Dans le cadre du concept "Un concert, une école" initié par Tiken Jah Fakoly depuis peu, "Général" comme aiment l'appeler ses fans, donne un spectacle le samedi 25 avril prochain au Parc des sports de Treichville. Dans cet entretien qu'il nous a accordé au lendemain de celui de Guinée-Conakry (18 avril), l'enfant d'Odienné et auteur de "Radio Libre" demande aux Ivoiriens de prendre leur destin en main.
Récemment, le président du Togo, Faure Gnassingbé a fait mettre aux arrêts Kpatcha Gnassingbé, ministre de la Défense et député du RPT (parti au pouvoir) et Essolizam Gnassingbé, sous prétexte que ses frères fomenteraient un coup d'Etat contre sa personne. Quel commentaire Tiken Jah fait-il de cette guéguerre des frères Gnassingbé ?
Ce qui se passe aujourd'hui au Togo n'est pas étonnant. Parce que quand le pouvoir est légué aux enfants comme un héritage, chacun pense qu'il a sa part du gâteau. Donc ce qui se passe dans ce pays n'est pas une surprise. Faure est aujourd'hui au pouvoir et les autres se sentent un peu frustrés. Ils se disent qu'ils ont eux aussi droit à ce pouvoir. Si on était passé par des élections libres et transparentes, le Togo ne se serait pas trouvé dans cette situation. Mais comme le pouvoir a été reçu comme un héritage d'Eyadema, chaque fils Eyadema pense qu'il y a droit. J'espère seulement qu'ils trouveront une solution le plus rapidement possible pour que les Togolais connaissent enfin la tranquillité. En tout cas, moi, je ne suis pas du tout surpris de ce qui se passe au Togo.
Cette situation n'aura-t-elle pas d'incidence sur le programme de Tiken quand on sait que le Togo fait partie des sept (7) pays africains choisis pour abriter le concept "un concert, une école" que vous avez initié?
Non, pas du tout. Nous gardons notre programme intact. Rien ne justifierait un changement. Nous avons espoir qu'une solution rapide sera trouvée pour que les Togolais puissent bénéficier des retombées de ce concert à travers la construction ou la réhabilitation d'une école.
Il y a également le cas de la Mauritanie qui est préoccupante. Le président-militaire, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui avait, aux premières heures du coup de force, promis des élections en vue de remettre le pouvoir aux civils, semblerait être piqué par le virus du pouvoir. Au point où il envisage troquer son treillis contre un costume et être candidat à la présidentielle.
Je pense que j'ai été le seul artiste africain à entrer en studio et sortir un titre pour dire aux militaires que les coups d'Etat, c'est fini. Surtout qu'en Mauritanie, il y avait eu des élections libres et transparentes. Le peuple mauritanien avait choisi son président. Je suis contre la candidature du Général mauritanien. Je suis de ceux qui pensent qu'il doit organiser des élections et respecter ses engagements. Et sur mon album "Radio libre", il y a le titre "Mon général" et je pense que ce titre s'adresse directement à lui. Aujourd'hui, je pense que tous ceux qui se disaient "Tiken, pourquoi tu fais ça ? Tu t'attaques au gars", je pense qu'aujourd'hui, ils me donnent raison en se présentant aux élections présidentielles. Donc je garde ma position. Le Général doit organiser des élections libres et transparentes et laisser les Mauritaniens choisir leur président comme promis.
On se souvient, vous avez tenu le même discours au Président guinéen, le capitaine Moussa Camara Dadis. Il semblerait que lui aussi voudrait suivre la même voie que le chef de l'Etat mauritanien.
J'ai appris que le capitaine Dadis souhaiterait être candidat à l'élection présidentielle. Je ne pense pas que ce soit son souhait. Je pense que le Capitaine a dû dire les choses par énervement parce qu'il a l'impression que l'opposition le presse un peu trop, alors qu'il a un travail à faire. Je pense qu'il a dit cela sur le coup de l'énervement. Je ne pense pas qu'il ira jusqu'au bout. Parce qu'il s'est engagé et je pense qu'il a dû dire cela pour essayer d'effrayer un peu l'opposition. J'attends confirmation avant de me prononcer là-dessus. Lors du concert d'hier (Ndlr : samedi 18 avril au stade du 28 septembre de Conakry), j'ai essayé de passer des messages en parabole un peu par rapport à ma position. Comme pour l'instant, il n'y a pas de confirmation, j'attends. Sinon j'ai appris que c'est lors d'un meeting avec la jeunesse qu'il aurait dit que si les gens ne font pas attention, il va ôter son treillis contre la tenue civile et qu'il y a droit en tant que citoyen. J'attends donc confirmation ou infirmation avant de me prononcer totalement. Mais je pense que s'il venait à le faire, ce serait dommage pour la Guinée qui entrerait dans le même engrenage que la Côte d'Ivoire et je ne le souhaite pas. Si la candidature du Capitaine Dadis est confirmée, ce serait dommage pour la Guinée parce qu'elle partira tout droit vers un échec. Je pense qu'on n'en arrivera pas là. Comme je le dis, je pense que c'est par énervement parce que le Capitaine a l'impression que la société civile et l'opposition guinéenne poussent la communauté internationale contre lui, alors qu'il estime qu'il est en train de faire un travail de vrai balayeur de la maison. Parce que la lutte contre la corruption, elle est concrète. Ceux qui ont détourné de l'argent viennent parler directement à la télévision et les Guinéens sont témoins. La lutte contre la drogue est elle aussi concrète. Le Capitaine l'a sûrement dit sur le coup de l'énervement.
On dit des choses sous le coup de l'énervement mais qu'on ne pense pas forcément. Maintenant s'il venait à le confirmer, je rentre en studio comme pour feu le Général Guéi. Je l'ai promis et je vais le faire. Je l'ai dit au président Dadis Camara quand je suis passé en Guinée la dernière fois. Mais je pense que c'est quelqu'un qui a peut-être besoin d'un peu de temps parce que le travail qu'il est en train de faire n'est pas un travail pour l'opposition. Puisque aucun civil ne pourra venir s'attaquer directement aux trafiquants de drogue, aucun président civil ne pourra s'attaquer directement à la lutte contre la corruption. Et c'est ce que nous avons échoué en Côte d'Ivoire. Il n'y avait que le Général Guéi qui aurait pu réussir cela, surtout le racket des policiers, etc. Ce régime militaire aurait pu stopper tout ça. Malheureusement, on a échoué. En Guinée, il y a un travail extraordinaire qui est en train d'être fait par rapport à la lutte contre la corruption, la lutte contre la drogue. Il est en train de mettre la Guinée sur les rails et peut-être que le temps qui lui est imparti n'est pas assez. Il s'est engagé à organiser les élections et je souhaite sincèrement qu'il y ait un consensus entre les partis politiques, la société civile et le CNDD (Ndlr : Conseil national pour la démocratie et le développement) pour éviter que la Guinée connaisse l'échec et entre dans le même engrenage que la Côte d'Ivoire.
Que pense Tiken Jah des récents évènements en Guinée-Bissau avec l'assassinat du Président Lino Viéra ?
Je condamne totalement ce qui s'est passé en Guinée-Bissau. Ce n'est pas du tout bien pour notre image extérieure parce qu'il s'agit de l'assassinat d'un Président. Ça n'honore vraiment pas les Africains. Je retiens seulement que le fait qu'il n'y ait pas eu de réaction de la part de la population malgré l'assassinat du Président et du chef d'état-major, ça prouve que ses deux (2) personnalités n'avaient aucune cote de popularité auprès des Bissau-guinéens. Ça signifie qu'ils n'étaient pas avec le peuple. Mais en même temps je condamne la manière dont ils ont été assassinés. Ce n'est vraiment pas ce chemin que les Africains doivent emprunter mais plutôt celui de la démocratie.
Récemment, les délégués des Forces nouvelles ont demandé la démission du Premier ministre Guillaume Soro. Votre réaction sur cette sortie ?
Je ne connais pas exactement les tenants et les aboutissants de cette situation. Je l'ai appris sur RFI au passage. Je préfère me prononcer là-dessus quand je serai en Côte d'Ivoire (Ndlr : Mardi 21 avril) et que j'aurai toutes les informations. Mais ce qui est sûr, je pense qu'aujourd'hui il y a des efforts qui sont faits pour faire avancer le processus électoral et je pense aussi qu'il y a des gens en face qui font tout pour ne pas que le processus avance. Ce que je demande aux autorités, c'est qu'ils aient pitié de la Côte d'Ivoire. Qu'ils fassent tout pour que le processus électoral avance. Qu'ils fassent tout pour que les Ivoiriens puissent enfin élire leur président. Parce que ça fait dix (10) ans que nous ne sommes pas allés aux urnes. A mon sens, les partis de l'opposition devraient démissionner du gouvernement. Parce qu'on a l'impression que toute la classe politique, en tout cas, celle qui est représentée au gouvernement, est complice dans le retard du processus électoral. On a l'impression que chacun protège son fauteuil. Et c'est dommage. Moi je leur demande d'avoir un peu d'amour pour leur pays. Ils doivent tout faire pour organiser les élections cette année. Je ne suis pas le seul leader d'opinion qui le demande. J'ai lu une interview de Didier Drogba, il n'y a pas longtemps, qui demandait qu'on aille aux élections.
A ceux qui bloquent le processus, qu'ils sachent qu'ils sont en train de faire du mal à la Côte d'Ivoire. On a l'impression qu'on nous tourne en bourrique. Je pense que le programme du gouvernement actuel c'est la paix, la réconciliation et l'organisation des élections. Il y a beaucoup de chantiers qui nous attendent. Construire des écoles, des hôpitaux, des routes, offrir des emplois, etc. Malheureusement, on a l'impression que des gens ne veulent pas qu'on sorte de cette situation qui n'arrange pas le peuple. Ce n'est pas forcément le parti au pouvoir. Tout le monde est complice de cette situation. Parce que le Président et le Premier ministre sont à la tête, il y a derrière eux des ministres du FPI, du RDR, du PDCI, des ministres des partis politiques représentatifs qui sont au gouvernement. Pourquoi ceux-là ne démissionnent pas parce qu'ils sont en désaccord avec ce qu'ils avancent. Les Ivoiriens sont fatigués de cette situation. Il faut qu'on aille aux urnes et choisir librement notre président. C'est le seul moyen de mettre fin à la souffrance du peuple de Côte d'Ivoire.
Les Etats-Unis et la France ont, la semaine dernière, souhaité que les élections puissent se tenir cette année. Croyez-vous que cet appel peut faire avancer les choses ?
C'est une bonne chose que des puissances comme les USA et la France réagissent par rapport à la situation en Côte d'Ivoire. Cela démontre à quel point notre pays compte. Mais voyez-vous, ce n'est pas aux autres de faire notre bonheur à notre place. La décision d'aller aux urnes doit venir des Ivoiriens eux-mêmes. Malgré les appels des puissances étrangères, si les Ivoiriens eux-mêmes ne s'approprient pas le processus de sortie de crise, les choses ne bougeront pas. Je pense que la société civile ivoirienne peut faire bouger les choses. Si la société civile réclame les élections, il y a de fortes chances que les choses bougent et que nous sortions rapidement de cette situation qui n'a que trop duré.
Tiken croit-il encore en une société civile ivoirienne forte ?
En tout cas, je pense qu'il faut une société civile forte. S'il n'y en a pas, je crois que c'est le moment de la mettre en place. Parce que les politiques nous font tourner en bourrique. On a l'impression que chacun protège son fauteuil. La société civile ivoirienne doit demander les élections. Elle doit réclamer les élections à travers une grande marche. Les Ivoiriens doivent se donner la main et réclamer les élections en se mobilisant comme un seul homme pour dire on veut les élections maintenant. C'est le peuple qui a souffert, c'est le peuple qui souffre et c'est encore le peuple qui souffrira si cette situation ne change pas. Je demande donc à nos autorités d'avoir pitié des Ivoiriens et de la Côte d'Ivoire. Qu'elles organisent les élections pour que les Ivoiriens puissent enfin choisir leur président. Celui à qui ils feront confiance sera le président de tous les Ivoiriens. Je crois savoir qu'en 2000, ce sont 4,5 millions d'électeurs qui sont allés aux urnes. Aujourd'hui, si mes informations sont bonnes, c'est environ 6,7 millions d'Ivoiriens soit 70% de la population qui se sont fait identifier et enrôler. A partir de ces deux (2) chiffres, je pense qu'on peut aller aux élections. Il suffit de le vouloir et de tout mettre en œuvre pour cela.
Qu'est-ce que Tiken Jah recherche en décidant d'investir dans l'éducation ? Est-ce parce qu'il est riche aujourd'hui ?
Non, Tiken Jah n'est pas riche. C'est juste qu'il faut rendre gloire à Dieu et dire merci à tous ceux qui ont permis que je sois ce que je suis aujourd'hui. J'ai eu la chance de visiter beaucoup de pays africains. J'ai pu constater beaucoup de défaillances au niveau de l'éducation. On s'est alors demandé comment faciliter l'accès à l'éducation des jeunes. Voilà comment nous est venue l'idée de l'amélioration ou de la construction d'écoles ou de collèges. Sinon, ce n'est pas parce que Tiken Jah est riche. Grâce donc aux revenus issus de la billetterie, le concept " Un concert, une école " souhaite apporter une pierre à l'édifice : la construction de la jeunesse du continent.
Justement, dans le cadre de ce concept, vous donnez un concert le samedi 25 avril prochain au Parc des sports de Treichville. Les informations que nous avons font état de ce que le sponsor se serait retiré au dernier moment.
Votre information est juste. En effet, une société de téléphonie mobile qui s'était associée au concept s'est désengagée au dernier moment. C'est dommage ! Ça complique un peu la tâche. Mais je rassure la jeunesse ivoirienne d'Abobo, de Yopougon, d'Adjamé, de Port-Bouët, de Treichville, d'Attécoubé, de Marcory, du Plateau, d'Anyama, etc. que je serai bel et bien au Parc des sports de Treichville pour communier avec elle. J'estime que je me suis engagé à réhabiliter le groupe scolaire Biaffra de Treichville et je tiendrai mes engagements. Vous savez, nous sommes des guerriers et ce n'est pas la défection d'un sponsor qui nous fera reculer. Mais je pense que pour une œuvre humanitaire en faveur de cette école qui a fait beaucoup de cadres de ce pays, c'est vraiment dommage. Je ne suis pas fataliste ou disons que je ne fais pas la victime mais je pense que s'il y avait un sponsor, les retombées pour cette école seraient plus colossales. La question que je me pose et j'en suis certain, beaucoup d'Ivoiriens se la posent, c'est pourquoi Tiken Jah n'a pas de sponsor en Côte d'Ivoire lors de ses spectacles. Pour le concert "Le Retour", c'était la même chose. Aujourd'hui encore, le constat est le même. Je ne veux vraiment pas créer de polémique mais je dis que c'est dommage surtout qu'il s'agit pour moi de faire bénéficier, à travers mon image, l'éducation. Mais je fais avec, en sortant de l'argent de ma poche. Et comme c'est pour une bonne cause, je dis merci à Dieu. Mais il faut que les sponsors sachent que c'est eux qui ont besoin des artistes et non le contraire. Malheureusement c'est ce qu'on croit ici sous les tropiques. Je ne sais pas si c'est parce que Tiken Jah ne fait pas du "Couper-décaler". Je me pose la question. Sinon il y a eu des concerts avec I Jahman, avec Culture, etc. ici à Abidjan et il y a eu des sponsors. Tout le monde sait que Tiken Jah fait plus de public en Côte d'Ivoire que ces artistes reggae qui se sont produits ici. Il faut que les artistes comprennent que c'est les sponsors qui ont besoin d'eux et non le contraire. Parce que c'est eux qui drainent la foule dont ont besoin ces maisons. Je demande à tout le monde, à toute la jeunesse de venir massivement le samedi 25 avril prochain à partir de 14 heures poser un acte noble en participant à la réhabilitation d'une école. Parce qu'en achetant un billet, vous participez à la réhabilitation ou à la construction d'une école. Ce sera un grand moment de communion d'au moins 1h30 mn avec environ 29 titres. Je voudrais, pour terminer, dire sincèrement merci au groupe de presse "Le Réveil", à "Le Nouveau Réveil" et à "Le Repère" pour tout ce qu'ils font pour Tiken Jah. Merci du fond du cœur à votre Directeur général Kah Zion et à tout le personnel et bonne continuation.
Interview réalisée au téléphone par
Tréta Zounamana
Récemment, le président du Togo, Faure Gnassingbé a fait mettre aux arrêts Kpatcha Gnassingbé, ministre de la Défense et député du RPT (parti au pouvoir) et Essolizam Gnassingbé, sous prétexte que ses frères fomenteraient un coup d'Etat contre sa personne. Quel commentaire Tiken Jah fait-il de cette guéguerre des frères Gnassingbé ?
Ce qui se passe aujourd'hui au Togo n'est pas étonnant. Parce que quand le pouvoir est légué aux enfants comme un héritage, chacun pense qu'il a sa part du gâteau. Donc ce qui se passe dans ce pays n'est pas une surprise. Faure est aujourd'hui au pouvoir et les autres se sentent un peu frustrés. Ils se disent qu'ils ont eux aussi droit à ce pouvoir. Si on était passé par des élections libres et transparentes, le Togo ne se serait pas trouvé dans cette situation. Mais comme le pouvoir a été reçu comme un héritage d'Eyadema, chaque fils Eyadema pense qu'il y a droit. J'espère seulement qu'ils trouveront une solution le plus rapidement possible pour que les Togolais connaissent enfin la tranquillité. En tout cas, moi, je ne suis pas du tout surpris de ce qui se passe au Togo.
Cette situation n'aura-t-elle pas d'incidence sur le programme de Tiken quand on sait que le Togo fait partie des sept (7) pays africains choisis pour abriter le concept "un concert, une école" que vous avez initié?
Non, pas du tout. Nous gardons notre programme intact. Rien ne justifierait un changement. Nous avons espoir qu'une solution rapide sera trouvée pour que les Togolais puissent bénéficier des retombées de ce concert à travers la construction ou la réhabilitation d'une école.
Il y a également le cas de la Mauritanie qui est préoccupante. Le président-militaire, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui avait, aux premières heures du coup de force, promis des élections en vue de remettre le pouvoir aux civils, semblerait être piqué par le virus du pouvoir. Au point où il envisage troquer son treillis contre un costume et être candidat à la présidentielle.
Je pense que j'ai été le seul artiste africain à entrer en studio et sortir un titre pour dire aux militaires que les coups d'Etat, c'est fini. Surtout qu'en Mauritanie, il y avait eu des élections libres et transparentes. Le peuple mauritanien avait choisi son président. Je suis contre la candidature du Général mauritanien. Je suis de ceux qui pensent qu'il doit organiser des élections et respecter ses engagements. Et sur mon album "Radio libre", il y a le titre "Mon général" et je pense que ce titre s'adresse directement à lui. Aujourd'hui, je pense que tous ceux qui se disaient "Tiken, pourquoi tu fais ça ? Tu t'attaques au gars", je pense qu'aujourd'hui, ils me donnent raison en se présentant aux élections présidentielles. Donc je garde ma position. Le Général doit organiser des élections libres et transparentes et laisser les Mauritaniens choisir leur président comme promis.
On se souvient, vous avez tenu le même discours au Président guinéen, le capitaine Moussa Camara Dadis. Il semblerait que lui aussi voudrait suivre la même voie que le chef de l'Etat mauritanien.
J'ai appris que le capitaine Dadis souhaiterait être candidat à l'élection présidentielle. Je ne pense pas que ce soit son souhait. Je pense que le Capitaine a dû dire les choses par énervement parce qu'il a l'impression que l'opposition le presse un peu trop, alors qu'il a un travail à faire. Je pense qu'il a dit cela sur le coup de l'énervement. Je ne pense pas qu'il ira jusqu'au bout. Parce qu'il s'est engagé et je pense qu'il a dû dire cela pour essayer d'effrayer un peu l'opposition. J'attends confirmation avant de me prononcer là-dessus. Lors du concert d'hier (Ndlr : samedi 18 avril au stade du 28 septembre de Conakry), j'ai essayé de passer des messages en parabole un peu par rapport à ma position. Comme pour l'instant, il n'y a pas de confirmation, j'attends. Sinon j'ai appris que c'est lors d'un meeting avec la jeunesse qu'il aurait dit que si les gens ne font pas attention, il va ôter son treillis contre la tenue civile et qu'il y a droit en tant que citoyen. J'attends donc confirmation ou infirmation avant de me prononcer totalement. Mais je pense que s'il venait à le faire, ce serait dommage pour la Guinée qui entrerait dans le même engrenage que la Côte d'Ivoire et je ne le souhaite pas. Si la candidature du Capitaine Dadis est confirmée, ce serait dommage pour la Guinée parce qu'elle partira tout droit vers un échec. Je pense qu'on n'en arrivera pas là. Comme je le dis, je pense que c'est par énervement parce que le Capitaine a l'impression que la société civile et l'opposition guinéenne poussent la communauté internationale contre lui, alors qu'il estime qu'il est en train de faire un travail de vrai balayeur de la maison. Parce que la lutte contre la corruption, elle est concrète. Ceux qui ont détourné de l'argent viennent parler directement à la télévision et les Guinéens sont témoins. La lutte contre la drogue est elle aussi concrète. Le Capitaine l'a sûrement dit sur le coup de l'énervement.
On dit des choses sous le coup de l'énervement mais qu'on ne pense pas forcément. Maintenant s'il venait à le confirmer, je rentre en studio comme pour feu le Général Guéi. Je l'ai promis et je vais le faire. Je l'ai dit au président Dadis Camara quand je suis passé en Guinée la dernière fois. Mais je pense que c'est quelqu'un qui a peut-être besoin d'un peu de temps parce que le travail qu'il est en train de faire n'est pas un travail pour l'opposition. Puisque aucun civil ne pourra venir s'attaquer directement aux trafiquants de drogue, aucun président civil ne pourra s'attaquer directement à la lutte contre la corruption. Et c'est ce que nous avons échoué en Côte d'Ivoire. Il n'y avait que le Général Guéi qui aurait pu réussir cela, surtout le racket des policiers, etc. Ce régime militaire aurait pu stopper tout ça. Malheureusement, on a échoué. En Guinée, il y a un travail extraordinaire qui est en train d'être fait par rapport à la lutte contre la corruption, la lutte contre la drogue. Il est en train de mettre la Guinée sur les rails et peut-être que le temps qui lui est imparti n'est pas assez. Il s'est engagé à organiser les élections et je souhaite sincèrement qu'il y ait un consensus entre les partis politiques, la société civile et le CNDD (Ndlr : Conseil national pour la démocratie et le développement) pour éviter que la Guinée connaisse l'échec et entre dans le même engrenage que la Côte d'Ivoire.
Que pense Tiken Jah des récents évènements en Guinée-Bissau avec l'assassinat du Président Lino Viéra ?
Je condamne totalement ce qui s'est passé en Guinée-Bissau. Ce n'est pas du tout bien pour notre image extérieure parce qu'il s'agit de l'assassinat d'un Président. Ça n'honore vraiment pas les Africains. Je retiens seulement que le fait qu'il n'y ait pas eu de réaction de la part de la population malgré l'assassinat du Président et du chef d'état-major, ça prouve que ses deux (2) personnalités n'avaient aucune cote de popularité auprès des Bissau-guinéens. Ça signifie qu'ils n'étaient pas avec le peuple. Mais en même temps je condamne la manière dont ils ont été assassinés. Ce n'est vraiment pas ce chemin que les Africains doivent emprunter mais plutôt celui de la démocratie.
Récemment, les délégués des Forces nouvelles ont demandé la démission du Premier ministre Guillaume Soro. Votre réaction sur cette sortie ?
Je ne connais pas exactement les tenants et les aboutissants de cette situation. Je l'ai appris sur RFI au passage. Je préfère me prononcer là-dessus quand je serai en Côte d'Ivoire (Ndlr : Mardi 21 avril) et que j'aurai toutes les informations. Mais ce qui est sûr, je pense qu'aujourd'hui il y a des efforts qui sont faits pour faire avancer le processus électoral et je pense aussi qu'il y a des gens en face qui font tout pour ne pas que le processus avance. Ce que je demande aux autorités, c'est qu'ils aient pitié de la Côte d'Ivoire. Qu'ils fassent tout pour que le processus électoral avance. Qu'ils fassent tout pour que les Ivoiriens puissent enfin élire leur président. Parce que ça fait dix (10) ans que nous ne sommes pas allés aux urnes. A mon sens, les partis de l'opposition devraient démissionner du gouvernement. Parce qu'on a l'impression que toute la classe politique, en tout cas, celle qui est représentée au gouvernement, est complice dans le retard du processus électoral. On a l'impression que chacun protège son fauteuil. Et c'est dommage. Moi je leur demande d'avoir un peu d'amour pour leur pays. Ils doivent tout faire pour organiser les élections cette année. Je ne suis pas le seul leader d'opinion qui le demande. J'ai lu une interview de Didier Drogba, il n'y a pas longtemps, qui demandait qu'on aille aux élections.
A ceux qui bloquent le processus, qu'ils sachent qu'ils sont en train de faire du mal à la Côte d'Ivoire. On a l'impression qu'on nous tourne en bourrique. Je pense que le programme du gouvernement actuel c'est la paix, la réconciliation et l'organisation des élections. Il y a beaucoup de chantiers qui nous attendent. Construire des écoles, des hôpitaux, des routes, offrir des emplois, etc. Malheureusement, on a l'impression que des gens ne veulent pas qu'on sorte de cette situation qui n'arrange pas le peuple. Ce n'est pas forcément le parti au pouvoir. Tout le monde est complice de cette situation. Parce que le Président et le Premier ministre sont à la tête, il y a derrière eux des ministres du FPI, du RDR, du PDCI, des ministres des partis politiques représentatifs qui sont au gouvernement. Pourquoi ceux-là ne démissionnent pas parce qu'ils sont en désaccord avec ce qu'ils avancent. Les Ivoiriens sont fatigués de cette situation. Il faut qu'on aille aux urnes et choisir librement notre président. C'est le seul moyen de mettre fin à la souffrance du peuple de Côte d'Ivoire.
Les Etats-Unis et la France ont, la semaine dernière, souhaité que les élections puissent se tenir cette année. Croyez-vous que cet appel peut faire avancer les choses ?
C'est une bonne chose que des puissances comme les USA et la France réagissent par rapport à la situation en Côte d'Ivoire. Cela démontre à quel point notre pays compte. Mais voyez-vous, ce n'est pas aux autres de faire notre bonheur à notre place. La décision d'aller aux urnes doit venir des Ivoiriens eux-mêmes. Malgré les appels des puissances étrangères, si les Ivoiriens eux-mêmes ne s'approprient pas le processus de sortie de crise, les choses ne bougeront pas. Je pense que la société civile ivoirienne peut faire bouger les choses. Si la société civile réclame les élections, il y a de fortes chances que les choses bougent et que nous sortions rapidement de cette situation qui n'a que trop duré.
Tiken croit-il encore en une société civile ivoirienne forte ?
En tout cas, je pense qu'il faut une société civile forte. S'il n'y en a pas, je crois que c'est le moment de la mettre en place. Parce que les politiques nous font tourner en bourrique. On a l'impression que chacun protège son fauteuil. La société civile ivoirienne doit demander les élections. Elle doit réclamer les élections à travers une grande marche. Les Ivoiriens doivent se donner la main et réclamer les élections en se mobilisant comme un seul homme pour dire on veut les élections maintenant. C'est le peuple qui a souffert, c'est le peuple qui souffre et c'est encore le peuple qui souffrira si cette situation ne change pas. Je demande donc à nos autorités d'avoir pitié des Ivoiriens et de la Côte d'Ivoire. Qu'elles organisent les élections pour que les Ivoiriens puissent enfin choisir leur président. Celui à qui ils feront confiance sera le président de tous les Ivoiriens. Je crois savoir qu'en 2000, ce sont 4,5 millions d'électeurs qui sont allés aux urnes. Aujourd'hui, si mes informations sont bonnes, c'est environ 6,7 millions d'Ivoiriens soit 70% de la population qui se sont fait identifier et enrôler. A partir de ces deux (2) chiffres, je pense qu'on peut aller aux élections. Il suffit de le vouloir et de tout mettre en œuvre pour cela.
Qu'est-ce que Tiken Jah recherche en décidant d'investir dans l'éducation ? Est-ce parce qu'il est riche aujourd'hui ?
Non, Tiken Jah n'est pas riche. C'est juste qu'il faut rendre gloire à Dieu et dire merci à tous ceux qui ont permis que je sois ce que je suis aujourd'hui. J'ai eu la chance de visiter beaucoup de pays africains. J'ai pu constater beaucoup de défaillances au niveau de l'éducation. On s'est alors demandé comment faciliter l'accès à l'éducation des jeunes. Voilà comment nous est venue l'idée de l'amélioration ou de la construction d'écoles ou de collèges. Sinon, ce n'est pas parce que Tiken Jah est riche. Grâce donc aux revenus issus de la billetterie, le concept " Un concert, une école " souhaite apporter une pierre à l'édifice : la construction de la jeunesse du continent.
Justement, dans le cadre de ce concept, vous donnez un concert le samedi 25 avril prochain au Parc des sports de Treichville. Les informations que nous avons font état de ce que le sponsor se serait retiré au dernier moment.
Votre information est juste. En effet, une société de téléphonie mobile qui s'était associée au concept s'est désengagée au dernier moment. C'est dommage ! Ça complique un peu la tâche. Mais je rassure la jeunesse ivoirienne d'Abobo, de Yopougon, d'Adjamé, de Port-Bouët, de Treichville, d'Attécoubé, de Marcory, du Plateau, d'Anyama, etc. que je serai bel et bien au Parc des sports de Treichville pour communier avec elle. J'estime que je me suis engagé à réhabiliter le groupe scolaire Biaffra de Treichville et je tiendrai mes engagements. Vous savez, nous sommes des guerriers et ce n'est pas la défection d'un sponsor qui nous fera reculer. Mais je pense que pour une œuvre humanitaire en faveur de cette école qui a fait beaucoup de cadres de ce pays, c'est vraiment dommage. Je ne suis pas fataliste ou disons que je ne fais pas la victime mais je pense que s'il y avait un sponsor, les retombées pour cette école seraient plus colossales. La question que je me pose et j'en suis certain, beaucoup d'Ivoiriens se la posent, c'est pourquoi Tiken Jah n'a pas de sponsor en Côte d'Ivoire lors de ses spectacles. Pour le concert "Le Retour", c'était la même chose. Aujourd'hui encore, le constat est le même. Je ne veux vraiment pas créer de polémique mais je dis que c'est dommage surtout qu'il s'agit pour moi de faire bénéficier, à travers mon image, l'éducation. Mais je fais avec, en sortant de l'argent de ma poche. Et comme c'est pour une bonne cause, je dis merci à Dieu. Mais il faut que les sponsors sachent que c'est eux qui ont besoin des artistes et non le contraire. Malheureusement c'est ce qu'on croit ici sous les tropiques. Je ne sais pas si c'est parce que Tiken Jah ne fait pas du "Couper-décaler". Je me pose la question. Sinon il y a eu des concerts avec I Jahman, avec Culture, etc. ici à Abidjan et il y a eu des sponsors. Tout le monde sait que Tiken Jah fait plus de public en Côte d'Ivoire que ces artistes reggae qui se sont produits ici. Il faut que les artistes comprennent que c'est les sponsors qui ont besoin d'eux et non le contraire. Parce que c'est eux qui drainent la foule dont ont besoin ces maisons. Je demande à tout le monde, à toute la jeunesse de venir massivement le samedi 25 avril prochain à partir de 14 heures poser un acte noble en participant à la réhabilitation d'une école. Parce qu'en achetant un billet, vous participez à la réhabilitation ou à la construction d'une école. Ce sera un grand moment de communion d'au moins 1h30 mn avec environ 29 titres. Je voudrais, pour terminer, dire sincèrement merci au groupe de presse "Le Réveil", à "Le Nouveau Réveil" et à "Le Repère" pour tout ce qu'ils font pour Tiken Jah. Merci du fond du cœur à votre Directeur général Kah Zion et à tout le personnel et bonne continuation.
Interview réalisée au téléphone par
Tréta Zounamana