Merci Monsieur le Président pour cette disponibilité ; mais avant de vous poser les questions, je voudrais vous présenter les confrères qui sont avec moi. Le premier est Abel Doualy, du journal “Fraternité Matin’’. Ensuite, Aboulaye Villard Sanogo, de “Notre Voie’’, et moi-même, Albéric Niango. Je suis journaliste à la Télévision première chaîne.
Allée couvrir l’investiture du Président Jacob Zuma, la presse ivoirienne a eu l’honneur d’être reçue par l’ancien Chef de l’état, en sa résidence privée de Johannesburg.
Le samedi 09 mai 2009, il y a eu une importante cérémonie d’investiture du nouveau Président de la République. Vous y étiez. Quel sens donnez- vous à votre présence à cette cérémonie ?
Je l’ai vécu comme un événement important. C’est un processus normal de la vie démocratique dans notre pays. Comme vous le savez, et selon notre Constitution, le pays va aux élections tous les 5 ans pour élire son Parlement et après, le Président. Donc, hier (9 mai, Ndlr), l’évènement auquel nous avons assisté, était la réaffirmation de la force de la vie démocratique dans notre pays. Je pense que cet évènement nous donne un message important qui est que le processus démocratique dans notre pays continue de fonctionner et que le peuple a le pouvoir d’élire son Gouvernement. Je pense qu’hier, l’évènement était la réaffirmation de la force de notre processus démocratique.
Monsieur le Président, vous avez rendu d’énormes services à l’Afrique. Maintenant que vous n’êtes plus Chef de l’Etat, entendez-vous continuer d’être le grand Médiateur que vous avez été dans plusieurs crises africaines ?
Vous connaissez certainement les défis auxquels notre continent est confronté. Je sais que vous êtes aussi informé sur les solutions et l’intérêt de l’ensemble des dirigeants africains qui pensent qu’il faut tout mettre en œuvre pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés, par nous-mêmes. Je pense qu’on n’a pas forcément besoin d’être un Président de la République ou un Chef d’Etat pour apporter sa contribution à la résolution des problèmes auxquels notre continent est confronté. Nous allons continuer dans la mesure du possible d’apporter notre contribution à la résolution des problèmes auxquels notre continent est confronté. Evidemment, à la demande de l’Union Africaine et de la Sadec (Communauté de développement économique des pays d’Afrique du Sud), nous continuons de travailler en qualité de Facilitateur à la résolution de la crise zimbabwéenne ; et l’Union Africaine vient de nous demander de diriger une Commission qui va la conseiller sur les moyens de résoudre la question du Darfour. Nous travaillons avec le Général Aboubacar du Nigeria, l’ancien Président du Burundi, Pierre Buyoya, pour voir comment nous allons conseiller l’Union Africaine le plus rapidement possible afin de résoudre le conflit qui a cours au Darfour. Donc, nous continuons notre mission pour l’Afrique dans la mesure de nos moyens afin de résoudre les problèmes auxquels notre continent est confronté.
Parlant justement de la crise, je voudrais vous ramener à la crise ivoirienne que vous avez essayé de régler. Continuez-vous de la suivre et pensez-vous aujourd’hui que la Côte d’Ivoire est sur la bonne voie ?
Bien sûr, je suis très heureux de l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire, parce que si vous vous souvenez, au moment où nous devions devenir membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, nous avons pensé qu’il n’était pas tout à fait approprié de continuer notre mission de Médiateur, en même temps que nous étions présent au Conseil de Sécurité. C’étaient deux situations difficiles à gérer parce que la crise ivoirienne était déjà à l’ordre du jour au Conseil de Sécurité, dont nous devions forcément participer aux délibérations. Donc, nous sommes tombés d’accord avec les Présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré, pour dire qu’il était important que le dernier cité, en sa qualité de Président de la Cedeao (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest), prenne le relais et fasse la médiation de la crise ivoirienne. C’est pour cela d’ailleurs que nous nous sommes rendus à Ouagadougou avec le Président Laurent Gbagbo pour en parler. Et depuis ce jour, nous nous sommes retiré de la médiation en Côte d’Ivoire, mais nous sommes resté en contact permanent avec les Présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré et nous suivons de très près, l’évolution de la crise ivoirienne. Je suis très heureux et très fier des progrès enregistrés de la part du Gouvernement ivoirien qui travaille pour faire en sorte que tous les points que nous avions envisagés dans la mise en œuvre de l’Accord signé, puissent être réalisés. Vraiment, j’ai espoir que nous allons avoir des élections. Ce qui est l’objectif majeur de tout ce processus. Quand le DDR (Ndlr : Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) sera fait, et que l’enrôlement, l’identification, la réunification du pays, le redéploiement de l’Administration, etc. seront achevés, je pense qu’on pourra avoir des élections. Je sais, évidemment, que tout le monde souhaite que le processus aille un peu plus vite et que ce soit fait plus tôt. Mais, je suis heureux de l’évolution de la situation, d’autant que les objectifs que nous nous sommes fixés au départ, sont en train d’être atteints. Je suis très heureux pour cela.
Le Président Laurent Gbagbo et vous-même êtes d’une nouvelle génération de Présidents africains. Alors, aujourd’hui, vous, vous avez pris du recul, mais le Président Laurent Gbagbo continue. Comment appréciez- vous le travail qu’il fait sur le terrain en ce moment en Côte d’Ivoire?
Je dois dire que nous avons travaillé dans de très bonnes conditions avec le Président Laurent Gbagbo. Quand l’Union Africaine nous a demandé avec le soutien de la Cedeao de commencer notre travail de médiation en Côte d’Ivoire, cela devait être en novembre 2004, la première chose que nous avons faite, était de rencontrer le Président Laurent Gbagbo, parce que je voulais savoir de son point de vue, quelles étaient les raisons de cette crise et aussi quelles étaient les solutions qu’il pourrait proposer pour sa résolution. Et, je veux dire que depuis cette première rencontre avec le Président Laurent Gbagbo, il me l’a dit clairement. Il m’a énuméré un certain nombre de points importants qui pourraient nous permettre de travailler. Il a souligné qu’il était important que des élections se tiennent en Côte d’Ivoire et que ces élections permettent à tout le monde de participer au processus de vote ; que les Ivoiriens soient libres de participer à des élections et de postuler à tous les postes électifs du pays. Il était important de trouver une solution pacifique à la crise, de réunifier le pays et de faire en sorte que les Forces Nouvelles participent au processus politique du pays. Je le dis et ce sont des points importants. Des élections qui doivent être inclusives et faire en sorte que tous les Ivoiriens participent au processus de réunification et de reconstruction du pays dans la paix. Dans les échanges que nous avons eus avec le Président Laurent Gbagbo, il a fait montre d’une flexibilité exemplaire qui nous a permis de prendre en compte tous les points de vue de chacun des leaders. Donc, nous avons continué de travailler avec le Président Laurent Gbagbo, même après notre médiation. Nous avons continué d’être très en contact avec lui et il est resté très constant dans ses positions du début, dans cette force d’ouverture qu’il a de tendre la main à l’autre. Je le dis pour juste indiquer que depuis le départ, le Président Laurent Gbagbo a pris des positions, des engagements. Il est resté constant jusqu’au bout. C’est une attitude qui nous permet de dire qu’il est un rassembleur et qu’il a toujours souhaité que le peuple ivoirien puisse élire librement ses dirigeants. Que tous les Ivoiriens puissent participer dans la ferveur au processus électoral et à la reconstruction du pays après toutes ces années de crise. Concernant la question de la renaissance, je pense que tout le monde , notamment beaucoup de leaders africains, de dirigeants, comprennent qu’il est absolument important de conduire le programme de la renaissance de notre continent dans tous les domaines : politique, économique, etc. Et je suis sûr que ces dirigeants vont continuer d’observer cette voie, y compris le Président Laurent Gbagbo ; ils vont continuer ce combat de la renaissance ; nous devons nous mettre ensemble pour voir ce que nous devons faire pour faire avancer notre continent, pour atteindre les objectifs de la renaissance de notre continent. Et je suis sûr que le Président Gbagbo va continuer de prendre une part active à ce processus-là.
Vous vous êtes félicité, Monsieur le Président, des efforts qui sont faits sur le terrain. Mais, il est évident qu’il y a encore beaucoup de choses qui restent à faire. Avez-vous des conseils, des recommandations à donner ou à faire aux Ivoiriens?
Comme je vous l’ai dit, c’est vrai que je suis très satisfait des avancées, mais beaucoup d’entre nous auraient souhaité que le processus aille un peu plus vite. Mais, je pense que les décisions ont été prises. Souvent, les décisions dessinent ce qu’il faut faire. Je pense que les défis se trouvent dans l’application de ces décisions. Par exemple, les retards que nous rencontrons dans le processus d’enrôlement, d’identification. De mon point de vue, ces retards ne sont pas dus aux dirigeants de la Côte d’Ivoire, au Gouvernement, au Président de la République. Des compagnies ont été désignées pour travailler sur ces questions-là. Ce sont ces compagnies qui mettent le processus en retard. Ce que je dis, c’est que les décisions pour faire avancer le processus existent bel et bien. Maintenant, ce sont des questions techniques qu’il faut gérer. C’est vrai que nous trouvons des gens qui ont des points de vue divergents sur la question. Mais les mécanismes existent pour que ces questions soient prises en compte. Par exemple, je sais qu’avec les Forces Nouvelles, il y a certains membres qui ont donné un point de vue un peu en déphasage avec le processus en cours. Mais les Institutions de l’Etat existent ; les mécanismes existent pour régler ces genres de questions et c’est ce qui nous rassure. Ce à quoi nous devons nous atteler tous aujourd’hui, c’est de faire en sorte que le processus puisse aller de l’avant et que les décisions qui ont été prises, puissent être mises en œuvre. C’est cela qui est la partie essentielle, qui est la partie la plus importante.
Monsieur le Président, si vous deviez refaire ce que vous avez fait en Côte d’Ivoire- même si l’on ne souhaite plus que ce genre de situation arrive- auriez-vous procédé de la même façon?
Je pense que nous aurions procédé de la même façon. Nous n’aurions pas changé notre approche. La position qui était la nôtre et qui est dans la plupart des cas, celle que nous prônons lorsque nous sommes appelés à participer à la résolution de ce type de conflit dans un pays, c’est de faire en sorte que ce soient les concernés eux-mêmes qui trouvent la solution ; qui proposent la solution. C’est ce qui est fondamental. Et comme je le disais tantôt, c’est pour cela que nous sommes partis en Côte d’Ivoire pour rencontrer le Président Laurent Gbagbo, pour lui poser la question de savoir quel est le problème qui se pose à son pays et quelles sont les solutions qu’il propose. Nous avons rencontré aussi le Président Bédié, le Premier ministre Alassane Ouattara. Nous leur avons posé la même question. Nous avons rencontré toutes les parties. Nous avons discuté avec les Forces Nouvelles à Bouaké. Et nous avons eu les réponses du point de vue de chacune des parties. Et donc à partir de ce moment, nous étions capables d’identifier les problèmes et de voir dans les solutions qui nous ont été proposées, celles qui pourraient être les mieux adaptées pour régler cette question. Je trouve que c’est la seule façon de gérer une crise. Vous ne pouvez pas venir de l’extérieur de la Côte d’Ivoire et puis dire que vous avez la solution miracle ; que vous avez toutes les réponses aux problèmes qui se posent en Côte d’Ivoire. Ce serait une mauvaise approche et vous aurez tort de penser comme cela. Si vous voulez avoir une solution durable à une crise, il est mieux d’écouter tous les acteurs ; de tenir compte de leurs points de vue, de leurs positions. Si nous prenons par exemple la question sur l’éligibilité de M. Alassane Ouattara, nous avons discuté de cette question avec les dirigeants ivoiriens. Nous sommes tombés d’accord qu’il fallait trouver une solution de consensus. Et enfin de compte, il a été décidé que nous donnions mandat au Médiateur pour nous proposer une solution. Ils ont dit : ‘’Monsieur le Médiateur, vous nous avez écouté tous. Vous connaissez nos positions. Vous savez la situation. Vous connaissez la situation en Côte d’Ivoire’’. Donc, c’est une décision collective de toutes les parties ivoiriennes. Nous avons dit : voici comment nous pensons que cette question devra être résolue. Nous avons pris cette décision à partir de tout ce que nous avions reçu comme information de chaque partie. Ce type de solution est long à délier parce qu’il faut tenir compte d’un certain nombre de sujets ; de ce que les gens disent ; de ce que toutes les parties disent. C’est vrai que cela peut être un processus qui est lent, mais c’est la seule voie si vous voulez avoir une solution durable. Parce qu’à la fin de la journée, vous voulez avoir un accord qui soit solide et qui vienne surtout des acteurs ivoiriens eux-mêmes.
Nous savons, Excellence, que vous avez un programme très chargé. Nous aurions voulu rester un peu plus longtemps avec vous. Le Président Laurent Gbagbo est présent en Afrique du Sud. Vous allez sans doute vous rencontrer et vous aurez beaucoup de choses à vous dire. Mais au terme de cet entretien, quel message vous pouvez lancer à la Côte d’Ivoire, aux acteurs politiques et aux populations ivoiriennes ?
Nous disons depuis toujours que la Côte d’Ivoire est un pays important. Donc, nous avons le devoir de résoudre la crise qui est advenue dans ce pays et dont les conséquences se sont étendues même en dehors de la Côte d’Ivoire.
Mais, nous disons aussi que la Côte d’Ivoire est un pays important de la sous- région ouest- africaine à cause de son rôle historique et du rôle qu’il continue de jouer. Vous savez très bien que dès que la crise est advenue en Côte d’Ivoire, elle a eu un impact sur l’ensemble des pays frontaliers. Donc, il était important pour nous de résoudre cette crise, pas seulement dans l’intérêt du peuple de Côte d’Ivoire, mais aussi dans l’intérêt des pays de la sous-région.
Nous disons que lorsque vous parlez de la renaissance africaine et que vous regardez les pays qui doivent tirer le processus, il est absolument clair que la Côte d’Ivoire fait partie de ceux qui doivent mener le combat ; qui doivent diriger le combat pour la renaissance africaine. D’où le rôle important, la place importante que ce pays occupe sur le continent africain. Mon message à l’ensemble de la classe politique ivoirienne et au peuple de Côte d’Ivoire est que nous devons tous avoir à l’esprit que chacun de nous a une responsabilité historique, celle d’assurer l’avenir non seulement du peuple de Côte d’Ivoire, mais aussi de l’ensemble des pays du continent. Il est très important que la Côte d’Ivoire évolue vers la fin de cette crise pour atteindre les objectifs que ce pays s’est fixés. Que le pays retrouve sa stabilité, sa normalité. Que l’économie de ce pays se remette en route. Que la Côte d’Ivoire continue de jouer son rôle leader dans le processus de la renaissance africaine. C’est très important. La classe politique ivoirienne et le peuple de Côte d’Ivoire devraient avoir cela à l’esprit constamment. Il faut qu’ils comprennent qu’ils ont une responsabilité importante, pas seulement pour eux, pour le pays, mais pour l’Afrique tout entière. Donc, plus tôt nous allons résoudre cette crise et mieux ce sera, pour permettre à la Côte d’Ivoire d’assurer son rôle de leader dans le processus de la renaissance africaine. Donc, mettons-nous ensemble ; travaillons ensemble pour résoudre la crise parce qu’à la fin de la journée, c’est de cette seule façon que nous pouvons repositionner la Côte d’Ivoire et faire en sorte que ce pays puisse avoir tous les atouts pour jouer ce rôle majeur que l’Afrique lui demande dans le cadre du programme de la renaissance.
Président Thabo Mbeki, merci encore une fois, de votre disponibilité et de votre humilité. La Côte d’Ivoire qui est reconnaissante du travail que vous avez abattu pour le retour de la paix dans le pays, a eu beaucoup de plaisir à vous suivre et à vous écouter à nouveau depuis votre résidence privée de Johannesburg.
Entretien réalisé à Johannesburg par Abel Doualy, Aboulaye Villard Sanogo et Albéric Niango
(Traduction : Bailly Seri, interprète du chef de l’État)
Allée couvrir l’investiture du Président Jacob Zuma, la presse ivoirienne a eu l’honneur d’être reçue par l’ancien Chef de l’état, en sa résidence privée de Johannesburg.
Le samedi 09 mai 2009, il y a eu une importante cérémonie d’investiture du nouveau Président de la République. Vous y étiez. Quel sens donnez- vous à votre présence à cette cérémonie ?
Je l’ai vécu comme un événement important. C’est un processus normal de la vie démocratique dans notre pays. Comme vous le savez, et selon notre Constitution, le pays va aux élections tous les 5 ans pour élire son Parlement et après, le Président. Donc, hier (9 mai, Ndlr), l’évènement auquel nous avons assisté, était la réaffirmation de la force de la vie démocratique dans notre pays. Je pense que cet évènement nous donne un message important qui est que le processus démocratique dans notre pays continue de fonctionner et que le peuple a le pouvoir d’élire son Gouvernement. Je pense qu’hier, l’évènement était la réaffirmation de la force de notre processus démocratique.
Monsieur le Président, vous avez rendu d’énormes services à l’Afrique. Maintenant que vous n’êtes plus Chef de l’Etat, entendez-vous continuer d’être le grand Médiateur que vous avez été dans plusieurs crises africaines ?
Vous connaissez certainement les défis auxquels notre continent est confronté. Je sais que vous êtes aussi informé sur les solutions et l’intérêt de l’ensemble des dirigeants africains qui pensent qu’il faut tout mettre en œuvre pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés, par nous-mêmes. Je pense qu’on n’a pas forcément besoin d’être un Président de la République ou un Chef d’Etat pour apporter sa contribution à la résolution des problèmes auxquels notre continent est confronté. Nous allons continuer dans la mesure du possible d’apporter notre contribution à la résolution des problèmes auxquels notre continent est confronté. Evidemment, à la demande de l’Union Africaine et de la Sadec (Communauté de développement économique des pays d’Afrique du Sud), nous continuons de travailler en qualité de Facilitateur à la résolution de la crise zimbabwéenne ; et l’Union Africaine vient de nous demander de diriger une Commission qui va la conseiller sur les moyens de résoudre la question du Darfour. Nous travaillons avec le Général Aboubacar du Nigeria, l’ancien Président du Burundi, Pierre Buyoya, pour voir comment nous allons conseiller l’Union Africaine le plus rapidement possible afin de résoudre le conflit qui a cours au Darfour. Donc, nous continuons notre mission pour l’Afrique dans la mesure de nos moyens afin de résoudre les problèmes auxquels notre continent est confronté.
Parlant justement de la crise, je voudrais vous ramener à la crise ivoirienne que vous avez essayé de régler. Continuez-vous de la suivre et pensez-vous aujourd’hui que la Côte d’Ivoire est sur la bonne voie ?
Bien sûr, je suis très heureux de l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire, parce que si vous vous souvenez, au moment où nous devions devenir membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, nous avons pensé qu’il n’était pas tout à fait approprié de continuer notre mission de Médiateur, en même temps que nous étions présent au Conseil de Sécurité. C’étaient deux situations difficiles à gérer parce que la crise ivoirienne était déjà à l’ordre du jour au Conseil de Sécurité, dont nous devions forcément participer aux délibérations. Donc, nous sommes tombés d’accord avec les Présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré, pour dire qu’il était important que le dernier cité, en sa qualité de Président de la Cedeao (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest), prenne le relais et fasse la médiation de la crise ivoirienne. C’est pour cela d’ailleurs que nous nous sommes rendus à Ouagadougou avec le Président Laurent Gbagbo pour en parler. Et depuis ce jour, nous nous sommes retiré de la médiation en Côte d’Ivoire, mais nous sommes resté en contact permanent avec les Présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré et nous suivons de très près, l’évolution de la crise ivoirienne. Je suis très heureux et très fier des progrès enregistrés de la part du Gouvernement ivoirien qui travaille pour faire en sorte que tous les points que nous avions envisagés dans la mise en œuvre de l’Accord signé, puissent être réalisés. Vraiment, j’ai espoir que nous allons avoir des élections. Ce qui est l’objectif majeur de tout ce processus. Quand le DDR (Ndlr : Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) sera fait, et que l’enrôlement, l’identification, la réunification du pays, le redéploiement de l’Administration, etc. seront achevés, je pense qu’on pourra avoir des élections. Je sais, évidemment, que tout le monde souhaite que le processus aille un peu plus vite et que ce soit fait plus tôt. Mais, je suis heureux de l’évolution de la situation, d’autant que les objectifs que nous nous sommes fixés au départ, sont en train d’être atteints. Je suis très heureux pour cela.
Le Président Laurent Gbagbo et vous-même êtes d’une nouvelle génération de Présidents africains. Alors, aujourd’hui, vous, vous avez pris du recul, mais le Président Laurent Gbagbo continue. Comment appréciez- vous le travail qu’il fait sur le terrain en ce moment en Côte d’Ivoire?
Je dois dire que nous avons travaillé dans de très bonnes conditions avec le Président Laurent Gbagbo. Quand l’Union Africaine nous a demandé avec le soutien de la Cedeao de commencer notre travail de médiation en Côte d’Ivoire, cela devait être en novembre 2004, la première chose que nous avons faite, était de rencontrer le Président Laurent Gbagbo, parce que je voulais savoir de son point de vue, quelles étaient les raisons de cette crise et aussi quelles étaient les solutions qu’il pourrait proposer pour sa résolution. Et, je veux dire que depuis cette première rencontre avec le Président Laurent Gbagbo, il me l’a dit clairement. Il m’a énuméré un certain nombre de points importants qui pourraient nous permettre de travailler. Il a souligné qu’il était important que des élections se tiennent en Côte d’Ivoire et que ces élections permettent à tout le monde de participer au processus de vote ; que les Ivoiriens soient libres de participer à des élections et de postuler à tous les postes électifs du pays. Il était important de trouver une solution pacifique à la crise, de réunifier le pays et de faire en sorte que les Forces Nouvelles participent au processus politique du pays. Je le dis et ce sont des points importants. Des élections qui doivent être inclusives et faire en sorte que tous les Ivoiriens participent au processus de réunification et de reconstruction du pays dans la paix. Dans les échanges que nous avons eus avec le Président Laurent Gbagbo, il a fait montre d’une flexibilité exemplaire qui nous a permis de prendre en compte tous les points de vue de chacun des leaders. Donc, nous avons continué de travailler avec le Président Laurent Gbagbo, même après notre médiation. Nous avons continué d’être très en contact avec lui et il est resté très constant dans ses positions du début, dans cette force d’ouverture qu’il a de tendre la main à l’autre. Je le dis pour juste indiquer que depuis le départ, le Président Laurent Gbagbo a pris des positions, des engagements. Il est resté constant jusqu’au bout. C’est une attitude qui nous permet de dire qu’il est un rassembleur et qu’il a toujours souhaité que le peuple ivoirien puisse élire librement ses dirigeants. Que tous les Ivoiriens puissent participer dans la ferveur au processus électoral et à la reconstruction du pays après toutes ces années de crise. Concernant la question de la renaissance, je pense que tout le monde , notamment beaucoup de leaders africains, de dirigeants, comprennent qu’il est absolument important de conduire le programme de la renaissance de notre continent dans tous les domaines : politique, économique, etc. Et je suis sûr que ces dirigeants vont continuer d’observer cette voie, y compris le Président Laurent Gbagbo ; ils vont continuer ce combat de la renaissance ; nous devons nous mettre ensemble pour voir ce que nous devons faire pour faire avancer notre continent, pour atteindre les objectifs de la renaissance de notre continent. Et je suis sûr que le Président Gbagbo va continuer de prendre une part active à ce processus-là.
Vous vous êtes félicité, Monsieur le Président, des efforts qui sont faits sur le terrain. Mais, il est évident qu’il y a encore beaucoup de choses qui restent à faire. Avez-vous des conseils, des recommandations à donner ou à faire aux Ivoiriens?
Comme je vous l’ai dit, c’est vrai que je suis très satisfait des avancées, mais beaucoup d’entre nous auraient souhaité que le processus aille un peu plus vite. Mais, je pense que les décisions ont été prises. Souvent, les décisions dessinent ce qu’il faut faire. Je pense que les défis se trouvent dans l’application de ces décisions. Par exemple, les retards que nous rencontrons dans le processus d’enrôlement, d’identification. De mon point de vue, ces retards ne sont pas dus aux dirigeants de la Côte d’Ivoire, au Gouvernement, au Président de la République. Des compagnies ont été désignées pour travailler sur ces questions-là. Ce sont ces compagnies qui mettent le processus en retard. Ce que je dis, c’est que les décisions pour faire avancer le processus existent bel et bien. Maintenant, ce sont des questions techniques qu’il faut gérer. C’est vrai que nous trouvons des gens qui ont des points de vue divergents sur la question. Mais les mécanismes existent pour que ces questions soient prises en compte. Par exemple, je sais qu’avec les Forces Nouvelles, il y a certains membres qui ont donné un point de vue un peu en déphasage avec le processus en cours. Mais les Institutions de l’Etat existent ; les mécanismes existent pour régler ces genres de questions et c’est ce qui nous rassure. Ce à quoi nous devons nous atteler tous aujourd’hui, c’est de faire en sorte que le processus puisse aller de l’avant et que les décisions qui ont été prises, puissent être mises en œuvre. C’est cela qui est la partie essentielle, qui est la partie la plus importante.
Monsieur le Président, si vous deviez refaire ce que vous avez fait en Côte d’Ivoire- même si l’on ne souhaite plus que ce genre de situation arrive- auriez-vous procédé de la même façon?
Je pense que nous aurions procédé de la même façon. Nous n’aurions pas changé notre approche. La position qui était la nôtre et qui est dans la plupart des cas, celle que nous prônons lorsque nous sommes appelés à participer à la résolution de ce type de conflit dans un pays, c’est de faire en sorte que ce soient les concernés eux-mêmes qui trouvent la solution ; qui proposent la solution. C’est ce qui est fondamental. Et comme je le disais tantôt, c’est pour cela que nous sommes partis en Côte d’Ivoire pour rencontrer le Président Laurent Gbagbo, pour lui poser la question de savoir quel est le problème qui se pose à son pays et quelles sont les solutions qu’il propose. Nous avons rencontré aussi le Président Bédié, le Premier ministre Alassane Ouattara. Nous leur avons posé la même question. Nous avons rencontré toutes les parties. Nous avons discuté avec les Forces Nouvelles à Bouaké. Et nous avons eu les réponses du point de vue de chacune des parties. Et donc à partir de ce moment, nous étions capables d’identifier les problèmes et de voir dans les solutions qui nous ont été proposées, celles qui pourraient être les mieux adaptées pour régler cette question. Je trouve que c’est la seule façon de gérer une crise. Vous ne pouvez pas venir de l’extérieur de la Côte d’Ivoire et puis dire que vous avez la solution miracle ; que vous avez toutes les réponses aux problèmes qui se posent en Côte d’Ivoire. Ce serait une mauvaise approche et vous aurez tort de penser comme cela. Si vous voulez avoir une solution durable à une crise, il est mieux d’écouter tous les acteurs ; de tenir compte de leurs points de vue, de leurs positions. Si nous prenons par exemple la question sur l’éligibilité de M. Alassane Ouattara, nous avons discuté de cette question avec les dirigeants ivoiriens. Nous sommes tombés d’accord qu’il fallait trouver une solution de consensus. Et enfin de compte, il a été décidé que nous donnions mandat au Médiateur pour nous proposer une solution. Ils ont dit : ‘’Monsieur le Médiateur, vous nous avez écouté tous. Vous connaissez nos positions. Vous savez la situation. Vous connaissez la situation en Côte d’Ivoire’’. Donc, c’est une décision collective de toutes les parties ivoiriennes. Nous avons dit : voici comment nous pensons que cette question devra être résolue. Nous avons pris cette décision à partir de tout ce que nous avions reçu comme information de chaque partie. Ce type de solution est long à délier parce qu’il faut tenir compte d’un certain nombre de sujets ; de ce que les gens disent ; de ce que toutes les parties disent. C’est vrai que cela peut être un processus qui est lent, mais c’est la seule voie si vous voulez avoir une solution durable. Parce qu’à la fin de la journée, vous voulez avoir un accord qui soit solide et qui vienne surtout des acteurs ivoiriens eux-mêmes.
Nous savons, Excellence, que vous avez un programme très chargé. Nous aurions voulu rester un peu plus longtemps avec vous. Le Président Laurent Gbagbo est présent en Afrique du Sud. Vous allez sans doute vous rencontrer et vous aurez beaucoup de choses à vous dire. Mais au terme de cet entretien, quel message vous pouvez lancer à la Côte d’Ivoire, aux acteurs politiques et aux populations ivoiriennes ?
Nous disons depuis toujours que la Côte d’Ivoire est un pays important. Donc, nous avons le devoir de résoudre la crise qui est advenue dans ce pays et dont les conséquences se sont étendues même en dehors de la Côte d’Ivoire.
Mais, nous disons aussi que la Côte d’Ivoire est un pays important de la sous- région ouest- africaine à cause de son rôle historique et du rôle qu’il continue de jouer. Vous savez très bien que dès que la crise est advenue en Côte d’Ivoire, elle a eu un impact sur l’ensemble des pays frontaliers. Donc, il était important pour nous de résoudre cette crise, pas seulement dans l’intérêt du peuple de Côte d’Ivoire, mais aussi dans l’intérêt des pays de la sous-région.
Nous disons que lorsque vous parlez de la renaissance africaine et que vous regardez les pays qui doivent tirer le processus, il est absolument clair que la Côte d’Ivoire fait partie de ceux qui doivent mener le combat ; qui doivent diriger le combat pour la renaissance africaine. D’où le rôle important, la place importante que ce pays occupe sur le continent africain. Mon message à l’ensemble de la classe politique ivoirienne et au peuple de Côte d’Ivoire est que nous devons tous avoir à l’esprit que chacun de nous a une responsabilité historique, celle d’assurer l’avenir non seulement du peuple de Côte d’Ivoire, mais aussi de l’ensemble des pays du continent. Il est très important que la Côte d’Ivoire évolue vers la fin de cette crise pour atteindre les objectifs que ce pays s’est fixés. Que le pays retrouve sa stabilité, sa normalité. Que l’économie de ce pays se remette en route. Que la Côte d’Ivoire continue de jouer son rôle leader dans le processus de la renaissance africaine. C’est très important. La classe politique ivoirienne et le peuple de Côte d’Ivoire devraient avoir cela à l’esprit constamment. Il faut qu’ils comprennent qu’ils ont une responsabilité importante, pas seulement pour eux, pour le pays, mais pour l’Afrique tout entière. Donc, plus tôt nous allons résoudre cette crise et mieux ce sera, pour permettre à la Côte d’Ivoire d’assurer son rôle de leader dans le processus de la renaissance africaine. Donc, mettons-nous ensemble ; travaillons ensemble pour résoudre la crise parce qu’à la fin de la journée, c’est de cette seule façon que nous pouvons repositionner la Côte d’Ivoire et faire en sorte que ce pays puisse avoir tous les atouts pour jouer ce rôle majeur que l’Afrique lui demande dans le cadre du programme de la renaissance.
Président Thabo Mbeki, merci encore une fois, de votre disponibilité et de votre humilité. La Côte d’Ivoire qui est reconnaissante du travail que vous avez abattu pour le retour de la paix dans le pays, a eu beaucoup de plaisir à vous suivre et à vous écouter à nouveau depuis votre résidence privée de Johannesburg.
Entretien réalisé à Johannesburg par Abel Doualy, Aboulaye Villard Sanogo et Albéric Niango
(Traduction : Bailly Seri, interprète du chef de l’État)