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Société Publié le mercredi 8 avril 2009 | Nord-Sud

Fernand Julien Gauze (Ong Adjl-ci) : “Chaque Ivoirien est corrupteur ou corrompu”

Le débat sur l'enrichissement illicite ouvert la semaine écoulée par Nord-Sud Quotidien a eu un intérêt réel dans le monde de la société civile. Nous vous proposons la contribution de l’Ong « Agir pour la démocratie, la justice et la liberté en Côte d'Ivoire » (Adjl-ci).


Quelles sont les origines de ces maux ?

Ces maux affligent et rongent hélas tous les pays africains, qui ont généralement tous en commun d'être pauvres et mal « gouvernés ». En Côte d'Ivoire, alors qu'ils étaient latents jusque vers la fin des années 1990, ils ont atteint des niveaux et des proportions incroyablement élevés au cours des années 2000 marquées par la longue crise socioéconomique dont notre pays essaie de sortir péniblement. Plusieurs raisons semblent expliquer cette dérive morale malheureuse, rampante, qui menace gravement les fondements moraux de notre société et pourrait hypothéquer sérieusement les acquis historiques de notre pays et réduire sa capacité à rebondir économiquement dans la période post-crise. Parmi ces raisons, il y a bien sûr la crise sociopolitique, qui offre un prétexte d'autant plus confortable qu'elle dure depuis trop longtemps et qu'elle a déstabilisé le fonctionnement régulier des institutions étatiques, déstructuré l'économie et disloqué de nombreuses familles. Certains de nos compatriotes ont soit perdu des êtres chers, soit le fruit de l'épargne de toute leur vie, soit à la fois des parents, des biens et leurs emplois. En outre, les salaires qui sont restés à un niveau trop bas depuis plusieurs décennies, alors que l'inflation galope, ont également favorisé la recherche à tout prix et par tous les moyens, de ressources « complémentaires », créant ainsi chez de nombreux fonctionnaires la tentation de faire monnayer les services pour lesquels ils sont normalement rémunérés par l'Etat. Enfin, il y a cette impression généralisée de laxisme dans la gestion des ressources publiques et son corollaire malheureux, l'impunité. Un tel « vole », rien ne lui arrive et il nargue tout son voisinage avec son nouveau véhicule 4x4 aux vitres teintées. Forcément, cela donne des idées et la contagion gagne de proche en proche…


Qui en sont les auteurs ?

Cela dépend de la nature même des maux incriminés. Globalement, la corruption est devenue endémique dans tout le pays et elle touche tous les secteurs d'activités : l'agent de police, le fonctionnaire de justice, l'agent de la Cie ou de la Sodeci qui relève les indices des compteurs, le comptable qui édite les factures des clients ou perçoit leurs règlements, bref, en Côte d'Ivoire aujourd'hui, pratiquement chaque Ivoirien est, au moins occasionnellement, soit corrupteur, soit corrompu. C'est, peut-être même avant le football, le sport national le plus pratiqué, par tous, femmes et hommes, jeunes et vieux, analphabètes ou professeurs d'université, médecins, etc.. La grande différence, par rapport au vrai sport qu'est le football, c'est que ce sport-là n'aime ni la clameur publique, ni le plein air. Il se joue à l'ombre des bureaux, dans le chuchotement ou dans l'échange de regards complices suivi du geste qui fait passer un billet froissé d'une main à l'autre, notamment au bord des routes, à travers les portières des véhicules…

Les détournements de deniers publics, la gabegie et l'enrichissement illicite sont des pratiques plus « élitistes ». C'est tel ministre qui agit à travers des collaborateurs choisis dans son parti ou sa famille. C'est le chef d'entreprise, notamment publique, qui opère par des surfacturations, des marchés de gré à gré octroyés dans l'opacité totale ou par des missions fictives, multiples, répétitives qui n'ont d'autre objet que de « pomper » l'argent public. C'est le décideur de tout rang qui, en faisant la promotion de personnes sans mérite réel, les parachute à des postes « juteux » uniquement pour servir ses intérêts privés et inavouables. C'est tout cela les détournements de deniers publics, le laxisme, la gabegie, le népotisme qui sont des choses favorisées par l'absence de contrôle ou des contrôles complaisants, le manque de rigueur et de transparence à divers niveaux de responsabilité de l'Etat, et surtout, par l'impunité qui est la mère de toutes les vilenies qui minent notre pays.


Quel est leur impact sur la société ?

Economiquement, il est difficile d'évaluer les montants qui sont ainsi dissipés à la faveur de ces mauvaises pratiques qui privent l'Etat de moyens colossaux dont il a besoin pour poursuivre ses efforts de développement. S'agissant par exemple des rackets, chacun de nous mesure leur impact sur la fluidité routière, sur le renchérissement des prix des produits agricoles dont le transport sur nos routes fait l'objet de tracasseries qui ont été maintes fois soulignées et dénoncées, mais subsistent encore. Je ne voudrais surtout pas remuer le couteau dans des plaies encore ouvertes, mais il se murmure que la tragédie du stade Houphouët-Boigny aurait un rapport avec notre tendance collective au laxisme, à l'argent facile, au racket…
Dans tout pays, la corruption endémique comme celle qui sévit chez nous, les détournements des deniers publics et la gabegie, favorisés par l'impunité, sont des freins au développement. Ce sont des maux qui sapent les fondements moraux d'une société. Ils encouragent non pas la saine émulation et la promotion par le mérite et la recherche de l'excellence, mais l'avènement d'une race de citoyens ripoux, et donnent de la nation une image écornée, honnie, négative, qui éloigne les investisseurs. Selon le classement 2006 d'Amnesty International, la Côte d'Ivoire fait partie des 25 nations les plus corrompues au monde puisqu'elle est classée 154 sur 179. En mettant bout à bout la corruption généralisée, érigée en sport national, la guerre et la crise politique et économique qui elles durent depuis plusieurs années, cela ne peut qu'offrir un cocktail Molotov, forcément explosif : d'où l'éloignement des investisseurs étrangers, donc la raréfaction des emplois, l'augmentation du chômage et de l'insécurité. N'oublions pas que selon des statistiques officielles récentes, 49% de nos concitoyens vivent en-dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins d'un dollar US par jour. C'est insupportable. Et il faut réagir vite, et agir durablement pour redresser la mauvaise tendance.

NB : Prochainement, les contributions d’autres Ongs et les propositions de solution de
ADJL-CI
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