Alain Joyandet, secrétaire d’état français à la Coopération internationale et à la Francophonie, précise la nouvelle donne politique africaine de son pays.
M. le Secrétaire d’Etat, vous avez été reçu, le mardi 5 mai, par le Président Laurent Gbagbo. A votre sortie d’audience, vous annoncez la libération provisoire d’un de vos concitoyens, le photographe Jean-Paul Ney, incarcéré pendant 16 mois pour une affaire de tentative de coup d’Etat lié à Ibrahim Coulibaly, IB. Est-ce tout ce qu’il y a à retenir de cette audience?
Si j’ai annoncé cette nouvelle, c’est parce que le Président Laurent Gbagbo lui-même en a pris la décision, et a, lui-même, souhaité, que ce soit le secrétaire d’Etat français qui l’annonce. Evidemment, dans ce dossier - dont j’ai conscience qu’il n’est pas facile- la France apprécie ce geste du Président ivoirien parce qu’il s’agit d’un ressortissant français, qui plus est, est journaliste. C’est une décision qui contribue à faire en sorte que le réchauffement (des relations entre la France et la Côte d’Ivoire) dont tellement de journalistes parlent se prolonge. Au fond il n’y a pas eu autant de refroidissement que cela dans nos relations. Il y a eu une période difficile. Mais j’ai constaté, durant mon séjour, qu’entre les Ivoiriens et nous, il y a une chaleur persistante. Je n’ai pas constaté d’animosité sur le terrain ; bien au contraire, c’est beaucoup d’amitié, beaucoup d’affection et une ambiance formidable entre nous.
Lors de votre visite du lycée Blaise Pascal, vous avez joué au football avec le ministre ivoirien de l’Education nationale, et même marqué un but au nom de la Côte d’Ivoire.
Oui. Et j’ai noté que le ministre de l’Education nationale a, au nom de la France, tenté de faire la même chose. Ce qui veut bien dire que nos intérêts sont croisés et communs.
Vous pensez qu’il n’a rien fait pour marquer de but au nom de la France dont il défendait les couleurs au cours de cette parenthèse footballistique?
Je ne le pense pas. Il n’a peut-être pas autant de compétence pour le football qu’il en a eue pour la coopération décentralisée. Nous avons, ensemble, lancé la coopération décentralisée entre la région de Man et la Franche Comté, en France, alors qu’il était maire de Man et que j’étais, que je suis encore, maire de Vesoul. C’est ensemble que nous avons lancé l’Association de coopération décentralisée. Nous avons bien plus de choses en commun que le football.
Connaissez-vous donc Biankouma?
Oui. Là-bas, il y a une école qui s’appelle Vesoul. Il me tarde d’y retourner. Hélas, ce déplacement ne m’a pas permis de me rendre à l’ouest. Mais dès que je le pourrais, j’y retournerais, et, je l’espère, très rapidement.
A l’issue de votre visite du lycée Blaise Pascal, vous avez dit ceci: «il y a de très fortes chances pour que nous commencions à écrire une nouvelle page de la relation entre la Côte d’Ivoire et la France». Quelle pourrait être la première phrase de cette nouvelle page?
Hier (c’était le mardi 5 mai) je parlais de premier paragraphe.
Parlons donc de la première phrase du premier paragraphe…
Il y a la page et après la page, il y a le paragraphe…
Et après le paragraphe, le chapitre…
Au premier paragraphe, que tout le monde se mette d’accord en Côte d’Ivoire pour que les élections aient lieu. Il y a un autre paragraphe qui est en train de s’écrire, qui est celui de la pacification -je salue d’ailleurs les efforts qui ont été faits par le Président Gbagbo, le gouvernement et l’ensemble des interlocuteurs et des acteurs de l’Accord politique de Ouagadougou- puisque c’est une date importante que ce mardi 5 mai, date de l’envoi du premier contingent mixte à Yamoussoukro, au moment où nous étions sur place avec le Président. Le dialogue politique avance. La pacification et la réunification également. Et personne ne peut contester le fait qu’il y a 6 millions d’électeurs qui sont d’ores et déjà enrôlés. Il y a une bonne volonté générale. Il faut encore renforcer le dialogue entre les différents acteurs.
Je dois aussi dire que j’ai été content des discussions avec le Premier ministre. Il est très jeune, très jeune…
Vous le connaissiez…
Nous nous sommes rencontrés à Ouagadougou, au moment des discussions présidées par le Président Blaise Compaoré, puisque j’y étais. Je pense que le Premier ministre a un rôle important à jouer : il est jeune, il ne sera pas candidat. Il me semble qu’il est très sage dans ce qu’il m’a dit qu’il souhaitait faire pour contribuer, en bien, à la consolidation du dialogue politique avant même que les élections ne soient organisées. A mon avis, c’est un gage de sortie d’élections dans la paix civile.
Il y a quelques mois, le Président Nicolas Sarkozy se rendait au Tchad pour négocier, avec le Président Idriss Déby, la libération des membres de l’association l’Arche de Zoé accusés d’organiser un trafic d’enfants à destination de la France.
Puis vous, ici, en Côte d’Ivoire, pour faire libérer, l’un de vos compatriotes. La normalisation des relations de la France avec les pays africains passe-t-elle nécessairement par ce genre d’arrangements qui vont contre la manifestation de la justice?
La demande qui a été faite au Président Gbagbo ne s’est jamais positionnée dans un cadre judiciaire, mais dans le cadre humanitaire. Ce ressortissant français est emprisonné depuis 17-18 mois, nous avons eu des nouvelles parfois préoccupantes sur son état de santé. C’est donc une démarche qui a été faite dans un cadre totalement humanitaire. Et je note que M. Ney, qui a été interviewé dès l’annonce de sa libération, s’est engagé à être à la disposition de la justice ivoirienne. C’est donc un cadre qui me convient parfaitement.
Les arrangements ou la justice?
La justice. Nous n’interférons pas dans la justice, pas plus ici qu’en France. Mais les bonnes relations entre les pays peuvent parfois s’illustrer par des arrangements humanitaires. Qui est-ce qui nous en voudra de faire des arrangements humanitaires ? De la même manière, quand certains pays sont assez éloignés des règles démocratiques, de gouvernance et de transparence, ce n’est pas pour autant que nous suspendons la totalité de nos actions de développement. Nous avons toujours maintenu, dans les pays, qui pourtant ne nous donnaient pas satisfaction sur le plan de la démocratie, de la gouvernance, des droits de l’Homme, notre aide humanitaire en direction des peuples. Parce que nous ne pouvons pas confondre l’intérêt, la détresse des peuples dans certains nombres de pays avec les pressions que nous devons faire, parce que c’est notre devoir, à nous la France, de faire pression sur des dirigeants qui, parfois, au vu de la communauté internationale, ne sont pas totalement dans les règles de gouvernance qui sont édictées et qui sont parfois des conditions de la communauté internationale pour la mise en place de nos politiques de coopération. Mais, malgré cela, nous maintenons nos politiques d’aide aux populations, notamment sur le plan humanitaire. De la même manière, nous pouvons demander, pour un prisonnier qui est un de nos ressortissants, une mesure qui est d’ordre humanitaire.
Revenons au lycée Blaise Pascal. Parler de cet établissement, c’est revenir à novembre 2004.
Et novembre 2004, ce sont les soldats de l’opération Licorne qui font des victimes parmi les Ivoiriens à l’hôtel Ivoire. Que peuvent et doivent attendre les Ivoiriens de la France?
La France a souffert dans sa chair…
Des Ivoiriens sont morts…
…De cette période regrettable qui a existé. Les Ivoiriens ont souffert aussi. Il y a eu beaucoup de souffrances des deux côtés. C’est toujours regrettable. C’est pourquoi, je pense qu’il vaut mieux passer du temps à mettre en place le dialogue politique, à l’intérieur de la Côte d’Ivoire, mais aussi le dialogue entre la Côte d’Ivoire et la France. Ce qui va se passer en Côte d’Ivoire dans les mois à venir est très important. Organiser les élections, c’est bien, parce que c’est tout le monde qui le souhaite. Faire en sorte que l’après-élection soit préparée avant, c’est sans doute encore mieux. Parce que c’est cela qui permettra de retrouver une totale sérénité. Je pense que si le dialogue se consolide avant sur les conditions de sortie de l’élection, ça sera vraiment très important pour que cette élection soit capitale dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Je dis tout cela sans vouloir interférer dans les affaires des Ivoiriens. Mais comme il se trouve qu’un certain nombre de dirigeants ivoiriens nous sollicitent, c’est volontiers que nous voulons être aux côtés de la Côte d’Ivoire et aux côtés du peuple. Etre aux côtés du peuple, c’est aider les dirigeants à trouver des solutions pacifiques.
La question portait sur les victimes ivoiriennes de la Licorne en novembre 2004. Vous n’y répondez pas.
Qu’est-ce que vous voulez que je dise de plus?
Je ne sais pas…
Je dis que la France a beaucoup souffert. Je dis que les Ivoiriens ont beaucoup souffert. Mais franchement, j’ai envie qu’on passe le temps à construire l’avenir. Ce qui s’est passé est évidemment une souffrance pour tout le monde. Mais moi je n’ai pas le sentiment, de tous les contacts que j’ai, que ces événements, aussi regrettables soient-ils… Ils ont d’ailleurs posé une marque importante sur les relations et sur l’histoire entre la France et la Côte d’Ivoire. J’ai vraiment le sentiment que l’immense majorité des Ivoiriens regrettent cette période, et quant aux Français, n’en parlons pas, c’est la même chose. J’ai envie qu’on passe le temps à écrire cette nouvelle page.
Et à…
… ne pas ressasser le passé. Parlons donc d’avenir…
Excusez-moi, je ne veux pas dire que je tire un trait sur le passé, parce que je pense qu’il faut s’en servir pour ne pas que ça puisse recommencer. Ce que je veux, c’est de ne pas le cultiver. Parce que nos relations, dans l’avenir, elles doivent être positives.
… Parlons donc d’avenir… et des grands discours du Président Sarkozy, notamment celui qu’il a fait en Afrique du Sud, et qui annonce un changement de cap, des relations de partenariat d’égal à égal avec les pays du continent, la révision des accords de défense… Quelles sont les grandes lignes de la politique africaine de la France?
Il y a trois grandes lignes pour tenter de redéfinir notre relation avec l’Afrique. Il nous faut sortir du paternalisme dont plus personne ne veut. Qu’est-ce que souhaite le Président de la République qui est la feuille de route qui nous ait donné, à Bernard Kouchner et à moi-même? C’est de redéfinir une relation partenariale avec un maximum de partenariats stratégiques. Premier élément, s’agissant de nos politiques de coopération, c’est une réorientation vers les politiques de coopération de développement économique. Parce que nous constatons que partout où l’on a pu faire décoller l’économie, la pauvreté recule et les objectifs du millénaire pour le développement sont beaucoup plus atteints.
Deuxième élément, la renégociation de nos accords militaires. C’est un partenariat stratégique. Nous écoutons ce que demandent les Africains qui sont concernés par cette renégociation. En général, on accède à ces demandes puisqu’il n’y a plus de raison d’avoir des accords de défense qui sont des accords datés et dont tout le monde a vraiment envie d’en sortir. Les discussions existent. Un de ces accords a déjà été signé. D’autres sont en cours de préparation et nous avançons bien.
Troisième élément, s’agissant notamment de conflits, nous essayons, avec l’Union africaine, d’être là aussi en partenariat, de ne pas agir systématiquement seule, nous la France, puisqu’il n’y a pas de raison que nous agissions seule, sauf lorsque c’est à la demande des Etats qui sont concernés par des étapes un petit peu difficiles. Mais nous essayons toujours d’agir aux côtés de l’Union africaine pour qu’il y ait cette appropriation, par elle, des graves problèmes qui concernent l’Afrique et de nous faire appuyer, systématiquement, par l’Organisation des Nations unies. Voilà les trois piliers qui, selon moi, nous permettent de mettre en œuvre la feuille de route du Président Sarkozy qui souhaite cette nouvelle relation effectivement partenariale, d’égal à égal. Nous avons tous intérêt à ce nouvel ordre relationnel plus largement entre l’Europe et l’Afrique parce que si nous mettons le paquet à développer l’Afrique, avec d’autres considérations et d’autres relations, je suis persuadé que l’Afrique, qui est trop souvent présentée comme un problème, sera du coup une solution.
Que cherchons-nous? La croissance économique. Et où se trouve, en général, la croissance économique? Si on cherche un endroit dans le monde, dans les années qui viennent, et quelle que soit la crise, où l’on peut faire de la croissance économique qui ne serve pas seulement l’Afrique, mais qui serve le monde entier, c’est bien ici, en Afrique qu’on la trouvera. Et plus on justifiera que le monde a besoin de l’Afrique, moins l’Afrique se sentira dans une sorte de carcan paternaliste, souvent désagréable.
Ce que propose le Président Sarkozy avec cette nouvelle relation et ce nouveau développement permet à l’Afrique d’être une solution aux problèmes du monde et non le problème.
Parlons de coopération France-Côte d’Ivoire et rappelons que le Centre culturel français reste toujours fermé.
Oui. Mais l’Agence française pour le développement, par contre, est ouverte. Le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein, cela dépend d’où l’on se place. Je suis un optimiste. Les choses vont se mettre en place étape après étape. Dès que le processus électoral et de réconciliation nationale va être derrière nous, j’espère vers la fin de cette année, tout deviendra possible. Je rappelle que la coopération entre la France et la Côte d’Ivoire a été l’une, voire la plus importante du monde. S’agissant de nos politiques internationales de coopération, je ne demande qu’une chose : retrouver cette situation qui existait par le passé. Il y a tellement de choses entre la Côte d’Ivoire et la France. Il suffit de venir en France, de rencontrer des gens, de parler, il n’y a pas une journée qui se passe sans qu’on vous dise : «mon fils était en Côte d’Ivoire; ma fille était en Côte d’Ivoire; ma nièce, mon cousin, mon beau-frère était en Côte d’Ivoire». Il y a tellement de choses entre les Ivoiriens et les Français que cela dépasse largement les pouvoirs publics et politiques. Nous les ministres, nous les gouvernements sommes de passage et nous essayons de donner le meilleur de nous-mêmes. Mais ce qui est permanent, c’est la relation directe et privilégiée entre nos peuples respectifs. Nous n’avons pas le droit, ni les uns, ni les autres, de ne pas penser à cela quand nous prenons les décisions.
Interview réalisée par Agnès Kraidy
M. le Secrétaire d’Etat, vous avez été reçu, le mardi 5 mai, par le Président Laurent Gbagbo. A votre sortie d’audience, vous annoncez la libération provisoire d’un de vos concitoyens, le photographe Jean-Paul Ney, incarcéré pendant 16 mois pour une affaire de tentative de coup d’Etat lié à Ibrahim Coulibaly, IB. Est-ce tout ce qu’il y a à retenir de cette audience?
Si j’ai annoncé cette nouvelle, c’est parce que le Président Laurent Gbagbo lui-même en a pris la décision, et a, lui-même, souhaité, que ce soit le secrétaire d’Etat français qui l’annonce. Evidemment, dans ce dossier - dont j’ai conscience qu’il n’est pas facile- la France apprécie ce geste du Président ivoirien parce qu’il s’agit d’un ressortissant français, qui plus est, est journaliste. C’est une décision qui contribue à faire en sorte que le réchauffement (des relations entre la France et la Côte d’Ivoire) dont tellement de journalistes parlent se prolonge. Au fond il n’y a pas eu autant de refroidissement que cela dans nos relations. Il y a eu une période difficile. Mais j’ai constaté, durant mon séjour, qu’entre les Ivoiriens et nous, il y a une chaleur persistante. Je n’ai pas constaté d’animosité sur le terrain ; bien au contraire, c’est beaucoup d’amitié, beaucoup d’affection et une ambiance formidable entre nous.
Lors de votre visite du lycée Blaise Pascal, vous avez joué au football avec le ministre ivoirien de l’Education nationale, et même marqué un but au nom de la Côte d’Ivoire.
Oui. Et j’ai noté que le ministre de l’Education nationale a, au nom de la France, tenté de faire la même chose. Ce qui veut bien dire que nos intérêts sont croisés et communs.
Vous pensez qu’il n’a rien fait pour marquer de but au nom de la France dont il défendait les couleurs au cours de cette parenthèse footballistique?
Je ne le pense pas. Il n’a peut-être pas autant de compétence pour le football qu’il en a eue pour la coopération décentralisée. Nous avons, ensemble, lancé la coopération décentralisée entre la région de Man et la Franche Comté, en France, alors qu’il était maire de Man et que j’étais, que je suis encore, maire de Vesoul. C’est ensemble que nous avons lancé l’Association de coopération décentralisée. Nous avons bien plus de choses en commun que le football.
Connaissez-vous donc Biankouma?
Oui. Là-bas, il y a une école qui s’appelle Vesoul. Il me tarde d’y retourner. Hélas, ce déplacement ne m’a pas permis de me rendre à l’ouest. Mais dès que je le pourrais, j’y retournerais, et, je l’espère, très rapidement.
A l’issue de votre visite du lycée Blaise Pascal, vous avez dit ceci: «il y a de très fortes chances pour que nous commencions à écrire une nouvelle page de la relation entre la Côte d’Ivoire et la France». Quelle pourrait être la première phrase de cette nouvelle page?
Hier (c’était le mardi 5 mai) je parlais de premier paragraphe.
Parlons donc de la première phrase du premier paragraphe…
Il y a la page et après la page, il y a le paragraphe…
Et après le paragraphe, le chapitre…
Au premier paragraphe, que tout le monde se mette d’accord en Côte d’Ivoire pour que les élections aient lieu. Il y a un autre paragraphe qui est en train de s’écrire, qui est celui de la pacification -je salue d’ailleurs les efforts qui ont été faits par le Président Gbagbo, le gouvernement et l’ensemble des interlocuteurs et des acteurs de l’Accord politique de Ouagadougou- puisque c’est une date importante que ce mardi 5 mai, date de l’envoi du premier contingent mixte à Yamoussoukro, au moment où nous étions sur place avec le Président. Le dialogue politique avance. La pacification et la réunification également. Et personne ne peut contester le fait qu’il y a 6 millions d’électeurs qui sont d’ores et déjà enrôlés. Il y a une bonne volonté générale. Il faut encore renforcer le dialogue entre les différents acteurs.
Je dois aussi dire que j’ai été content des discussions avec le Premier ministre. Il est très jeune, très jeune…
Vous le connaissiez…
Nous nous sommes rencontrés à Ouagadougou, au moment des discussions présidées par le Président Blaise Compaoré, puisque j’y étais. Je pense que le Premier ministre a un rôle important à jouer : il est jeune, il ne sera pas candidat. Il me semble qu’il est très sage dans ce qu’il m’a dit qu’il souhaitait faire pour contribuer, en bien, à la consolidation du dialogue politique avant même que les élections ne soient organisées. A mon avis, c’est un gage de sortie d’élections dans la paix civile.
Il y a quelques mois, le Président Nicolas Sarkozy se rendait au Tchad pour négocier, avec le Président Idriss Déby, la libération des membres de l’association l’Arche de Zoé accusés d’organiser un trafic d’enfants à destination de la France.
Puis vous, ici, en Côte d’Ivoire, pour faire libérer, l’un de vos compatriotes. La normalisation des relations de la France avec les pays africains passe-t-elle nécessairement par ce genre d’arrangements qui vont contre la manifestation de la justice?
La demande qui a été faite au Président Gbagbo ne s’est jamais positionnée dans un cadre judiciaire, mais dans le cadre humanitaire. Ce ressortissant français est emprisonné depuis 17-18 mois, nous avons eu des nouvelles parfois préoccupantes sur son état de santé. C’est donc une démarche qui a été faite dans un cadre totalement humanitaire. Et je note que M. Ney, qui a été interviewé dès l’annonce de sa libération, s’est engagé à être à la disposition de la justice ivoirienne. C’est donc un cadre qui me convient parfaitement.
Les arrangements ou la justice?
La justice. Nous n’interférons pas dans la justice, pas plus ici qu’en France. Mais les bonnes relations entre les pays peuvent parfois s’illustrer par des arrangements humanitaires. Qui est-ce qui nous en voudra de faire des arrangements humanitaires ? De la même manière, quand certains pays sont assez éloignés des règles démocratiques, de gouvernance et de transparence, ce n’est pas pour autant que nous suspendons la totalité de nos actions de développement. Nous avons toujours maintenu, dans les pays, qui pourtant ne nous donnaient pas satisfaction sur le plan de la démocratie, de la gouvernance, des droits de l’Homme, notre aide humanitaire en direction des peuples. Parce que nous ne pouvons pas confondre l’intérêt, la détresse des peuples dans certains nombres de pays avec les pressions que nous devons faire, parce que c’est notre devoir, à nous la France, de faire pression sur des dirigeants qui, parfois, au vu de la communauté internationale, ne sont pas totalement dans les règles de gouvernance qui sont édictées et qui sont parfois des conditions de la communauté internationale pour la mise en place de nos politiques de coopération. Mais, malgré cela, nous maintenons nos politiques d’aide aux populations, notamment sur le plan humanitaire. De la même manière, nous pouvons demander, pour un prisonnier qui est un de nos ressortissants, une mesure qui est d’ordre humanitaire.
Revenons au lycée Blaise Pascal. Parler de cet établissement, c’est revenir à novembre 2004.
Et novembre 2004, ce sont les soldats de l’opération Licorne qui font des victimes parmi les Ivoiriens à l’hôtel Ivoire. Que peuvent et doivent attendre les Ivoiriens de la France?
La France a souffert dans sa chair…
Des Ivoiriens sont morts…
…De cette période regrettable qui a existé. Les Ivoiriens ont souffert aussi. Il y a eu beaucoup de souffrances des deux côtés. C’est toujours regrettable. C’est pourquoi, je pense qu’il vaut mieux passer du temps à mettre en place le dialogue politique, à l’intérieur de la Côte d’Ivoire, mais aussi le dialogue entre la Côte d’Ivoire et la France. Ce qui va se passer en Côte d’Ivoire dans les mois à venir est très important. Organiser les élections, c’est bien, parce que c’est tout le monde qui le souhaite. Faire en sorte que l’après-élection soit préparée avant, c’est sans doute encore mieux. Parce que c’est cela qui permettra de retrouver une totale sérénité. Je pense que si le dialogue se consolide avant sur les conditions de sortie de l’élection, ça sera vraiment très important pour que cette élection soit capitale dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Je dis tout cela sans vouloir interférer dans les affaires des Ivoiriens. Mais comme il se trouve qu’un certain nombre de dirigeants ivoiriens nous sollicitent, c’est volontiers que nous voulons être aux côtés de la Côte d’Ivoire et aux côtés du peuple. Etre aux côtés du peuple, c’est aider les dirigeants à trouver des solutions pacifiques.
La question portait sur les victimes ivoiriennes de la Licorne en novembre 2004. Vous n’y répondez pas.
Qu’est-ce que vous voulez que je dise de plus?
Je ne sais pas…
Je dis que la France a beaucoup souffert. Je dis que les Ivoiriens ont beaucoup souffert. Mais franchement, j’ai envie qu’on passe le temps à construire l’avenir. Ce qui s’est passé est évidemment une souffrance pour tout le monde. Mais moi je n’ai pas le sentiment, de tous les contacts que j’ai, que ces événements, aussi regrettables soient-ils… Ils ont d’ailleurs posé une marque importante sur les relations et sur l’histoire entre la France et la Côte d’Ivoire. J’ai vraiment le sentiment que l’immense majorité des Ivoiriens regrettent cette période, et quant aux Français, n’en parlons pas, c’est la même chose. J’ai envie qu’on passe le temps à écrire cette nouvelle page.
Et à…
… ne pas ressasser le passé. Parlons donc d’avenir…
Excusez-moi, je ne veux pas dire que je tire un trait sur le passé, parce que je pense qu’il faut s’en servir pour ne pas que ça puisse recommencer. Ce que je veux, c’est de ne pas le cultiver. Parce que nos relations, dans l’avenir, elles doivent être positives.
… Parlons donc d’avenir… et des grands discours du Président Sarkozy, notamment celui qu’il a fait en Afrique du Sud, et qui annonce un changement de cap, des relations de partenariat d’égal à égal avec les pays du continent, la révision des accords de défense… Quelles sont les grandes lignes de la politique africaine de la France?
Il y a trois grandes lignes pour tenter de redéfinir notre relation avec l’Afrique. Il nous faut sortir du paternalisme dont plus personne ne veut. Qu’est-ce que souhaite le Président de la République qui est la feuille de route qui nous ait donné, à Bernard Kouchner et à moi-même? C’est de redéfinir une relation partenariale avec un maximum de partenariats stratégiques. Premier élément, s’agissant de nos politiques de coopération, c’est une réorientation vers les politiques de coopération de développement économique. Parce que nous constatons que partout où l’on a pu faire décoller l’économie, la pauvreté recule et les objectifs du millénaire pour le développement sont beaucoup plus atteints.
Deuxième élément, la renégociation de nos accords militaires. C’est un partenariat stratégique. Nous écoutons ce que demandent les Africains qui sont concernés par cette renégociation. En général, on accède à ces demandes puisqu’il n’y a plus de raison d’avoir des accords de défense qui sont des accords datés et dont tout le monde a vraiment envie d’en sortir. Les discussions existent. Un de ces accords a déjà été signé. D’autres sont en cours de préparation et nous avançons bien.
Troisième élément, s’agissant notamment de conflits, nous essayons, avec l’Union africaine, d’être là aussi en partenariat, de ne pas agir systématiquement seule, nous la France, puisqu’il n’y a pas de raison que nous agissions seule, sauf lorsque c’est à la demande des Etats qui sont concernés par des étapes un petit peu difficiles. Mais nous essayons toujours d’agir aux côtés de l’Union africaine pour qu’il y ait cette appropriation, par elle, des graves problèmes qui concernent l’Afrique et de nous faire appuyer, systématiquement, par l’Organisation des Nations unies. Voilà les trois piliers qui, selon moi, nous permettent de mettre en œuvre la feuille de route du Président Sarkozy qui souhaite cette nouvelle relation effectivement partenariale, d’égal à égal. Nous avons tous intérêt à ce nouvel ordre relationnel plus largement entre l’Europe et l’Afrique parce que si nous mettons le paquet à développer l’Afrique, avec d’autres considérations et d’autres relations, je suis persuadé que l’Afrique, qui est trop souvent présentée comme un problème, sera du coup une solution.
Que cherchons-nous? La croissance économique. Et où se trouve, en général, la croissance économique? Si on cherche un endroit dans le monde, dans les années qui viennent, et quelle que soit la crise, où l’on peut faire de la croissance économique qui ne serve pas seulement l’Afrique, mais qui serve le monde entier, c’est bien ici, en Afrique qu’on la trouvera. Et plus on justifiera que le monde a besoin de l’Afrique, moins l’Afrique se sentira dans une sorte de carcan paternaliste, souvent désagréable.
Ce que propose le Président Sarkozy avec cette nouvelle relation et ce nouveau développement permet à l’Afrique d’être une solution aux problèmes du monde et non le problème.
Parlons de coopération France-Côte d’Ivoire et rappelons que le Centre culturel français reste toujours fermé.
Oui. Mais l’Agence française pour le développement, par contre, est ouverte. Le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein, cela dépend d’où l’on se place. Je suis un optimiste. Les choses vont se mettre en place étape après étape. Dès que le processus électoral et de réconciliation nationale va être derrière nous, j’espère vers la fin de cette année, tout deviendra possible. Je rappelle que la coopération entre la France et la Côte d’Ivoire a été l’une, voire la plus importante du monde. S’agissant de nos politiques internationales de coopération, je ne demande qu’une chose : retrouver cette situation qui existait par le passé. Il y a tellement de choses entre la Côte d’Ivoire et la France. Il suffit de venir en France, de rencontrer des gens, de parler, il n’y a pas une journée qui se passe sans qu’on vous dise : «mon fils était en Côte d’Ivoire; ma fille était en Côte d’Ivoire; ma nièce, mon cousin, mon beau-frère était en Côte d’Ivoire». Il y a tellement de choses entre les Ivoiriens et les Français que cela dépasse largement les pouvoirs publics et politiques. Nous les ministres, nous les gouvernements sommes de passage et nous essayons de donner le meilleur de nous-mêmes. Mais ce qui est permanent, c’est la relation directe et privilégiée entre nos peuples respectifs. Nous n’avons pas le droit, ni les uns, ni les autres, de ne pas penser à cela quand nous prenons les décisions.
Interview réalisée par Agnès Kraidy