x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le vendredi 27 mars 2009 | Le Nouveau Réveil

Dr Emmanuel Kouassi-Lenoir (Membre du Secrétariat général et du Bureau Politique du PDCI-RDA) : “La Constitution née du coup d`Etat de décembre 99: une source de nos problèmes sans fin”

Une analyse de la crise ivoirienne serait incomplète si ensemble nous n'examinons pas dans notre constitution de possibles facteurs de la prolongation de la crise. Aujourd'hui, on peut affirmer aisément que la prolongation de la crise est le fait d'un facteur nouveau: les conséquences de l'imperfection d'une constitution née du coup d'Etat de 99 au contenu largement ignoré de la grande majorité des Ivoiriens. Mais bien avant notre analyse, il serait indiqué de définir la constitution, sa raison d'être et ses finalités.

Mais qu'est ce que c'est que fondamentalement une constitution?
Tous les Etats, quels que soient leurs régimes politiques, économiques et sociaux, sont dotés d'un acte écrit qui organise l'exercice des pouvoirs publics et les rapports entre différentes institutions. C'est cet acte écrit qui est appelé la Loi fondamentale ou Constitution. Il n'existe pas d'Etat sans Constitution. Fondamentalement, la constitution organise la séparation des pouvoirs et la forme du gouvernement. .
Limitons-nous ici à la séparation des pouvoirs car c'est la clef de la stabilité politique et sociale. Par séparation des pouvoirs, il faut simplement entendre, séparation entre le pouvoir du président de la république, le pouvoir des députés, et le pouvoir des juges.
Dans la constitution, chaque autorité a ses attributions, son champ de compétence ou domaines d'intervention. Par exemple, le Président de la République ne doit pas faire le travail des députés ni celui des juges; et vice-versa. Par exemple le juge ne peut être aux ordres du Président de la République. Il n'est pas son collaborateur. Il lui est indépendant (Article 102).
Le juge doit pouvoir arrêter le pouvoir du Président de la République en cas d'abus ou de dérapage grave. Toute société qui n'a pas de séparation des pouvoirs n'a point de constitution. Le contenu d'une constitution doit faire l'objet d'un très large consensus national, connu de tous et adopté dans les règles strictes de la démocratie et plus adoptée sans aucune contrainte quelle qu'elle soit.
La Constitution doit être matrice et motrice de cohésion nationale et non fabriquée pour complaire à une personne ou à une certaine caste sociale.
Or la Constitution née du Coup d'Etat de Décembre 1999 et fabriquée par les nouveaux dirigeants a créé une situation politique sans précédant en Côte d'Ivoire. Elle a été adoptée dans des conditions politiques non favorables à la cohésion, elle renferme des mécanismes d'étouffement des droits démocratiques et des instruments de la division sociale.

La situation constitutionnelle ivoirienne
Notre Constitution, si elle a le mérite de rappeler symboliquement les fondamentaux de la laïcité et des valeurs de la doctrine républicaine, elle renferme malheureusement des instruments graves qui peuvent desservir les intérêts vitaux des Ivoiriens (libertés fondamentales, démocratie, justice etc)
En réalité, il n'y a pas séparation des pouvoirs. L'exécutif et le législatif sont placés sous une même autorité, le Président de la République. Ce dernier dispose du pouvoir exécutif directement et du pouvoir législatif indirectement (par l'intermédiaire de la majorité parlementaire même élue en bonne et due forme). Il n'existe aucun garde fou pour préserver les droits démocratiques de l'opposition. Nous assistons à l'unité du pouvoir entre les mains du Président de la République dont les pouvoirs constitutionnels sont démesurés. Le Président de la République peut faire voter toutes les lois qu'il souhaite, grâce à la discipline du parti ou par des techniques d'utilisation des ordonnances. Une vassalisation du parlement consolidée par l'absence des moyens de son l'autonomie (financière notamment.. )
- Quels sont les droits possibles à reconnaître à l'opposition? Pratiquement nuls, le pouvoir de la "majorité" ou le pouvoir présidentiel domine le "pouvoir" de l'opposition.
- Quel peut être l'accès des partis de l'opposition à la télévision et à la radio? Nous remarquons que seul le parti au pouvoir ou les organisations proches du pouvoir présidentiel s'octroient l'exclusivité des droits de passage.
Est-ce que les partis de l'opposition peuvent être financés par l'Etat? Le Président BEDIE avait initié cette noble et démocratique idée qui, aujourd'hui, n'est pas remise en cause par l'équipe dirigeante actuelle.
Pour résumer, sans statut juridique clair de l'opposition, il n'y a pas de séparation effective des pouvoirs, donc point de constitution.
Encore plus frappant, est la situation très humiliante du statut du Premier Ministre dans notre constitution. A l'examen des textes, le Premier Ministre n'est qu'un simple exécutant. Il ne peut rien sans l'accord ou la bénédiction du tout puissant Président de la République.
Le Premier Ministre n'a pas d'autres attributions que d'animer et de coordonner l'action gouvernementale. (Article 41)
Il n'a aucune réelle autorité sur les Ministres. Comme lui, ces derniers sont nommés par le Président de la République, qui met aussi fin à leurs fonctions. Ils doivent leurs carrières au Président de la République aussi bien que les juges de la République. C'est pourquoi par exemple certains ministres même de l'opposition ne se sentent pas obligés d'obéir à leur parti politique d'origine.
Le Président de la République est détenteur exclusif du pouvoir de nommer aux emplois civils et militaires sans filtre de moralité et de sécurité.
Lorsqu'on examine réellement notre constitution, on peut se permettre d'avouer que le Premier Ministre n'a pas objectivement de personnalité juridique parce que notre constitution est fondamentalement anti-Premier Ministre!
Elle confère tous les pouvoirs au Président de la République et à lui seul.
La résolution 1633 qui octroyait des pouvoirs spécifiques au Premier Ministre Banny avait hélas une approche maladroite malgré une bonne lecture de la crise ivoirienne.
Encore plus inquiétant, il existe des règles constitutionnelles mal conçues et mal rédigées qui peuvent faire l'objet d'interprétations les plus folles. Par exemple, le candidat du PDCI-RDA n'a pas pu participer à la dernière élection présidentielle suite à une interprétation abusive de règles mal conçues et maladroitement ou volontairement mal rédigées. (Art. 35)
Les conditionnalités constitutionnelles de l'éligibilité du Président de la République semblent orienter notre constitution vers un certain eugénisme alors que la finalité de toute constitution est fondamentalement l'unité et la cohésion nationales. Elle est source de blocages les plus vicieux. Heureusement que sur ce point précis, les pressions des accords politiques de Marcoussis de Pretoria neutralisent les possibles délinquances de juges politiques (voir ordonnance n° 2008 du 14 avril 2008).
Depuis Octobre 2005, il n'y a plus d'élections. Même si les articles 34, 38, 39, 48 semblaient régler temporairement une situation de crise, notre Constitution reste muette sur l'organisation des pouvoirs publics dans le cas d'une très longue phase de non élection. Nous notons aussi que notre Constitution est faite pour fonctionner dans le cadre des pouvoirs que tirent leurs légitimités du suffrage universel (élection). Elle reste muette lorsqu'il n'y a pas d'élection du tout.
Faut-il pour autant brûler notre Constitution? Je répondrai par la négative car brûler une constitution, c'est brûler l'Etat ou l'ordre public.
Mais la classe politique, si elle est soucieuse des intérêts supérieurs des ivoiriens, peut trouver une formule qui favorise l'émergence d'un mécanisme d'organisation équilibrée des pouvoirs ayant pour seul objectif, l'accélération du processus électoral qui permettra aux Ivoiriens de s'exprimer, de se représenter et de constituer un leadership politique légitime. Il n'y a pas de Droit sans consensus politique. C'est la politique qui fonde le Droit et lui donne un contenu légitime. Tout arrangement institutionnel et politique est donc possible en Côte d'Ivoire à la seule condition de bien définir les contours de l'objectif à atteindre. Dans cette optique, les accords de Marcoussis et de Pretoria ont été exemplaires. Ces accords toujours valables doivent faire l'objet d'une attention particulière. On ne peut pas construire durablement une Nation en stigmatisant ceux qui pensent autrement, en stigmatisant des boucs émissaires, en stigmatisant globalement la contradiction démocratique analysée comme un désordre, ou encore en utilisant la violence armée comme seule voie de l'alternance politique.
Enfin, mais qu'est-ce que c'est que faire de la politique si ce n'est assurer la survie et la pérennité de l'espèce humaine?
Dr Emmanuel Kouassi-Lenoir
Secrétaire National à la Défense
Membre du Bureau Politique du PDCI-RDA
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ