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Économie Publié le vendredi 27 février 2009 | L’intelligent d’Abidjan

Vridi-Canal - Des boyaux de poissons pour avoir des protéines

Eprouvée par six années de crise, la Côte d’Ivoire a été fragilisée par une rupture de la cohésion sociale, une insécurité grandissante, un ralentissement du développement économique, un chômage massif des jeunes et une expansion de la mauvaise gouvernance. Le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP) mis en place par le ministère du Plan et de la Pauvreté révèle que la pauvreté est évaluée à 48,9% en 2008. Un chiffre qui comme par essence ne touche pas le lecteur ou celui qui l’entend. Cependant, faire un tour dans certains endroits, certains quartiers de la ville d’Abidjan, montre l’ampleur du mal. A Vridi canal, quartier précaire de la commune de Port-Bouet, la notion de pauvreté n’a plus de sens : on vit dans les profondeurs de ce bidonville…la misère extrême.

48,9% de pauvre selon les experts qui travaillent dans des salons climatisés et dinent dans des restaurants feutrés. Ces hommes et ces femmes affirment qu’est pauvre, une personne qui vit avec moins d’un (01) dollar US (550 Fcfa). Mais quand on vit à Gobelet (Cocody), Boribana (Adjamé) ou à Vridi Canal, on peut vivre toute une semaine ou plus sans avoir un rond dans sa poche. Veuve S.O qui a perdu son mari depuis près de deux (02) ans de cela et qui a accepté de témoigner de sa situation, raconte son calvaire quotidien. Cette dame a perdu son compagnon, mort dans d’horrible souffrance parce qu’ayant perdu son emploi comme des milliers d’autres suite à la crise politico-militaire que connaît le pays. Le défunt manœuvre dans une boite appartenant à un expatrié, a perdu son emploi lors des évènements de novembre 2004. Evènements qui ont suscité le départ de son patron. Depuis, ça été une lente descente en enfer pour S.O et sa famille. D’Adjouffou, un autre quartier précaire, mais plus viabilisé, ils ont atterri dans les méandres de Vridi Canal. Une bicoque faite de bois et de paille comme toiture où s’entassent le couple et ces trois enfants. Cette femme dit avoir regardé impuissante son mari s’éteindre sans aucun secours. « De toute façon, notre entourage est presque aussi démuni que nous, alors que pouvait-il faire », a-t-elle dédouané les autres. Ce mal pernicieux autant physiologique que moral, les potions délivrées par des tradipraticiens n’a pu l’enrailler. Aujourd’hui, elle essai de survivre. Que deviennent donc les enfants. Les deux petits ne vont pas à l’école. Ils trainent toute la journée on ne sait où. Elle n’a plus la force de les retenir. Quant à la fille, la plus grande qui a aujourd’hui 17 ans, elle a quitté la maison. Pour quelle destination ? La mère affirme ne pas savoir. Sa fille lui aurait dit avoir aménagé avec une amie. Elle ne pose pas de question. Elle revient souvent avec de l’argent pour sa mère, et a promis d’inscrire la dernière qui aura 6 ans l’an prochain au CP1. Nous quittons notre interlocutrice sans avoir oublié de lui laisser un petit quelque chose. Dans un reflexe de dignité, elle a bien tenté de refuser, mais nous avons insisté. Et dans ces lieux-là, on ne mange pas la fierté. Direction le marché au poisson. Un endroit où selon certaines informations qui nous sont parvenues, des désespérées viendraient recueillir l’eau que les vendeuses prennent pour laver le poisson qu’elles vont mettre à sécher pour la vente. Interrogées, les vendeuses ont souligné que ce n’était pas l’eau pour laver le poisson, mais plutôt les boyaux à l’intérieur du poisson. « Quand nous en faisons un tas, des femmes ou des enfants envoyés par leurs parents viennent se servir », a décrit une vendeuse qui a voulu garder l’anonymat. Cela fait de la peine, a-t-elle affirmé, mais on fini par s’habituer à la pauvreté. Pas qu’elles sont indifférentes, d’ailleurs de temps en temps, quelques unes donnent un poisson ou deux, assurent l’une d’entre elles, mais elles ne peuvent pas faire plus. Il y a tellement de miséreux et elles ne peuvent pas tout donner au risque d’être dans la même situation que les ‘’autres’’. Ces boyaux de poissons sont les seules protéines animales que peuvent se permettre de nombreuses familles dans cette extrême pauvreté. Brave gens, qui ont quand même compris qu’il faut donner toute les chances à leurs progénitures de croitre le plus normalement possible. Et s’il faut prendre ce peu de protéine où on vide le poisson et même au port de pêche, et bien il faut le faire. Car, comme le soulignait cette bonne dame qui nous a ouvert un peu de sa vie, « nos enfants sont notre futur. Il faut qu’ils vivent pour nous et pour que nous continuons à exister en eux quand même nous ne seront plus de ce monde ». Alors en prenant les dispositions, les plus infimes que ce soit, ces femmes, ces hommes donnent une leçon de résistance et d’espoir. L’espoir que leurs enfants pourraient transcender et connaître peu être une autre vie que celle de leurs parents, est la seule lueur dans cette grisaille. Ces enfants qui deviennent très vite des adultes, surtout les filles obligées de s’adonner à la prostitution. Ce n’est pas K.M, un jeune du quartier de Zimbabwe toujours à Vridi qui dira le contraire. Il nous raconte que certains parents mettent la pression sur leurs filles afin qu’elles rapportent de l’argent à la maison. « La majorité des filles de notre ghetto s’adonne à la prostitution à Biétry, zone 4, Marcory. Nous les voyons sortir les soirs et revenir au petit matin », nous a affirmé notre interlocuteur. Et d’ajouter que la pauvreté est la cause de toutes ces déviances.

Olivier Guédé
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