A l'initiative de l'honorable Andoh Jacques, Député de Cocody, le Professeur Francis Vangah Wodié, éminent juriste, a animé une conférence publique, hier jeudi 26 mars à l'hôtel communal de ladite commune sur le thème : " Quelle constitution pour une Côte d'Ivoire nouvelle ? ". Cette conférence qui a eu pour modérateur le Professeur Jérémie Kouadio N'guessan, Doyen de la Faculté de langue de l'université de Cocody, a été suivie avec attention par de nombreuses personnalités politiques et diplomatiques, dont le premier ministre Seydou Elimane Diarra, Pr. Alphonse Djédjé Mady, Secrétaire général du PDCI RDA, les ministres Gaston Ouassénan Koné (PDCI RDA), Cissé Ibrahim Bacongo (RDR), Amadou Gon Coulibaly (RDR) l'Ambassadeur de la République d'Italie en Côte d'Ivoire et un large public.
Monsieur le Premier ministre Seydou Diarras,
Mesdames et Messieurs les ministres
Mesdames et Messieurs les représentants des partis politiques, le PDCI, le RDR, l'UDPCI, l'URD, les Forces nouvelles.
Excellence monsieur l'ambassadeur d'Italie, excellence Mesdames et Messieurs les ambassadeurs
Je voudrais vous saluer et vous remercier bien sincèrement d'avoir accepté d'être présents pour que nous puissions parler des préoccupations communes. Dans les faits, il s'agit de savoir quelle constitution pour une Côte d'Ivoire nouvelle. La question est posée. Et je commence par des questions. Une constitution, laquelle pour une Côte d'Ivoire nouvelle ? Est-ce qu'il faut une Côte d'Ivoire nouvelle ? On peut se poser la question. La Côte d'Ivoire existe. Pour certains, elle fonctionne normalement. Il n'est pas nécessaire d'envisager une autre Côte d'Ivoire. Pour nous, la nécessité est évidente d'une nouvelle Côte d'Ivoire. Parce que la Côte d'Ivoire que nous voyons aujourd'hui n'est pas belle à voir. Elle est défigurée, coupée en deux. Elle a comme deux têtes, ce qui confirme le monstrueux. La Côte d'Ivoire somme toute est malade. Et lorsque le corps est malade, aucun des membres ne peut se sentir en bonne santé. C'est cette solidarité physiologique que nous voulions voir se transporter au plan social et politique. De manière que nous nous rendions compte de ce que bien que les intérêts soient contradictoires, ils restent liés les uns entre autres dans une solidarité que nous devons bien comprendre. Donc pour nous, il n'y a lieu de discuter davantage, il faut, dans les conditions actuelles, une nouvelle Côte d'Ivoire. Cela saute aux yeux sauf bien sûr pour ceux qui n'ont pas d'yeux, ceux qui ne sont pas aveuglés par des considérations particulières. Je ne m'attarde donc pas sur la nécessité d'une nouvelle Côte d'Ivoire. La question me parait réglée. La deuxième question se reporte à la constitution qui doit régir la Côte d'Ivoire. Nous posons la question, nous pouvons donner trois réponses. La constitution actuelle est bonne. Il n'y a pas lieu de la modifier. Il faut la recevoir telle qu'elle et l'appliquer en conséquence. La question actuelle est bonne mais comporte des parties qui méritent d'être revues, deuxième tendance. D'où la nécessité de la révision de la constitution.
La constitution actuelle, et c'est la troisième réponse, n'est pas adaptée à la Côte d'Ivoire actuelle. Il faut, au lieu de procéder à la révision de la constitution, adopter purement et simplement une nouvelle constitution. La réponse, il faut une nouvelle constitution pour une nouvelle Côte d'Ivoire. Voilà donc notre thèse. Une nouvelle constitution pour la Côte d'Ivoire, pourquoi ? Il y a une série de raisons. Des raisons d'ordre historique, des raisons de contexte et des raisons de textes également. Sur le plan de l'histoire constitutionnelle de la Côte d'Ivoire, nous devons dire à l'attention des jeunes que depuis l'indépendance de la Côte d'Ivoire et un peu avant l'indépendance, la constitution n'a pas été élaborée dans les conditions politiques et juridiques satisfaisantes. Par exemple, la Constitution du 03 novembre 1960 qui est la première constitution de l'Etat de Côte d'Ivoire, Etat indépendant, a été considérée comme adoptée par la révision de la constitution du 26 mars 1959 adoptée par l'Assemblée territoriale élue le 31 mars 1957. Voyez donc cette situation qui ne peut, du point de vue du droit, ni du point de vue politique, être satisfaisante. Parce que la Côte d'Ivoire accédant à l'indépendance, il aurait fallu adopter une nouvelle constitution et la soumettre à un référendum constitutionnel pour permettre aux Ivoiriens de se prononcer.
Nous sommes à quelques particularités près à la même situation qu'aujourd'hui. La constitution du 1er août 2000 a été adoptée dans des conditions particulières. Et autour d'elles, beaucoup de contentieux. Déjà le texte qui a été publié et qui devrait faire l'objet de référendum sera modifié à quelques jours du référendum. C'est une situation juridiquement inacceptable, politiquement incompréhensible. Nous avons eu à nous prononcer sur la question en ayant été consulté par le Général Guéi. Et puis aujourd'hui, beaucoup considèrent que la constitution ivoirienne, celle du 1er août 2000, est à l'origine du conflit que nous connaissons. On a parlé de disposition compliquée. Les conditions d'adoption de cette constitution posent problème. Vous vous en souvenez, le référendum nous appelait à nous prononcer sur deux types de textes. D'abord le projet de constitution et ensuite le projet de code électoral. Donner d'un côté un référendum constituant et de l'autre un référendum législatif. 194 articles dans le code électoral, 134 articles pour la constitution. Il fallait donc se prononcer sur quelque 325 articles en même temps. Il fallait avoir de l'estomac pour digérer et assimiler tout cela. Et on a constaté que finalement, on a laissé de côté le code électoral. On s'est focalisé sur la constitution et à l'intérieur de la constitution, on a oublié les autres dispositions pour ne retenir que l'article 35 de la constitution. De sorte que dans les conditions où nous nous trouvions, les Ivoiriens n'ont pas pu voir l'ensemble de la constitution et les liens entre les différentes dispositions. On s'est focalisé sur une disposition et on s'est prononcé pour ou contre. Nous avons appelé presque tous à voter pour des raisons particulières pour cette constitution. Elle a été adoptée. Son application va poser des problèmes. Les élections organisées sur la base de cette constitution ont donné hier à des affrontements sanglants. Aujourd'hui, nous voulons la paix. Nous voulons sortir de la guerre. Nous pensons que la Côte d'Ivoire nouvelle ne doit pas prendre appui sur une telle constitution. Il y a lieu pour la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens de se doter d'une nouvelle constitution qui va exprimer les préoccupations actuelles et futures de la Côte d'Ivoire. Qui va exprimer les besoins fondamentaux des Ivoiriens et qui permettra aux Ivoiriens de se prononcer en connaissance de cause. Voilà donc les raisons qui nous conduisent à proposer une nouvelle constitution. Quand on prend la constitution elle-même, son élaboration pose quelques problèmes. La facture de la constitution pose quelques problèmes. Nous avons dit, adoptons la Constitution et nous verrons par la suite. Nous pourrons la modifier lorsque les conditions seront réunies. Aujourd'hui, nous voulons passer d'une situation à une autre. De la Côte d'Ivoire actuelle à une nouvelle Côte d'Ivoire, il faut que le socle juridique de la nouvelle Côte d'Ivoire soit une nouvelle constitution. Car la nouvelle constitution sera comme les fondations de la Côte d'Ivoire moderne. Egalement comme le toit pour protéger la Côte d'Ivoire. Et comme il s'agit d'une Côte d'Ivoire malade, il faut que la constitution soit l'un des remèdes. Parce que la crise que nous vivons comporte plusieurs aspect, aspect politique, aspect juridique, aspect économiques, aspect social. Et le traitement doit être multiforme. Nous en tenons à l'aspect juridique. Nous disons que nous voulons normaliser la Côte d'Ivoire. Nous voulons la normalisation et la normalisation suppose des normes par lesquelles la Côte d'Ivoire doit s'organiser et fonctionner. Et la première de ces normes, c'est la constitution. Il faut donc faire en sorte que la Côte d'Ivoire nouvelle puisse fonctionner selon de nouvelles normes, conformément à de nouvelles normes. D'où la nécessité pour nous d'une nouvelle constitution. C'est une position qui peut ne pas être partagée, mais nous la considérons comme justifiée par la situation actuelle et par la nécessité pour la Côte d'Ivoire d'en sortir. Et qu'on aboutisse à une nouvelle situation à la fois au plan politique, au plan juridique et au plan économique. En ayant ainsi posé la nécessité d'une nouvelle constitution en quoi doit consister cette nouvelle constitution ? Quel doit en être le contenu ? Est-ce qu'il y a des questions, est-ce qu'il y a des situations qu'on doit considérer comme relevant nécessairement de la constitution ? Est-ce qu'il y a des matières qu'on peut donner comme constitutionnelles par nature ? Si oui, lesquelles ? Nous pensons qu'il y a deux types de matière au moins qui doivent nécessairement figurer dans une Constitution. Il y a la question des libertés et des droits. La question des valeurs. Aujourd'hui, on nous dit que les Ivoiriens n'ont plus de repère. Quelles sont les valeurs politiques et morales qui doivent servir de fondement à l'élaboration d'une nouvelle Constitution ? Quelles sont ces valeurs ? Sur la question, les regards sont différents. Chacun a, sur la question, le regard qui lui appartient. Donc nous ne serons pas tous d'accord sur les libertés qu'il faut énoncer comme devant appartenir à la constitution. Parce que la Constitution, comme vous le savez, c'est l'acte fondamental qui assure le maximum de garantie aux citoyens. Donc dès lors que nous considérons une liberté, une valeur fondamentale, il faut tout faire pour l'insérer dans la Constitution. Mais comme toute valeur humaine est relative, il est clair que nous ne serons pas sur les valeurs qui doivent donner forme à la Constitution. Donc c'est un point extrêmement important sur lequel nous devons nous arrêter, nous doyens, dans le contexte actuel où nous avons perdu le sens des valeurs, le sens de la morale. Il est important que la Constitution puisse nous rappeler à ces valeurs-là. Et les y consacrer de manière que nous en soyons touchés et que nous respections scrupuleusement les dispositions de la constitution. Je ne vais pas énoncer ces valeurs. Mais ce sont des principes et des valeurs qui vont constituer la substance de la légitimité. Parce que la constitution présente deux aspects. Il y a les questions de légitimité et puis les questions de légalité en tant que telles. Donc en supposant les questions de principe, de valeurs, de liberté, de droit réglé, la deuxième matière qui doit nécessairement figurer dans une Constitution est celle du pouvoir politique. Dénotent de l'évolution du pouvoir politique, des rapports entre organes qui constituent l'ossature de l'Etat. Alors aujourd'hui, nous avons un régime qui est présidentiel, présidentialiste. Un régime qui confère d'énormes pouvoirs au chef de l'Etat qui détient le pouvoir exécutif à titre exclusif. Est-ce ce régime que nous devons reproduire ? Ou bien à la lumière de l'application de la constitution actuelle, ne faut-il pas imaginer un autre régime politique ? Un autre mode de dévolution du pouvoir ? Nous pensons que pour que l'Etat puisse fonctionner de manière harmonieuse, il faut qu'il obéisse en la matière à deux principes qui sont le principe de partage et le principe d'équilibre. Il faut que le pouvoir soit reparti. De sorte que nous ne serions partisans d'un pouvoir exécutif reparti entre le chef d'Etat et le chef du gouvernement. De manière que le pouvoir ainsi partagé, son exercice soit équilibré. Et que le pouvoir exécutif n'écrase pas les citoyens et les libertés qui sont reconnues aux citoyens. Le problème majeur qui se pose chez nous, c'est un problème qui concerne les gouvernants, ceux qui détiennent le pouvoir. Mais c'est un problème qui concerne davantage les gouvernés que nous sommes. Et les gouvernants sont à l'image des gouvernés et réciproquement. Nous avons une mentalité un peu monarchique, semble-t-il. En Afrique, on ne se demande qui a le pouvoir. On ne se pose pas cette question. On veut savoir qui est le pouvoir. D'où la personnalisation parfois excessive du pouvoir et des institutions. Mais cette personnalisation du pouvoir, dans son exercice, est comme voulue par le gouvernés. Les gouvernés voudraient donner un visage concret au pouvoir politique. Et il faut que le pouvoir s'incarne en un homme. Et lorsque les choses vont ainsi, celui qui est supposé incarner ce pouvoir jouit de prérogatives exorbitantes. Si on n'y fait pas attention, on risque de voir les libertés bafouées et les droits liés en quelque sorte. Parce que très souvent, lorsqu'un droit est reconnu, on ne le considère pas comme tel. On voit dans ce droit une faveur consentie par le chef. Donc il faut que les mentalités changent. Et dans ce climat, il faut équilibrer les rapports. Il faut équilibrer les rapports au sein du pouvoir exécutif lui-même. Donc il y a des pouvoirs qui doivent être propres au gouvernement, au chef du gouvernement. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Tout le pouvoir appartient au Président de la République qui peut déléguer une partie de ses pouvoirs. Comme il peut ne pas le déléguer. Dès lors que le gouvernement dispose de pouvoirs qui sont propres, ils viennent contre balancer ceux du chef de l'Etat. Voilà donc ce qui est du pouvoir exécutif.
Pouvoir législatif qu'est-ce qu'il faut ? Là aussi doit prévaloir le principe d'équilibre, de partage. Nous pensons que le pouvoir législatif doit être bicaméral. Il faut qu'il y ait deux chambres. Une chambre représentant la population dans son ensemble dans un caractère éminemment politique. Et puis une chambre représentant le milieu de la société civile, le milieu socio professionnel et les régions. De manière que par cette chambre, les régions puissent participer à l'exercice du pouvoir législatif et à l'élaboration des lois qui vont régir l'ensemble des activités au sein de la nation. Par cette voie, on pourrait, selon nous, mieux réaliser l'intégration des régions au flux national de manière à exprimer et à renforcer la solidarité nécessaire entre les régions et entre les régions et la nation entière. Voilà donc comment doit se traduire le principe d'équilibre au niveau du pouvoir législatif. Faut-il un gouvernement responsable devant l'Assemblée ? Faut-il reconnaître la responsabilité politique du gouvernement devant l'Assemblée ? C'est une question que je me pose. Est-ce que cette manière de concevoir l'agencement des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif est de nature à favoriser un meilleur fonctionnement des institutions ? Le gouvernement est responsable devant l'Assemblée, l'Assemblée pourrait être dissoute par le Chef de l'Etat en rapport avec le chef du gouvernement par exemple. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Quelles sont, en dehors des deux pouvoirs, les institutions qui doivent figurer dans la constitution ? Bien sûr, il y a le pouvoir judiciaire qui doit être comme un contre pouvoir. Mais dans la constitution, on dit que le chef de l'Etat est le garant de l'indépendance des magistrats. Il y a là comme une contradiction. On ne peut pas donner le pouvoir judiciaire comme étant indépendant et confier la garantie de ce pouvoir à un autre pouvoir. Nous pensons que cette disposition doit disparaître de manière à confier au Conseil supérieur de la magistrature le soin de garantir l'indépendance des magistrats. Magistrats indépendants vis-à-vis des deux autres pouvoirs et vis-à-vis des populations elles-mêmes. De manière à réaliser là aussi l'équilibre nécessaire entre les pouvoirs. Il y a d'autres organes qui sont chargés de protéger les libertés, le conseil constitutionnel et la cour constitutionnelle.
Le conseil pose des problèmes aujourd'hui. Et c'est ce conseil qui joue un rôle important en matière de contentieux d'éligibilité et de contentieux de l'élection. De l'indépendance de ce conseil vont dépendre en grande partie les résultats des élections. Si le conseil constitutionnel dépend de l'un des pouvoirs comme c'est le cas aujourd'hui, du pouvoir exécutif, du chef de l'Etat, on réduit nécessairement l'indépendance d'un tel organe. Et cet organe se trouve placé dans l'impossibilité de jouer pleinement son rôle. Il faut donc repenser et la composition et le mode de fonctionnement de cet organe. De manière que là aussi il soit comme autrefois, jouer le rôle d'arbitre au sein de l'Etat et du fonctionnement de l'Etat. D'autres institutions doivent figurer au sein de la constitution pour lui donner la valeur qu'elle mérite. Il faut donc élever certaines institutions pour qu'elles accèdent au niveau de la constitution pour montrer l'intérêt que nous attachons à de telles institutions.
En revanche, il faudra faire descendre d'autres institutions qui, en notre sens, ne méritent pas de figurer au sein de la constitution. Le choix est nécessairement subjectif. Et l'accord ne se réalise pas d'emblée. Alors comment obtenir que soit élaborée la constitution dans le respect de la volonté du peuple de Côte d'Ivoire ? On pourrait dire qu'aujourd'hui, nous sommes dans la situation d'un Etat qui n'a plus de Constitution. La Côte d'Ivoire peut être regardée comme un état qui n'a pas et qui n'a plus de Constitution.
La Constitution ne s'applique que de manière sélective. Certains s'y accrochent comme à une bouée de sauvetage. D'autres la rejettent comme un serpent de mer. Telle est cette Constitution à éclipse qui doit fonctionner comme un essuie glace. Ça marche, ça marche pas ; Il y a lieu là aussi de revoir les choses. Il nous apparaît très clairement, aujourd'hui que notre Constitution ne s'applique pas réellement. Les autorités se trouvent affectées dans leur légitimité. La Constitution dit, le Président est élu pour cinq ans. Nous sommes dans la huitième ou neuvième année. Sur quoi repose un tel pouvoir ? Pas sur la Constitution parce que les dispositions servant de base au pouvoir prolongé du chef de l'Etat ne sont pas pertinentes. Elles ne sont pas applicables dans le cas qui nous préoccupe. Et nous avons constaté que ce sont les résolutions des Nations Unies qui sont données comme servant de fondement à la prolongation et à l'exercice du pouvoir. Mais est-ce que nous devons recevoir les résolutions des Nations Unies comme une nouvelle Constitution de la Côte d'Ivoire ? D'autres ont dit si le pouvoir est prolongé, c'est un an maximum. Et les résolutions nous font passer de la situation de délégation de pouvoir qui est prévue par la Constitution à une situation de partage de pouvoir qui n'est pas prévue par la Constitution. Donc nous nageons en pleine confusion. Il faut sortir de la brouillamini juridique et politique. Et aujourd'hui justement l'un des traits du fonctionnement de l'Etat c'est le désordre. Parce que nous ne sommes pas chacun à sa place. Il faut que chaque organe soit à sa place, chaque citoyen soit à sa place ; Or certains pensent pouvoir tout faire. Nul n'est omniscient. Et vouloir tout faire amène à ne rien faire de bon. Il faut donc que ces principes soient respectés. Et l'un des principes essentiels pour nous c'est le principe de la séparation. Nous avons une culture et une histoire de la confusion des pouvoirs et des situations. Il faut, sous la forme d'incompatibilité, organiser la séparation entre les hommes politiques et les hommes d'affaires. On ne doit pas être à la fois un homme politique et un homme d'affaires. Il faut choisir entre les deux. Et c'est la confusion de ces situations qui amènent les conflits ici et là. Parce que le pouvoir chez nous est reçu comme un moyen d'enrichissement personnel pour soi, sa famille, son clan. Il faut en sortir.
Il faut séparer le public du privé, l'Etat des partis politiques et des religions. Donc c'est un principe fondamental. Et ce doit être ainsi dans la Constitution se traduire dans la définition des organes et dans l'exercice des pouvoirs qui leurs sont reconnus. Notre culture est de confusion éthylique. Le chef peut tout faire. Et le chef devient un demi-dieu. Tout le monde se tourne vers lui. Quand il y a un problème, on veut aller voir le chef. Or le chef n'est pas un dieu. Il est un homme comme nous. Il faut que nous citoyens, nous prenions nos responsabilités. Or, nous nous comportons souvent en sujets. Nous sommes plus des sujets d'un roi, que comme des citoyens actifs, responsables devant exercer nos droits. C'est ce que je renvoie aux gouvernés que nous sommes. Parce que nous n'assumons pas nos responsabilités. Nous ne reconnaissons pas nos droits et nous ne les exerçons pas. Il faut que la Constitution prévoie des mécanismes de contrôle de l'exercice du pouvoir. Quels sont ces mécanismes ? Il faut les connaître. Voilà donc quelques unes des idées concernant l'élaboration. Il faut que la Constitution puisse être voulue par l'ensemble des Ivoiriens. Les auteurs disent que dans une société d'hommes libres, tout pouvoir a son origine dans le consentement des gouvernés. Comment s'exprime ce consentement ? On ne dit que puisque le contrat est le produit de volonté des sujets, il faut que le pouvoir prenne sa source dans un contrat d'où le contrat social proposé par Rousseau et d'autres. Aujourd'hui en Côte d'Ivoire, on parle de plus en plus d'un nouveau contrat social, supposant un nouveau consensus. Ce qui était supposé existé, n'existe plus. Il faut une base consensuelle. Mais comment dégager cette base consensuelle ? Nous sommes dans l'option de l'adoption de la loi, malgré cela, tout peut se faire à la majorité. On peut adopter les lois ordinaires à la majorité. Mais pour la Constitution, compte tenu de sa valeur et de son importance, il faut l'adopter à l'unanimité. Donc il faut pour l'élaboration d'une Constitution, se rapprocher autant que possible de la volonté des gouvernés et des gouvernants de manière à effacer la frontière qui existent entre les gouvernés et les gouvernants. Pour que la volonté des gouvernants puisse coïncider avec la volonté des gouvernés. Il le faut, en tenant compte de l'expérience et des traumatismes vécus, il le faut. Et faire en sorte qu'en toute liberté, les citoyens ivoiriens puissent se prononcer sur le projet. Mais il ne faut pas attendre que le texte soit prêt pour le donner à digérer ou à consommer. Il faut dès le départ associer un plus grand nombre possible de citoyens à la réflexion et à l'élaboration de la Constitution. D'où la nécessité d'une assemblée constituante. Mais comment élire une telle assemblée dans le contexte qui est le nôtre. D'où l'idée proposée par certains partis politiques, une concertation ou un dialogue national. Cette concertation sera le succédané des élections. A défaut de pouvoir recueillir par voie d'élection directement l'avis des populations pour s'exprimer sur les problèmes majeurs qui préoccupent le pays aujourd'hui et demain. De là pourra se dégager le consensus nécessaire portant sur ces problèmes. Si le consensus a pu être dégagé, nous ouvrons ainsi la voie sur l'adoption d'une Constitution consensuelle. Donc postérieurement ou consécutivement à ce consensus dégagé par voie de concertation. Il faut soumettre les textes de la Constitution au référendum. Nous serons en présence d'un référendum constitutionnel qui permettra aux Ivoiriens de se prononcer. Et dans la mesure où la Constitution a été déjà préparée par les différentes composantes politiques, sociales et économiques, la voie s'en trouve ouverte à une adoption passive de la Constitution dans laquelle les citoyens doivent pouvoir se reconnaître. Voilà donc le chemin à suivre pour avoir une Constitution qui permette de consolider l'Etat tout en garantissant la liberté des individus. Le pouvoir doit être un instrument au service des libertés des individus. C'est de cette seule manière que nous pouvons parvenir au résultat recherché. Mais, il y a l'élaboration de la Constitution et l'application de celle-ci. La Constitution la meilleure ne servirait à rien si elle est mal appliquée, mal diffusée. La Constitution ne permettra pas de répondre aux besoins pour lesquels elle a été élaborée. La Constitution n'a pas de jambes, elle n'a pas de mains non plus. Ce sont donc les hommes qui vont l'appliquer. Mais chez nous en Afrique, nous nous rendons compte qu'on tend à instrumentaliser la Constitution. Si on veut facilement instrumentaliser les autres normes, il faut préserver la supériorité de la Constitution. Il faut la respecter religieusement. C'est ainsi que nous pourrons régler les problèmes majeurs qui se posent. Des dispositions prévues par la Constitution depuis 1960 ne sont pas appliquées. Les dispositions prévues aujourd'hui ne sont pas appliquées. On tend à dévaloriser la Constitution et à lui retirer sa nutrition. Il faut contrôler la Constitution. La Constitution est l'acte fondamental et suprême dans l'Etat. Au-dessus, il n'y a plus rien. La Constitution reste un moyen. Et un moyen ne vaut que par rapport à ceux qu'il sert. Il faut que le moyen soit adopté. Le problème de l'application de la Constitution est un problème important. Il faut que le moyen et la fin soient en adéquation. Elle est collective. Et l'idéal serait que cette Constitution soit examinée, élaborée et adoptée avant les prochaines élections. Et c'est sur la base de cette nouvelle Constitution que les élections seront organisées. La Constitution participant au processus comme un moyen de défrustration et l'homogénéisation, de la société. Pour notre avenir, il faut que nous commencions maintenant. Parce que demain c'est aujourd'hui. L'urgence est d'urgence de faire en sorte que dès maintenant, que les Ivoiriens puissent discuter sur les problèmes majeurs, pour que sur la base de la nouvelle Constitution, nous passions de la deuxième à la troisième République. Je vous remercie.
Propos recueillis par PAUL KOFFI et SERGE AMANY
Monsieur le Premier ministre Seydou Diarras,
Mesdames et Messieurs les ministres
Mesdames et Messieurs les représentants des partis politiques, le PDCI, le RDR, l'UDPCI, l'URD, les Forces nouvelles.
Excellence monsieur l'ambassadeur d'Italie, excellence Mesdames et Messieurs les ambassadeurs
Je voudrais vous saluer et vous remercier bien sincèrement d'avoir accepté d'être présents pour que nous puissions parler des préoccupations communes. Dans les faits, il s'agit de savoir quelle constitution pour une Côte d'Ivoire nouvelle. La question est posée. Et je commence par des questions. Une constitution, laquelle pour une Côte d'Ivoire nouvelle ? Est-ce qu'il faut une Côte d'Ivoire nouvelle ? On peut se poser la question. La Côte d'Ivoire existe. Pour certains, elle fonctionne normalement. Il n'est pas nécessaire d'envisager une autre Côte d'Ivoire. Pour nous, la nécessité est évidente d'une nouvelle Côte d'Ivoire. Parce que la Côte d'Ivoire que nous voyons aujourd'hui n'est pas belle à voir. Elle est défigurée, coupée en deux. Elle a comme deux têtes, ce qui confirme le monstrueux. La Côte d'Ivoire somme toute est malade. Et lorsque le corps est malade, aucun des membres ne peut se sentir en bonne santé. C'est cette solidarité physiologique que nous voulions voir se transporter au plan social et politique. De manière que nous nous rendions compte de ce que bien que les intérêts soient contradictoires, ils restent liés les uns entre autres dans une solidarité que nous devons bien comprendre. Donc pour nous, il n'y a lieu de discuter davantage, il faut, dans les conditions actuelles, une nouvelle Côte d'Ivoire. Cela saute aux yeux sauf bien sûr pour ceux qui n'ont pas d'yeux, ceux qui ne sont pas aveuglés par des considérations particulières. Je ne m'attarde donc pas sur la nécessité d'une nouvelle Côte d'Ivoire. La question me parait réglée. La deuxième question se reporte à la constitution qui doit régir la Côte d'Ivoire. Nous posons la question, nous pouvons donner trois réponses. La constitution actuelle est bonne. Il n'y a pas lieu de la modifier. Il faut la recevoir telle qu'elle et l'appliquer en conséquence. La question actuelle est bonne mais comporte des parties qui méritent d'être revues, deuxième tendance. D'où la nécessité de la révision de la constitution.
La constitution actuelle, et c'est la troisième réponse, n'est pas adaptée à la Côte d'Ivoire actuelle. Il faut, au lieu de procéder à la révision de la constitution, adopter purement et simplement une nouvelle constitution. La réponse, il faut une nouvelle constitution pour une nouvelle Côte d'Ivoire. Voilà donc notre thèse. Une nouvelle constitution pour la Côte d'Ivoire, pourquoi ? Il y a une série de raisons. Des raisons d'ordre historique, des raisons de contexte et des raisons de textes également. Sur le plan de l'histoire constitutionnelle de la Côte d'Ivoire, nous devons dire à l'attention des jeunes que depuis l'indépendance de la Côte d'Ivoire et un peu avant l'indépendance, la constitution n'a pas été élaborée dans les conditions politiques et juridiques satisfaisantes. Par exemple, la Constitution du 03 novembre 1960 qui est la première constitution de l'Etat de Côte d'Ivoire, Etat indépendant, a été considérée comme adoptée par la révision de la constitution du 26 mars 1959 adoptée par l'Assemblée territoriale élue le 31 mars 1957. Voyez donc cette situation qui ne peut, du point de vue du droit, ni du point de vue politique, être satisfaisante. Parce que la Côte d'Ivoire accédant à l'indépendance, il aurait fallu adopter une nouvelle constitution et la soumettre à un référendum constitutionnel pour permettre aux Ivoiriens de se prononcer.
Nous sommes à quelques particularités près à la même situation qu'aujourd'hui. La constitution du 1er août 2000 a été adoptée dans des conditions particulières. Et autour d'elles, beaucoup de contentieux. Déjà le texte qui a été publié et qui devrait faire l'objet de référendum sera modifié à quelques jours du référendum. C'est une situation juridiquement inacceptable, politiquement incompréhensible. Nous avons eu à nous prononcer sur la question en ayant été consulté par le Général Guéi. Et puis aujourd'hui, beaucoup considèrent que la constitution ivoirienne, celle du 1er août 2000, est à l'origine du conflit que nous connaissons. On a parlé de disposition compliquée. Les conditions d'adoption de cette constitution posent problème. Vous vous en souvenez, le référendum nous appelait à nous prononcer sur deux types de textes. D'abord le projet de constitution et ensuite le projet de code électoral. Donner d'un côté un référendum constituant et de l'autre un référendum législatif. 194 articles dans le code électoral, 134 articles pour la constitution. Il fallait donc se prononcer sur quelque 325 articles en même temps. Il fallait avoir de l'estomac pour digérer et assimiler tout cela. Et on a constaté que finalement, on a laissé de côté le code électoral. On s'est focalisé sur la constitution et à l'intérieur de la constitution, on a oublié les autres dispositions pour ne retenir que l'article 35 de la constitution. De sorte que dans les conditions où nous nous trouvions, les Ivoiriens n'ont pas pu voir l'ensemble de la constitution et les liens entre les différentes dispositions. On s'est focalisé sur une disposition et on s'est prononcé pour ou contre. Nous avons appelé presque tous à voter pour des raisons particulières pour cette constitution. Elle a été adoptée. Son application va poser des problèmes. Les élections organisées sur la base de cette constitution ont donné hier à des affrontements sanglants. Aujourd'hui, nous voulons la paix. Nous voulons sortir de la guerre. Nous pensons que la Côte d'Ivoire nouvelle ne doit pas prendre appui sur une telle constitution. Il y a lieu pour la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens de se doter d'une nouvelle constitution qui va exprimer les préoccupations actuelles et futures de la Côte d'Ivoire. Qui va exprimer les besoins fondamentaux des Ivoiriens et qui permettra aux Ivoiriens de se prononcer en connaissance de cause. Voilà donc les raisons qui nous conduisent à proposer une nouvelle constitution. Quand on prend la constitution elle-même, son élaboration pose quelques problèmes. La facture de la constitution pose quelques problèmes. Nous avons dit, adoptons la Constitution et nous verrons par la suite. Nous pourrons la modifier lorsque les conditions seront réunies. Aujourd'hui, nous voulons passer d'une situation à une autre. De la Côte d'Ivoire actuelle à une nouvelle Côte d'Ivoire, il faut que le socle juridique de la nouvelle Côte d'Ivoire soit une nouvelle constitution. Car la nouvelle constitution sera comme les fondations de la Côte d'Ivoire moderne. Egalement comme le toit pour protéger la Côte d'Ivoire. Et comme il s'agit d'une Côte d'Ivoire malade, il faut que la constitution soit l'un des remèdes. Parce que la crise que nous vivons comporte plusieurs aspect, aspect politique, aspect juridique, aspect économiques, aspect social. Et le traitement doit être multiforme. Nous en tenons à l'aspect juridique. Nous disons que nous voulons normaliser la Côte d'Ivoire. Nous voulons la normalisation et la normalisation suppose des normes par lesquelles la Côte d'Ivoire doit s'organiser et fonctionner. Et la première de ces normes, c'est la constitution. Il faut donc faire en sorte que la Côte d'Ivoire nouvelle puisse fonctionner selon de nouvelles normes, conformément à de nouvelles normes. D'où la nécessité pour nous d'une nouvelle constitution. C'est une position qui peut ne pas être partagée, mais nous la considérons comme justifiée par la situation actuelle et par la nécessité pour la Côte d'Ivoire d'en sortir. Et qu'on aboutisse à une nouvelle situation à la fois au plan politique, au plan juridique et au plan économique. En ayant ainsi posé la nécessité d'une nouvelle constitution en quoi doit consister cette nouvelle constitution ? Quel doit en être le contenu ? Est-ce qu'il y a des questions, est-ce qu'il y a des situations qu'on doit considérer comme relevant nécessairement de la constitution ? Est-ce qu'il y a des matières qu'on peut donner comme constitutionnelles par nature ? Si oui, lesquelles ? Nous pensons qu'il y a deux types de matière au moins qui doivent nécessairement figurer dans une Constitution. Il y a la question des libertés et des droits. La question des valeurs. Aujourd'hui, on nous dit que les Ivoiriens n'ont plus de repère. Quelles sont les valeurs politiques et morales qui doivent servir de fondement à l'élaboration d'une nouvelle Constitution ? Quelles sont ces valeurs ? Sur la question, les regards sont différents. Chacun a, sur la question, le regard qui lui appartient. Donc nous ne serons pas tous d'accord sur les libertés qu'il faut énoncer comme devant appartenir à la constitution. Parce que la Constitution, comme vous le savez, c'est l'acte fondamental qui assure le maximum de garantie aux citoyens. Donc dès lors que nous considérons une liberté, une valeur fondamentale, il faut tout faire pour l'insérer dans la Constitution. Mais comme toute valeur humaine est relative, il est clair que nous ne serons pas sur les valeurs qui doivent donner forme à la Constitution. Donc c'est un point extrêmement important sur lequel nous devons nous arrêter, nous doyens, dans le contexte actuel où nous avons perdu le sens des valeurs, le sens de la morale. Il est important que la Constitution puisse nous rappeler à ces valeurs-là. Et les y consacrer de manière que nous en soyons touchés et que nous respections scrupuleusement les dispositions de la constitution. Je ne vais pas énoncer ces valeurs. Mais ce sont des principes et des valeurs qui vont constituer la substance de la légitimité. Parce que la constitution présente deux aspects. Il y a les questions de légitimité et puis les questions de légalité en tant que telles. Donc en supposant les questions de principe, de valeurs, de liberté, de droit réglé, la deuxième matière qui doit nécessairement figurer dans une Constitution est celle du pouvoir politique. Dénotent de l'évolution du pouvoir politique, des rapports entre organes qui constituent l'ossature de l'Etat. Alors aujourd'hui, nous avons un régime qui est présidentiel, présidentialiste. Un régime qui confère d'énormes pouvoirs au chef de l'Etat qui détient le pouvoir exécutif à titre exclusif. Est-ce ce régime que nous devons reproduire ? Ou bien à la lumière de l'application de la constitution actuelle, ne faut-il pas imaginer un autre régime politique ? Un autre mode de dévolution du pouvoir ? Nous pensons que pour que l'Etat puisse fonctionner de manière harmonieuse, il faut qu'il obéisse en la matière à deux principes qui sont le principe de partage et le principe d'équilibre. Il faut que le pouvoir soit reparti. De sorte que nous ne serions partisans d'un pouvoir exécutif reparti entre le chef d'Etat et le chef du gouvernement. De manière que le pouvoir ainsi partagé, son exercice soit équilibré. Et que le pouvoir exécutif n'écrase pas les citoyens et les libertés qui sont reconnues aux citoyens. Le problème majeur qui se pose chez nous, c'est un problème qui concerne les gouvernants, ceux qui détiennent le pouvoir. Mais c'est un problème qui concerne davantage les gouvernés que nous sommes. Et les gouvernants sont à l'image des gouvernés et réciproquement. Nous avons une mentalité un peu monarchique, semble-t-il. En Afrique, on ne se demande qui a le pouvoir. On ne se pose pas cette question. On veut savoir qui est le pouvoir. D'où la personnalisation parfois excessive du pouvoir et des institutions. Mais cette personnalisation du pouvoir, dans son exercice, est comme voulue par le gouvernés. Les gouvernés voudraient donner un visage concret au pouvoir politique. Et il faut que le pouvoir s'incarne en un homme. Et lorsque les choses vont ainsi, celui qui est supposé incarner ce pouvoir jouit de prérogatives exorbitantes. Si on n'y fait pas attention, on risque de voir les libertés bafouées et les droits liés en quelque sorte. Parce que très souvent, lorsqu'un droit est reconnu, on ne le considère pas comme tel. On voit dans ce droit une faveur consentie par le chef. Donc il faut que les mentalités changent. Et dans ce climat, il faut équilibrer les rapports. Il faut équilibrer les rapports au sein du pouvoir exécutif lui-même. Donc il y a des pouvoirs qui doivent être propres au gouvernement, au chef du gouvernement. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Tout le pouvoir appartient au Président de la République qui peut déléguer une partie de ses pouvoirs. Comme il peut ne pas le déléguer. Dès lors que le gouvernement dispose de pouvoirs qui sont propres, ils viennent contre balancer ceux du chef de l'Etat. Voilà donc ce qui est du pouvoir exécutif.
Pouvoir législatif qu'est-ce qu'il faut ? Là aussi doit prévaloir le principe d'équilibre, de partage. Nous pensons que le pouvoir législatif doit être bicaméral. Il faut qu'il y ait deux chambres. Une chambre représentant la population dans son ensemble dans un caractère éminemment politique. Et puis une chambre représentant le milieu de la société civile, le milieu socio professionnel et les régions. De manière que par cette chambre, les régions puissent participer à l'exercice du pouvoir législatif et à l'élaboration des lois qui vont régir l'ensemble des activités au sein de la nation. Par cette voie, on pourrait, selon nous, mieux réaliser l'intégration des régions au flux national de manière à exprimer et à renforcer la solidarité nécessaire entre les régions et entre les régions et la nation entière. Voilà donc comment doit se traduire le principe d'équilibre au niveau du pouvoir législatif. Faut-il un gouvernement responsable devant l'Assemblée ? Faut-il reconnaître la responsabilité politique du gouvernement devant l'Assemblée ? C'est une question que je me pose. Est-ce que cette manière de concevoir l'agencement des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif est de nature à favoriser un meilleur fonctionnement des institutions ? Le gouvernement est responsable devant l'Assemblée, l'Assemblée pourrait être dissoute par le Chef de l'Etat en rapport avec le chef du gouvernement par exemple. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Quelles sont, en dehors des deux pouvoirs, les institutions qui doivent figurer dans la constitution ? Bien sûr, il y a le pouvoir judiciaire qui doit être comme un contre pouvoir. Mais dans la constitution, on dit que le chef de l'Etat est le garant de l'indépendance des magistrats. Il y a là comme une contradiction. On ne peut pas donner le pouvoir judiciaire comme étant indépendant et confier la garantie de ce pouvoir à un autre pouvoir. Nous pensons que cette disposition doit disparaître de manière à confier au Conseil supérieur de la magistrature le soin de garantir l'indépendance des magistrats. Magistrats indépendants vis-à-vis des deux autres pouvoirs et vis-à-vis des populations elles-mêmes. De manière à réaliser là aussi l'équilibre nécessaire entre les pouvoirs. Il y a d'autres organes qui sont chargés de protéger les libertés, le conseil constitutionnel et la cour constitutionnelle.
Le conseil pose des problèmes aujourd'hui. Et c'est ce conseil qui joue un rôle important en matière de contentieux d'éligibilité et de contentieux de l'élection. De l'indépendance de ce conseil vont dépendre en grande partie les résultats des élections. Si le conseil constitutionnel dépend de l'un des pouvoirs comme c'est le cas aujourd'hui, du pouvoir exécutif, du chef de l'Etat, on réduit nécessairement l'indépendance d'un tel organe. Et cet organe se trouve placé dans l'impossibilité de jouer pleinement son rôle. Il faut donc repenser et la composition et le mode de fonctionnement de cet organe. De manière que là aussi il soit comme autrefois, jouer le rôle d'arbitre au sein de l'Etat et du fonctionnement de l'Etat. D'autres institutions doivent figurer au sein de la constitution pour lui donner la valeur qu'elle mérite. Il faut donc élever certaines institutions pour qu'elles accèdent au niveau de la constitution pour montrer l'intérêt que nous attachons à de telles institutions.
En revanche, il faudra faire descendre d'autres institutions qui, en notre sens, ne méritent pas de figurer au sein de la constitution. Le choix est nécessairement subjectif. Et l'accord ne se réalise pas d'emblée. Alors comment obtenir que soit élaborée la constitution dans le respect de la volonté du peuple de Côte d'Ivoire ? On pourrait dire qu'aujourd'hui, nous sommes dans la situation d'un Etat qui n'a plus de Constitution. La Côte d'Ivoire peut être regardée comme un état qui n'a pas et qui n'a plus de Constitution.
La Constitution ne s'applique que de manière sélective. Certains s'y accrochent comme à une bouée de sauvetage. D'autres la rejettent comme un serpent de mer. Telle est cette Constitution à éclipse qui doit fonctionner comme un essuie glace. Ça marche, ça marche pas ; Il y a lieu là aussi de revoir les choses. Il nous apparaît très clairement, aujourd'hui que notre Constitution ne s'applique pas réellement. Les autorités se trouvent affectées dans leur légitimité. La Constitution dit, le Président est élu pour cinq ans. Nous sommes dans la huitième ou neuvième année. Sur quoi repose un tel pouvoir ? Pas sur la Constitution parce que les dispositions servant de base au pouvoir prolongé du chef de l'Etat ne sont pas pertinentes. Elles ne sont pas applicables dans le cas qui nous préoccupe. Et nous avons constaté que ce sont les résolutions des Nations Unies qui sont données comme servant de fondement à la prolongation et à l'exercice du pouvoir. Mais est-ce que nous devons recevoir les résolutions des Nations Unies comme une nouvelle Constitution de la Côte d'Ivoire ? D'autres ont dit si le pouvoir est prolongé, c'est un an maximum. Et les résolutions nous font passer de la situation de délégation de pouvoir qui est prévue par la Constitution à une situation de partage de pouvoir qui n'est pas prévue par la Constitution. Donc nous nageons en pleine confusion. Il faut sortir de la brouillamini juridique et politique. Et aujourd'hui justement l'un des traits du fonctionnement de l'Etat c'est le désordre. Parce que nous ne sommes pas chacun à sa place. Il faut que chaque organe soit à sa place, chaque citoyen soit à sa place ; Or certains pensent pouvoir tout faire. Nul n'est omniscient. Et vouloir tout faire amène à ne rien faire de bon. Il faut donc que ces principes soient respectés. Et l'un des principes essentiels pour nous c'est le principe de la séparation. Nous avons une culture et une histoire de la confusion des pouvoirs et des situations. Il faut, sous la forme d'incompatibilité, organiser la séparation entre les hommes politiques et les hommes d'affaires. On ne doit pas être à la fois un homme politique et un homme d'affaires. Il faut choisir entre les deux. Et c'est la confusion de ces situations qui amènent les conflits ici et là. Parce que le pouvoir chez nous est reçu comme un moyen d'enrichissement personnel pour soi, sa famille, son clan. Il faut en sortir.
Il faut séparer le public du privé, l'Etat des partis politiques et des religions. Donc c'est un principe fondamental. Et ce doit être ainsi dans la Constitution se traduire dans la définition des organes et dans l'exercice des pouvoirs qui leurs sont reconnus. Notre culture est de confusion éthylique. Le chef peut tout faire. Et le chef devient un demi-dieu. Tout le monde se tourne vers lui. Quand il y a un problème, on veut aller voir le chef. Or le chef n'est pas un dieu. Il est un homme comme nous. Il faut que nous citoyens, nous prenions nos responsabilités. Or, nous nous comportons souvent en sujets. Nous sommes plus des sujets d'un roi, que comme des citoyens actifs, responsables devant exercer nos droits. C'est ce que je renvoie aux gouvernés que nous sommes. Parce que nous n'assumons pas nos responsabilités. Nous ne reconnaissons pas nos droits et nous ne les exerçons pas. Il faut que la Constitution prévoie des mécanismes de contrôle de l'exercice du pouvoir. Quels sont ces mécanismes ? Il faut les connaître. Voilà donc quelques unes des idées concernant l'élaboration. Il faut que la Constitution puisse être voulue par l'ensemble des Ivoiriens. Les auteurs disent que dans une société d'hommes libres, tout pouvoir a son origine dans le consentement des gouvernés. Comment s'exprime ce consentement ? On ne dit que puisque le contrat est le produit de volonté des sujets, il faut que le pouvoir prenne sa source dans un contrat d'où le contrat social proposé par Rousseau et d'autres. Aujourd'hui en Côte d'Ivoire, on parle de plus en plus d'un nouveau contrat social, supposant un nouveau consensus. Ce qui était supposé existé, n'existe plus. Il faut une base consensuelle. Mais comment dégager cette base consensuelle ? Nous sommes dans l'option de l'adoption de la loi, malgré cela, tout peut se faire à la majorité. On peut adopter les lois ordinaires à la majorité. Mais pour la Constitution, compte tenu de sa valeur et de son importance, il faut l'adopter à l'unanimité. Donc il faut pour l'élaboration d'une Constitution, se rapprocher autant que possible de la volonté des gouvernés et des gouvernants de manière à effacer la frontière qui existent entre les gouvernés et les gouvernants. Pour que la volonté des gouvernants puisse coïncider avec la volonté des gouvernés. Il le faut, en tenant compte de l'expérience et des traumatismes vécus, il le faut. Et faire en sorte qu'en toute liberté, les citoyens ivoiriens puissent se prononcer sur le projet. Mais il ne faut pas attendre que le texte soit prêt pour le donner à digérer ou à consommer. Il faut dès le départ associer un plus grand nombre possible de citoyens à la réflexion et à l'élaboration de la Constitution. D'où la nécessité d'une assemblée constituante. Mais comment élire une telle assemblée dans le contexte qui est le nôtre. D'où l'idée proposée par certains partis politiques, une concertation ou un dialogue national. Cette concertation sera le succédané des élections. A défaut de pouvoir recueillir par voie d'élection directement l'avis des populations pour s'exprimer sur les problèmes majeurs qui préoccupent le pays aujourd'hui et demain. De là pourra se dégager le consensus nécessaire portant sur ces problèmes. Si le consensus a pu être dégagé, nous ouvrons ainsi la voie sur l'adoption d'une Constitution consensuelle. Donc postérieurement ou consécutivement à ce consensus dégagé par voie de concertation. Il faut soumettre les textes de la Constitution au référendum. Nous serons en présence d'un référendum constitutionnel qui permettra aux Ivoiriens de se prononcer. Et dans la mesure où la Constitution a été déjà préparée par les différentes composantes politiques, sociales et économiques, la voie s'en trouve ouverte à une adoption passive de la Constitution dans laquelle les citoyens doivent pouvoir se reconnaître. Voilà donc le chemin à suivre pour avoir une Constitution qui permette de consolider l'Etat tout en garantissant la liberté des individus. Le pouvoir doit être un instrument au service des libertés des individus. C'est de cette seule manière que nous pouvons parvenir au résultat recherché. Mais, il y a l'élaboration de la Constitution et l'application de celle-ci. La Constitution la meilleure ne servirait à rien si elle est mal appliquée, mal diffusée. La Constitution ne permettra pas de répondre aux besoins pour lesquels elle a été élaborée. La Constitution n'a pas de jambes, elle n'a pas de mains non plus. Ce sont donc les hommes qui vont l'appliquer. Mais chez nous en Afrique, nous nous rendons compte qu'on tend à instrumentaliser la Constitution. Si on veut facilement instrumentaliser les autres normes, il faut préserver la supériorité de la Constitution. Il faut la respecter religieusement. C'est ainsi que nous pourrons régler les problèmes majeurs qui se posent. Des dispositions prévues par la Constitution depuis 1960 ne sont pas appliquées. Les dispositions prévues aujourd'hui ne sont pas appliquées. On tend à dévaloriser la Constitution et à lui retirer sa nutrition. Il faut contrôler la Constitution. La Constitution est l'acte fondamental et suprême dans l'Etat. Au-dessus, il n'y a plus rien. La Constitution reste un moyen. Et un moyen ne vaut que par rapport à ceux qu'il sert. Il faut que le moyen soit adopté. Le problème de l'application de la Constitution est un problème important. Il faut que le moyen et la fin soient en adéquation. Elle est collective. Et l'idéal serait que cette Constitution soit examinée, élaborée et adoptée avant les prochaines élections. Et c'est sur la base de cette nouvelle Constitution que les élections seront organisées. La Constitution participant au processus comme un moyen de défrustration et l'homogénéisation, de la société. Pour notre avenir, il faut que nous commencions maintenant. Parce que demain c'est aujourd'hui. L'urgence est d'urgence de faire en sorte que dès maintenant, que les Ivoiriens puissent discuter sur les problèmes majeurs, pour que sur la base de la nouvelle Constitution, nous passions de la deuxième à la troisième République. Je vous remercie.
Propos recueillis par PAUL KOFFI et SERGE AMANY