La sous-préfecture d’Anyama dans le district d’Abidjan est, depuis plusieurs années, l’objet de critiques pour fraude sur l’identité. Résultat d’une enquête. J’ai déposé l’acte de naissance de mon enfant en vue de faire des copies pour les dossiers scolaires. Cela fait trois semaines. Chaque fois que je viens au rendez-vous, les agents me font savoir qu’ils n’ont pas encore retrouvé le registre dans lequel est inscrit le nom de mon enfant. J’ai dû plaider dans son école en leur expliquant ce problème. Mais, pour combien de temps cette école va-t-elle m’accorder un sursis?», se demandait M. Manet Alexis que nous avons rencontré dans la cour de la sous-préfecture. Comme lui, d’autres personnes vivent cette situation. Presque chaque jour, elles envahissent dans le couloir exigu de l’état civil espérant que cette fois sera la bonne. Les plus agitées s’en prennent aux agents qui se trouvent derrière la grille. On se bouscule chaque fois qu’un agent s’approche de cette grille pour lui tendre les actes de naissance. La demande a augmenté du fait de l’opération d’enrôlement et d’identification, mais aussi des dépôts de dossiers des élèves en classes d’examen et les dossiers de candidats aux concours administratifs.
En effet, il n’est pas facile de s’y faire établir des copies d’acte de naissance. Ceux qui ont eu leurs papiers après bien des difficultés affirmeront que cela relève du parcours du combattant. Pas parce que le sous-préfet et les agents chargés de délivrer ces précieux documents ne sont pas compétents ou sont absents de leur poste. Mais en réalité depuis sa création, des faux papiers ont été délivrés à des personnes dans des conditions obscures avec la complicité d’agents véreux. Ainsi, depuis quelque deux ans que les autorités ont décidé d’être regardante sur les registres de l’état civil de la sous-préfecture d’Anyama en exigeant, par exemple, les originaux des extraits d’acte de naissance pour avoir des copies, il y a des grincements de dents. Certaines mauvaises langues avancent même que l’autorité refuse de faire leurs papiers. Selon le sous-préfet, cette mesure vise à juguler la fraude sur l’état civil dont se sont rendus coupables quelques agents en 2005. D’autant qu’une décision, du président du tribunal d’Abidjan, a rendu ces documents nuls. On reconnaît ces registres par leur volume très épais car contenant plus de 200 pages, alors qu’un registre ordinaire compte entre 50 et 100 feuillets. Ces irrégularités sont observées dans plus de 60 % des registres. Toutes les personnes dont les numéros d’actes de naissance sont enregistrés dans ces registres non conformes ne peuvent plus avoir de nouvelles copies comme par le passé. Il faut désormais se munir d’une décision du tribunal, même si la déclaration de naissance est conforme à la loi. Ainsi, d’honnêtes citoyens sont pénalisés par des agents indélicats. « Le sous-préfet vient de me délivrer un certificat de recherche infructueuse. Cela veut dire qu’on ne retrouve pas les traces de mon acte de naissance dans aucun registre de la sous-préfecture d’Anyama. Pourtant, j’ai l’habitude de faire mes papiers ici. », se plaint un jeune homme qui dit être venu faire ses papiers pour nécessité administrative. Selon M. Kouamé Kouadio Noël, sous-préfet d’Anyama, seule cette démarche permettra d’avoir un état civil fiable dans cette localité. C’est pourquoi il invite tous ceux qui sont concernés à venir reconstituer leur registre. « Ceux qui font les recherches infructueuses sont dans le vrai. Ils seront les plus heureux car désormais, ils auront un acte fiable. Aujourd’hui, nous traitons par jour 200 dossiers de recherche infructueuse.», a-t-il fait remarquer. Après une vaine recherche du numéro d’un acte de naissance, les agents déclarent cette «recherche infructueuse». Le sous-préfet délivre alors un certificat dit de recherche infructueuse au requérant. Celui-ci se rend au tribunal d’Abidjan où une expédition lui est délivrée au bout de la démarche. Il retourne ensuite à la sous-préfecture. Son expédition est transcrite dans un nouveau registre et fait de lui un citoyen ayant un acte de naissance régulier et conforme à la loi.
La fraude par la falsification des documents, l’imitation des signatures des sous-préfets, les tripatouillages, les changements de noms, etc, a conduit le tribunal d’Abidjan à contrôler la délivrance des copies de naissance à la sous-préfecture d’Anyama. De fait, le 20 février 2005, à la suite d’une enquête minutieuse diligentée par le commissariat d’Anyama, à la demande du sous-préfet d’alors, M. Amani Tiémoko, trois réseaux de faussaires ont été démantelés. Au nombre desquels des agents de la sous-préfecture d’Anyama. « La tenue des registres a favorisé la fraude amplifiée, entretenue par un réseau constitué d’agents de la sous-préfecture et de la mairie, appuyé par des collaborateurs extérieurs fortement équipés avec d’encreurs, cachets de l’état civil, registres, imprimés avec signatures falsifiées de l’administrateur en poste et de ses prédécesseurs », disait l’autorité. Devant l’ampleur de la situation, le sous-préfet a réuni la presse, quelques jours après, pour situer les responsabilités. Au cours de cette conférence, il a indiqué que 90 % des registres ne sont ni cotés ni paraphés par le président du tribunal d’Abidjan. Ce qui constitue, selon lui, la porte ouverte à la fraude. Aussi, a-t-il poursuivi, les doubles de ces registres n’existent pas au niveau du parquet. « Je constate que les registres sont surchargés et ne sont pas arrêtés. Je remarque aussi que ces documents sont de plus en plus volumineux et excèdent les cinquante feuillets.», a-t-il ajouté. Par ailleurs, ces registres que les agents fraudeurs qualifient de « registres de recherche», constituent des assemblages de feuillets reliés au mépris de la numérotation par ordre de croissance. Par exemple un feuillet qui porte le numéro 21 affiche à la page suivante le numéro 13 au lieu de 22, pour respecter l’ordre. En outre, beaucoup d’extraits ont été délivrés sans être enregistrés. Enfin, la multiplication des centres secondaires de l’état civil est une autre porte ouverte aux irrégularités.
« En ce qui me concerne et au plan administratif, je ne saurais continuer de travailler avec les collaborateurs dont la responsabilité est établie dans l’établissement de faux documents », a conclu le sous-préfet. En clair, tous les faussaires de l’état civil de la sous-préfecture d’Anyama ont été jetés en prison. Cependant, à la faveur d’une liberté provisoire, certains agents ont été libérés et ont repris de plus bel leur fonction dans ce service et continuent à tripatouiller les registres avec la complicité de leur réseau dont certains éléments courent toujours. Cette situation inquiète davantage, aujourd’hui, tous les usagers de l’état civil, car ne dit-on pas qu’on a beau chasser le naturel, il revient au galop?
Kouamé Alfred
Correspondant local
•Dur, dur de se faire établir des extraits de naissance
Il y a de réels problèmes à l’état civil de la sous-préfecture d’Anyama. Le bureau exigu qui abrite les registres, ces précieux documents, est délabré. Il n’a jamais été réhabilité depuis la création de cette sous-préfecture, à l’instar de tout le bâtiment. Le personnel insuffisant y travaille dans des conditions difficiles avec du matériel vétuste. Des registres qui, à force d’être manipulés sont détériorés. En outre, ils sont mal conservés sur des étagères poussiéreuses et ont roussi sous le poids des ans. Parfois, ces documents sont disposés à même le sol faute d’armoires ou d’étagères. Chaque jour, les usagers qui viennent pour se faire établir des papiers s’attroupent à la porte de ce service. Ce qui complique davantage la tâche des agents. Qui transpirent sous la forte chaleur, car le seul brasseur d’air suspendu au plafond de ce bureau a cessé de fonctionner depuis belle lurette. Certains registres ne sont pas rangés convenablement et se retrouvent sur les bureaux du personnel avec beaucoup de paperasses disposés pêle-mêle. C’est le même constat aux archives. La conséquence de ce désordre est que beaucoup d’extraits de naissance se perdent. « On n’a pas retrouvé ton registre, reviens la semaine prochaine.» « Il faut faire un certificat de recherche infructueuse.» Tels sont les bouts de phrases lancés par les agents de l’état civil aux usagers. Le jeudi 15 janvier dernier, Djaté Kouadio Richard en a fait les frais. Celui-ci, pour constituer son dossier d’instituteur stagiaire au Cafop 1 de Bouaké, a déposé le 22 décembre dernier, son extrait de naissance n° 436/12/1980 du centre d’Akoupé pour établir deux copies auprès de Mme Son, un agent de bureau. Le retrait étant prévu le 5 janvier. Le jour du rendez-vous, la dame a égaré son extrait dans ses paperasses. Il confie alors le même dossier à un autre agent avec un autre extrait pour le retirer dans 10 jours. Ce dernier dossier a subi le même sort que le premier. Mais Djaté va tempêter pour exiger ses extraits, les seuls qui lui restaient d’ailleurs. Grâce à une intervention, il a accès au bureau des agents. Pendant une demi-heure, une « battue » est menée par 3 agents. Fort heureusement, les deux extraits sont retrouvés dans une armoire très loin de l’étagère où le registre était censé être. Il a eu, lui, de la chance.
Kouamé Alfred
•L’opération lancée cet après-midi va durer un mois
Le ministère de la Justice et des Droits de l’Homme procédera au lancement officiel de la phase administrative et judiciaire de la reconstitution des registres de l’état civil, à la salle Anono de l’hôtel du Golf ce mardi 27 janvier 2009». Et ce sera à partir de 15h30, indique un communiqué du service communication du ministère. Au programme, la présentation du projet par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Koné Mamadou et de la liste des registres disparus ou détruits. Le lancement de la phase administrative et judiciaire de la reconstitution, ce jour, et qui devrait durer un mois, a été précédé de quatre mois d’activités au cours desquels a été fait l’inventaire des registres détruits entièrement ou partiellement et des registres disparus. L’opération a débuté en septembre et s’est achevée le 15 décembre. Outre l’inventaire, le projet Reconstitution des registres de l’état civil en a profité pour numériser ou informatiser l’état civil ivoirien, a expliqué le chef du service communication du ministère. Aujourd’hui, a-t-il ajouté, le ministère connaît le nombre de registres détruits ou disparus entièrement ou partiellement. Toutefois, la liste étant très longue, elle sera présentée à la cérémonie et le mode de consultation expliqué. Les populations seront ensuite invitées à consulter tous les supports de communication mis à leur disposition. Entre autres, l’affichage de l’état des registres à la mairie et la sous-préfecture par l’officier de l’état civil, la radio, le site Internet, le numéro spécial de Fraternité Matin dont la parution est prévue, dit-on, jeudi. Par ailleurs, un centre national d’appel est ouvert à cet effet. «Toutes les populations concernées par les registres de naissance détruits ou disparus dont la publication aura été faite, sont invitées par tous les moyens utiles (radio, télévision, presse, crieurs publics, etc.) à se faire enregistrer à leur lieu de naissance dans un délai d’un mois à compter de la première diffusion de l’appel national restreint, sur présentation de toutes pièces justificatives émanant des administrations publiques ou privées», souligne le mode opératoire de la reconstitution des registres de l’état civil. L’opération de reconstitution qui bénéficie du financement de l’Union européenne à hauteur de sept milliards de Fcfa était très attendue. Tant par les populations ivoiriennes que les acteurs intervenant dans le processus d’identification générale de la population et de recensement électoral (Cei, Cnsi, Oni, Ins, Sagem-Sécurité). En effet, nombreux sont les pétitionnaires qui n’ont pu se faire identifier et enrôler depuis le lancement de l’opération, le 15 septembre 2008. La Commission électorale indépendante (Cei) annonce la fin de l’identification le 28 février alors que débute maintenant la phase de reconstitution des registres.
Paulin N. Zobo
•Les centres secondaires, source des irrégularités
Les administrateurs ont toujours révélé que c’est toute la Côte d’Ivoire qui a contribué, d’une manière ou d’une autre à falsifier l’état civil d’Anyama. « Il n’y a pas de lenteur dans le traitement des dossiers. Le vrai problème, c’est que les Ivoiriens ont gâté l’état civil.», réplique M Kouamé Kouadio Noël, sous-préfet d’Anyama, pour répondre aux accusations de lenteur dans son service. C’est le même constat qu’a fait son prédécesseur, M. Amani Tiémoko. Situant les responsabilités en matière de fraude, celui-ci a fait remarquer que la multiplication des centres secondaires d’état civil est une porte ouverte à toutes les irrégularités. Parmi ces 9 centres, les villages de M’pody, M’Brago et M’Bonoua sont très souvent cités dans les cas de fraude. Viennent ensuite, Attingué et Attiékoi. Dans notre enquête, sur 5 personnes interrogées ayant établi leurs actes de naissance dans ces localités, 3 sont aujourd’hui dans les recherches infructueuses. Les investigations ont aussi révélé que des personnes qui prétendent être nées dans ces centres ne savent même pas où ces villages sont situés. Encore moins, les parents qui ont fait la déclaration de naissance. D’éminents footballeurs qui évoluent dans les championnats européens, aujourd’hui, des cadres moyens et supérieurs de l’administration publique et privée, des éléments des Forces de défense et de sécurité, des candidats à l’immigration américaine ou européenne, des élèves pour faire les dossiers d’examen… sont passés par ces centres pour avoir de nouvelles identités. « On ne peut pas contrôler les naissances dans un centre secondaire. Seule la bonne foi de l’agent commis à cette tâche peut limiter la fraude. Or, Dieu seul sait combien de fois tout le monde est tenté par le gain facile de l’argent. », confie un agent de l’état civil sous couvert de l’anonymat. M. Yapi Yapi, enseignant à la retraite et responsable de l’état civil de M’Pody, depuis 1998, une localité réputée pour la fraude, reconnaît qu’il y a l’existence de ces pratiques dans ce centre, mais affirme ne pas en connaître les origines et les commanditaires. «Dans mon centre, je reçois les déclarations d’acte de naissance de M’Pody et Adaromé. Chaque année, je déclare en moyenne 30 à 50 naissances. Ce chiffre varie. Mais, quand je me rends à l’état civil de la sous-préfecture, je me rends compte qu’il y a plus de naissances que ce que, j’ai déclaré. En tout cas, il y a problème.», note-t-il.
Par ailleurs, ajoute-t-il, les irrégularités s’expliquent par le fait que très souvent, les parents ne viennent pas déclarer les naissances dans les délais requis. «Ils attendent jusqu’à ce que l’enfant ait l’âge d’aller à l’école. Parfois, je fais le pied de grue à leur domicile.» déplore M. Yapi Yapi.
K . A
•L’Oni installe une base de données
L’Office national d’identification (Oni) a démarré le programme de reconstitution de l’état civil d’Anyama. Depuis novembre 2008, 4 opérateurs de saisie de cette institution ont installé leur matériel dans une salle annexe à celle des archives de l’état civil de la sous-préfecture. Selon M. Guédé Rémy –Luc, responsable de cette cellule, il est important de créer une base de données informatiques pour les registres de naissance, de décès et de mariage. En 2 mois de présence, plus de 190 registres et des feuilles compilées ont été traités. Les feuilles compilées sont des feuilles arrachées dont on ignore la provenance. Celles-ci contiennent des informations d’une même période et sont reliées et conservées dans un même document. Au terme de cette opération, les agents de l’état civil pourront mieux traiter et surtout conserver les documents. En attendant, les opérateurs de saisie sont confrontés à certaines difficultés qui sont, entre autres, l’usure ou le délabrement des registres, des documents parfois mal tenus et disposés en vrac et sans numéro sur les étagères. Concernant l’informatisation de l’état civil, il faut saluer certaines initiatives telles que celle d’une société immobilière qui a équipé la sous-préfecture d’Anyama le 16 mai 2008. Elle a offert un ordinateur, un onduleur, une imprimante, des CD, un lot de papier rame, 10 chaises, d’une valeur totale d’un million de francs. Justifiant ce geste, M. Zouzouko Raphaël, responsable de cette entreprise, a fait savoir que la sous-préfecture est un partenaire privilégié à travers l’établissement de documents administratifs (lettre d’attribution, et autres documents afférents). Toutes choses qui facilitent les transactions entre les clients et son entreprise. L’informatisation s’inscrit dans la vision du sous-préfet, Kouamé Kouadio Noël, qui, depuis son arrivée, a entrepris la réorganisation de ce service tout en combattant le désordre et l’anarchie qui avaient commencé à y prospérer.
Kouamé Alfred
Correspondant local
• La charrue devant les bœufs
La chute de l’article relatif à la reconstitution des registres de l’état civil (P14) en dit long sur les dysfonctionnements constatés dans le processus de sortie de crise depuis son lancement. Ici, il s’agit de l’identification. Et voici ce que dit la chute dudit article: «En effet, nombreux sont les pétitionnaires qui n’ont pu se faire identifier et enrôler depuis le lancement de l’opération, le 15 septembre 2008. La Commission électorale indépendante (Cei) annonce la fin de l’identification pour le 28 février, alors que débute maintenant la phase de reconstitution des registres».
La pièce exigée pour se faire enrôler est bel et bien l’extrait de naissance ou le jugement supplétif assorti de sa photocopie. Or, l’acte de naissance, pour ceux qui n’avaient aucune ancienne copie sur eux, ne peut se faire qu’à partir des registres de l’état civil dont la reconstitution va démarrer seulement ce matin. Très honnêtement, comment a-t-on pu concevoir un tel chronogramme qui met visiblement la charrue devant les bœufs ? Que deviennent toutes ces personnes qui, faute d’acte de naissance, n’ont pu se faire enrôler dans leur zone où l’opération a été déjà bouclée? Que faut-il faire pour ceux qui vont avoir leurs papiers seulement maintenant?
Autant d’interrogations et bien d’autres auxquelles il importe de trouver des réponses au moment où la Cei et la Cnsi s’empoignent à propos de la date de clôture de l’opération d’identification et d’enrôlement. 28 février 2009 ou au-delà de cette date ? L’opinion publique, très pantoise, attend une réponse concertée de ces structures censées travailler en synergie.
Abel Doualy
En effet, il n’est pas facile de s’y faire établir des copies d’acte de naissance. Ceux qui ont eu leurs papiers après bien des difficultés affirmeront que cela relève du parcours du combattant. Pas parce que le sous-préfet et les agents chargés de délivrer ces précieux documents ne sont pas compétents ou sont absents de leur poste. Mais en réalité depuis sa création, des faux papiers ont été délivrés à des personnes dans des conditions obscures avec la complicité d’agents véreux. Ainsi, depuis quelque deux ans que les autorités ont décidé d’être regardante sur les registres de l’état civil de la sous-préfecture d’Anyama en exigeant, par exemple, les originaux des extraits d’acte de naissance pour avoir des copies, il y a des grincements de dents. Certaines mauvaises langues avancent même que l’autorité refuse de faire leurs papiers. Selon le sous-préfet, cette mesure vise à juguler la fraude sur l’état civil dont se sont rendus coupables quelques agents en 2005. D’autant qu’une décision, du président du tribunal d’Abidjan, a rendu ces documents nuls. On reconnaît ces registres par leur volume très épais car contenant plus de 200 pages, alors qu’un registre ordinaire compte entre 50 et 100 feuillets. Ces irrégularités sont observées dans plus de 60 % des registres. Toutes les personnes dont les numéros d’actes de naissance sont enregistrés dans ces registres non conformes ne peuvent plus avoir de nouvelles copies comme par le passé. Il faut désormais se munir d’une décision du tribunal, même si la déclaration de naissance est conforme à la loi. Ainsi, d’honnêtes citoyens sont pénalisés par des agents indélicats. « Le sous-préfet vient de me délivrer un certificat de recherche infructueuse. Cela veut dire qu’on ne retrouve pas les traces de mon acte de naissance dans aucun registre de la sous-préfecture d’Anyama. Pourtant, j’ai l’habitude de faire mes papiers ici. », se plaint un jeune homme qui dit être venu faire ses papiers pour nécessité administrative. Selon M. Kouamé Kouadio Noël, sous-préfet d’Anyama, seule cette démarche permettra d’avoir un état civil fiable dans cette localité. C’est pourquoi il invite tous ceux qui sont concernés à venir reconstituer leur registre. « Ceux qui font les recherches infructueuses sont dans le vrai. Ils seront les plus heureux car désormais, ils auront un acte fiable. Aujourd’hui, nous traitons par jour 200 dossiers de recherche infructueuse.», a-t-il fait remarquer. Après une vaine recherche du numéro d’un acte de naissance, les agents déclarent cette «recherche infructueuse». Le sous-préfet délivre alors un certificat dit de recherche infructueuse au requérant. Celui-ci se rend au tribunal d’Abidjan où une expédition lui est délivrée au bout de la démarche. Il retourne ensuite à la sous-préfecture. Son expédition est transcrite dans un nouveau registre et fait de lui un citoyen ayant un acte de naissance régulier et conforme à la loi.
La fraude par la falsification des documents, l’imitation des signatures des sous-préfets, les tripatouillages, les changements de noms, etc, a conduit le tribunal d’Abidjan à contrôler la délivrance des copies de naissance à la sous-préfecture d’Anyama. De fait, le 20 février 2005, à la suite d’une enquête minutieuse diligentée par le commissariat d’Anyama, à la demande du sous-préfet d’alors, M. Amani Tiémoko, trois réseaux de faussaires ont été démantelés. Au nombre desquels des agents de la sous-préfecture d’Anyama. « La tenue des registres a favorisé la fraude amplifiée, entretenue par un réseau constitué d’agents de la sous-préfecture et de la mairie, appuyé par des collaborateurs extérieurs fortement équipés avec d’encreurs, cachets de l’état civil, registres, imprimés avec signatures falsifiées de l’administrateur en poste et de ses prédécesseurs », disait l’autorité. Devant l’ampleur de la situation, le sous-préfet a réuni la presse, quelques jours après, pour situer les responsabilités. Au cours de cette conférence, il a indiqué que 90 % des registres ne sont ni cotés ni paraphés par le président du tribunal d’Abidjan. Ce qui constitue, selon lui, la porte ouverte à la fraude. Aussi, a-t-il poursuivi, les doubles de ces registres n’existent pas au niveau du parquet. « Je constate que les registres sont surchargés et ne sont pas arrêtés. Je remarque aussi que ces documents sont de plus en plus volumineux et excèdent les cinquante feuillets.», a-t-il ajouté. Par ailleurs, ces registres que les agents fraudeurs qualifient de « registres de recherche», constituent des assemblages de feuillets reliés au mépris de la numérotation par ordre de croissance. Par exemple un feuillet qui porte le numéro 21 affiche à la page suivante le numéro 13 au lieu de 22, pour respecter l’ordre. En outre, beaucoup d’extraits ont été délivrés sans être enregistrés. Enfin, la multiplication des centres secondaires de l’état civil est une autre porte ouverte aux irrégularités.
« En ce qui me concerne et au plan administratif, je ne saurais continuer de travailler avec les collaborateurs dont la responsabilité est établie dans l’établissement de faux documents », a conclu le sous-préfet. En clair, tous les faussaires de l’état civil de la sous-préfecture d’Anyama ont été jetés en prison. Cependant, à la faveur d’une liberté provisoire, certains agents ont été libérés et ont repris de plus bel leur fonction dans ce service et continuent à tripatouiller les registres avec la complicité de leur réseau dont certains éléments courent toujours. Cette situation inquiète davantage, aujourd’hui, tous les usagers de l’état civil, car ne dit-on pas qu’on a beau chasser le naturel, il revient au galop?
Kouamé Alfred
Correspondant local
•Dur, dur de se faire établir des extraits de naissance
Il y a de réels problèmes à l’état civil de la sous-préfecture d’Anyama. Le bureau exigu qui abrite les registres, ces précieux documents, est délabré. Il n’a jamais été réhabilité depuis la création de cette sous-préfecture, à l’instar de tout le bâtiment. Le personnel insuffisant y travaille dans des conditions difficiles avec du matériel vétuste. Des registres qui, à force d’être manipulés sont détériorés. En outre, ils sont mal conservés sur des étagères poussiéreuses et ont roussi sous le poids des ans. Parfois, ces documents sont disposés à même le sol faute d’armoires ou d’étagères. Chaque jour, les usagers qui viennent pour se faire établir des papiers s’attroupent à la porte de ce service. Ce qui complique davantage la tâche des agents. Qui transpirent sous la forte chaleur, car le seul brasseur d’air suspendu au plafond de ce bureau a cessé de fonctionner depuis belle lurette. Certains registres ne sont pas rangés convenablement et se retrouvent sur les bureaux du personnel avec beaucoup de paperasses disposés pêle-mêle. C’est le même constat aux archives. La conséquence de ce désordre est que beaucoup d’extraits de naissance se perdent. « On n’a pas retrouvé ton registre, reviens la semaine prochaine.» « Il faut faire un certificat de recherche infructueuse.» Tels sont les bouts de phrases lancés par les agents de l’état civil aux usagers. Le jeudi 15 janvier dernier, Djaté Kouadio Richard en a fait les frais. Celui-ci, pour constituer son dossier d’instituteur stagiaire au Cafop 1 de Bouaké, a déposé le 22 décembre dernier, son extrait de naissance n° 436/12/1980 du centre d’Akoupé pour établir deux copies auprès de Mme Son, un agent de bureau. Le retrait étant prévu le 5 janvier. Le jour du rendez-vous, la dame a égaré son extrait dans ses paperasses. Il confie alors le même dossier à un autre agent avec un autre extrait pour le retirer dans 10 jours. Ce dernier dossier a subi le même sort que le premier. Mais Djaté va tempêter pour exiger ses extraits, les seuls qui lui restaient d’ailleurs. Grâce à une intervention, il a accès au bureau des agents. Pendant une demi-heure, une « battue » est menée par 3 agents. Fort heureusement, les deux extraits sont retrouvés dans une armoire très loin de l’étagère où le registre était censé être. Il a eu, lui, de la chance.
Kouamé Alfred
•L’opération lancée cet après-midi va durer un mois
Le ministère de la Justice et des Droits de l’Homme procédera au lancement officiel de la phase administrative et judiciaire de la reconstitution des registres de l’état civil, à la salle Anono de l’hôtel du Golf ce mardi 27 janvier 2009». Et ce sera à partir de 15h30, indique un communiqué du service communication du ministère. Au programme, la présentation du projet par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Koné Mamadou et de la liste des registres disparus ou détruits. Le lancement de la phase administrative et judiciaire de la reconstitution, ce jour, et qui devrait durer un mois, a été précédé de quatre mois d’activités au cours desquels a été fait l’inventaire des registres détruits entièrement ou partiellement et des registres disparus. L’opération a débuté en septembre et s’est achevée le 15 décembre. Outre l’inventaire, le projet Reconstitution des registres de l’état civil en a profité pour numériser ou informatiser l’état civil ivoirien, a expliqué le chef du service communication du ministère. Aujourd’hui, a-t-il ajouté, le ministère connaît le nombre de registres détruits ou disparus entièrement ou partiellement. Toutefois, la liste étant très longue, elle sera présentée à la cérémonie et le mode de consultation expliqué. Les populations seront ensuite invitées à consulter tous les supports de communication mis à leur disposition. Entre autres, l’affichage de l’état des registres à la mairie et la sous-préfecture par l’officier de l’état civil, la radio, le site Internet, le numéro spécial de Fraternité Matin dont la parution est prévue, dit-on, jeudi. Par ailleurs, un centre national d’appel est ouvert à cet effet. «Toutes les populations concernées par les registres de naissance détruits ou disparus dont la publication aura été faite, sont invitées par tous les moyens utiles (radio, télévision, presse, crieurs publics, etc.) à se faire enregistrer à leur lieu de naissance dans un délai d’un mois à compter de la première diffusion de l’appel national restreint, sur présentation de toutes pièces justificatives émanant des administrations publiques ou privées», souligne le mode opératoire de la reconstitution des registres de l’état civil. L’opération de reconstitution qui bénéficie du financement de l’Union européenne à hauteur de sept milliards de Fcfa était très attendue. Tant par les populations ivoiriennes que les acteurs intervenant dans le processus d’identification générale de la population et de recensement électoral (Cei, Cnsi, Oni, Ins, Sagem-Sécurité). En effet, nombreux sont les pétitionnaires qui n’ont pu se faire identifier et enrôler depuis le lancement de l’opération, le 15 septembre 2008. La Commission électorale indépendante (Cei) annonce la fin de l’identification le 28 février alors que débute maintenant la phase de reconstitution des registres.
Paulin N. Zobo
•Les centres secondaires, source des irrégularités
Les administrateurs ont toujours révélé que c’est toute la Côte d’Ivoire qui a contribué, d’une manière ou d’une autre à falsifier l’état civil d’Anyama. « Il n’y a pas de lenteur dans le traitement des dossiers. Le vrai problème, c’est que les Ivoiriens ont gâté l’état civil.», réplique M Kouamé Kouadio Noël, sous-préfet d’Anyama, pour répondre aux accusations de lenteur dans son service. C’est le même constat qu’a fait son prédécesseur, M. Amani Tiémoko. Situant les responsabilités en matière de fraude, celui-ci a fait remarquer que la multiplication des centres secondaires d’état civil est une porte ouverte à toutes les irrégularités. Parmi ces 9 centres, les villages de M’pody, M’Brago et M’Bonoua sont très souvent cités dans les cas de fraude. Viennent ensuite, Attingué et Attiékoi. Dans notre enquête, sur 5 personnes interrogées ayant établi leurs actes de naissance dans ces localités, 3 sont aujourd’hui dans les recherches infructueuses. Les investigations ont aussi révélé que des personnes qui prétendent être nées dans ces centres ne savent même pas où ces villages sont situés. Encore moins, les parents qui ont fait la déclaration de naissance. D’éminents footballeurs qui évoluent dans les championnats européens, aujourd’hui, des cadres moyens et supérieurs de l’administration publique et privée, des éléments des Forces de défense et de sécurité, des candidats à l’immigration américaine ou européenne, des élèves pour faire les dossiers d’examen… sont passés par ces centres pour avoir de nouvelles identités. « On ne peut pas contrôler les naissances dans un centre secondaire. Seule la bonne foi de l’agent commis à cette tâche peut limiter la fraude. Or, Dieu seul sait combien de fois tout le monde est tenté par le gain facile de l’argent. », confie un agent de l’état civil sous couvert de l’anonymat. M. Yapi Yapi, enseignant à la retraite et responsable de l’état civil de M’Pody, depuis 1998, une localité réputée pour la fraude, reconnaît qu’il y a l’existence de ces pratiques dans ce centre, mais affirme ne pas en connaître les origines et les commanditaires. «Dans mon centre, je reçois les déclarations d’acte de naissance de M’Pody et Adaromé. Chaque année, je déclare en moyenne 30 à 50 naissances. Ce chiffre varie. Mais, quand je me rends à l’état civil de la sous-préfecture, je me rends compte qu’il y a plus de naissances que ce que, j’ai déclaré. En tout cas, il y a problème.», note-t-il.
Par ailleurs, ajoute-t-il, les irrégularités s’expliquent par le fait que très souvent, les parents ne viennent pas déclarer les naissances dans les délais requis. «Ils attendent jusqu’à ce que l’enfant ait l’âge d’aller à l’école. Parfois, je fais le pied de grue à leur domicile.» déplore M. Yapi Yapi.
K . A
•L’Oni installe une base de données
L’Office national d’identification (Oni) a démarré le programme de reconstitution de l’état civil d’Anyama. Depuis novembre 2008, 4 opérateurs de saisie de cette institution ont installé leur matériel dans une salle annexe à celle des archives de l’état civil de la sous-préfecture. Selon M. Guédé Rémy –Luc, responsable de cette cellule, il est important de créer une base de données informatiques pour les registres de naissance, de décès et de mariage. En 2 mois de présence, plus de 190 registres et des feuilles compilées ont été traités. Les feuilles compilées sont des feuilles arrachées dont on ignore la provenance. Celles-ci contiennent des informations d’une même période et sont reliées et conservées dans un même document. Au terme de cette opération, les agents de l’état civil pourront mieux traiter et surtout conserver les documents. En attendant, les opérateurs de saisie sont confrontés à certaines difficultés qui sont, entre autres, l’usure ou le délabrement des registres, des documents parfois mal tenus et disposés en vrac et sans numéro sur les étagères. Concernant l’informatisation de l’état civil, il faut saluer certaines initiatives telles que celle d’une société immobilière qui a équipé la sous-préfecture d’Anyama le 16 mai 2008. Elle a offert un ordinateur, un onduleur, une imprimante, des CD, un lot de papier rame, 10 chaises, d’une valeur totale d’un million de francs. Justifiant ce geste, M. Zouzouko Raphaël, responsable de cette entreprise, a fait savoir que la sous-préfecture est un partenaire privilégié à travers l’établissement de documents administratifs (lettre d’attribution, et autres documents afférents). Toutes choses qui facilitent les transactions entre les clients et son entreprise. L’informatisation s’inscrit dans la vision du sous-préfet, Kouamé Kouadio Noël, qui, depuis son arrivée, a entrepris la réorganisation de ce service tout en combattant le désordre et l’anarchie qui avaient commencé à y prospérer.
Kouamé Alfred
Correspondant local
• La charrue devant les bœufs
La chute de l’article relatif à la reconstitution des registres de l’état civil (P14) en dit long sur les dysfonctionnements constatés dans le processus de sortie de crise depuis son lancement. Ici, il s’agit de l’identification. Et voici ce que dit la chute dudit article: «En effet, nombreux sont les pétitionnaires qui n’ont pu se faire identifier et enrôler depuis le lancement de l’opération, le 15 septembre 2008. La Commission électorale indépendante (Cei) annonce la fin de l’identification pour le 28 février, alors que débute maintenant la phase de reconstitution des registres».
La pièce exigée pour se faire enrôler est bel et bien l’extrait de naissance ou le jugement supplétif assorti de sa photocopie. Or, l’acte de naissance, pour ceux qui n’avaient aucune ancienne copie sur eux, ne peut se faire qu’à partir des registres de l’état civil dont la reconstitution va démarrer seulement ce matin. Très honnêtement, comment a-t-on pu concevoir un tel chronogramme qui met visiblement la charrue devant les bœufs ? Que deviennent toutes ces personnes qui, faute d’acte de naissance, n’ont pu se faire enrôler dans leur zone où l’opération a été déjà bouclée? Que faut-il faire pour ceux qui vont avoir leurs papiers seulement maintenant?
Autant d’interrogations et bien d’autres auxquelles il importe de trouver des réponses au moment où la Cei et la Cnsi s’empoignent à propos de la date de clôture de l’opération d’identification et d’enrôlement. 28 février 2009 ou au-delà de cette date ? L’opinion publique, très pantoise, attend une réponse concertée de ces structures censées travailler en synergie.
Abel Doualy