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Politique Publié le lundi 25 mai 2009 | Le Patriote

Mme Sabina Vigani (Centre Jimmy Carter-Côte d’Ivoire): “L’observation et la certification des élections viennent renforcer la confiance”

A la demande des autorités ivoiriennes, la Fondation Jimmy Carter, a ouvert un bureau à Abidjan pour suivre et apporter son expertise pour des élections transparentes et crédibles. La directrice du bureau d’Abidjan, Mme Sabina Vigani, s’en explique.

Vous êtes en Côte d’Ivoire, depuis janvier 2008, où vous assurez la direction du bureau du Centre Carter en Côte d’Ivoire. Qu’est-ce que le Centre Carter et que faites-vous exactement?
Le Centre Carter est une organisation non gouvernementale à but non lucratif, qui a été créé en 1982 par l’ancien Président des Etats-Unis, Jimmy Carter et son épouse Rosalynn, dans le but de promouvoir la paix et la santé dans le monde. En Côte d’Ivoire, le Centre est présent avec une mission internationale d’observation électorale. Notre présence dans votre pays a été sollicitée par les autorités ivoiriennes, qui manifestent ainsi leur volonté de renforcer la transparence du processus électoral. En 2005 déjà, le Président Laurent Gbagbo avait invité le Président Jimmy Carter à déployer des observateurs internationaux en vue de l’élection présidentielle qui aurait dû se tenir à l’époque. En 2008, le Premier ministre Guillaume Soro a reformulé la même demande et le Président Jimmy Carter y a répondu favorablement.
La mission d’observation électorale du Centre Carter en Côte d’Ivoire se propose de suivre toutes les phases du processus électoral, y compris donc l’opération conjointe d’identification de la population et de recensement électoral. Nous avons tenu tout particulièrement à suivre cette opération, en raison de son importance dans le cadre du processus électoral, mais aussi, et plus globalement, pour une résolution durable de la crise ivoirienne.

Le Centre Carter vient justement de publier un rapport final sur le processus d’identification et de recensement électoral. Qu’elle est l’appréciation de votre organisation sur ce processus ?
Il s’agit plus précisément, d’une appréciation sur la phase d’enrôlement de la population, qui n’est que la première étape de l’opération d’identification et de recensement électoral. Le rapport peut être résumé en deux constats principaux. Premièrement, nous avons constaté que, hormis quelques incidents sporadiques, l’opération s’est déroulée dans le calme. Dans l’ensemble, la population a pu participer librement à l’opération. Ce sont des constats positifs, surtout lorsqu’on se souvient que l’identification a cristallisé autour d’elle, beaucoup de passions des acteurs politiques. Malgré les difficultés souvent rencontrées dans l’établissement des pièces requises à l’enrôlement, les Ivoiriens ont démontré leur intérêt et leur volonté de participer à l’opération. Plus de 6 millions de personnes enrôlées constituent déjà un résultat remarquable. La phase de rattrapage en cours et l’enrôlement des Ivoiriens à l’étranger, offrent une occasion supplémentaire à ceux n’ont pas encore pu s’enrôler.
Le deuxième constat dressé par le rapport porte sur les difficultés d’ordre financier, logistique et organisationnel qui ont émaillé l’opération, retardant considérablement sa progression.

Quels sont ces problèmes que vous avez observés ?
Quand nous disons problèmes logistiques, nous faisons référence notamment, à l’insuffisance de véhicules pour les structures impliquées dans les opérations d’enrôlement, ce qui a passablement compliqué le déploiement des agents des centres de collecte et le suivi des superviseurs. Nous pensons également à l’insuffisance de groupes électrogènes, indispensables pourtant au fonctionnement des ordinateurs dans les centres de collecte, dont la grande majorité n’était pas électrifiés. Quand on parle de difficultés organisationnelles, nous faisons référence notamment, à la coordination et la communication entre les structures intervenantes, mais aussi, la communication entre le niveau central à Abidjan et le niveau décentralisé. Nous avons mis l’accent sur ce genre de dysfonctionnements, que d’ailleurs les journalistes n’ont pas manqué de rapporter, parce que nous estimons que ces problèmes n’étaient pas tous inévitables.

Que voulez-vous dire par là ?
Bon nombre des problèmes rencontrés découlaient de la conception du mode opératoire pour l’opération, un mode opératoire lourd et complexe du fait des considérations politiques qui l’ont façonné. Pensez au nombre de structures impliquées dans l’opération d’enrôlement. A la base, la présence de toutes ces structures traduit un choix politique, et non pas une exigence ou une nécessité pratique. Pourtant, il suffisait que l’une ou l’autre de ces structures soit défaillante pour que la machine ralentisse ou se grippe carrément. Alors, dans une certaine mesure, nous comprenons que la prise en compte de considérations politiques était nécessaire pour restaurer la confiance entre les acteurs. Mais il aurait fallu également mieux évaluer et prendre en compte la dimension opérationnelle des choix politiques opérés, notamment les implications financières, logistiques et opérationnelles pour toutes les structures impliquées. Cette dimension opérationnelle a été sous-évaluée, d’ou bon nombre de difficultés rencontrées.

Quelles sont alors les recommandations que formule le Centre Carter pour la suite du processus?
Dans l’immédiat, nous exhortons tous les acteurs impliqués dans la prise de décisions à arrêter toutes les dispositions nécessaires au lancement et au bon déroulement de la prochaine étape du processus, à savoir la vérification des données des personnes enrôlées. Il faut notamment arrêter le choix des fichiers historiques qui seront utilisés dans le cadre du croisement des données collectées à l’enrôlement. Il faut également décider comment on va s’y prendre avec les cas des personnes enrôlées et dont la nationalité ne pourra pas être confirmée par le biais des croisements avec les fichiers historiques.

Est-ce que cela suscite en vous des inquiétudes ?
Disons que nous souhaitons que le processus électoral puisse se poursuivre sans blocages et dans le respect du calendrier proposé par la Commission Electorale Indépendante. Nous voudrions que les prochaines étapes puissent s’enclencher de façon harmonieuse, et non pas qu’il y ait encore un temps mort entre la fin de l’opération d’enrôlement et celle de vérification des données. Mais cela présuppose que les questions en suspens depuis l’adoption du mode opératoire soient débattues et que des décisions soient prises.

Le 5ème CPC a établi un chronogramme très précis. Est-ce que pour l’observateur que vous êtes, cela est rassurant ?
A ce jour, c`est-à-dire le jour qui suit la réunion du CPC, nous n’avons pas encore vu un chronogramme détaillé, avec toutes les tâches qui restent à réaliser dans la préparation des élections. Par exemple, savez-vous combien de jours seront nécessaires pour le traitement des données récoltées à l’enrôlement ? Combien de jours pour préparer l’affichage des listes provisoires? Combien de jours pour la production des cartes d’identité et d’électeurs ? Ceci dit, la CEI a certainement consigné tous ces détails, plutôt techniques certes – mais comme vous le savez le diable se trouve dans les détails – dans le chronogramme présenté à la réunion du CPC. Nous attendons de prendre connaissance de ce chronogramme détaillé.

Quel doit être, selon vous, le mode d’emploi dans la certification des élections ?
Je crois que le Représentant Spécial du Secrétaire Général, M. Choi, est la voix la plus autorisée pour répondre à votre question, puisqu’il a été justement investi du mandat de certification des élections. Les observateurs internationaux, ceux du Centre Carter mais aussi d’autres qui vont arriver, de l’Union africaine, de l’Union européenne, de la CEDEAO, etc., sont appelés à témoigner de ce qui se passe dans le processus électoral.

Mais alors, quelle est la différence entre la certification et l’observation des élections ?
Il y a une différence au niveau du mandataire. Le mandat de certification des élections dont a été investi M. Choi relève d’une décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies. En revanche, les missions d’observation internationales des élections sont tributaires d’une invitation officielle des autorités du pays qui les accueille. Mais au-delà de cette différence, la certification et l’observation électorale présentent des points communs. Pour commencer, elles partagent les mêmes objectifs : renforcer l’intégrité du processus électoral, augmenter la confiance des citoyens, réduire le risque de conflit autour des élections et finalement reconnaître la légitimité des représentants élus par des élections crédibles. En outre, la certification et l’observation électorales partagent également le même cadre de référence pour évaluer le processus électoral : le respect de la loi ivoirienne et des standards internationaux, sans ignorer le contexte politique, culturel et historique de la Cote d’Ivoire. Vous voyez donc que le certificateur et les observateurs internationaux ne travaillent pas en vase clos, puisqu’ils partagent les mêmes objectifs et le même cadre de référence pour l’évaluation du processus. Il y a logiquement des passerelles entres les deux. Je pense que l’analyse des observateurs indépendants, internationaux mais nationaux également, constituent l’une des sources d’information que le certificateur pourra prendre en considération dans l’exécution de son mandat. La certification est en quelque sorte un cachet de l’ONU, qui représente la communauté internationale, qui atteste qu’une élection s’est déroulée de manière juste et transparente.

Que se passe-t-il si une élection n’est pas certifiée par l’ONU ?
C’est un cas de figure qui ne s’est pas encore posé, et d’ailleurs n’oubliez pas que la certification est intervenue dans deux pays seulement à part la Côte d’Ivoire. On peut néanmoins supposer que la non certification d’un processus électoral par les Nation Unies pourrait avoir des conséquences négatives au niveau des relations du pays concerné avec les autres membres de la communauté internationales, avec les bailleurs de fonds, etc. Mais vous savez, je pense que la perspective de la certification par l’ONU est à la fois un puissant facteur de motivation pour organiser des élections crédibles et un puissant facteur de dissuasion de toute volonté de fraude.

En clair, selon-vous, la Côte d’Ivoire ne peut pas se passer de la certification ?
Mais rappelez-vous que dans le cas ivoirien, l’idée de la certification est d’abord le résultat d’un compromis entre les principaux acteurs politiques, qui par la suite a été entérinée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Souvenez-vous que dans la perspective des élections qui auraient dû se tenir en 2005, le régime en place et les principaux partis d’opposition se trouvaient sur des positions diamétralement opposées. Si je ne fais erreur, l’opposition avait réclamé à un moment donné que l’ONU se charge entièrement de l’organisation des élections, une revendication jugée inacceptable par le pouvoir en place. Le médiateur de l’époque, le Président Thabo MBeki, et l’ancien Secrétaire Général des Nations Unis, Kofi Annan, avaient donc proposé l’idée de la certification par les Nations Unies. Parce que le fait de savoir qu’il y a un œil extérieur et non partisan qui veille sur le processus électoral et qui finalement juge de sa crédibilité, devrait rassurer les uns et les autres. A ce que je sache, aucun des acteurs politiques concernés n’a récusé le principe de la certification, qui doit donc être perçue positivement, pour la simple raison qu’elle incite tout le monde à travailler de manière transparente. C’est une mesure pour renforcer la confiance dans le processus. Je crois que c’est quelque chose de positif.

Maintenant que la date des élections est fixée, à quand le déploiement des premiers observateurs du Centre Carter sur le terrain ?
Les premiers observateurs ont déjà été déployés à deux reprises pendant l’opération d’identification et de recensement électoral. J’espère que les mêmes personnes, qui se sont déjà bien familiarisées avec la dynamique ivoirienne, seront disponibles pour être redéployées comme observateurs de « long terme ». Cela se fera à peu près trois mois avant les élections, pour que nous pussions suivre aussi le traitement du contentieux sur la liste provisoire. C’est une étape très importante. Et puis, une dizaine de jours avant les élections, il y aura d’autres observateurs, appelés de « court terme », qui vont arriver pour le jour « J » des élections. Entretemps, le bureau du Centre Carter continue de suivre les développements politiques et l’évolution des préparatifs électoraux.

Qu’est ce que l’observation internationale des élections peut-il apporter à un pays comme la Côte d’Ivoire ?
En Côte d’Ivoire comme dans tout autre pays, l’observation électorale peut renforcer l’intégrité et la transparence des processus électoraux. Parce que par la présence des observateurs, on peut arriver à dissuader des fraudes ou des irrégularités. Ou bien, on peut dénoncer des fraudes ou des irrégularités lorsque celles-ci sont susceptibles d’affecter l’intégrité du processus. Ou alors encore, après les élections, les observateurs s’efforcent généralement de produire des recommandations pour améliorer par la suite le processus électoral. Ensuite, le fait de savoir qu’il y a des observateurs neutres peut renforcer la confiance des citoyens, encourager la participation au scrutin, ou encore, réduire le risque de conflit autour des élections. De manière plus spécifique, les conclusions des missions internationales d’observation électorale fournissent ce qu’on peut appeler un tableau factuel de ce qui s’est passé avant, après et pendant le scrutin. Ce tableau factuel devient particulièrement précieux en cas de contestation électorale, étant donné que des conclusions fiables et impartiales peuvent contribuer à atténuer les risques de conflits.
Mais vous savez que l’observation internationale des élections est une pratique qui a commencé dans les années 90 et qui est aujourd’hui largement répandue et acceptée. D’ailleurs, on n’observe pas seulement les élections dans les pays qui sortent d’une crise. Même dans les démocraties bien établies on observe les élections, comme par exemple aux Etats-Unis d’Amérique tout récemment, lors de l’élection présidentielle. Mais c’est évident que dans les pays qui sortent d’un conflit ou dans les jeunes démocraties, l’observation internationale des élections assume une dimension et une importance particulière, à cause justement du déficit de confiance caractéristique de ces situations. L’appréciation des observateurs indépendants peut ajouter un surplus de légitimité à celui qui est élu dans de bonnes conditions. Mais la caution principale vient du fait que le résultat et le processus électoral dans l’ensemble soient jugés crédibles et acceptables par les citoyens.

Le reproche qui est fait aux observateurs est en général qu’ils ne vont pas sur le terrain. Ils sont plutôt assis derrière des bureaux et ils produisent des rapports. Est-ce que votre dernier rapport, n’est-il pas frappé de ce sceau ?
Vraiment pas ! Que le rapport soit bon ou mauvais, ça c’est une autre affaire. Mais il est certainement le fruit d’un travail d’analyse des textes d’abord et de vérification sur le terrain ensuite. Ceci étant dit, je comprends votre remarque. C’est vrai que c’est une critique qu’on entend souvent. Elle ne vise parfois qu’à discréditer le travail des observateurs, lorsque ce travail n’arrange pas celui qui critique. Mais cette critique n’est pas non plus toujours dénuée de fondement. En ce qui concerne le Centre Carter, notre démarche s’inscrit dans l’observation de long terme et bien entendu dans l’observation de terrain. L’observation de long terme pour s’imprégner d’abord des réalités, pour comprendre le contexte dans lequel on évolue. Parce que les élections, c’est des procédures mais, c’est aussi, un contexte politique, historique et culturel. L’observation de terrain vise à apprécier, entre autres, comment les accords, la législation, les institutions et les mécanismes qui régissent le processus électoral sont appliqués, travaillent ou fonctionnent dans la réalité. C’est ainsi que dans le cadre du suivi du processus d’identification et de recensement électoral, nous avons visité plus de 60 sous- préfecture en Côte d’Ivoire : Maféré, Bayota, Madinani, Zikisso, Bouna, Grand Béréby et j’en passe. Les observateurs prêtent également attention à des facteurs comme l’atmosphère entre acteurs politiques au niveau local, l’existence de conflits au niveau local, etc. Parce que les élections ne se passent dans le vide. Ce sont des gens qui vont voter, qui ne doivent pas être intimidés, et qui doivent se sentir rassurés. Donc les observateurs du Centre Carter ont eu toujours à rencontrer les autorités locales, les démembrements de la CEI et des organisations de la société civile. Vous comprenez que la démarche de long terme et d’observation de terrain exige aussi des moyens conséquents, que le Centre Carter s’efforce de mobiliser auprès des bailleurs de fonds pour ses missions d’observation électorale.

Est-ce que le bureau bénéficie de la confiance des acteurs, c’est-à-dire, des leaders de l’opposition, du régime en place et des structures impliquées dans le processus électoral ?
Vous devriez leur poser la question ! Mais, à mon sens, cette confiance existe et se traduit par la disponibilité à notre égard des acteurs politiques et institutionnels. Ce qui est sûr, c’est que les observateurs du Centre Carter et moi-même avons été accueillis le plus souvent positivement par les nombreux interlocuteurs rencontrés, à Abidjan comme à l’intérieur du pays. A l’intérieur en particulier, les gens se disent rassurés de savoir qu’il y a des observateurs indépendants qui observent et témoignent de ce qui se passe. Notre travail, finalement, n’est utile que si les gens savent que nous sommes présents. Les acteurs ivoiriens et la CEI en particulier, savent que le Centre Carter conduit son travail conformément aux standards internationaux contenus dans la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections, adoptée aux Nations Unies en 2005. Les organisations signataires de cette déclaration, comme le Centre Carter, reconnaissent que les observateurs internationaux ont aussi des devoirs dans le cadre de leur travail, notamment le devoir de respecter les lois du pays qui les accueille, le devoir de ne pas entraver les processus électoraux, etc. Je pense que lorsque des observateurs internationaux s’engagent à respecter cette déclaration, et qu’ils peuvent donc être tenus comptables vis-à-vis de ces engagements, cela mérite la confiance des acteurs nationaux.
Le Centre Carter conduit son travail d’observation conformément aux standards internationaux contenus dans la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections, adoptée aux Nations Unies en 2005. Les organisations signataires de cette déclaration reconnaissent que les observateurs internationaux ont aussi des devoirs.


Entretien réalisé par
Coulibaly Brahima
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