien. Moi, je ne m’imagine jamais étranger qui vient faire ceci ou cela dans un quelconque pays avant de rentrer chez moi. J’ai passé toute ma jeunesse en Côte d’Ivoire. Au total, j’y ai vécu 25 bonnes années de mon existence. Ce pays représente énormément pour moi.
N.V. : N’aviez-vous pas là de bonnes raisons de devenir un citoyen ivoirien ?
B.M. : Je dirais tout simplement que je suis un Africain parce que tous les pays où j’ai un tant soit peu vécu m’ont proposé leur nationalité. C’est le cas du Niger où j’ai grandi…et bien sûr de la Côte d’Ivoire où j’ai passé 25 ans…Il faut reconnaître quand même que je suis né au Mali et que ça, on ne peut pas le changer. Mais cela ne m’empêche pas de me retrouver en Côte d’Ivoire avec mes “frères et sœurs”. D’ailleurs, je pense qu’il ne se pose pas de problème de nationalité. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’étranger peut apporter son grain de sable pour participer à la construction du pays.
N.V. : Peut-on quand même savoir pourquoi vous avez décliné toutes ces offres ?
B.M. : Je l’ai fait pour des raisons professionnelles. Je pense qu’après avoir tout donné pendant 25 années passées en Côte d’Ivoire, j’avais besoin d’aller m’installer en France. Et là-bas, j’ai eu aussi plaisir à partager mon expérience professionnelle avec mes pairs musiciens d’autres horizons. Après avoir passé 17 ans dans ce pays, j’ai décidé maintenant de rentrer dans mon pays, le Mali, pour continuer de partager cette expérience avec mes frères et sœurs. Vous savez, je suis comme un nomade qui aime former les gens. En tout cas, j’adore cela.
N.V. : Maestro a-t-il, malgré tout, pris la nationalité française ?
B.M. : Non, je ne suis qu’un résident en France. Je n’ai jamais voulu, là non plus, prendre la nationalité. J’ai une carte de séjour de 10 ans renouvable. En plus, j’ai ma maison, je paye mes impôts.
N.V. : Je suppose. Vous suivez l’actualité musicale africaine en général et ivoirienne en particulier dominée par des artistes qui ne sont pas de votre génération. Quels commentaires leurs œuvres vous inspirent-ils ?
B.M. : Beaucoup de chanteurs ne vont pas au fond de la musique. Hélas, ils courent tous après le succès immédiat, le “m’as-tu vu ?” immédiat. C’est tout simplement croquer des arachides et boire beaucoup d’eau. Et là, on se rend compte qu’on a bu beaucoup d’eau. Je me dis qu’il est bon de savoir danser, de savoir plaire. Je me dis aussi que lorsqu’on a 30 ans, il faut pouvoir vivre de son art. C’est bien de décaler, de couper ou de savoir faire beaucoup d’autres choses. Mais il ne faut pas oublier que la musique est un métier comme le journalisme, l’agronomie, la médecine, le football : il faut l’apprendre. Certains me citeront l’exemple de gens qui ont connu du succès sans avoir fait le conservatoire mais je dois vous dire que, moi qui suis devant vous, je continue de vivre de la musique parce que j’ai appris le métier. J’ai chanté avec succès et je peux le faire encore ; je peux aller enseigner la musique partout dans le monde. Tout cela, parce que la musique est un métier que j’ai considéré depuis le départ de ma carrière. J’ai appris ses rudiments.
N.V. : Certains amateurs voudraient bien apprendre la musique mais ils se heurtent à des problèmes de moyens financiers, d’infrastructures ou de cherté des instruments…Que proposez-vous pour ces cas de figure ?
B.M. : Nous autres, à notre temps, nous n’avons pas attendu tout cela. Nous avons donné ce qu’il fallait donné et cela a bien marché. Souvenez-vous du temps des Ziglibitiens de feu Ernesto Djédjé, celui de ORTI que j’ai dirigé ou des Mewlessel. Ces différents orchestres baignaient tous dans la même situation mais ils ont travaillé et fait parler d’eux. Aujourd’hui, il y a plus de possibilité en Côte d’Ivoire qui s’offre à la nouvelle génération. Je pense que cette génération doit penser à exploiter autrement les richesses de ce pays. Mais il faut qu’ils soient aidés en cela par les ministères de la culture de nos pays en inculquant à nos jeunes gens la politique de la culture musicale.
N.V. : Mais les personnes comme vous n’ont-elles pas aussi leur partition à jouer ? Au Mali, quel acte avez-vous déjà posé dans ce sens ?
B.M. : J’ai mis en place une structure dans le domaine de l’audiovisuel et une autre dans celui de la production.
N.V. : Et dans le domaine de la formation musicale ?
B.M. : Ecoutez, pensez-vous que quelqu’un qui a enseigné pendant 25 ans dans un conservatoire de musique n’a pas apporté son grain de sel à l’évolution de la musique ? Aujourd’hui, il y a de nombreuses personnes qui enseignent la musique dans les lycées et collèges après leur formation à l’Institut national des arts (INA). C’est ce que, moi, j’appelle la formation. Il faut aider les gens à comprendre leur métier et en vivre.
N.V. : Pourquoi pas un conservatoire de musique fondé par Boncana Maïga ?
B.M. : Ce sera pour plus tard.
N.V. : Qu’est-ce qui vous empêche de le faire maintenant ?
B.M. : Il est vrai que j’ai les moyens de le faire maintenant. Mais souffrez que je ne dévoile pas mon secret. Au moment opportun, je vous inviterai pour qu’on en parle dans les détails.
N.V. : Pour quels conseils opteriez-vous à l’endroit des jeunes désireux de mener une carrière musicale ?
B.M. : On ne vient pas à la musique comme ça. On a le don ou non. Mais le don n’est rien quand on ne le travaille pas. Et pour travailler le don, je le disais tantôt, il faut apprendre le métier. Il est vrai qu’on peut avancer sans cela mais la marche du musicien sera éphémère. Aujourd’hui les machines font chanter les hommes.Malheureusement.
Interview réalisée à Bamako par Schadé Adédé