Deux images fortes, très fortes même, ont capté hier, l’attention des lecteurs de la presse ivoirienne.
La première, du reste la plus répandue pour avoir été diffusée la veille par la télévision nationale, était celle du chef de l’Etat pleurant à chaudes larmes devant le pupitre où il avait été invité à rendre hommage aux victimes des événements tragiques du stade Houphouët-Boigny. L’image montrait un Laurent Gbagbo méconnaissable d’émotion, la gorge nouée et les joues inondées de larmes. Les images de la télévision nous avaient bien montré la veille que, alors qu’il avait entamé son discours, notre pauvre président n’avait pu le poursuivre plus longtemps, stoppé qu’il a été net par d’indociles sanglots qui le rendaient inaudible. Lesquels sanglots avaient d’ailleurs eu pour effets contagieux de faire rougir quelques yeux dans l’assistance.
La deuxième image diffusée, elle, par un seul quotidien de la place, était plutôt aux antipodes de la première. Elle montrait des stars de notre football, les très adulés Eléphants, Didier Drogba en tête, en pleine démonstration de danse dans une boîte de nuit de la place. Le journal étalait à sa Une le capitaine de notre Onze nation ainsi que le virevoltant Kader Kéita se trémoussant au rythme du « Kpangô », danse en vogue en ce moment à Abidjan. Et l’article de révéler que c’est quasiment l’équipe au grand complet qui s’est ainsi déployée dans les night clubs abidjanais pour faire la fête.
Ces deux images, pour le moins antinomiques, si vous ne l’aviez pas encore compris, gravitent autour d’un événement : le match du football comptant pour les éliminatoires CAN-Mondial, qui a opposé dimanche dernier, les Eléphant de Côte d’Ivoire aux Flames du Malawi, et qui s’est soldé par la victoire sans appel des pachydermes ivoiriens : 5 buts à 0. Le lien entre Gbagbo et les Eléphants s’agissant de ce match, c’est que Drogba et ses coéquipiers l’ont joué sur le terrain, avec toute la maestria que l’on a pu voir en direct à la télé, et Gbagbo en a vécu les effets émotionnels avec les salves d’applaudissements, le tour d’honneur, les congratulations des athlètes, etc. C’est-à-dire que pendant que Drogba marquait des buts, Gbagbo exultait et sautait de joie dans les tribunes.
Mais alors, pourquoi après cette éclatante victoire, Gbagbo et les Eléphants ne sont pas sur la même longueur d’onde ? Pourquoi l’un pleure et les autres dansent ? Puisqu’il s’agit de victoire, pourquoi ne dansent-ils pas à l’unisson ?
C’est que pendant que Drogba catapultait les balles au fond des filets des pauvres malawites et que Gbagbo criait de joie dans les tribunes, dix-neuf Ivoiriens étaient censés avoir été tués, écrasés dans une bousculade et 132 autres blessés plus ou moins grièvement, avant même le début de la rencontre. Et tout cela parce qu’ils voulaient avoir accès au stade. Donc, pour regarder Didier Drogba et ses coéquipiers jouer, 19 Ivoiriens sont morts pour la plupart, très jeunes. L’explication de ces deux attitudes contraires (les pleurs de Gbagbo et les bastringues des Eléphants) sont donc à rechercher au niveau de la réception de l’information. Pendant le match, les Eléphants et Laurent Gbagbo étaient-ils informés de la tragédie ? Apparemment, selon ce que la presse a pu recueillir comme information, les Eléphants étaient totalement dans le flou. «Nous n’avons été tous au courant que le soir vers 22 heures à l’hôtel », s’est défendu Drogba et ses coéquipiers. Ça veut dimanche à 22 heures, pour un match qui a pris fin aux environs de 19 h 00. Donc entre 19 h et 22 heures, aucun parent, copain (ou copine) de ces éléphants n’a daigné passer le moindre coup de fil aux héros d’un jour. Même pas pour leur dire un petit bravo.
Mais, admettons même qu’ils aient été informés à 22 heures, l’ampleur du drame et surtout sa motivation, ne commandaient-il pas à ces Eléphants d’éviter de se pavaner dans les boîtes de nuit ? Même s’ils avaient été à une partie strictement privée, était-ce moralement décent pour les Eléphants d’aller danser quand ils venaient d’apprendre que 19 personnes, leurs compatriotes, parmi lesquels des enfants de dix ans, sont morts dans des conditions effroyables, à cause d’eux ? Croyaient-ils pouvoir se cacher ? Est-il possible à ces stars qui font vibrer des millions de leurs compatriotes chaque semaine par la magie de la télévision, de se cacher à Abidjan ? Ils auraient même dansé dans leurs chambres d’hôtel que cela aurait été su.
C’est une énorme déception que les Eléphants ont infligée aux Ivoiriens. C’est une marque d’inconscience extraordinaire dont ils ont fait preuve dans ce drame. Et dire que, dès le lendemain de ce show, la bouche encore pâteuse, certains d’entre les fêtards, Didier Drogba encore en tête, comme s’ils étaient brusquement redescendu sur terre, ont entrepris de nous distraire en versant devant les cameras de la télévision, des larmes de crocodile.
En ce qui concerne maintenant Laurent Gbagbo, la question à laquelle personne n’ose encore répondre, c’est celle de savoir si le Président était, oui ou non, informé du drame avant de pénétrer le stade, de faire le tour d’honneur, saluer les jeunes, en congratuler certains, de plaisanter avec d’autres et de jubiler dans les tribunes à chaque exploit des joueurs ?
Est-ce qu’il est possible de cacher à un Président de la République une information de la gravité de la catastrophe du stade Houphouët-Boigny ? Est-ce que, par surcroît, sans qu’il n’en sache rien, ce dernier peut être tranquillement conduit au lieu même de drame pour y présider une rencontre de football fut-elle importante ? Est-ce que la Police, les service de Renseignements, la Garde républicaine, le Protocole d’Etat, et toutes les structures informelles qui squattent le Renseignement ivoirien, ne lui auraient pas soufflé quand même un petit mot ? Ne serait-ce que par mesure de sécurité. Parce qu’envoyer un chef d’Etat dans un lieu où il s’est produit quelques instants auparavant un drame de cette ampleur, n’est-ce le pas lui faire courir un risque certain ? Laurent Gbagbo, si on part de ces faits-là, a été nécessairement informé de la tragédie avant de fouler le sol du stade Houphouët-Boigny. Donc, il savait. Et s’il savait pendant qu’il fêtait l’exploit des Eléphants au stade Houphouët-Boigny, que peuvent bien signifier les larmes qu’il a déversées avant-hier au Plateau ? Comment peut-on fêter un événement et le pleurer par la suite ?
Edgar Kouassi
La première, du reste la plus répandue pour avoir été diffusée la veille par la télévision nationale, était celle du chef de l’Etat pleurant à chaudes larmes devant le pupitre où il avait été invité à rendre hommage aux victimes des événements tragiques du stade Houphouët-Boigny. L’image montrait un Laurent Gbagbo méconnaissable d’émotion, la gorge nouée et les joues inondées de larmes. Les images de la télévision nous avaient bien montré la veille que, alors qu’il avait entamé son discours, notre pauvre président n’avait pu le poursuivre plus longtemps, stoppé qu’il a été net par d’indociles sanglots qui le rendaient inaudible. Lesquels sanglots avaient d’ailleurs eu pour effets contagieux de faire rougir quelques yeux dans l’assistance.
La deuxième image diffusée, elle, par un seul quotidien de la place, était plutôt aux antipodes de la première. Elle montrait des stars de notre football, les très adulés Eléphants, Didier Drogba en tête, en pleine démonstration de danse dans une boîte de nuit de la place. Le journal étalait à sa Une le capitaine de notre Onze nation ainsi que le virevoltant Kader Kéita se trémoussant au rythme du « Kpangô », danse en vogue en ce moment à Abidjan. Et l’article de révéler que c’est quasiment l’équipe au grand complet qui s’est ainsi déployée dans les night clubs abidjanais pour faire la fête.
Ces deux images, pour le moins antinomiques, si vous ne l’aviez pas encore compris, gravitent autour d’un événement : le match du football comptant pour les éliminatoires CAN-Mondial, qui a opposé dimanche dernier, les Eléphant de Côte d’Ivoire aux Flames du Malawi, et qui s’est soldé par la victoire sans appel des pachydermes ivoiriens : 5 buts à 0. Le lien entre Gbagbo et les Eléphants s’agissant de ce match, c’est que Drogba et ses coéquipiers l’ont joué sur le terrain, avec toute la maestria que l’on a pu voir en direct à la télé, et Gbagbo en a vécu les effets émotionnels avec les salves d’applaudissements, le tour d’honneur, les congratulations des athlètes, etc. C’est-à-dire que pendant que Drogba marquait des buts, Gbagbo exultait et sautait de joie dans les tribunes.
Mais alors, pourquoi après cette éclatante victoire, Gbagbo et les Eléphants ne sont pas sur la même longueur d’onde ? Pourquoi l’un pleure et les autres dansent ? Puisqu’il s’agit de victoire, pourquoi ne dansent-ils pas à l’unisson ?
C’est que pendant que Drogba catapultait les balles au fond des filets des pauvres malawites et que Gbagbo criait de joie dans les tribunes, dix-neuf Ivoiriens étaient censés avoir été tués, écrasés dans une bousculade et 132 autres blessés plus ou moins grièvement, avant même le début de la rencontre. Et tout cela parce qu’ils voulaient avoir accès au stade. Donc, pour regarder Didier Drogba et ses coéquipiers jouer, 19 Ivoiriens sont morts pour la plupart, très jeunes. L’explication de ces deux attitudes contraires (les pleurs de Gbagbo et les bastringues des Eléphants) sont donc à rechercher au niveau de la réception de l’information. Pendant le match, les Eléphants et Laurent Gbagbo étaient-ils informés de la tragédie ? Apparemment, selon ce que la presse a pu recueillir comme information, les Eléphants étaient totalement dans le flou. «Nous n’avons été tous au courant que le soir vers 22 heures à l’hôtel », s’est défendu Drogba et ses coéquipiers. Ça veut dimanche à 22 heures, pour un match qui a pris fin aux environs de 19 h 00. Donc entre 19 h et 22 heures, aucun parent, copain (ou copine) de ces éléphants n’a daigné passer le moindre coup de fil aux héros d’un jour. Même pas pour leur dire un petit bravo.
Mais, admettons même qu’ils aient été informés à 22 heures, l’ampleur du drame et surtout sa motivation, ne commandaient-il pas à ces Eléphants d’éviter de se pavaner dans les boîtes de nuit ? Même s’ils avaient été à une partie strictement privée, était-ce moralement décent pour les Eléphants d’aller danser quand ils venaient d’apprendre que 19 personnes, leurs compatriotes, parmi lesquels des enfants de dix ans, sont morts dans des conditions effroyables, à cause d’eux ? Croyaient-ils pouvoir se cacher ? Est-il possible à ces stars qui font vibrer des millions de leurs compatriotes chaque semaine par la magie de la télévision, de se cacher à Abidjan ? Ils auraient même dansé dans leurs chambres d’hôtel que cela aurait été su.
C’est une énorme déception que les Eléphants ont infligée aux Ivoiriens. C’est une marque d’inconscience extraordinaire dont ils ont fait preuve dans ce drame. Et dire que, dès le lendemain de ce show, la bouche encore pâteuse, certains d’entre les fêtards, Didier Drogba encore en tête, comme s’ils étaient brusquement redescendu sur terre, ont entrepris de nous distraire en versant devant les cameras de la télévision, des larmes de crocodile.
En ce qui concerne maintenant Laurent Gbagbo, la question à laquelle personne n’ose encore répondre, c’est celle de savoir si le Président était, oui ou non, informé du drame avant de pénétrer le stade, de faire le tour d’honneur, saluer les jeunes, en congratuler certains, de plaisanter avec d’autres et de jubiler dans les tribunes à chaque exploit des joueurs ?
Est-ce qu’il est possible de cacher à un Président de la République une information de la gravité de la catastrophe du stade Houphouët-Boigny ? Est-ce que, par surcroît, sans qu’il n’en sache rien, ce dernier peut être tranquillement conduit au lieu même de drame pour y présider une rencontre de football fut-elle importante ? Est-ce que la Police, les service de Renseignements, la Garde républicaine, le Protocole d’Etat, et toutes les structures informelles qui squattent le Renseignement ivoirien, ne lui auraient pas soufflé quand même un petit mot ? Ne serait-ce que par mesure de sécurité. Parce qu’envoyer un chef d’Etat dans un lieu où il s’est produit quelques instants auparavant un drame de cette ampleur, n’est-ce le pas lui faire courir un risque certain ? Laurent Gbagbo, si on part de ces faits-là, a été nécessairement informé de la tragédie avant de fouler le sol du stade Houphouët-Boigny. Donc, il savait. Et s’il savait pendant qu’il fêtait l’exploit des Eléphants au stade Houphouët-Boigny, que peuvent bien signifier les larmes qu’il a déversées avant-hier au Plateau ? Comment peut-on fêter un événement et le pleurer par la suite ?
Edgar Kouassi