Denis Kah Zion, Directeur général et gérant du groupe de presse "Le Réveil" a mis à profit ses congés annuels pour aller à Toulépleu, rendre visite à ses parents, échanger avec eux et leur faire aussi d'importants dons : équipements médical et sportif. Entretien résumé d'un séjour très chargé.
M. Kah Zion, en Août 2008, revenu de Toulépleu, vous avez décrit la situation précaire dans laquelle vivent vos parents. Vous revenez du village ces jours-ci où vous avez passé une partie (une semaine) de vos vacances. La situation a-t-elle évolué à Toulépleu ?
Malheureusement, non et non ! Le tronçon Blolequin-Toulépleu est toujours non bitumé. Aucun projet de désenclavement n'est à l'ordre du jour. La seule chance que j'ai eue cette fois-ci c'est que je me suis rendu au village en saison sèche. Pour les 4X4, la voie est donc praticable avec un temps record de 2 heures sur 57 kms. Les voies reliant les autres villages sont dans un état piteux. Le seul progrès à saluer c'est le pont de Douozon qui facilite l'accès de PANTROKIN à PAHOUBLY. Ce qui n'était pas le cas dans le 2e trimestre de 2008. A Toulépleu, la télévision ne peut être toujours captée. Pour espérer être au même niveau d'information que tous les Ivoiriens, il faut posséder une antenne parabolique. Radio Côte d'Ivoire et radio ONUCI FM n'émettent toujours pas. Pas de journaux vendus à Toulépleu. Nos parents n'ont aucune information sur la vie de leur patrie. Leurs postes radios ne captent que les chaînes libériennes et radio Mont Seité qui vient d'être rénovée grâce à l'ONUCI. Cette dernière, la radio locale, leur fait oublier de temps en temps les ténèbres dans lesquelles ils vivent depuis décembre 2002. A Toulépleu, il n'y a pas de banque. La Coopec réouverte ne peut offrir qu'en dessous de 100.000F à chacun de ses adhérents. La poste n'est toujours pas fonctionnelle, ses bâtiments ayant été bombardés fin 2002 pendant la guerre. Que vous dire d'autre ? Tout simplement que Toulépleu, et cela personne ne peut le contester, ressemble à tout sauf à un département qui a pratiquement l'âge de la Côte d'Ivoire. Dans les villages et dans les villes (Toulépleu, Bakoubly, Péhé, Tiobly) c'est la misère totale. C'est peu dire d'affirmer que chacun se nourrit comme le têtard c'est-à-dire le jour où il a la chance de trouver quelque chose à manger, il mange ; dans le cas contraire, il dort le ventre creux.
Les faits et les images que vous évoquez paraissent un peu excessifs, non ?
Non, ils reflètent la réalité. Allez à Toulépleu et vous vous rendrez compte. Allez à Toulépleu et vous reviendrez les larmes aux yeux ou peut-être vous n'aurez plus l'envie d'y aller si vous n'êtes pas originaire de la région.
Et pourtant, ex-zone de guerre, Toulépleu devrait bénéficier des avantages post crise de la zone Centre, Nord, Ouest ?
C'est à cela que moi aussi je pensais. Pour moi, Toulépleu, Blolequin tout comme les régions de Korhogo, Odiénné, Man, Bouaké et autres devraient être logées à la même enseigne. Ce rêve tant caressé n'a jamais été réalisé. Toutes les œuvres humanitaires sont destinées aux zones Centre, Nord, Ouest montagneux sauf à Blolequin et Toulépleu. Deux départements où ont eu lieu de rudes combats et qui ont été libérés par nos loyalistes mais surtout par les jeunes de la région. Des parents ont dû aller se réfugier au Liberia, d'autres (ceux qui ont eu la chance) ont pu s'exiler vers les grandes villes de la Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, comme grandes interventions à caractère humanitaire, il y a les écoles primaires publiques et certains centres de santé qui ont été tous réhabilités par l'ONG (salvatrice) "Solidarités". A cela, il faut ajouter deux ou trois ponts réhabilités aussi par les forces impartiales d'ONUCI. A part ces notes positives, rien d'autre de façon concrète. Et pourtant, au Nord et au Centre, les populations bénéficient d'aliments, de médicaments, de manuels scolaires (pour les élèves) et de bien d'autres choses. Toulépleu et Blolequin sont-ils exclus de la zone CNO parce que leurs enfants se sont battus pour que la guerre ne s'y installe pas durement ? Y a-t-il un tort à le faire ? Je m'interroge et avec moi les populations de ces deux départements qui ont failli disparaître de la carte de la Côte d'Ivoire si leurs enfants n'avaient pas bravé les armes. Ces jeunes abandonnés eux-mêmes après la guerre. Ils font entendre leurs voix pour leur réinsertion sociale ou pour leur intégration dans l'armée. Combien d'entre eux auront-ils la chance d'être "embauchés" un jour par le chef de l'Etat Laurent Gbagbo ?
Mais est-ce que l'exclusion de Toulépleu et de Blolequin de la zone CNO a été exprimée clairement au moins une fois au gouvernement ?
Je crois savoir que c'est le gouvernement qui a délimité la zone CNO. C'est donc au gouvernement qu'il faut poser la question pour comprendre pourquoi ce système de deux poids deux mesures qui pénalise tant notre région.
Les cadres et élus devraient monter au créneau tout de même s'il y a un silence autour de cette question…
… Vous avez raison. Parce que si notre région est oubliée, c'est à nous de saisir ceux qui nous ont oubliés, leur présenter la situation dramatique dans laquelle vivent nos parents. Mais laissez-moi vous faire cet aveu : ce qui tue Toulépleu que je connais plus que Blolequin, c'est la politique politicienne. Voilà une région où il y a de hauts cadres, des cadres moyens, des officiers supérieurs et des officiers des FDS. Mais ils n'ont jamais accepté de se reconnaître en un leader charismatique. D'Houphouët-Boigny à Gbagbo en passant pas Bédié et Guéï, les querelles politiques ont toujours pris le pas sur le développement socio-économique de la région. Les cadres se torpillaient par partis politiques interposés sous le régime PDCI. Aujourd'hui, la situation est plus grave et plus triste. Les cadres du FPI se regardent en chiens de faïence. Ils ne se parlent même pas. Le FPI de Affi N'guessan a 4 têtes à Toulépleu. Et ce n'est pas tout, nous dit-on, d'ici les élections locales, on aura un FPI serpent de mer à 10 têtes. Je peux, sans me tromper, dire que l'entente et la solidarité entre les cadres de Toulépleu étaient perceptibles sous le FPI. Du reste relativement. Aujourd'hui, ils s'insultent même les cérémonies funèbres. Pour tout dire, c'est la politique du "THÔGÔGNINI" qui tue Toulépleu. C'est cela, hélas la triste réalité face à laquelle nous assistons tous impuissants. Et les grosses victimes de cette politique du "ôte toi que je m'installe" ce sont nos parents qui manquent de soins médicaux, dont les greniers, depuis plus de 6 ans, sont vides, vivant dans des villages pour la plupart sans électricité et sans eau potable. Le décor à Toulépleu est plus que triste. Il faut un plan Marshall pour cette région qui a portant contribué à bâtir ce pays.
Le Chef de l'Etat considère pourtant Toulépleu comme un de ses bastions.
Si ce que vous dites est vrai, c'est que entre le Chef de l'Etat Laurent Gbagbo et Toulépleu c'est "je t'aime, moi non plus". Permettez-moi de ne pas faire pour l'instant de commentaire sur ce dépit amoureux. Ce que je peux toutefois dire, c'est que ceux qui se réclament de Gbagbo ou du FPI à Toulépleu (parce qu'il y a les deux clans : les pro-Gbagbo qui ne sont pas FPI et les militants du FPI) sont devenus ridicules. Ils militent sans savoir pourquoi ils le font parce qu'ils n'y gagnent rien. Parce qu'ils sont conscients qu'aucune des promesses faites par Gbagbo à nos parents quand il était à l'opposition n'a jamais été tenue. L'axe Blolequin-Toulépleu qu'il avait promis bitumer dès son accession au pouvoir ne l'a toujours pas été neuf ans après. Vous me direz que c'est parce qu'il y a eu la guerre. Mais il y a eu la guerre et la route de Mama a été bitumée. Il y a eu la guerre et des routes sont en train d'être bitumées au Nord. Un seul coup de pioche donné par Gbagbo pouvait même soulager cette région. Or, il semble qu'il n'existe aucun projet sur ce chapitre. Tous, nous commençons à comprendre pourquoi le premier magistrat de Toulépleu qui a fait espérer beaucoup a dit tout récemment que "c'est par erreur que Toulépleu se trouve en Côte d'Ivoire". Cette phrase, tout Toulépleu la commente et la médite encore.
Interview réalisée par Diarrassouba Sory
Photo : Kambi
M. Kah Zion, en Août 2008, revenu de Toulépleu, vous avez décrit la situation précaire dans laquelle vivent vos parents. Vous revenez du village ces jours-ci où vous avez passé une partie (une semaine) de vos vacances. La situation a-t-elle évolué à Toulépleu ?
Malheureusement, non et non ! Le tronçon Blolequin-Toulépleu est toujours non bitumé. Aucun projet de désenclavement n'est à l'ordre du jour. La seule chance que j'ai eue cette fois-ci c'est que je me suis rendu au village en saison sèche. Pour les 4X4, la voie est donc praticable avec un temps record de 2 heures sur 57 kms. Les voies reliant les autres villages sont dans un état piteux. Le seul progrès à saluer c'est le pont de Douozon qui facilite l'accès de PANTROKIN à PAHOUBLY. Ce qui n'était pas le cas dans le 2e trimestre de 2008. A Toulépleu, la télévision ne peut être toujours captée. Pour espérer être au même niveau d'information que tous les Ivoiriens, il faut posséder une antenne parabolique. Radio Côte d'Ivoire et radio ONUCI FM n'émettent toujours pas. Pas de journaux vendus à Toulépleu. Nos parents n'ont aucune information sur la vie de leur patrie. Leurs postes radios ne captent que les chaînes libériennes et radio Mont Seité qui vient d'être rénovée grâce à l'ONUCI. Cette dernière, la radio locale, leur fait oublier de temps en temps les ténèbres dans lesquelles ils vivent depuis décembre 2002. A Toulépleu, il n'y a pas de banque. La Coopec réouverte ne peut offrir qu'en dessous de 100.000F à chacun de ses adhérents. La poste n'est toujours pas fonctionnelle, ses bâtiments ayant été bombardés fin 2002 pendant la guerre. Que vous dire d'autre ? Tout simplement que Toulépleu, et cela personne ne peut le contester, ressemble à tout sauf à un département qui a pratiquement l'âge de la Côte d'Ivoire. Dans les villages et dans les villes (Toulépleu, Bakoubly, Péhé, Tiobly) c'est la misère totale. C'est peu dire d'affirmer que chacun se nourrit comme le têtard c'est-à-dire le jour où il a la chance de trouver quelque chose à manger, il mange ; dans le cas contraire, il dort le ventre creux.
Les faits et les images que vous évoquez paraissent un peu excessifs, non ?
Non, ils reflètent la réalité. Allez à Toulépleu et vous vous rendrez compte. Allez à Toulépleu et vous reviendrez les larmes aux yeux ou peut-être vous n'aurez plus l'envie d'y aller si vous n'êtes pas originaire de la région.
Et pourtant, ex-zone de guerre, Toulépleu devrait bénéficier des avantages post crise de la zone Centre, Nord, Ouest ?
C'est à cela que moi aussi je pensais. Pour moi, Toulépleu, Blolequin tout comme les régions de Korhogo, Odiénné, Man, Bouaké et autres devraient être logées à la même enseigne. Ce rêve tant caressé n'a jamais été réalisé. Toutes les œuvres humanitaires sont destinées aux zones Centre, Nord, Ouest montagneux sauf à Blolequin et Toulépleu. Deux départements où ont eu lieu de rudes combats et qui ont été libérés par nos loyalistes mais surtout par les jeunes de la région. Des parents ont dû aller se réfugier au Liberia, d'autres (ceux qui ont eu la chance) ont pu s'exiler vers les grandes villes de la Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, comme grandes interventions à caractère humanitaire, il y a les écoles primaires publiques et certains centres de santé qui ont été tous réhabilités par l'ONG (salvatrice) "Solidarités". A cela, il faut ajouter deux ou trois ponts réhabilités aussi par les forces impartiales d'ONUCI. A part ces notes positives, rien d'autre de façon concrète. Et pourtant, au Nord et au Centre, les populations bénéficient d'aliments, de médicaments, de manuels scolaires (pour les élèves) et de bien d'autres choses. Toulépleu et Blolequin sont-ils exclus de la zone CNO parce que leurs enfants se sont battus pour que la guerre ne s'y installe pas durement ? Y a-t-il un tort à le faire ? Je m'interroge et avec moi les populations de ces deux départements qui ont failli disparaître de la carte de la Côte d'Ivoire si leurs enfants n'avaient pas bravé les armes. Ces jeunes abandonnés eux-mêmes après la guerre. Ils font entendre leurs voix pour leur réinsertion sociale ou pour leur intégration dans l'armée. Combien d'entre eux auront-ils la chance d'être "embauchés" un jour par le chef de l'Etat Laurent Gbagbo ?
Mais est-ce que l'exclusion de Toulépleu et de Blolequin de la zone CNO a été exprimée clairement au moins une fois au gouvernement ?
Je crois savoir que c'est le gouvernement qui a délimité la zone CNO. C'est donc au gouvernement qu'il faut poser la question pour comprendre pourquoi ce système de deux poids deux mesures qui pénalise tant notre région.
Les cadres et élus devraient monter au créneau tout de même s'il y a un silence autour de cette question…
… Vous avez raison. Parce que si notre région est oubliée, c'est à nous de saisir ceux qui nous ont oubliés, leur présenter la situation dramatique dans laquelle vivent nos parents. Mais laissez-moi vous faire cet aveu : ce qui tue Toulépleu que je connais plus que Blolequin, c'est la politique politicienne. Voilà une région où il y a de hauts cadres, des cadres moyens, des officiers supérieurs et des officiers des FDS. Mais ils n'ont jamais accepté de se reconnaître en un leader charismatique. D'Houphouët-Boigny à Gbagbo en passant pas Bédié et Guéï, les querelles politiques ont toujours pris le pas sur le développement socio-économique de la région. Les cadres se torpillaient par partis politiques interposés sous le régime PDCI. Aujourd'hui, la situation est plus grave et plus triste. Les cadres du FPI se regardent en chiens de faïence. Ils ne se parlent même pas. Le FPI de Affi N'guessan a 4 têtes à Toulépleu. Et ce n'est pas tout, nous dit-on, d'ici les élections locales, on aura un FPI serpent de mer à 10 têtes. Je peux, sans me tromper, dire que l'entente et la solidarité entre les cadres de Toulépleu étaient perceptibles sous le FPI. Du reste relativement. Aujourd'hui, ils s'insultent même les cérémonies funèbres. Pour tout dire, c'est la politique du "THÔGÔGNINI" qui tue Toulépleu. C'est cela, hélas la triste réalité face à laquelle nous assistons tous impuissants. Et les grosses victimes de cette politique du "ôte toi que je m'installe" ce sont nos parents qui manquent de soins médicaux, dont les greniers, depuis plus de 6 ans, sont vides, vivant dans des villages pour la plupart sans électricité et sans eau potable. Le décor à Toulépleu est plus que triste. Il faut un plan Marshall pour cette région qui a portant contribué à bâtir ce pays.
Le Chef de l'Etat considère pourtant Toulépleu comme un de ses bastions.
Si ce que vous dites est vrai, c'est que entre le Chef de l'Etat Laurent Gbagbo et Toulépleu c'est "je t'aime, moi non plus". Permettez-moi de ne pas faire pour l'instant de commentaire sur ce dépit amoureux. Ce que je peux toutefois dire, c'est que ceux qui se réclament de Gbagbo ou du FPI à Toulépleu (parce qu'il y a les deux clans : les pro-Gbagbo qui ne sont pas FPI et les militants du FPI) sont devenus ridicules. Ils militent sans savoir pourquoi ils le font parce qu'ils n'y gagnent rien. Parce qu'ils sont conscients qu'aucune des promesses faites par Gbagbo à nos parents quand il était à l'opposition n'a jamais été tenue. L'axe Blolequin-Toulépleu qu'il avait promis bitumer dès son accession au pouvoir ne l'a toujours pas été neuf ans après. Vous me direz que c'est parce qu'il y a eu la guerre. Mais il y a eu la guerre et la route de Mama a été bitumée. Il y a eu la guerre et des routes sont en train d'être bitumées au Nord. Un seul coup de pioche donné par Gbagbo pouvait même soulager cette région. Or, il semble qu'il n'existe aucun projet sur ce chapitre. Tous, nous commençons à comprendre pourquoi le premier magistrat de Toulépleu qui a fait espérer beaucoup a dit tout récemment que "c'est par erreur que Toulépleu se trouve en Côte d'Ivoire". Cette phrase, tout Toulépleu la commente et la médite encore.
Interview réalisée par Diarrassouba Sory
Photo : Kambi