Dépêché le 8 février dernier par l’UA dans la grande île pour une mission d’évaluation, Amara Essy, de retour en Côte d’Ivoire s’est confié à Fraternité Matin.
M. le président, vous venez d’effectuer une mission à Madagascar à la demande de l’Union africaine. En quoi a-t-elle consisté et quelles en sont les conclusions?
J’étais à Paris pour présider une réunion d’une Fondation dont je suis membre lorsque j’ai été appelé par le président de la Commission de l’Union africaine pour effectuer d’urgence une mission d’évaluation de la situation à Madagascar. Cela, afin de faire des propositions au Conseil de paix et de sécurité pour des décisions à prendre. Ce n’était pas une mission de médiation, chose que j’aurais d’ailleurs refusée pare que je suis bien au fait des problèmes qui se posent à Madagascar ; de même que je connais les acteurs.
Je sais qu’après l’échec des mesures préconisées par Dakar I et II en 2002, les Malgaches étaient arrivés à la conclusion qu’une médiation menée en interne était meilleure que toute autre médiation internationale. L’expérience passée a été humiliante pour eux et avait suscité d’interminables débats au sein de l’Union africaine qui était, en effet, divisée entre ceux qui voulaient la reconnaissance de Ravalomanana comme Président et ceux qui disaient qu’il fallait aller à un second tour opposant ce dernier à Didier Ratsiraka.
Le débat a été assez houleux au sommet de l’Ua à Durban en 2001 et les Malgaches se sont sentis humiliés. A l’époque, j’avais tenté une première médiation et je m’étais très vite rendu compte, qu’en réalité, tous les partis politiques étaient beaucoup influencés par les différentes églises. Il n’y avait donc qu’elles qui pouvaient leur faire entendre raison.
C’est pourquoi, j’ai toujours privilégié la médiation malgache présidée par les églises réunies au sein de l’Union des églises chrétiennes de Madagascar (FFkk). C’est sur cette base que je me suis rendu à Madagascar où j’ai tenu des réunions ininterrompues pendant une semaine, j’ai reçu près de 150 à 160 personnes.
Question pour vous de recueillir les préoccupations des uns et des autres?
J’ai eu des réunions avec les partis politiques, les associations multiples de femmes, les Ong impliquées dans les activités politiques. J’ai rencontré à trois reprises le Président de la République et deux fois le maire. J’ai reçu également les responsables des Eglises. J’ai rencontré le corps diplomatique et les représentants des institutions internationales pour des échanges. Nous avons discuté des tenants et aboutissants de la crise. La situation est complexe et je suis quelque peu inquiet pour le pays car il y a un blocage total.
On ne peut négocier que si l’on part de décisions claires et précises. Or, qui peut prendre ces décisions ? Ce sont les deux principaux protagonistes, à savoir le Président Ravalomanana et le maire d’Antananarivo. Nous avons constaté qu’il ne pouvait y avoir d’avancée s’il n’y avait pas de rencontre entre les 2 responsables.
C’est à cela que je me suis attelé en demandant au maire de faire le premier pas en tant que le plus jeune. Car en Afrique, c’est le petit frère qui va toujours vers l’aîné et il n’y a aucune honte à cela. Je lui ai aussi dit que le dialogue est l’arme des forts et non des faibles et que l’avenir de Madagascar dépend des Malgaches. Mais, pour lui, il n’était pas question de rencontrer le Président dont la garde avait tué ses partisans.
Depuis l’indépendance (le 26 juin 1960, NDLR), il y a eu huit élections présidentielles mais jamais de passage de témoin entre le Président sortant et son successeur parce que toutes les fins de pouvoir ont été émaillées de grèves, désordre et de tueries. Il fallait que le Président Ravalomanana et le maire se rencontrent.
Leurs représentants, eux, se sont rencontrés. Qu’en a-t-il été?
Les deux délégations qui se sont rencontrées sous la présidence de l’église n’avançaient pas parce que les partisans du maire invoquent comme préalable le départ de Ravalomanana, ce que rejette catégoriquement le camp présidentiel. C’était un véritable dialogue de sourds.
Mais le Président m’a donné l’assurance qu’il était prêt à faire des ouvertures de négociation. Quant au maire, je lui ai fait comprendre qu’il n’était pas facile de gouverner un pays fragilisé par les manifestations, grèves et pillages. Sur les 200 chambres de l’hôtel où je logeais, seulement dix étaient occupées. Tous les hôtels de luxe sont fermés. Madagascar a été rayée de la liste des Tours operators pour 2009-2010.
Je lui ai également fait savoir que si en 2001, Ravalomanana était considéré comme le messie que tout le monde attendait pour apporter la démocratie, la bonne gouvernance, c’est le scénario contraire qu’il nous est donné de voir. Il est accusé de tous les maux que l’on reprochait à l’ancien président Ratsiraka. Et cela lui peut arriver aussi. Les gens qui sont avec lui aujourd’hui, sont les mêmes qui supportaient en 2002, Ravalomanana sur la place du 13 mai.
La grande différence entre le conflit actuel et celui de 2001, c’est qu’à cette époque il s’est agi d’un contentieux post-électoral. Alors que le mandat du Président actuel court jusqu’en 2012. Partout à travers le monde, il y a eu des marches contre la vie chère: en France, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, etc. Est-ce une raison suffisante pour demander à un Président de quitter le pouvoir ? Ne peut-on pas trouver des aménagements conduisant à des solutions conformes à la Constitution ? La politique est la saine appréciation des réalités. J’ai dit au Président qu’il y a, certes, la légalité, mais il faut qu’il tienne compte de la masse qui est dans les rues.
Que reproche le maire d’Antananarivo au Président Ravalomanana?
Quand je l’ai rencontré, il a égrené un chapelet de reproches. Il a parlé de l’achat d’un avion de 60 millions de dollars, la prédominance de ses magasins dans le pays, etc. Ce sont des choses qu’on peut retrouver dans de nombreux pays. Ce n’est pas propre au Président malgache. La réalité, c’est la misère extrême. Madagascar a un taux de croissance de 7%, mais cela ne se ressent pas au niveau de la population.
Bref, je leur ai conseillé de s’entendre car la tenue du prochain sommet de l’Ua prévue à Madagascar est une chance à ne pas rater. A mon retour de mission, j’ai fait mon rapport à l’Union africaine, le lundi 13 février à Tripoli, en présence de son président en exercice, le guide libyen, Muhammar Kadhafi ; du président de la Commission, Jean Ping, de son vice-président, du commissaire du Conseil de paix et de sécurité, des différents membres de la commission. J’ai fait un exposé avec des recommandations.
Peut-on avoir les grandes lignes de ces recommandations?
Par courtoisie vis-à-vis de l’Union africaine, je réserve la primeur du rapport à ses responsables. Ce sont des sujets très sensibles. Mais sachez qu’il s’agit de recommandations classiques. Ce qu’il faut retenir, c’est que je n’étais pas allé faire une médiation comme cela a été propagé dans la presse ivoirienne. Mais prodiguer des conseils aux deux parties afin qu’elles aient conscience qu’en campant sur leurs positions, le pays risque de connaître une situation plus dramatique. L’armée a déjà lancé une mise en garde, menaçant de prendre ses responsabilités si les deux parties ne s’entendaient pas.
Est-ce donc cette inflexibilité des deux parties ajoutée au silence qui a suivi votre mission, qui a fait dire à certains que ce fut un échec?
Je n’étais pas allé faire une médiation, mais une évaluation conformément au communiqué de presse de la présidence de la Commission de paix et de sécurité (CPS). Je l’ai fait de façon exhaustive et sans complaisance. Il faut que les gens comprennent cela avant de porter tout jugement, toute critique. J’ai recueilli les griefs dans les deux camps que j’ai consignés dans mon rapport. Il faut que les autorités en place prennent des mesures qui apaisent le climat social. Les églises sont à pied d’œuvre. Je suis heureux, d’ailleurs, qu’il y ait eu une première rencontre entre le Président et le maire. Une deuxième était prévue. Mais il faut persévérer parce qu’il n’y a pas d’autres solutions que l’entente entre les deux hommes.
Quelles sont, à votre avis, les chances de sortir de cette crise?
La sortie de crise ne sera facile ni pour le Président sortant, ni pour n’importe quel successeur potentiel. C’est cela la réalité et c’est le peuple qui en pâtit. Il était donc bon que des gens leur disent que le pouvoir est, certes, important mais être le président des pauvres et des misérables n’a pas de sens. C’est ce que j’ai dit au Président Ravalomanana et au maire. Aucun d’eux ne sortira grandi de cette situation car le pays a atteint un seuil de pauvreté extrême, comme le montrent d’ailleurs les différents reportages sur Madagascar.
Vous avez dit que la crise à Madagascar était prévisible. Y a-t-il au sein de l’UA une commission pour, justement, prévenir les crises?
Il y a même une cellule au sein du Conseil de paix et de sécurité qui est chargée de détecter les crises potentielles et d’y proposer les mesures adéquates. C’est vrai que le président de la Commission a changé, ce qui implique un renouvellement des méthodes de travail, un agencement pour une meilleure coordination et une plus grande efficacité de la commission. Tout cela prend du temps. L’Union africaine n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Nous sommes passés de 5 à 18 organes qui ne sont pas tous fonctionnels en raison du temps qu’il faut pour faire un recrutement de qualité et des incidences financières.
Vous savez, l’Afrique est difficile à gérer parce que depuis l’indépendance, elle a été le théâtre de 34 conflits armés; 14 depuis 1996 et qui ont occasionné la moitié des morts de tous les conflits au monde. Il y a 15 millions de déplacés et 5 millions de réfugiés.
La réalité de l’Union africaine, c’est qu’elle est confrontée à un problème de financement. Nous sommes partis du fait qu’il faut que l’Afrique se prenne en charge parce que la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. Si nous n’arrivons pas à trouver un mode de financement propre à l’Afrique, nous serons toujours à la traîne. Si pour tout conflit, il faut aller faire le pied de grue devant l’Union européenne à Bruxelles ou voir le Conseil de sécurité de l’Onu pour prendre une décision, nous tournerons toujours en rond. Moi, je pense qu’on doit trouver un mécanisme de financement de l’Union à partir des moyens africains. Tout le monde parle de l’Union africaine mais lorsqu’il s’agit de la financer, on se heurte à d’énormes difficultés.
Avec toutes les difficultés que vous énumérez, à quoi sert-il d’envoyer des missions sur le terrain?
Il faut envoyer des missions pour montrer qu’on n’est pas indifférent à ce qui se passe. Je pense que l’intervention du président de la Commission, du président en exercice, du commissaire du Conseil de paix et de sécurité sont des éléments qu’il faut utiliser à fond. Aujourd’hui, l’Union africaine a une crédibilité établie.
Quand il y a un conflit en Afrique, c’est l’organisation régionale qui statue en premier ressort, saisit l’UA, notamment le CPS qui statue également et en fin de compte, sa décision est transmise à l’Onu qui la valide à 99% par le Conseil de sécurité. Il y a donc une crédibilité certaine, une force morale qu’il faut utiliser.
Le président de la Commission a dit qu’avec l’assassinat du président Vieira en Guinée-Bissau, c’est la démocratie qui est assassinée. Est-ce votre avis?
Toute l’Afrique est menacée aujourd’hui à cause de l’extrême pauvreté. Toutes les démocraties sont menacées parce que, quoique bonne en soi, la démocratie dans la pauvreté est difficile à gérer. Les présidents des pays confrontés à des crises sont tous en danger car le peuple ne peut pas savoir qu’ils n’ont pas assez d’argent pour résoudre tous les problèmes.
Quand, lors des visites du Président de la République dans les régions, je vois la liste des doléances, ça me fait sourire parce que je me dis:
«Heureux celui qui ne sait pas». C’est devenu une litanie. Chacun égrène ses besoins et les populations applaudissent. Le vrai danger de la démocratie, c’est la misère.
En Guinée-Bissau, le problème est sérieux parce que tous ces pays qui sont arrivés à l’indépendance avec une armée de libération, ont une tradition de rôle important joué par cette armée dans la gestion du pays. Avec l’évolution des situations dans le monde, l’armée dans tous les pays fait l’objet de réformes drastiques, même aux Etats-Unis où l’on assiste à la réduction du format des armées et des budgets de la défense. La Guinée-Bissau est appelée à restructurer son armée et cela pose problèmes. Il y avait, depuis longtemps, une menace réelle contre le Président Vieira. A l’époque, en ma qualité de président du Conseil des ministres de la Cedeao et avec le secrétaire exécutif d’alors, Lansana Kouyaté, nous lui avions proposé de quitter le pouvoir à cause de cette menace. Il avait déjà eu des problèmes avec l’ancien chef d’état-major, le général Osmane Mané. Ce sont ces mêmes problèmes avec l’armée qui ont resurgi et qui ont finalement eu raison de lui.
C’est vraiment dommage pour l’Afrique qui a été le berceau de l’humanité et qui est aujourd’hui le continent par excellence des coups d’Etat. En Amérique latine autrefois réputée pour les coups d’Etat, la situation s’est améliorée de sorte que quand un président n’est pas bon, on attend la fin de son mandat pour le sanctionner. C’est une avancée notable.
Nous ne saurions terminer cet entretien sans évoquer avec vous la crise ivoirienne dont vous ne parlez, du reste, pas souvent. Comment voyez-vous l’évolution de la situation?
Vous savez, j’ai trop parlé dans ma vie. Regardez derrière vous, j’ai près de 35 volumes de discours que j’ai prononcés partout à travers le monde. La crise ivoirienne me fait beaucoup de peine et plus j’en parle, plus je me sens malheureux. Je vais vous donner un seul exemple : en 1991, il y a eu le sommet de Cancun au Mexique. Il s’agissait de mettre en place un nouvel ordre économique (NOC).
A l’époque, on avait choisi 22 pays pour prendre part à ce sommet. Toutes les grandes puissances du monde y étaient. La Côte d’Ivoire était le seul pays francophone avec la France à y être invité. Vous voyez que lorsqu’on a vu cela et qu’on observe ce qui se passe aujourd’hui, on a de la peine. C’est vrai que chaque époque a ses problèmes. On dit : « La nuit a beau être longue, le jour finit toujours par se lever ».
Si nous tirons les leçons de toutes les humiliations subies dans cette crise et avec tout le capital humain que nous avons, nous pourrons prévoir un avenir meilleur pour notre pays et sa jeunesse.
Interview réalisée par
Abel Doualy et Franck A. Zagbayou
M. le président, vous venez d’effectuer une mission à Madagascar à la demande de l’Union africaine. En quoi a-t-elle consisté et quelles en sont les conclusions?
J’étais à Paris pour présider une réunion d’une Fondation dont je suis membre lorsque j’ai été appelé par le président de la Commission de l’Union africaine pour effectuer d’urgence une mission d’évaluation de la situation à Madagascar. Cela, afin de faire des propositions au Conseil de paix et de sécurité pour des décisions à prendre. Ce n’était pas une mission de médiation, chose que j’aurais d’ailleurs refusée pare que je suis bien au fait des problèmes qui se posent à Madagascar ; de même que je connais les acteurs.
Je sais qu’après l’échec des mesures préconisées par Dakar I et II en 2002, les Malgaches étaient arrivés à la conclusion qu’une médiation menée en interne était meilleure que toute autre médiation internationale. L’expérience passée a été humiliante pour eux et avait suscité d’interminables débats au sein de l’Union africaine qui était, en effet, divisée entre ceux qui voulaient la reconnaissance de Ravalomanana comme Président et ceux qui disaient qu’il fallait aller à un second tour opposant ce dernier à Didier Ratsiraka.
Le débat a été assez houleux au sommet de l’Ua à Durban en 2001 et les Malgaches se sont sentis humiliés. A l’époque, j’avais tenté une première médiation et je m’étais très vite rendu compte, qu’en réalité, tous les partis politiques étaient beaucoup influencés par les différentes églises. Il n’y avait donc qu’elles qui pouvaient leur faire entendre raison.
C’est pourquoi, j’ai toujours privilégié la médiation malgache présidée par les églises réunies au sein de l’Union des églises chrétiennes de Madagascar (FFkk). C’est sur cette base que je me suis rendu à Madagascar où j’ai tenu des réunions ininterrompues pendant une semaine, j’ai reçu près de 150 à 160 personnes.
Question pour vous de recueillir les préoccupations des uns et des autres?
J’ai eu des réunions avec les partis politiques, les associations multiples de femmes, les Ong impliquées dans les activités politiques. J’ai rencontré à trois reprises le Président de la République et deux fois le maire. J’ai reçu également les responsables des Eglises. J’ai rencontré le corps diplomatique et les représentants des institutions internationales pour des échanges. Nous avons discuté des tenants et aboutissants de la crise. La situation est complexe et je suis quelque peu inquiet pour le pays car il y a un blocage total.
On ne peut négocier que si l’on part de décisions claires et précises. Or, qui peut prendre ces décisions ? Ce sont les deux principaux protagonistes, à savoir le Président Ravalomanana et le maire d’Antananarivo. Nous avons constaté qu’il ne pouvait y avoir d’avancée s’il n’y avait pas de rencontre entre les 2 responsables.
C’est à cela que je me suis attelé en demandant au maire de faire le premier pas en tant que le plus jeune. Car en Afrique, c’est le petit frère qui va toujours vers l’aîné et il n’y a aucune honte à cela. Je lui ai aussi dit que le dialogue est l’arme des forts et non des faibles et que l’avenir de Madagascar dépend des Malgaches. Mais, pour lui, il n’était pas question de rencontrer le Président dont la garde avait tué ses partisans.
Depuis l’indépendance (le 26 juin 1960, NDLR), il y a eu huit élections présidentielles mais jamais de passage de témoin entre le Président sortant et son successeur parce que toutes les fins de pouvoir ont été émaillées de grèves, désordre et de tueries. Il fallait que le Président Ravalomanana et le maire se rencontrent.
Leurs représentants, eux, se sont rencontrés. Qu’en a-t-il été?
Les deux délégations qui se sont rencontrées sous la présidence de l’église n’avançaient pas parce que les partisans du maire invoquent comme préalable le départ de Ravalomanana, ce que rejette catégoriquement le camp présidentiel. C’était un véritable dialogue de sourds.
Mais le Président m’a donné l’assurance qu’il était prêt à faire des ouvertures de négociation. Quant au maire, je lui ai fait comprendre qu’il n’était pas facile de gouverner un pays fragilisé par les manifestations, grèves et pillages. Sur les 200 chambres de l’hôtel où je logeais, seulement dix étaient occupées. Tous les hôtels de luxe sont fermés. Madagascar a été rayée de la liste des Tours operators pour 2009-2010.
Je lui ai également fait savoir que si en 2001, Ravalomanana était considéré comme le messie que tout le monde attendait pour apporter la démocratie, la bonne gouvernance, c’est le scénario contraire qu’il nous est donné de voir. Il est accusé de tous les maux que l’on reprochait à l’ancien président Ratsiraka. Et cela lui peut arriver aussi. Les gens qui sont avec lui aujourd’hui, sont les mêmes qui supportaient en 2002, Ravalomanana sur la place du 13 mai.
La grande différence entre le conflit actuel et celui de 2001, c’est qu’à cette époque il s’est agi d’un contentieux post-électoral. Alors que le mandat du Président actuel court jusqu’en 2012. Partout à travers le monde, il y a eu des marches contre la vie chère: en France, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, etc. Est-ce une raison suffisante pour demander à un Président de quitter le pouvoir ? Ne peut-on pas trouver des aménagements conduisant à des solutions conformes à la Constitution ? La politique est la saine appréciation des réalités. J’ai dit au Président qu’il y a, certes, la légalité, mais il faut qu’il tienne compte de la masse qui est dans les rues.
Que reproche le maire d’Antananarivo au Président Ravalomanana?
Quand je l’ai rencontré, il a égrené un chapelet de reproches. Il a parlé de l’achat d’un avion de 60 millions de dollars, la prédominance de ses magasins dans le pays, etc. Ce sont des choses qu’on peut retrouver dans de nombreux pays. Ce n’est pas propre au Président malgache. La réalité, c’est la misère extrême. Madagascar a un taux de croissance de 7%, mais cela ne se ressent pas au niveau de la population.
Bref, je leur ai conseillé de s’entendre car la tenue du prochain sommet de l’Ua prévue à Madagascar est une chance à ne pas rater. A mon retour de mission, j’ai fait mon rapport à l’Union africaine, le lundi 13 février à Tripoli, en présence de son président en exercice, le guide libyen, Muhammar Kadhafi ; du président de la Commission, Jean Ping, de son vice-président, du commissaire du Conseil de paix et de sécurité, des différents membres de la commission. J’ai fait un exposé avec des recommandations.
Peut-on avoir les grandes lignes de ces recommandations?
Par courtoisie vis-à-vis de l’Union africaine, je réserve la primeur du rapport à ses responsables. Ce sont des sujets très sensibles. Mais sachez qu’il s’agit de recommandations classiques. Ce qu’il faut retenir, c’est que je n’étais pas allé faire une médiation comme cela a été propagé dans la presse ivoirienne. Mais prodiguer des conseils aux deux parties afin qu’elles aient conscience qu’en campant sur leurs positions, le pays risque de connaître une situation plus dramatique. L’armée a déjà lancé une mise en garde, menaçant de prendre ses responsabilités si les deux parties ne s’entendaient pas.
Est-ce donc cette inflexibilité des deux parties ajoutée au silence qui a suivi votre mission, qui a fait dire à certains que ce fut un échec?
Je n’étais pas allé faire une médiation, mais une évaluation conformément au communiqué de presse de la présidence de la Commission de paix et de sécurité (CPS). Je l’ai fait de façon exhaustive et sans complaisance. Il faut que les gens comprennent cela avant de porter tout jugement, toute critique. J’ai recueilli les griefs dans les deux camps que j’ai consignés dans mon rapport. Il faut que les autorités en place prennent des mesures qui apaisent le climat social. Les églises sont à pied d’œuvre. Je suis heureux, d’ailleurs, qu’il y ait eu une première rencontre entre le Président et le maire. Une deuxième était prévue. Mais il faut persévérer parce qu’il n’y a pas d’autres solutions que l’entente entre les deux hommes.
Quelles sont, à votre avis, les chances de sortir de cette crise?
La sortie de crise ne sera facile ni pour le Président sortant, ni pour n’importe quel successeur potentiel. C’est cela la réalité et c’est le peuple qui en pâtit. Il était donc bon que des gens leur disent que le pouvoir est, certes, important mais être le président des pauvres et des misérables n’a pas de sens. C’est ce que j’ai dit au Président Ravalomanana et au maire. Aucun d’eux ne sortira grandi de cette situation car le pays a atteint un seuil de pauvreté extrême, comme le montrent d’ailleurs les différents reportages sur Madagascar.
Vous avez dit que la crise à Madagascar était prévisible. Y a-t-il au sein de l’UA une commission pour, justement, prévenir les crises?
Il y a même une cellule au sein du Conseil de paix et de sécurité qui est chargée de détecter les crises potentielles et d’y proposer les mesures adéquates. C’est vrai que le président de la Commission a changé, ce qui implique un renouvellement des méthodes de travail, un agencement pour une meilleure coordination et une plus grande efficacité de la commission. Tout cela prend du temps. L’Union africaine n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Nous sommes passés de 5 à 18 organes qui ne sont pas tous fonctionnels en raison du temps qu’il faut pour faire un recrutement de qualité et des incidences financières.
Vous savez, l’Afrique est difficile à gérer parce que depuis l’indépendance, elle a été le théâtre de 34 conflits armés; 14 depuis 1996 et qui ont occasionné la moitié des morts de tous les conflits au monde. Il y a 15 millions de déplacés et 5 millions de réfugiés.
La réalité de l’Union africaine, c’est qu’elle est confrontée à un problème de financement. Nous sommes partis du fait qu’il faut que l’Afrique se prenne en charge parce que la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. Si nous n’arrivons pas à trouver un mode de financement propre à l’Afrique, nous serons toujours à la traîne. Si pour tout conflit, il faut aller faire le pied de grue devant l’Union européenne à Bruxelles ou voir le Conseil de sécurité de l’Onu pour prendre une décision, nous tournerons toujours en rond. Moi, je pense qu’on doit trouver un mécanisme de financement de l’Union à partir des moyens africains. Tout le monde parle de l’Union africaine mais lorsqu’il s’agit de la financer, on se heurte à d’énormes difficultés.
Avec toutes les difficultés que vous énumérez, à quoi sert-il d’envoyer des missions sur le terrain?
Il faut envoyer des missions pour montrer qu’on n’est pas indifférent à ce qui se passe. Je pense que l’intervention du président de la Commission, du président en exercice, du commissaire du Conseil de paix et de sécurité sont des éléments qu’il faut utiliser à fond. Aujourd’hui, l’Union africaine a une crédibilité établie.
Quand il y a un conflit en Afrique, c’est l’organisation régionale qui statue en premier ressort, saisit l’UA, notamment le CPS qui statue également et en fin de compte, sa décision est transmise à l’Onu qui la valide à 99% par le Conseil de sécurité. Il y a donc une crédibilité certaine, une force morale qu’il faut utiliser.
Le président de la Commission a dit qu’avec l’assassinat du président Vieira en Guinée-Bissau, c’est la démocratie qui est assassinée. Est-ce votre avis?
Toute l’Afrique est menacée aujourd’hui à cause de l’extrême pauvreté. Toutes les démocraties sont menacées parce que, quoique bonne en soi, la démocratie dans la pauvreté est difficile à gérer. Les présidents des pays confrontés à des crises sont tous en danger car le peuple ne peut pas savoir qu’ils n’ont pas assez d’argent pour résoudre tous les problèmes.
Quand, lors des visites du Président de la République dans les régions, je vois la liste des doléances, ça me fait sourire parce que je me dis:
«Heureux celui qui ne sait pas». C’est devenu une litanie. Chacun égrène ses besoins et les populations applaudissent. Le vrai danger de la démocratie, c’est la misère.
En Guinée-Bissau, le problème est sérieux parce que tous ces pays qui sont arrivés à l’indépendance avec une armée de libération, ont une tradition de rôle important joué par cette armée dans la gestion du pays. Avec l’évolution des situations dans le monde, l’armée dans tous les pays fait l’objet de réformes drastiques, même aux Etats-Unis où l’on assiste à la réduction du format des armées et des budgets de la défense. La Guinée-Bissau est appelée à restructurer son armée et cela pose problèmes. Il y avait, depuis longtemps, une menace réelle contre le Président Vieira. A l’époque, en ma qualité de président du Conseil des ministres de la Cedeao et avec le secrétaire exécutif d’alors, Lansana Kouyaté, nous lui avions proposé de quitter le pouvoir à cause de cette menace. Il avait déjà eu des problèmes avec l’ancien chef d’état-major, le général Osmane Mané. Ce sont ces mêmes problèmes avec l’armée qui ont resurgi et qui ont finalement eu raison de lui.
C’est vraiment dommage pour l’Afrique qui a été le berceau de l’humanité et qui est aujourd’hui le continent par excellence des coups d’Etat. En Amérique latine autrefois réputée pour les coups d’Etat, la situation s’est améliorée de sorte que quand un président n’est pas bon, on attend la fin de son mandat pour le sanctionner. C’est une avancée notable.
Nous ne saurions terminer cet entretien sans évoquer avec vous la crise ivoirienne dont vous ne parlez, du reste, pas souvent. Comment voyez-vous l’évolution de la situation?
Vous savez, j’ai trop parlé dans ma vie. Regardez derrière vous, j’ai près de 35 volumes de discours que j’ai prononcés partout à travers le monde. La crise ivoirienne me fait beaucoup de peine et plus j’en parle, plus je me sens malheureux. Je vais vous donner un seul exemple : en 1991, il y a eu le sommet de Cancun au Mexique. Il s’agissait de mettre en place un nouvel ordre économique (NOC).
A l’époque, on avait choisi 22 pays pour prendre part à ce sommet. Toutes les grandes puissances du monde y étaient. La Côte d’Ivoire était le seul pays francophone avec la France à y être invité. Vous voyez que lorsqu’on a vu cela et qu’on observe ce qui se passe aujourd’hui, on a de la peine. C’est vrai que chaque époque a ses problèmes. On dit : « La nuit a beau être longue, le jour finit toujours par se lever ».
Si nous tirons les leçons de toutes les humiliations subies dans cette crise et avec tout le capital humain que nous avons, nous pourrons prévoir un avenir meilleur pour notre pays et sa jeunesse.
Interview réalisée par
Abel Doualy et Franck A. Zagbayou