Les malades reçus dans les services d`urgence des établissements hospitaliers d`Abidjan vivent la croix et la bannière. Vétusté du matériel, faible capacité d`accueil, racket, vol de médicaments, etc., sont autant de problèmes que ces patients et ceux qui les accompagnent affrontent au quotidien.
Un cri strident de femme dans la chambre n°5 en chirurgie. Il est midi, le Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yopougon baigne dans la chaleur, malgré la pluie. Le long du hall du bloc chirurgical, des familles assises près des murs, attentent dans l`angoisse. Pas de banquette. Beaucoup sont débout ou marchent pour tromper la fatigue. De nouveau ce cri effroyable dans la chambre n°5, au rez-de-chaussée. Personne ne semble y prêter attention, à part un garçon qui murmure de temps en temps dans la pièce : « Maman, ça va aller ». A la chirurgie digestive, un patient déambule dans le couloir. Sa mine montre qu`il est soucieux. Il se nomme Serge. Son épouse est dans la salle au bloc opératoire, sur le billard. C’est la troisième intervention chirurgicale qu`elle subit depuis le mois d`août. Venue pour un accouchement, elle a perdu l`enfant à la suite d`une césarienne « mal exécutée. »
Le trafic de médicaments tue le service
Le rectum ayant été malencontreusement connecté au vagin, tous ses déchets naturels passaient par l’organe génital. Une autre opération lui a été imposée pour séparer les deux voies. La troisième opération qu`elle subit aujourd`hui devait avoir lieu depuis près de 9 mois. Faute de moyens, c`est maintenant que son épouse est reçue en chirurgie. La première opération a ruiné l`époux. « Je n`ai eu aucun soutien pour me permettre de la soigner. Elle pouvait bien mourir avant aujourd`hui », se lamente Serge. Les dépenses de ce chômeur se chiffrent, selon lui, à un million de Fcfa. Plutôt que de bénéficier du soutien de l`hôpital, c`est l`environnement hospitalier qui lui complique la tâche « Au début, je me faisais voler mes kits de médicaments», affirme-t-il.
Plusieurs parents de malades comme lui sont quotidiennement victimes de ce fléau. Les médicaments volés sont revendus sur les lieux par le personnel. Des parents de patients expliquent la manœuvre à laquelle il est difficile d`échapper, la première fois. Vous payez votre kit de médicaments qui peut contenir plus ou moins une quarantaine de produits selon que vous soyez en gynécologie ou en chirurgie. Lorsque le kit arrive, le parent est obligé de le remettre soit au médecin soit à la fille de salle. C`est ce que nous découvrons en suivant discrètement cet autre homme dont l`épouse a été internée en gynécologie après une opération. « Ma femme souffrait d`un kyste. On l`a conduite en gynécologie obstétrique, dans la chambre 120. J`ai payé mon kit à 200.000 Fcfa dans une pharmacie externe. Le kit contient suffisamment de médicaments pour que la malade n`en manque pas pendant l`intervention, afin d`éviter tout risque », précise-t-il. Le problème, dit-il, lorsque le kit est arrivé, puisqu`il ne pouvait avoir accès à la salle, il l`a remis en toute confiance à la fille de salle. “Qu’elle ne fut ma surprise lorsqu`après l`intervention, cette même femme m`a présenté une ordonnance selon laquelle je devais payer du Flagil qui coûte 3.000 Fcfa, et du Ceftriaxone qui vaut 4.000 Fcfa. Or, ces produits étaient dans mon kit. Chose curieuse, elle m`a indiqué dans le même temps qu`elle vendait ces médicaments et que si j`étais d`accord, elle me les vendrait moins cher », explique-t-il. Dans ces conditions, le parent est obligé de racheter le médicament sur place pour ne pas perdre encore du temps. Difficile pour un novice de déceler la supercherie. « Même quand vous êtes assez vigilant et que vous posez des questions, l`on vous répond que le médecin a déjà utilisé le médicament pour l`intervention et qu`il en faut encore», ajoute la victime. Seul un ancien peut comprendre la combine.
Les ``gombos`` font glisser le social
Serge a vécu cette même situation lorsque que sa femme a subi sa première opération en chirurgie. La facture du kit que le médecin lui a remise s`élevait à 130.000 Fcfa. « Le vigile m`a proposé de faire mes courses à ma place vu que j`étais tourmenté. Ainsi, lorsque l`ordonnance a été prescrite, il s`est empressé vers moi pour la prendre. Me faisant croire qu`il n`était pas facile d`obtenir les médicaments», explique l`infortuné mari. Avec l`ordonnance et la somme de 130.000 Fcfa que Serge lui remet, le vigile se dirige vers le médecin et lui explique qu`un patient dont les parents n`ont pas de moyens lui ont remis seulement 80.000 Fcfa pour obtenir un kit. « Il est revenu naturellement avec un kit incomplet en empochant 50.000 Fcfa. Lorsque l`intervention est terminée, le médecin m`a tendu une nouvelle ordonnance. Il m`a expliqué que je devais payer d`autres médicaments au motif que mon kit était incomplet. J`ai demandé des explications au vigile, qui a fini par avouer qu`il avait acheté un kit de 80.000F et avait retenu 50.000 Fcfa comme commission.
Des malades refoulés
Il m`a ensuite imploré de ne pas le dire au médecin, sinon il risquait de perdre son poste », relate Serge. Entre dénoncer un malhonnête et faire perdre son poste à un chef de famille, Serge a eu du mal à choisir. Il a décidé finalement de se taire. Ce qui permet, sûrement, à son arnaqueur de continuer ses gombo, au grand dam de nombreux malades. Les médecins ne sont pas étrangers à cette mafia. « Dans le bloc opératoire, vous êtes obligé de leur remettre le kit médical. Ils en font ce qu`ils veulent. A la fin de l`intervention, ils vous tendent toujours des ordonnances supplémentaires alors que le kit est toujours prescrit en tenant compte des imprévus. Ainsi, presque tous les produits sont doublés. De sorte à ce qu`il n`en manque pas lors de l`intervention», soutient-il. Selon lui, les médicaments sont détournés par certains médecins qui les remettent dans le circuit de vente parallèle. Garçons, filles de salle, et médecins, sont devenus des experts de ce commerce.
Au Chu de Cocody, ce qui préoccupe les malades, c`est moins le vol de médicaments que leur coût élevé. Il y a d`abord l`attente dans les couloirs des urgences. Ce mardi, le petit hall menant au compartiment des urgences médicales, à la chirurgie et à la gynécologie, est presque saturé. C`est le seul lieu d`attente avec une seule banquette, à peine suffisante pour cinq personnes. Des vieilles dames venues avec des malades sont debout. Encore que l`affluence est pour le moment faible dans ce bloc récemment ouvert. Aux urgences chirurgicales, il faut avoir des reins solides. Karim est là depuis une heure, accoudé au mur dans le hall. Son jeune frère âgé de 18 ans qui souffre d`une appendicite est en train de se faire opérer. Venu depuis le lundi à 6 heures, dit-il, ce n`est qu`à 21 heures que le garçon à pu être véritablement pris en charge pour établir un diagnostic. Il se plaint des examens « inutiles » qu`on leur a fait faire. « Pour un mal au bas ventre, des stagiaires lui ont fait faire à 10.000 Fcfa un examen du poumon qui s`est avéré inutile par la suite. Lorsque le médecin est arrivé il lui a suffi de toucher le ``petit`` pour déterminer qu`il souffrait d`une appendicite », explique Kama. Des dépenses dont on peut épargner les parents en ces temps pauvreté. « Déjà que le social est banni ici », ajoute-t-il, amer.
Plusieurs parents de malades que nous rencontrons dans le couloir qui mène à la radiologie relèvent le besoin d`un nouveau système dans ce type d`hôpital. « Quelle que soit l`urgence que nécessite leur cas, les malades ne sont pas touchés tant que le parent ne met pas la main à la poche», se désole Mme Bahi.
Le Chu de Treichville n`est pas en reste. Ce mardi, Mme Dégnan Céline vient d`y conduire son enfant tombé dans le coma après une chute lors des Epreuves physiques et sportives (Eps) à l`école. « Je n`ai pas d`argent, et on ne peut rien faire pour l`enfant si je ne paye pas de médicament », pleurait-elle. Jusqu`à ce que nous quittions l`établissement, son fils attendait encore une aide. Mais, un problème crucial préoccupe les malades et leurs parents : le manque de lit. Lundi nuit, à la réanimation, une femme toute saignante a été refoulée par le personnel faute de place. « Elle est repartie on ne sait où », révèle un témoin. Dans les salles des urgences médicales, on est accueilli par des lits vieillissants, des odeurs de sérum et des malades couchés à même le sol, les yeux dans le vide. En chirurgie, en plus de ce problème, il faut lutter pour l`éclairage qui a disparu dans les salles. Comme le disait Serge au Chu de Yopougon: « Le prisonnier de la Maca est mieux traité que les malades des services d`urgence des Chu». Un cri de cœur qui montre combien la population saluerait aujourd`hui une bonne politique sanitaire en faveur des démunis des hôpitaux. Pour peu que cela leur permettre d`« oublier » leur pauvreté.
Raphaël Tanoh
Un cri strident de femme dans la chambre n°5 en chirurgie. Il est midi, le Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yopougon baigne dans la chaleur, malgré la pluie. Le long du hall du bloc chirurgical, des familles assises près des murs, attentent dans l`angoisse. Pas de banquette. Beaucoup sont débout ou marchent pour tromper la fatigue. De nouveau ce cri effroyable dans la chambre n°5, au rez-de-chaussée. Personne ne semble y prêter attention, à part un garçon qui murmure de temps en temps dans la pièce : « Maman, ça va aller ». A la chirurgie digestive, un patient déambule dans le couloir. Sa mine montre qu`il est soucieux. Il se nomme Serge. Son épouse est dans la salle au bloc opératoire, sur le billard. C’est la troisième intervention chirurgicale qu`elle subit depuis le mois d`août. Venue pour un accouchement, elle a perdu l`enfant à la suite d`une césarienne « mal exécutée. »
Le trafic de médicaments tue le service
Le rectum ayant été malencontreusement connecté au vagin, tous ses déchets naturels passaient par l’organe génital. Une autre opération lui a été imposée pour séparer les deux voies. La troisième opération qu`elle subit aujourd`hui devait avoir lieu depuis près de 9 mois. Faute de moyens, c`est maintenant que son épouse est reçue en chirurgie. La première opération a ruiné l`époux. « Je n`ai eu aucun soutien pour me permettre de la soigner. Elle pouvait bien mourir avant aujourd`hui », se lamente Serge. Les dépenses de ce chômeur se chiffrent, selon lui, à un million de Fcfa. Plutôt que de bénéficier du soutien de l`hôpital, c`est l`environnement hospitalier qui lui complique la tâche « Au début, je me faisais voler mes kits de médicaments», affirme-t-il.
Plusieurs parents de malades comme lui sont quotidiennement victimes de ce fléau. Les médicaments volés sont revendus sur les lieux par le personnel. Des parents de patients expliquent la manœuvre à laquelle il est difficile d`échapper, la première fois. Vous payez votre kit de médicaments qui peut contenir plus ou moins une quarantaine de produits selon que vous soyez en gynécologie ou en chirurgie. Lorsque le kit arrive, le parent est obligé de le remettre soit au médecin soit à la fille de salle. C`est ce que nous découvrons en suivant discrètement cet autre homme dont l`épouse a été internée en gynécologie après une opération. « Ma femme souffrait d`un kyste. On l`a conduite en gynécologie obstétrique, dans la chambre 120. J`ai payé mon kit à 200.000 Fcfa dans une pharmacie externe. Le kit contient suffisamment de médicaments pour que la malade n`en manque pas pendant l`intervention, afin d`éviter tout risque », précise-t-il. Le problème, dit-il, lorsque le kit est arrivé, puisqu`il ne pouvait avoir accès à la salle, il l`a remis en toute confiance à la fille de salle. “Qu’elle ne fut ma surprise lorsqu`après l`intervention, cette même femme m`a présenté une ordonnance selon laquelle je devais payer du Flagil qui coûte 3.000 Fcfa, et du Ceftriaxone qui vaut 4.000 Fcfa. Or, ces produits étaient dans mon kit. Chose curieuse, elle m`a indiqué dans le même temps qu`elle vendait ces médicaments et que si j`étais d`accord, elle me les vendrait moins cher », explique-t-il. Dans ces conditions, le parent est obligé de racheter le médicament sur place pour ne pas perdre encore du temps. Difficile pour un novice de déceler la supercherie. « Même quand vous êtes assez vigilant et que vous posez des questions, l`on vous répond que le médecin a déjà utilisé le médicament pour l`intervention et qu`il en faut encore», ajoute la victime. Seul un ancien peut comprendre la combine.
Les ``gombos`` font glisser le social
Serge a vécu cette même situation lorsque que sa femme a subi sa première opération en chirurgie. La facture du kit que le médecin lui a remise s`élevait à 130.000 Fcfa. « Le vigile m`a proposé de faire mes courses à ma place vu que j`étais tourmenté. Ainsi, lorsque l`ordonnance a été prescrite, il s`est empressé vers moi pour la prendre. Me faisant croire qu`il n`était pas facile d`obtenir les médicaments», explique l`infortuné mari. Avec l`ordonnance et la somme de 130.000 Fcfa que Serge lui remet, le vigile se dirige vers le médecin et lui explique qu`un patient dont les parents n`ont pas de moyens lui ont remis seulement 80.000 Fcfa pour obtenir un kit. « Il est revenu naturellement avec un kit incomplet en empochant 50.000 Fcfa. Lorsque l`intervention est terminée, le médecin m`a tendu une nouvelle ordonnance. Il m`a expliqué que je devais payer d`autres médicaments au motif que mon kit était incomplet. J`ai demandé des explications au vigile, qui a fini par avouer qu`il avait acheté un kit de 80.000F et avait retenu 50.000 Fcfa comme commission.
Des malades refoulés
Il m`a ensuite imploré de ne pas le dire au médecin, sinon il risquait de perdre son poste », relate Serge. Entre dénoncer un malhonnête et faire perdre son poste à un chef de famille, Serge a eu du mal à choisir. Il a décidé finalement de se taire. Ce qui permet, sûrement, à son arnaqueur de continuer ses gombo, au grand dam de nombreux malades. Les médecins ne sont pas étrangers à cette mafia. « Dans le bloc opératoire, vous êtes obligé de leur remettre le kit médical. Ils en font ce qu`ils veulent. A la fin de l`intervention, ils vous tendent toujours des ordonnances supplémentaires alors que le kit est toujours prescrit en tenant compte des imprévus. Ainsi, presque tous les produits sont doublés. De sorte à ce qu`il n`en manque pas lors de l`intervention», soutient-il. Selon lui, les médicaments sont détournés par certains médecins qui les remettent dans le circuit de vente parallèle. Garçons, filles de salle, et médecins, sont devenus des experts de ce commerce.
Au Chu de Cocody, ce qui préoccupe les malades, c`est moins le vol de médicaments que leur coût élevé. Il y a d`abord l`attente dans les couloirs des urgences. Ce mardi, le petit hall menant au compartiment des urgences médicales, à la chirurgie et à la gynécologie, est presque saturé. C`est le seul lieu d`attente avec une seule banquette, à peine suffisante pour cinq personnes. Des vieilles dames venues avec des malades sont debout. Encore que l`affluence est pour le moment faible dans ce bloc récemment ouvert. Aux urgences chirurgicales, il faut avoir des reins solides. Karim est là depuis une heure, accoudé au mur dans le hall. Son jeune frère âgé de 18 ans qui souffre d`une appendicite est en train de se faire opérer. Venu depuis le lundi à 6 heures, dit-il, ce n`est qu`à 21 heures que le garçon à pu être véritablement pris en charge pour établir un diagnostic. Il se plaint des examens « inutiles » qu`on leur a fait faire. « Pour un mal au bas ventre, des stagiaires lui ont fait faire à 10.000 Fcfa un examen du poumon qui s`est avéré inutile par la suite. Lorsque le médecin est arrivé il lui a suffi de toucher le ``petit`` pour déterminer qu`il souffrait d`une appendicite », explique Kama. Des dépenses dont on peut épargner les parents en ces temps pauvreté. « Déjà que le social est banni ici », ajoute-t-il, amer.
Plusieurs parents de malades que nous rencontrons dans le couloir qui mène à la radiologie relèvent le besoin d`un nouveau système dans ce type d`hôpital. « Quelle que soit l`urgence que nécessite leur cas, les malades ne sont pas touchés tant que le parent ne met pas la main à la poche», se désole Mme Bahi.
Le Chu de Treichville n`est pas en reste. Ce mardi, Mme Dégnan Céline vient d`y conduire son enfant tombé dans le coma après une chute lors des Epreuves physiques et sportives (Eps) à l`école. « Je n`ai pas d`argent, et on ne peut rien faire pour l`enfant si je ne paye pas de médicament », pleurait-elle. Jusqu`à ce que nous quittions l`établissement, son fils attendait encore une aide. Mais, un problème crucial préoccupe les malades et leurs parents : le manque de lit. Lundi nuit, à la réanimation, une femme toute saignante a été refoulée par le personnel faute de place. « Elle est repartie on ne sait où », révèle un témoin. Dans les salles des urgences médicales, on est accueilli par des lits vieillissants, des odeurs de sérum et des malades couchés à même le sol, les yeux dans le vide. En chirurgie, en plus de ce problème, il faut lutter pour l`éclairage qui a disparu dans les salles. Comme le disait Serge au Chu de Yopougon: « Le prisonnier de la Maca est mieux traité que les malades des services d`urgence des Chu». Un cri de cœur qui montre combien la population saluerait aujourd`hui une bonne politique sanitaire en faveur des démunis des hôpitaux. Pour peu que cela leur permettre d`« oublier » leur pauvreté.
Raphaël Tanoh