Rue89.com - En 1997, les saisies de cocaïne à destination de l’Europe transitant par l’Afrique ne dépassaient pas les 500 kilos. Dix ans plus tard, elles s’élèvent à près de 5 tonnes. Il s’agit de l’augmentation la plus constante, la plus méthodique et la plus spectaculaire, qui indique un changement de cap, de nouvelles interfaces, des modus vivendi innovants, qui s’appuient sur trois constantes.
D’une part, l’utilisation d’espaces peu contrôlés, désertiques, aux infrastructures médiocres, le meilleur exemple étant la Mauritanie. D’autre part, la combinaison de transferts allant des (classiques) grandes quantités (propres au trafic de cocaïne) à ceux, nouveaux pour la cocaïne, portant sur plusieurs centaines de kilos mais véhiculés par des petits porteurs qui livrent directement les banlieues, trafic que l’on pourrait qualifier d’ethnique. Il s’agit là d’une patente qui concernait, par le passé, le transport d’héroïne.
Enfin, en ce qui concerne l’entrée dans l’espace européen, l’utilisation des places que l’Union Européenne qualifie "d’ultrapériphériques", leur octroyant un statut douanier et portuaire proche de celui des ports francs. Les Canaries, proches du Maroc et de la Mauritanie, en sont le meilleur exemple.
Les espaces ultrapériphériques et les pays ultrapauvres sont parallèlement utilisés pour le blanchiment d’argent issu de ce même trafic. Ce dernier point est important. Il participe de deux phénomènes qui ont leur importance: en ce qui concerne les régions ultrapériphériques le blanchiment stimule la corruption au sein même de l’Europe, faisant de ces espaces des lieux de non droit. Pour les pays comme la Mauritanie et le Maroc, cela implique la participation de structures informelles de transfert d’argent qui côtoient les réseaux islamistes.
Le long de l'ancienne route du sel saharienne
Les cartels latino-américains restent toujours actifs: rien qu’en 2008, 3,2 tonnes de cocaïne ont été saisies le 7 février au large de la Guinée-Bissau, sur le "Junior", un bâtiment battant pavillon panaméen; 2,5 tonnes ont été saisies le 29 janvier au large du Liberia sur le Blue "Atlantic", un bateau de pêche.
Cependant, parallèlement aux axes classiques et directs qui, partant des Amériques utilisent les pays du Golfe du Gabon et plus généralement ceux de l’Afrique de l’Ouest, deux nouvelles tendances apparaissent: des grandes cargaisons de cocaïne à destination transitaire de la Mer noire (principalement l’Ukraine) sont chargées dans des bateaux de pêche profonde, transbordés au niveau des Canaries et déchargés sur la côte mauritanienne pour enfin prendre la "route du sel" saharienne, les ex-territoires du Sahara espagnol et le Maroc.
Ainsi, les Canaries deviennent non seulement un point d’entrée dans l’espace Schengen, mais aussi un lieu de transit vers la Mauritanie et les ports méditerranéens qui s’étendent depuis le Maroc jusqu’en Lybie. La route est longue mais sécurisée, et c’est là l’essentiel. La Méditerranée devient à nouveau un interface de taille, touchant les ports français, espagnols, italiens, grecs, albanais, croates et slovènes, sans pour autant utiliser la fameuse "route des Balkans".
Un tiers des passeurs arrêtés à Roissy sont Africains
Ces réseaux rejoignent en Mauritanie d’autres, plus classiques, qui font soit le chemin inverse depuis la Mauritanie vers les Canaries soit continuent leur chemin vers le Maroc ou les aéroports européens. Désormais, un tiers des passeurs arrêtés à Roissy sont d’origine africaine. Mais tandis que, pendant les décennies 80-90, la majorité était constituée de Nigérians, aujourd’hui la palette s’est diversifiée (Côte d’Ivoire, Mauritanie, Sénégal, Niger, Guinée et Guinée Bissau, Cap Vert, etc.).
Même si le modus operandi entre le trafic des êtres humais et celui des drogues est différent, il commence à être complémentaire. En effet, les passeurs utilisent le fait que tous les regards sont tournés vers le trafic d’êtres humains, pour passer ailleurs mais en même temps la cocaïne. On opère de la sorte aux Canaries, à Lampedusa, à Malte, mais aussi en Méditerranée orientale (îles grecques, ports de Durrës, de Vlorë -Albanie- de Rijeka -Croatie- et côtes italiennes, Slovénie).
Malgré la pauvreté des moyens mis en place en Mauritanie les saisies sont impressionnantes et indiquent surtout l’importance du trafic. Le port de Nouadhibou en est l’entrée principale, avec deux saisies en 2007, une de 625 kilos (voie aérienne) et une autre de plus de 800 (voie maritime?).
Le trafic s'appuie sur les différents géopolitiques et frontaliers
Cependant, les statistiques, comme tout le reste, ne sont pas fiables. Entre la saisie et la destruction d’un des lots plus de 200 kilos ont disparu. Il est vrai qu’un des suspects était Sidi Mohamed Ould Haidalla, fils de l’ancien président Mohamed Khouna Ould Haidalla, ce qui permet pas mal de manipulations et l’utilisation du "problème sahraoui" où sont sensés s’être refugiés deux autres suspects de nationalité française.
Une fois encore, les différents géopolitiques et frontaliers permettent la mise en place de réseaux solides et le sacrifice de ceux des opposants potentiels. L’Algérie, le Maroc, la Mauritanie le Polisario, la révolte touareg participent au problème et pas à sa solution.
Au contraire. La protection politique et le cloisonnement des réseaux "ethniques" multiplient les filières verticales qui vont jusqu’à la distribution et qui sont aussi un moyen de financement important des "causes oubliées".
Ce n’est donc pas un hasard si les hubs de distribution ethniques des quartiers sont désormais alimentés directement, aux dépends des "circuits courts" alimentés par Londres ou Amsterdam. De l’autre côté de la chaine, dans les pays transitaires africains règne l’impunité. Et ce pour deux raisons.
Le système judiciaire n’était pas prêt pour une telle "invasion". Mais surtout, les sommes engagées dans ces pays dévastés (Mauritanie, Guinée Bissau, Cap Vert, etc.) court-circuitent toute velléité d’Etat de droit et achètent les consciences des plus hautes autorités des Etats.
On observe parallèlement le même phénomène dans les pays de la SADC et de l’Afrique de l’Est, mais cela est une autre histoire…
Par Michel Koutouzis
D’une part, l’utilisation d’espaces peu contrôlés, désertiques, aux infrastructures médiocres, le meilleur exemple étant la Mauritanie. D’autre part, la combinaison de transferts allant des (classiques) grandes quantités (propres au trafic de cocaïne) à ceux, nouveaux pour la cocaïne, portant sur plusieurs centaines de kilos mais véhiculés par des petits porteurs qui livrent directement les banlieues, trafic que l’on pourrait qualifier d’ethnique. Il s’agit là d’une patente qui concernait, par le passé, le transport d’héroïne.
Enfin, en ce qui concerne l’entrée dans l’espace européen, l’utilisation des places que l’Union Européenne qualifie "d’ultrapériphériques", leur octroyant un statut douanier et portuaire proche de celui des ports francs. Les Canaries, proches du Maroc et de la Mauritanie, en sont le meilleur exemple.
Les espaces ultrapériphériques et les pays ultrapauvres sont parallèlement utilisés pour le blanchiment d’argent issu de ce même trafic. Ce dernier point est important. Il participe de deux phénomènes qui ont leur importance: en ce qui concerne les régions ultrapériphériques le blanchiment stimule la corruption au sein même de l’Europe, faisant de ces espaces des lieux de non droit. Pour les pays comme la Mauritanie et le Maroc, cela implique la participation de structures informelles de transfert d’argent qui côtoient les réseaux islamistes.
Le long de l'ancienne route du sel saharienne
Les cartels latino-américains restent toujours actifs: rien qu’en 2008, 3,2 tonnes de cocaïne ont été saisies le 7 février au large de la Guinée-Bissau, sur le "Junior", un bâtiment battant pavillon panaméen; 2,5 tonnes ont été saisies le 29 janvier au large du Liberia sur le Blue "Atlantic", un bateau de pêche.
Cependant, parallèlement aux axes classiques et directs qui, partant des Amériques utilisent les pays du Golfe du Gabon et plus généralement ceux de l’Afrique de l’Ouest, deux nouvelles tendances apparaissent: des grandes cargaisons de cocaïne à destination transitaire de la Mer noire (principalement l’Ukraine) sont chargées dans des bateaux de pêche profonde, transbordés au niveau des Canaries et déchargés sur la côte mauritanienne pour enfin prendre la "route du sel" saharienne, les ex-territoires du Sahara espagnol et le Maroc.
Ainsi, les Canaries deviennent non seulement un point d’entrée dans l’espace Schengen, mais aussi un lieu de transit vers la Mauritanie et les ports méditerranéens qui s’étendent depuis le Maroc jusqu’en Lybie. La route est longue mais sécurisée, et c’est là l’essentiel. La Méditerranée devient à nouveau un interface de taille, touchant les ports français, espagnols, italiens, grecs, albanais, croates et slovènes, sans pour autant utiliser la fameuse "route des Balkans".
Un tiers des passeurs arrêtés à Roissy sont Africains
Ces réseaux rejoignent en Mauritanie d’autres, plus classiques, qui font soit le chemin inverse depuis la Mauritanie vers les Canaries soit continuent leur chemin vers le Maroc ou les aéroports européens. Désormais, un tiers des passeurs arrêtés à Roissy sont d’origine africaine. Mais tandis que, pendant les décennies 80-90, la majorité était constituée de Nigérians, aujourd’hui la palette s’est diversifiée (Côte d’Ivoire, Mauritanie, Sénégal, Niger, Guinée et Guinée Bissau, Cap Vert, etc.).
Même si le modus operandi entre le trafic des êtres humais et celui des drogues est différent, il commence à être complémentaire. En effet, les passeurs utilisent le fait que tous les regards sont tournés vers le trafic d’êtres humains, pour passer ailleurs mais en même temps la cocaïne. On opère de la sorte aux Canaries, à Lampedusa, à Malte, mais aussi en Méditerranée orientale (îles grecques, ports de Durrës, de Vlorë -Albanie- de Rijeka -Croatie- et côtes italiennes, Slovénie).
Malgré la pauvreté des moyens mis en place en Mauritanie les saisies sont impressionnantes et indiquent surtout l’importance du trafic. Le port de Nouadhibou en est l’entrée principale, avec deux saisies en 2007, une de 625 kilos (voie aérienne) et une autre de plus de 800 (voie maritime?).
Le trafic s'appuie sur les différents géopolitiques et frontaliers
Cependant, les statistiques, comme tout le reste, ne sont pas fiables. Entre la saisie et la destruction d’un des lots plus de 200 kilos ont disparu. Il est vrai qu’un des suspects était Sidi Mohamed Ould Haidalla, fils de l’ancien président Mohamed Khouna Ould Haidalla, ce qui permet pas mal de manipulations et l’utilisation du "problème sahraoui" où sont sensés s’être refugiés deux autres suspects de nationalité française.
Une fois encore, les différents géopolitiques et frontaliers permettent la mise en place de réseaux solides et le sacrifice de ceux des opposants potentiels. L’Algérie, le Maroc, la Mauritanie le Polisario, la révolte touareg participent au problème et pas à sa solution.
Au contraire. La protection politique et le cloisonnement des réseaux "ethniques" multiplient les filières verticales qui vont jusqu’à la distribution et qui sont aussi un moyen de financement important des "causes oubliées".
Ce n’est donc pas un hasard si les hubs de distribution ethniques des quartiers sont désormais alimentés directement, aux dépends des "circuits courts" alimentés par Londres ou Amsterdam. De l’autre côté de la chaine, dans les pays transitaires africains règne l’impunité. Et ce pour deux raisons.
Le système judiciaire n’était pas prêt pour une telle "invasion". Mais surtout, les sommes engagées dans ces pays dévastés (Mauritanie, Guinée Bissau, Cap Vert, etc.) court-circuitent toute velléité d’Etat de droit et achètent les consciences des plus hautes autorités des Etats.
On observe parallèlement le même phénomène dans les pays de la SADC et de l’Afrique de l’Est, mais cela est une autre histoire…
Par Michel Koutouzis