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Showbizz Publié le vendredi 10 avril 2009 | L’intelligent d’Abidjan

Alif Naaba, artiste-chanteur burkinabè : "La musique burkinabè, une musique d’avenir"

Alif Naaba ou le Prince aux pieds nus. Il est sans conteste l’un des artistes qui compte au Burkina Faso et qui fait son trou dans le cercle des grands, par sa musique qu’il définit – lui-même – difficilement le genre. Un son métis aux pulsions Jazz et Folk qui séduit absolument et berce une conscience qui traverse les cultures et les rythmes quand lui-même reste au carrefour des cultures. Valeur sûre de la musique africaine, Alif captive à partir de Regards métis (2004) et Foo en 2005 – premier et 2è album. 2006, année de la grande récolte : Kundé du public, Meilleur album de la Diaspora, Clip d’or, meilleure chanson francophone avec le titre « Enfin ce soir ». Avec Wakat, son troisième et dernier album sorti au Burkina Faso en mars 2009, Alif veut être au sommet. Actuellement au Rwanda pour une création musicale sur les 15 ans du génocide qui a lieu et annoncé à Abidjan pour la 2è édition du FEMUA, il s’est confié à l’IA à Ouaga.


Alif Naaba quitte Abidjan en 2003 pour une destination nouvelle, Ouagadougou, où vous réorientez votre carrière. Il fallait le faire ce déplacement ?

Je suis comme un oiseau qui survole les eaux. Abidjan était une étape. A un moment de ma carrière, j’y étais pour – surtout – apprendre et expérimenter des choses. Dont des techniques de chants et comment affronter un public. C’est le B-A-BA qu’il faut en musique. En 99, j’avais enregistré à Abidjan « Regards métis » qui n’a, malheureusement, pu sortir. Faute de moyens. En 2003, je décide de rentrer au Burkina et de le sortir parce qu’un disque, on ne le met pas dans le tiroir. On le met sur le marché et on permet au public de juger. Ce sont ces raisons qui m’on emmené au Burkina.


Parlant de techniques de chants expérimentées depuis Abidjan, une personne, votre mère, reste au cœur de la musique d’Alif Naaba et la formation auprès d’elle compte énormément…

Oui. Ma mère est chansonnière traditionnelle. Donc, c’est une transmission qui se fait directement et de façon naturelle. C’est le plus bel héritage que j’ai eu. La chance m’a été donnée d’avoir une mère qui me chantait des berceuses et qui me transmettait toute cette mélancolie qu’elle a. C’est un gros apport. C’est la meilleure où j’ai été. En plus de cela, j’ai été influencé, comme les jeunes de ma génération, par d’autres musiques, divers courants musicaux, et d’autres rythmes. Je prends pour base celle que j’ai eue de ma mère. J’essaie d’y mettre des épices qui viennent des influences que j’ai eue.


Après Foo, le deuxième album, le mois de mars 2009 est le bon moment pour mettre sur le marché discographique Wakat, le troisième. Devrait-on dire « envol » véritable ?

Wakat, sous un angle, signifie l’envol. Effectivement, c’est ce qui m’est venu à l’esprit. Mais Wakat traduit le bon moment pour l’envol. C’est un album enregistré ici à Ouaga parce que je voulais aussi ressortir toute cette chaleur qui s’y dégage ; le bruit des motos le matin. J’avais envie que ce parfum se dégage dans tout ce qui, en Ouagadougou, est atypique. J’ai enregistré avec des musiciens – mon groupe – que j’ai formés ici. Pour moi, c’est un album qui doit partir de Ouaga et toucher le monde entier.


Avec escale à Abidjan sûrement …

C’est un marché qui est important pour moi. Mon parcours a commencé par Abidjan. Partir de là et me faire connaître c’est un rêve que je caresse. Avec le FEMUA, c’est le début de ce rêve où je vais rencontrer la presse ivoirienne, le public et leur proposer ce que nous faisons afin qu’ils connaissent Alif Naaba. Les valeurs qu’on chante concernent toute l’Afrique et le monde entier.


Le parfum d’Abidjan manque-t-il à Alif Naaba ?

Bien sûr ! Mais, j’ai la chance d’y aller régulièrement et de récolter les parfums qui se dissipent dans l’air. Les rattraper comme si c’était physique. Je dirai que le parfum d’Abidjan n’est pas aussi loin de celui de Ouagadougou. C’est vrai qu’il est différent mais, on y trouve une senteur qui se ressemble. Aujourd’hui, je serai heureux de proposer à Abidjan un parfum du Burkina.


Comment jugez-vous le public burkinabè dans la relation public-artiste ?

Ça n’a pas été facile au début. Mais j’ai une approche qui est peut-être différente. C’est de caricaturer les thèmes du quotidien : l’amour, l’hypocrisie, le pardon, le respect de l’aîné. Les valeurs que je chante sont des choses réelles dans le quotidien du Burkina. Ma particularité, ma musique sonne différemment de ce qu’on a.


Comment réussissez-vous cette intégration sur un espace où est présent Bill Aka Kora et bien d’autres ?

Tout d’abord, j’ai appris une chose de ma mère qui est l’humilité, savoir qui tu es, connaître ta place. C’est ce comportement que j’ai essayé de suivre. Je me suis toujours dit qu’il n’y a pas d’impossible. Alors c’est de me donner les armes qu’il faut. Ça d’abord été l’humilité, le respect de ceux que j’ai trouvés ici, le respect de leur talent et de leur personne. C’est dans cette démarche que je suis. J’avoue que le public burkinabè a eu un regard très positif sur ma musique. Ce regard me donne d’avoir du souffle, de l’énergie pour continuer et dire que demain sera encore meilleur.


Alif Naaba, le Prince aux pieds nus. Ainsi vous appelle-t-on. L’on connaît la diva aux pieds nus, Cesaria Evora. Les Hindous, en respect de la scène, l’abordent pieds nus. Y a-t-il une explication particulière dans le vôtre ?

C’est très simple chez moi. Premièrement, j’adore beaucoup la terre. Vous voyez là on est chez moi. Au salon, vous allez voir un grand tableau qui symbolise la terre. J’aime être en contact avec la terre. Quelque part, je tiens cela de mon quotidien culturel, aussi de mes racines. Chez moi, je suis prince parce que descendant de cette famille qui est le Komkiss Tenga. Je sais que dans la cour du Naaba, dès que des chantres y rentrent pour jouer, ils se déchaussent. Avec respect et humilité, je considère – en face de moi – le public comme la cour, les rois. C’est quelque chose qui se fait un peu partout mais, chacun a son explication. La mienne se limite là. Il y a que cela m’a rendu atypique. J’adore Cesaria Evora que je salue au passage. Elle fait de la bonne musique. J’adore cet engagement et cette ligne exemplaire. Pour moi, c’est important parce que nous sommes tout à fait différents des Européens. Nous devons nous identifier de par ce qu’on est et de ce qu’on a : la culture.


Au Burkina Faso, Alif Naaba est aujourd’hui un artiste de renom. Un honneur pour vous d’être convié et à l’ouverture et à la cérémonie de clôture du Fespaco qui a fait participer, pour la première fois, neuf artistes nationaux ?

C’est un grand honneur pour moi. J’ai dit dans une interview que l’image et le son sont deux vrais compagnons. Je pense que les cinéastes l’ont compris. C’est un honneur pour nous musiciens de pouvoir apporter notre contribution à la réussite de la fête du cinéma qu’est le Fespaco ; partager avec nos amis les cinéastes et le public quelques moments de communion. Surtout, à l’occasion de sa 21è édition qui marque quarante ans d’existence. C’est le travail de professionnalisation de notre métier entamé depuis des années qui commence à se faire remarquer. Je profite de l’occasion pour tirer mon chapeau au comité d’organisation du Fespaco. C’est vrai que ça n’a pas été évident. C’est ainsi pour les grandes manifestations. Je dis à tous ceux qui viennent au Burkina que, de par cette occasion, c’est un portail qui est ouvert à tous les peuples du monde dont les expressions sont diverses à travers le cinéma – en particulier – et la culture, en général. C’est un espace qui permet aux Africains d’Afrique et ceux de la diaspora de pouvoir exposer leur talent. Nous retrouver dans cet espace en notre qualité de musiciens, on ne peut que tirer chapeau aux cinéastes. Bon vent donc au cinéma africain et que, vivement, les problèmes que rencontrent les cinéastes, nous puissions – étant engagés pour les cérémonies d’ouverture et autres – les peindre dans nos chansons afin que la situation change. Ce sera toujours un honneur pour nous de pouvoir contribuer.


Les problèmes sont divers selon le métier qu’on exerce. Quelles sont les difficultés rencontrées en terme de promotion de la musique burkinabè ?

La musique burkinabè est à sa phase de démarrage. Elle était en train de chercher ses marques. Depuis deux à trois ans, il y a, je peux l’avouer, une prise de conscience. Il y a une professionnalisation du métier par la formation des managers, des administrateurs. Des artistes reçoivent des formations soit en composition musicale soit en gestion de carrière. Ce qui est frappant au Burkina Faso, c’est de voir dans un paysage des talents qui se développent. Chacun ayant sa spécificité. Je pense que la musique burkinabè est une musique d’avenir. Je le dis en pesant très bien mes mots. C’est une musique qui, d’ici quatre à cinq ans, va détonner fort dans le climat musical en Afrique. Il va falloir, dès maintenant, commencer à jeter les regards vers le Burkina parce qu’on ne va pas finir de découvrir de gros talents. Parce que le Burkina a attendu longtemps, donc n’a pas exploité sa musique. C’est maintenant qu’elle le fait. C’est forcément quelque chose de nouveau ! C’est une musique qui est sur de bons auspices.


D’ici quatre à cinq ans, comment Alif voit-il sa musique ?

Beaucoup ouverte. Mais toujours teintée – en terme de rythmiques et de tradition – de toute la chaleur qu’il y au Burkina Faso. Dans ma vision, j’envisage de la diffuser partout, dans le monde. D’être au sommet. A partir de « Wakat » déjà on parle d’envol. Que cet envol, dans cinq ans, soit à plein temps. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est comme si nous étions au CP1. Il faut apprendre, obtenir dans ce qu’on fait, le doctorat et tout ce qu’il faut. J’ai beaucoup d’espoir en ce qui concerne ma musique. C’est surtout une musique qui va se situer dans la diversité étant entendu que le monde parle de diversité.


C’est une longue tournée qui débute avec Wakat, parlez-nous en…

Chaque tournée, pour moi, a sa particularité. En tant qu’artiste, j’acquiers beaucoup d’expériences. J’ai la chance de jouer souvent avec des aînés, donc d’apprendre leurs techniques. Savoir comment ils ont fait pour gérer leur carrière sur une période de 20, 30 voire 40 ans. Les tournées sont des moments d’apprentissage pour le groupe et moi.


La musique d’Alif Naaba est un mélange de Folk et de Jazz. Comment l’artiste définit-il le fond de sa musique ?

J’ai pour habitude de dire que je suis de toutes les cultures. Je suis né à partir de mille neuf cent….Je considère que tous ceux qui sont nés à partir de cette époque sont métis : dans la manière de voir les choses, de s’interroger, de se vêtir – la colonisation aidant. Nous sommes nés et avons trouvé des choses que nous avons touchées, senties et qui, forcément, reflètent notre travail. Ne voulant pas trahir ces choses, je me mets au carrefour ; là où mes pieds sont posés sur la culture, la musique traditionnelle de chez moi. Et mes ailes caressent et touchent toutes les musiques qui viennent d’ailleurs et que j’essaie d’ajouter à ma musique pour donner ce son, cette pulsion de Jazz – Folk. En même temps, ce son est moi : métis dans ma vision de voir et de sentir les choses.


Etant au carrefour des cultures, quelles ont été les influences sur votre musique ?

Beaucoup (il rit). C’est une question qu’on me pose et que j’ai du mal à répondre parce que j’ai écouté beaucoup de musiques : mandingue, européenne, toutes les musiques ! Mais celle qui reste fondamentale – pour moi – c’est la musique de ma mère.

Parlant d’aînés, la musique d’Alif est très appréciée de Manu Dibango. Cette rencontre avec l’aîné a-t-elle été un rêve qui a fini par se réaliser ?
Bien sûr ! Le rêve pour tout artiste c’est de rencontrer un gros monument. Je me rappelle que c’était dans la cour d’Africa N°1. Manu Dibango avait déjà découvert « Bohi » – un de mes titres que j’ai chanté avec une Malgache – qu’il avait adoré. Cette rencontre a été très magique car elle m’a permis de rencontrer un Monsieur que j’admirais déjà tout petit. J’ai beaucoup été trempé par la simplicité, la sagesse et la sérénité de l’homme. Ce sont là des caractères pour un artiste qui veut aller loin. C’est un jour que je garderai longtemps dans ma vie parce que de telles rencontres revigorent et donnent de la force et de la hargne dans notre combat ; elles dynamisent nos rêves que nous rendrons sûrement physiques.


A l’écoute de votre musique, l’on est invité dans des balades qui rappellent, par endroits, Touré Kunda. Donc une rythmique qui crée un pont avec le Sénégal…
Touré Kunda fait partie des premiers groupes musicaux que nous avons écoutés en Afrique. C’était magique ce son et il fallait qu’il naisse. J’adore beaucoup ce qu’ils font. C’est un honneur, pour moi, si j’arrive à sonner comme eux. C’est très intéressant ! C’est dire que le métissage dont je parle touche le Sénégal. Si le Burkina, aussi bien que le Sénégal, accepte ma musique et ressent quelque chose, cela veut dire qu’il y a un pas de gagner dans ma démarche qu’il ne faut pas ignorer. En tant que musicien de ma génération, nous n’avons – peut-être – pas eu la chance d’avoir des têtes d’affiche au Burkina qui nous ont marqués, à un moment donné. Nous étions, jeunes artistes que nous sommes, obligés de tourner le regard vers le Mali, le Sénégal ; où il y avait des têtes d’affiche. C’est tout cela qui fait que, dans ma musique, on pourra ressentir un parfum du Sénégal ou même de l’Afrique centrale ! Mais, je reste citoyen du monde. Un Africain.


Quelles sont les prochaines dates pour Alif Naaba, à part le Femua bientôt ?

Avec la sortie de Wakat, nous sommes basés sur sa promotion au niveau national et international. Le 20 mars (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 7 mars 2009), nous serons ici au CCF pour un concert dédicace de l’album. A partir du 21 mars, je serai au Rwanda (Ndlr : où il est actuellement) pour travailler sur une création musicale « Nguino-Ubeho » qui porte sur les 15 ans de la commémoration du génocide rwandais. Le 10 avril, je serai au FEMUA – à Abidjan. Après, je retournerai au Rwanda pour continuer la création. Ensuite, nous serons en tournée en été, en Europe. Ainsi de suite jusqu’en octobre 2009…Le 23 mai, un concert géant est prévu à Ouagadougou pour l’album Wakat. Au titre des projets, j’ai hâte de regagner Paris et mettre à la disposition du public français l’album Wakat ; autre projet, c’est aussi sortir à Abidjan un album.


Le public abidjanais qui t’y attend à l’occasion de la deuxième édition du Festival des musiques urbaines d’Abidjan découvrira – même si tout y a commencé – la musique d’Alif Naaba. Quelle est la note à leur endroit ?

D’abord des salutations suivies d’un message d’amour. Dire qu’on a tous pleuré quand la Côte d’Ivoire a traversé ses moments difficiles. Heureusement que Dieu est là pour guider les pas de tout un chacun. C’est un peuple qui porte l’Afrique ; accepte de s’asseoir et discuter. Je suis très pressé d’aller à Abidjan.


Réalisée à Ouagadougou par Koné Saydoo
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