Recensement électoral et identification : Les Ivoiriens des Etats-Unis crient leur colère

“Les rebelles ont dit avoir pris les armes pour que tout le monde ait les papiers, pour que l’article 35 de la constitution change et que Alassane Ouattara soit candidat aux présidentielles. Gbagbo a usé de l’article 48 pour les apaiser afin de les empêcher d’exterminer les Ivoiriens. Depuis Prétoria donc, un de leurs désideratats a été satisfait, mais il y a 30% de nos compatriotes qui n’ont pas encore leurs papiers d’après les statistiques de la Commision électorale indépendante (CEI). “Pour éviter que ces derniers n’aient, eux aussi, recours aux armes pour exiger leurs papiers après des élections, le Président Gbagbo aurait dû attendre que le dernier des ivoiriens soit identifié et enrôlé avant de parler d’élections; pour moi, c’est une question de logique”. Celui qui parle ainsi se nomme Sylla Y, il est ivoirien et est vendeur de DVD sur la 116ème rue à Harlem dans l’Etat de New York.

A quelques blocs de là, au Carrefour de la 125ème rue et de la 3ème avenue, c’est le vieux Amidou D. commerçant de sacs à main, 80 ans environ qui dit être Malien avec tous ses biens en Côte d’Ivoire où toute sa famille vit, precisément dans la ville de Tafiré. “Dieu seul sait ce que les gens d’Alassane Ouattara nous ont montrés. Gbagbo a accepté que les gens aillent mener l’opération d’enrôlement dans tous les petits villages du nord sans que personne ne les surveille, sait-il ce qui s’y est passé ? Si Alassane dit, par exemple, que l’heure des élections est arrivée, c’est parce qu’il sait que tous les laboratoires de tricherie disseminés dans tout le nord lui permettent de gagner les élections haut les mains aujourd’hui. Normalement si l’on doit donner les papiers à tous les ivoiriens, on ne devrait pas être pressé car cela va prendre du temps. “Nous recevons les nouvelles de la Côte d’Ivoire chaque jour”, ajoute sa fille, Fanta D, étudiante à l’université communautaire de Manhattan. “Je crains plus pour l’après-élection, surtout quand des candidats se déclarent dejà vainqueurs avant que les consultations elles-mêmes ne débutent. C’est une manière de préparer les esprits à la contestation et je crois que les gens devraient veiller à cet aspect de la situation”.

“Il y a anguille sous roche” , insiste Kouassi Y. enseignant à la prestigieuse Université Columbia de New York. “Ceux qui ne voulaient pas aller aux élections “vite vite” comme le demandait le président Gbagbo semblent aujourd’hui plus pressés que tout le monde. Comment cela peut-il être possible si une bonne partie de la population n’a pas encore les fameux papiers et si l’enrôlement n’a pas encore debuté à l’étranger ici? ”, ajoute-t-il.

Gokou T., homme d’affaires résidant à New Jersey l’interrompt : “Je crois que c’est Gbagbo lui-même qui a permis cela. Sa trop grande propension à être un modèle de démocrate en Côte d’Ivoire et en Afrique, son souci de vouloir faire la politique en pensant au bien-être de son peuple, l’ont amené à accepter beaucoup de choses durant cette crise. Pour moi, il aurait dû ne pas entamer la moindre étape de ce processus tant que le désarmement n’est pas encore effectif. Mais helas! Le processus est aujourd’hui à un niveau où des gens vont vouloir l’acculer pour avoir des élections sans désarmement.”

J.D. Kouassi, un autre ivoirien enseignant à l’université Rutgers de Newark à New Jersey renchérit après avoir révélé qu’il a pu justifier les actes de Gbagbo. Mais avant, Il dit avoir fui l’enseignement en Côte d’Ivoire lorsqu’Alassane Ouattara, alors Premier ministre d’Houphouet-Boigny, a institué l’apartheid salarial au niveau des enseignants. Pour lui, “Gbagbo est l’un des rares présidents patriotes que l’Afrique a en ce moment. Je pense que s’il a accepté tous ces caprices de son opposition (?) et de sa bande armée , c’est pour abréger la souffrance du peuple. Quand vous suivez les actes de tous nos leaders de façon non partisane, vous vous rendrez compte facilement qu’il est le seul qui peut mettre de l’eau dans son vin. Les autres le savent, c’est pourquoi ils exagèrent. Si j’étais à sa place, je n’autoriserais pas d’élections tant que le dernier des ivoiriens n’a pas encore ses papiers” .

Au VIP, le maquis ivoirien situé sur la 169ème dans le Bronx, c’est le même son de cloche. Celui qui nous reçoit se fait appeler “le Pape de la sape”. Pour lui, “beaucoup de politiciens ivoiriens sont des comédiens. Après avoir crié sur tous les toits que les gens doivent avoir leurs papiers, ils mettent aujourd’hui leurs exigences entre parenthèses pour demander des élections “maintenant”. J’estime que l’occasion est fort belle pour que les suiveurs descendent désormais des nuages pour comprendre que, les gens n’ont pas monté leur entreprise (ndlr : la rébellion ) à cause du peuple mais juste pour diriger aussi la Côte d’Ivoire”.


Mathieu Bouabré à New York: mattbouabre@yahoo.com