Tous les spécialistes sont unanimes sur une chose. Jacob Zuma aura beaucoup à faire, à la tête de la République d’Afrique du Sud. Il lui faudra vaincre la criminalité, la pauvreté et trouver du travail à ces millions de Sud-Africains qui sont soit frappés par le chômage, soit en quête d’un premier emploi alors qu’ils sont sans qualification. Mais le plus gros défi qui l’attend, pensons-nous, est celui relatif à la pauvreté. Il ne s’agit pas ici, de la pauvreté ordinaire d’hommes et de femmes qui n’ont pas le moindre sou pour manger et qui sont obligés de mendier. Il s’agit plutôt de la pauvreté morale. Elle a ses racines partout dans le pays, surtout dans la communauté noire. Et il faudra à Jacob Zuma du cran, de la ténacité loin des calculs politiciens, pour la vaincre.
Pour qui connaît l’Afrique du Sud post-apartheid, toutes les barrières sont levées. Les Noirs et les Blancs se fréquentent, travaillent ensemble, partagent les mêmes bureaux, les mêmes places sur les stades, empruntent les mêmes bus, etc. On est désormais dans une Afrique du Sud réunifiée. Dorénavant, toutes les communautés doivent apporter leur petite pierre à l’édification de la nation telle que la voulait Nelson Mandela. Or, pour être restés trop longtemps enfermés dans le ghetto, une sorte de juiverie où le souci premier n’était pas l’éducation scolaire ou la formation professionnelle, mais plutôt à l’assassinat de l’apartheid, les Noirs ont pris un gros retard sur les Blancs. Aujourd’hui, à l’heure du donner et du recevoir, ils vont au rendez-vous les mains presque vides.
Que faire, le temps s’en va ?
Même la politique de la discrimination positive pratiquée depuis des années pour palier ce manque ne suffit pas. Selon un homme d’affaires expatrié, depuis le gouvernement Mandela, des efforts ont été faits pour construire un peu partout, dans les villes reculées, des écoles primaires, des collèges et lycées afin de permettre à tous les Sud- Africains de se former. L’accès à l’éducation a été rendu plus facile aussi avec la baisse des frais de scolarisation. Mais regrette un journaliste indépendant, ces efforts n’ont pas été suivis aujourd’hui, plusieurs écoles sont sans coiffure, sans tables-bancs malgré le niveau de développement du pays. Ce sont des ONG qui se chargent de refaire les coiffures de ces écoles et collèges ou qui leur offrent des tables-bancs. Par ailleurs, reconnaît une dame militante de l’ANC passée au COPE, de nombreux jeunes refusent de s’instruire et attendent toujours que tout vienne de l’Etat au nom de la lutte qu’ils ont menée contre le système ségrégationniste. Et c’est justement là où réside le gros défi que doit relever absolument l’équipe Zuma pour que ce grand pays ne sombre pas.
Depuis la fin de l’apartheid, les gouvernements successifs ont décidé de tolérer un certain nombre d’actes délictueux que posent les jeunes noirs. Histoire de leur permettre de se mettre à niveau et s’intégrer dans la nouvelle vie. Cet objectif noble n’a pas été perçu ainsi par la majorité des jeunes qui a pensé avoir reçu des autorités, un blanc-seing dont il fallait abusé. Il est vrai que certaines autorités ont exagéré dans leur appréciation de la situation politico-sociale. Car, chaque fois qu’il y avait une faute, on la mettait automatiquement sur le dos de l’apartheid. Tout cela a fait que d’accusations infondées en accusations grotesques, on en est aujourd’hui à constater amèrement que le Sud-Africain n’a pas fait un véritable pas vers la sortie de la juiverie. La preuve. 90% des Sud-Africains que nous avons interrogés à Johannesburg ne connaissent pas le dollar, la monnaie américaine. Ils ne connaissent que le rand, leur monnaie. C’est avec nous que certains ont découvert avec joie d’ailleurs, cette monnaie. Mais attention ! ceux-là ne sont pas dans la rue. Ils sont des travailleurs, pour la plupart des grandes surfaces, donc habitués à manipuler l’argent. Ils ont beaucoup de mal à repérer la Côte d’Ivoire sur la carte de l’Afrique. Un pays que leur président Thabo Mbeki a visité plus d’une fois, dans le cadre de sa médiation entre rébellion et gouvernement ivoirien.
Autre preuve. Les grandes entreprises se voient dans l’obligation de recruter leurs personnels parmi les expatriés qui ont, le plus souvent, le métier sur les doigts. La main d’œuvre qualifiée manquant cruellement, selon un spécialiste, l’on se tourne vers les Congolais, les Namibiens, les Zimbabwéens, les Mozambicains, les Angolais, les Ivoiriens (qui sont de plus en plus nombreux), etc. Evidemment, cela n’est pas du goût du gouvernement qui rappelle souvent aux opérateurs économiques qu’ils doivent privilégier les nationaux. Le gouvernement va même jusqu’à demander à ces chefs d’entreprise, au cas où ils auraient un Sud-Africain non formé, de payer sa formation pour qu’il soit utile à l’entreprise.
Labourer dans la mer
Selon un opérateur économique qui travaille dans le secteur de la communication, cette main que l’Etat a tendue à ses concitoyens n’a pas été saisie comme il se doit. Les jeunes ont cru voir dans ces aménagements temporels, une courte échelle permanente. “De sorte qu’ils ne font plus aucun effort pour rattraper le temps perdu. Ce qui fait qu’ils sont nombreux à dormir à la belle étoile parce que n’ayant pas de domiciles fixes”. Effectivement, on les rencontre un peu partout, ces “homeless”. Et ces images contrastent affreusement avec l’image de l’Afrique du Sud et celle qu’elle projette au monde. Mais il n’y a pas que ça comme conséquence néfaste de la pauvreté morale dont souffre le plus puissant pays d’Afrique. La criminalité dont Johannesburg a seule le secret, occupera sans nul doute le plus grand espace dans l’immense chantier de la réduction de ce fléau avant la coupe du monde de juin 2010. Quand on ne veut pas aller à l’école et qu’on n’a pas de métier, on ne peut que se livrer la drogue et la criminalité. Or, l’Etat donne le sentiment aujourd’hui d’être impuissant devant ces jeunes qui ont abusé et continuent d’abuser de ses largesses qui n’étaient d’ailleurs que transitoires. Ces jeunes qui croient être le moteur de la lutte anti-apartheid, se croient au-dessus des lois donc des autorités. C’est pour cela qu’à un moment donné, l’ancien président Thabo Mbeki avait commencé à tout serrer, dans la rigueur afin de mettre son pays sur les rails. “Si tu es ministre que tu voles, tu perds ton poste. Si tu tues, on te met en prison”, se souvient un opérateur économique algérien. “Mais c’est peut-être cette rigueur qui lui a été fatale puisque tout le monde n’en veut pas”, conclut-il.
Tous les regards sont tournés vers Zuma qui devra arrêter ça ou la continuer. Véritable casse-tête chinois pour un enfant du peuple qui devra rester à son contact même s’il a promis à ses concitoyens le travail. Mais quel travail et dans quelles conditions ?
Abdoulaye Villard Sanogo Envoyé spécial à Johannesburg Demain : Pourquoi l’Afrique du Sud est en chantier
Pour qui connaît l’Afrique du Sud post-apartheid, toutes les barrières sont levées. Les Noirs et les Blancs se fréquentent, travaillent ensemble, partagent les mêmes bureaux, les mêmes places sur les stades, empruntent les mêmes bus, etc. On est désormais dans une Afrique du Sud réunifiée. Dorénavant, toutes les communautés doivent apporter leur petite pierre à l’édification de la nation telle que la voulait Nelson Mandela. Or, pour être restés trop longtemps enfermés dans le ghetto, une sorte de juiverie où le souci premier n’était pas l’éducation scolaire ou la formation professionnelle, mais plutôt à l’assassinat de l’apartheid, les Noirs ont pris un gros retard sur les Blancs. Aujourd’hui, à l’heure du donner et du recevoir, ils vont au rendez-vous les mains presque vides.
Que faire, le temps s’en va ?
Même la politique de la discrimination positive pratiquée depuis des années pour palier ce manque ne suffit pas. Selon un homme d’affaires expatrié, depuis le gouvernement Mandela, des efforts ont été faits pour construire un peu partout, dans les villes reculées, des écoles primaires, des collèges et lycées afin de permettre à tous les Sud- Africains de se former. L’accès à l’éducation a été rendu plus facile aussi avec la baisse des frais de scolarisation. Mais regrette un journaliste indépendant, ces efforts n’ont pas été suivis aujourd’hui, plusieurs écoles sont sans coiffure, sans tables-bancs malgré le niveau de développement du pays. Ce sont des ONG qui se chargent de refaire les coiffures de ces écoles et collèges ou qui leur offrent des tables-bancs. Par ailleurs, reconnaît une dame militante de l’ANC passée au COPE, de nombreux jeunes refusent de s’instruire et attendent toujours que tout vienne de l’Etat au nom de la lutte qu’ils ont menée contre le système ségrégationniste. Et c’est justement là où réside le gros défi que doit relever absolument l’équipe Zuma pour que ce grand pays ne sombre pas.
Depuis la fin de l’apartheid, les gouvernements successifs ont décidé de tolérer un certain nombre d’actes délictueux que posent les jeunes noirs. Histoire de leur permettre de se mettre à niveau et s’intégrer dans la nouvelle vie. Cet objectif noble n’a pas été perçu ainsi par la majorité des jeunes qui a pensé avoir reçu des autorités, un blanc-seing dont il fallait abusé. Il est vrai que certaines autorités ont exagéré dans leur appréciation de la situation politico-sociale. Car, chaque fois qu’il y avait une faute, on la mettait automatiquement sur le dos de l’apartheid. Tout cela a fait que d’accusations infondées en accusations grotesques, on en est aujourd’hui à constater amèrement que le Sud-Africain n’a pas fait un véritable pas vers la sortie de la juiverie. La preuve. 90% des Sud-Africains que nous avons interrogés à Johannesburg ne connaissent pas le dollar, la monnaie américaine. Ils ne connaissent que le rand, leur monnaie. C’est avec nous que certains ont découvert avec joie d’ailleurs, cette monnaie. Mais attention ! ceux-là ne sont pas dans la rue. Ils sont des travailleurs, pour la plupart des grandes surfaces, donc habitués à manipuler l’argent. Ils ont beaucoup de mal à repérer la Côte d’Ivoire sur la carte de l’Afrique. Un pays que leur président Thabo Mbeki a visité plus d’une fois, dans le cadre de sa médiation entre rébellion et gouvernement ivoirien.
Autre preuve. Les grandes entreprises se voient dans l’obligation de recruter leurs personnels parmi les expatriés qui ont, le plus souvent, le métier sur les doigts. La main d’œuvre qualifiée manquant cruellement, selon un spécialiste, l’on se tourne vers les Congolais, les Namibiens, les Zimbabwéens, les Mozambicains, les Angolais, les Ivoiriens (qui sont de plus en plus nombreux), etc. Evidemment, cela n’est pas du goût du gouvernement qui rappelle souvent aux opérateurs économiques qu’ils doivent privilégier les nationaux. Le gouvernement va même jusqu’à demander à ces chefs d’entreprise, au cas où ils auraient un Sud-Africain non formé, de payer sa formation pour qu’il soit utile à l’entreprise.
Labourer dans la mer
Selon un opérateur économique qui travaille dans le secteur de la communication, cette main que l’Etat a tendue à ses concitoyens n’a pas été saisie comme il se doit. Les jeunes ont cru voir dans ces aménagements temporels, une courte échelle permanente. “De sorte qu’ils ne font plus aucun effort pour rattraper le temps perdu. Ce qui fait qu’ils sont nombreux à dormir à la belle étoile parce que n’ayant pas de domiciles fixes”. Effectivement, on les rencontre un peu partout, ces “homeless”. Et ces images contrastent affreusement avec l’image de l’Afrique du Sud et celle qu’elle projette au monde. Mais il n’y a pas que ça comme conséquence néfaste de la pauvreté morale dont souffre le plus puissant pays d’Afrique. La criminalité dont Johannesburg a seule le secret, occupera sans nul doute le plus grand espace dans l’immense chantier de la réduction de ce fléau avant la coupe du monde de juin 2010. Quand on ne veut pas aller à l’école et qu’on n’a pas de métier, on ne peut que se livrer la drogue et la criminalité. Or, l’Etat donne le sentiment aujourd’hui d’être impuissant devant ces jeunes qui ont abusé et continuent d’abuser de ses largesses qui n’étaient d’ailleurs que transitoires. Ces jeunes qui croient être le moteur de la lutte anti-apartheid, se croient au-dessus des lois donc des autorités. C’est pour cela qu’à un moment donné, l’ancien président Thabo Mbeki avait commencé à tout serrer, dans la rigueur afin de mettre son pays sur les rails. “Si tu es ministre que tu voles, tu perds ton poste. Si tu tues, on te met en prison”, se souvient un opérateur économique algérien. “Mais c’est peut-être cette rigueur qui lui a été fatale puisque tout le monde n’en veut pas”, conclut-il.
Tous les regards sont tournés vers Zuma qui devra arrêter ça ou la continuer. Véritable casse-tête chinois pour un enfant du peuple qui devra rester à son contact même s’il a promis à ses concitoyens le travail. Mais quel travail et dans quelles conditions ?
Abdoulaye Villard Sanogo Envoyé spécial à Johannesburg Demain : Pourquoi l’Afrique du Sud est en chantier