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Société Publié le samedi 14 février 2009 | Notre Voie

Dire bien - A nos amours !

Lecteurs miens, je nous fais cet inhabituel souhait heureux non pas parce que j’aurais ouï de vous ou de nous un éternuement collectif, public et fort sonore, mais tout simplement parce que je voudrais m’égayer autrement avec vous en ce matin du 14 février où l’on célèbre (avec hélas de plus en plus de bruits et de mises en spectacle) l’amour cousin germain de l’amitié. En Colombie (Amérique latine), cette fête ne s’appelle-t-elle pas «dia del amor y amistad» (jour de l’amour et de l’amitié) ? Là-bas, elle est fêtée le troisième samedi du mois de septembre et non le 14 février comme ici en Côte d’Ivoire et dans bien de pays occidentaux. On le sait, l’association du milieu du mois de février avec l’amour et la fertilité date de l’antiquité. Selon les historiens qui savent lire le calendrier de l’Athènes antique, la période de mi-janvier à mi-février correspond au mois de Gamélion, consacré au mariage de Zeus et de Héra. Une fête certes, mais aussi une bonne affaire avec les médias en soutien déchaînés. La téléphonie mobile se frottant aussi les mains, la veille du 14 et le 14 même enregistrant des records dans l’envoi des SMS. Affaire !!! Cette fête à la fois collective et jouissive porte le nom de «Saint Valentin, ce prêtre qui n’est plus à présenter tant la littérature sur lui est abondante, et qui marqua Rome de sa vertu éclatante à tel point qu’il fut nommé, avec la qualité d’illustre Martyr, dans le Sacramentaire.

J’ai dit supra que je voudrais, une fois n’est pas coutume, m’égayer en ces colonnes vôtres. On dit qu’un homme ou un auteur s’égaye lorsqu’il dit quelque chose ou parle de quelque chose d’agréable qui n’est pas tout à fait de son sujet (cf. les sujets politiques débattus ici sous l’éclairage de la linguistique).

Lecteurs miens, la compréhension de notre monde exige de nous passion et précision. L’actualité oblige et comme elle est à la célébration de l’amour, une passion, parlons-en avec précision. Sur le sujet, je me souviens avoir utilisé l’expression «la Saint Valentin» pour exemplifier un de mes cours de sémantique à l’Université de Cocody portant sur l’évolution ou le changement de sens des mots qui, bien souvent, savent de nous ce que nous ne savons pas d’eux. Qui sait comme le sémanticien que la Saint Valentin a été d’abord une fête de l’Eglise catholique, avant d’être la fête de l’amour courtois fait d’échange mutuel, de fleurs, de cadeaux, de billets doux… qui sait aussi que la fête de la Saint Valentin a été longtemps célébrée comme étant la fête des célibataires et non celle des couples… finit par se demander si la fête telle que célébrée aujourd’hui ne mélange pas les amoureux et les amants ? Nuance ! J’y reviendrai.


A nos amours certes, mais ne nous trempons ni en amour ni d’amour

Peut-on chanter sans conséquence (comme le fait déjà un artiste) «l’amour a tous les droits et nous tous les droits ?» Lecteurs miens, je témoigne par observation et par expérience que les temps de crise sont rudes pour le mot «amour» qui devient, le temps d’une seule journée, le 14 février romantique et courtois et le reste de l’année l’inscrire dans la routine du sexe, du physique, du coït soulageur. Lecteur miens, le sexe est partout, pis des pis, il est dans la tête, c'est-à-dire pas à sa place anatomique. Ce qui ne va sans conséquence sur le mot «amour» et autres valeurs morales. Ô temps, ô mœurs ! Pour ceux qui connaissent le sens des mots, le mot «amour» est indifféremment des deux genres. On dit bien «un bel amour» comme on dit aussi bien «une amour folle, envahissante, brillante». Le mot, féminin au départ dans l’ancien français, se dit au masculin seulement à partir du XVIème siècle, à cause de son origine latine. En latin, le mot «amor» est masculin. On notera qu’au pluriel il est toujours féminin (comme si l’on pensait à la polygamie). On trouve le mot dans l’expression figée «faire l’amour», qui n’avait aucune connotation sexuelle ou érotique (blâmable) et qui signifiait tout simplement «faire la cour, aimer d’une passion déclarée et connue à la personne que l’on aime, à laquelle on continue de la témoigner par les assiduités et autres complaisances des amants». Aujourd’hui, le sens de cette belle expression romantique est étroitement lié à l’amour physique avec ses mots grossiers pour traduire le coït jouissif et bestial… Il est révolu le temps où «l’on faisait longtemps l’amour à sa femme (c'est-à-dire la cour) avant de l’épouser». Conséquence avec le nouveau sens, plus on fait l’amour à une femme (c'est-à-dire coucher avec elle), moins on pense à l’épouser», dixit une espèce qui, loin d’être en voie de disparition, prospère hélas. Frivolement.

Sur le mot «amour», l’on a construit l’adverbe «amoureuse-ment» qui a pour synonyme connu «affectueusement» et surtout le nom «amoureux». Ce dernier se dit d’un homme qui aime, mais sans être aimé (forcément). Par ce sens il est distinct du mot «amant». Au sens de l’époque un amant est «celui qui aime d’amour une personne d’un autre sexe et désire en être aimé». L’amant est forcément celui qui aime et qui est aimé. Qui a lu la tragi-comédie intitulée «Le Cid» (1636) de Pierre Corneille (1606-1684) a rencontré cette nuance dans : «Don Rodrigue, amant de Chimène… Don Sanchez amoureux de Chimène». Comme quoi on peut être amoureux d’une femme qui ne vous aime pas et aime quelqu’un d’autre. Allah ye an soutara. Que Dieu nous garde d’une telle situation. Amina. Et il semble que bien de gens dans cette situation comptent sur le 14 février pour passer du statut d’amoureux (avec ses rêves et fantasmes, ses calculs et stratégies) au statut d’amant. Ça peut marcher comme ça peut ne pas marcher. Comme cela arrive à tout entrepreneur ou investisseur. L’amour est tout comme un investissement et qui dit «je t’aime» ouvre un compte à alimenter et dont la clôture peut vous amener devant les tribunaux. J’y reviendrai. Le terme «amant» garde au féminin ce sens favorable. Ainsi «l’amante» est même parfois la femme légitime, l’épouse passionnément aimée. Dans une langue comme le malinké, on trouve des termes amoureusement significatifs tels que «n’djarabi» (mon amour), baramousso (la préférée d’entre toutes), n’farifankelen (la moitié de mon corps ou ma moitié), n’y a sounôgôssa (celle qui me tient éveillé toute la nuit)…


2/ - Quand le parcours de l’amour se termine devant les tribunaux

Pour cette Saint Valentin, j’ai noté que certaines structures hôtelières et certains grands magasins ont pris des espaces publicitaires dans la presse écrite. On peut y dire la paraphrase suivante : «nous vous donnons l’opportunité de lui dire «Je t’aime !» Ce qui, du reste, a un coût (par personne ou en duo). Preuve que si l’amour rend aveugle, ce n’est pas le cas pour les affaires. «Je t’aime», voilà donc une phrase simple, mais combien difficile et laborieux à prononcer, car elle engage tout l’être de la personne qui la prononce. La dire requiert des conditions de tranquillité (d’esprit), de sérénité, de franchise… La première fois est fort suffisante et il nous revient que qui le dit plusieurs fois paraît suspect, léger ou pas sérieux… Lecteurs miens, attention donc ! Mais ce n’est pas tout.

Par observation et par expérience, la phrase («Je t’aime») a tout le profil exact d’un compte bancaire que l’on ouvre (délibérément ou librement) et que l’on doit alimenter en mots doux, en cadeaux, en billets doux ou de banque… Ne dit-on pas que l’amour est aussi une plante verte que l’on doit savoir arroser, paroles d’un singulier jardinier qui a réussi et sa vie conjugale et en affaires. Mais, comme tout compte, la phrase «je t’aime» a ses mouvements avec ses débits, crédits solde et autres agios… Quelle histoire autour de cette phrase qui connote à la fois plaisir et investissement dont la consolidation amène un jour devant le maire ou les hommes de Dieu. Devant ceux-ci, curieusement, l’on optera pour la communauté ou pour la séparation des biens quoique unis pour «le meilleur ou pour le pire». Mais, paradoxe des paradoxes, quand le pire arrive (et il arrive un jour, mais il faut savoir s’en relever), la phrase «je t’aime» entre dans la clandestinité, car devenue imprononçable et impropre sous la pression haineuse des disputes et autres mesquineries ou petitesses qui conduisent forcément devant les tribunaux, où chacun, dans un mémoire (très subjectif), exposera la laideur de l’autre comme si jamais la phrase «je t’aime» n’avait existé entre eux. C’est donc l’échec de l’investissement dans la phrase «je t’aime» qui fait que l’amour et la justice deviennent des compétences complémentaires. La seconde contraignant par la loi l’auteur des graves manquements à la première, une vraie institution à respecter. Et toute pension, que dis-je, toute réparation des dommages conjugaux sera financée par le compte déjà ouvert après la phrase «Je t’aime». Comme c’est triste. Allah yé an dêmê, ka fourou tanga ! (Que Dieu nous aide et protège le mariage !) Amina. Et dire que tout cela arrive ou peut arriver après notre «oui» public, sonore et libre dans une joie indescriptible partagée avec les parents et invités que l’on quitte après le cocktail pour une nuit de noces…, sorte de 14 février anticipé ou de Saint Valentin personnalisée. Soyons positifs et disons-nous que «ça va aller». A nos amours donc et joyeuse Saint Valentin.


Koné Dramane direbien@live.fr
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