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Économie Publié le lundi 15 juin 2009 | Le Repère

Chine-Afrique : La menace de l’invasion jaune

Pour la première fois dans l'histoire, depuis une vingtaine d'années, la Chine et les autres grands pays coexistent désormais en tant que puissances dans le même monde. Cela n'était jamais arrivé auparavant. C'est là un des aspects majeurs de l'ère actuelle de la mondialisation, antérieure même à la disparition de l'Union des Républiques socialistes soviétiques (Urss) en 1991 qui mit fin au monde dit " bipolaire " caractérisé par un demi-siècle de suprématie militaire des Etats-Unis et de l'URSS et par la division du monde en deux systèmes à la fois hégémoniques et antagonistes, auxquels le Tiers-monde de l'époque, celui de Bandoung essayait d'échapper.


I/ Isolement et retour au monde

Certes la Chine est une puissance très ancienne, héritière de l'une des plus vieilles civilisations connues de l'humanité, la seule qui ait traversé sans se défaire les cinq derniers millénaires.
Mais jusqu'au XIX siècle, elle a vécu au rythme de sa propre histoire et de ses dynasties, dans un monde à part, " Empire du milieu " alternant moments d'unité et de désunion, rejetant ses conquérants ou les absorbant à la longue, répandant sa culture jusqu'aux confins de l'Asie, à peu près indifférente au reste du monde.

Parallèlement, celui-ci, empire, royautés, papauté, vivait sa propre vie sans se soucier de la Chine, voire l'ignorait.

L'existence depuis l'antiquité de quelques liens commerciaux entre l'Europe, l'Orient et la Chine grâce aux routes de la soie, aux expéditions de quelques marchands ou missionnaires, aux pérégrinations de l'Amiral Chian-Zheng He jusqu'en Afrique, à l'échange occasionnel de présents entre souverains par l'intermédiaire de messagers au cours des siècles passés, n'avait en rien modifié cette compartimentation du Monde.

Et quand les puissances occidentales en pleine expansion coloniale, ainsi que le Japon, avait convoité la Chine au XIXe siècle, celle-ci, affaiblie, n'était plus alors une vraie puissance en état de se défendre mais une cible, une proie ou un marché (entre autres pour l'Opium britannique). Dépécée par des puissances étrangères rivales, la Chine entre alors dans un long tunnel où elle subit occupants, traités inégaux, attribution forcée de concessions aux Occidentaux, guerre civile. Il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour que les Communistes chinois, avec Mao Tsé-Tung, réussissent à refaire l'unité de la Chine et à restaurer sa souveraineté.

Ensuite, et pour près de 30 ans, la Chine se referme sur elle-même, à la seule exception de son alliance avec l'URSS qui dure environ dix ans. Elle est engagée dans une confrontation directe avec les Etats-Unis en Corée (en 1950-1951), puis indirecte avec la France dans la première guerre du Vietnam jusqu'en 1955, puis à nouveau avec les Etats-Unis dans la seconde guerre du Vietnam jusqu'en 1957. Avec l'assistance soviétique, au départ, puis seule, elle développe son propre arsenal nucléaire.

Par réalisme, certains pays européens préconisant dès cette période le rétablissement des relations diplomatiques avec Pékin qui avaient été rompue en 1949. Le général De Gaulle les rétablit en 1964. Henry Kissinger et Richard Nixon rénouent le dialogue en 1971 et rétablissent les relations diplomatiques en 1979.

Pour la Chine, c'est une satisfaction de prestige, une assistance et une sécurité vis-à-vis de l'Urss hostile et très armée. Pour les Etats-Unis, c'est une carte précieuse dans leur jeu central avec l'Union soviétique, et leurs relations multiples et complexes en Asie.

Cependant, la Chine et le reste du Monde ne vivent pas encore tout à fait dans le même monde.
Après avoir récupéré le siège de membre permanent au conseil de sécurité, Pékin fait un usage prudent et discret, veillant à son statut, mais évitant tout geste pouvant conduire à une confrontation. C'est dans les années 1980 que se produit une gigantesque mutation, aux conséquences colossales. Après une période de transition consécutive à la mort de Mao en 1976, Deng Xioping prend en main, en décembre 1979, les destinées de la République populaire de Chine (RPC) et la lance dans l'aventure de la modernisation économique, changeant par là-même, à terme, les équilibres du monde. Il le fait prudemment (" traverse la rivière en tâtant les pierres "). Mais de façon résolue. Elu président des Etats-Unis la même année, Ronald Reagan a, quant à lui, pour objectif de briser la menace idéologique et militaire soviétique, ainsi que de déréguler et d'étendre au Monde, avec le soutien ardent de Margareth Thatcher, élue Premier ministre de Grande-Bretagne en 1979. Et des plus grandes entreprises occidentales, l'économie capitaliste. Il atteint son premier objectif et donne une impulsion décisive dans la direction du second. En Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev est appelé au pouvoir en 1985 par un système soviétique à bout de force, qu'il libéralise (Glasnost) et tente de le reformer (Perestroïka). Le refus affiché de M. Gorbatchev d'employer la force pour maintenir les régions communistes d'Europe de l'Est, fondé sur une conviction profonde et ancienne, mène, à partir de son accession au sommet, à leur chute comme des châteaux de cartes, rendant de ce fait possible la réunification allemande (1989-1991) et donne le coup d'envoi du rapprochement des pays d'Europe centrale et orientale avec l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) et l'Union européenne (UE, 1989-2004). Après un putsch d'arrière garde qui tente vainemaent d'interrompre le nouveau cours de l'histoire en 1991, l'Union soviétique disparaît en décembre 1991 par retrait des Etats constituants, à commencer par celui de la Russie qui n'hérite qu'en partie de la puissance soviétique.

En Occident, de nombres analystes et responsables politiques, et l'opinion publique dans sa magnité, n'interprètent ces éléments qu’une victoire occidentale, voire américaine. Pour beaucoup d'Américains, cela annonce la " fin de l'histoire " (Francis Fukuyann) par le triomphe des valeurs politiques et économiques occidentales et un " Nouvel ordre international " sous le leadership américain (George Bush Senior). Pour d'autres occidentaux, plus idéalistes, ou moins nationalistes particulièrement en Europe, cela fait espérer l'avènement d'une communauté internationale " au sein de laquelle les relations internationales se conformeraient enfin aux principes de la Charte de l'Organisation des Nations Unies (Onu). Il y a un Monde global certes, mais en réalité la notion de Communauté internationale reste un bel objectif. Les Usa sont devenus une " hyper puissance " (Hubert Védrine en 1998) puissance plus forte que tout autre puissance. " Les civilisations " ne se comprennent pas toutes encore. Les antagonismes n'ont pas disparu. Les valeurs jugées " universelles " par les Occidentaux ne sont pas encore universelles reconnues comme telles. L'histoire et les rapports de force se poursuivent. L'un des principaux enjeux en est, du point de vue chinois comme du point de vue du reste du Monde, l'insertion dans le Monde globalisé, d'une Chine qui a connu, sous l'impulsion de Deng Xioping, puis de Jiang Zenin et de Hu Jintao, le formidable développement que l'on sait, résultat d'une libération des énergies et d'une stratégie d'hyper croissance, et qui dispose en outre, à l'extérieur, d'une diaspora nombreuse et active. A quel point ce monde " global " sera-t-il modifié par ce processus ? C'est, au même titre que l'évolution de la relation entre l'Islam et l'Occident, l'une des plus formidables questions de notre temps.


La Chine et l'Afrique

Les Chinois veulent sortir de la pauvreté, se développer, s'enrichir, se moderniser, accéder à la société de consommation. Ils veulent aussi être respectés, veiller à leurs intérêts dans le monde énergétique et autres. Et ils sont en train de le faire même si le coût social en est élevé et le coût écologique exorbitant. Les questions commencent après : veulent-ils (re) devenir une grande puissance, ce qui serait à leurs yeux qu'un juste retour des choses ?

Les autorités chinoises savent que cela ne se passera pas si aisément ni à l'intérieur, ni à l'extérieur. C'est pourquoi elles mettent parfois en avant les principes ci-dessous.

1/ Respect mutuel de l'intégrité territoriale et la souveraineté.
2/ Non agression mutuelle
3/ Non immixtion mutuelle dans les Affaires intérieures.
4/ Egalité et avantage mutuels
5/ Coexistence pacifique

Mais cela ne va pas de soi. Les autres puissances dans le monde ont des attentes diverses vis-à-vis de la Chine, mais aussi des craintes diverses et pourraient être tentées de s'allier si elles se sentaient menacées dans leurs intérêts essentiels.

Les relations sino-africaines remontent loin dans l'histoire et reposent sur un socle. Ayant vécu dans le passé le même sort, la Chine et l'Afrique se sont un temps témoigné sympathie et soutien dans la lutte pour la libération nationale et ont noué entre elles une amitié profonde. La Chine est désormais présente et influente aux quatre coins de l'Afrique. Son décollage économique et ses besoins toujours plus grands en produits énergétiques et autres matières premières expliquent en partie cette évolution. Contraint d'acheter près de la moitié de son pétrole à l'étranger et les deux tiers d'ici 2020, le gouvernement Chinois a multiplié les accords d'approvisionnant de longue durée avec de nombreux pays africains fournisseurs et des investissements dans ces pays : Angola, Nigeria, Soudan. Elle importe aussi des quantités toujours plus grandes de matières premières d'Etats aussi différents : l'Afrique du Sud pour le Nickel. Si, pour la plupart de ces pays, l'acteur Chine, de par leur dynamisme qu'il imprime sur leur propre économie, est bienvenu, il n'en limite pas moins leurs manœuvres diplomatiques. Par exemple, Taiwan éprouve les difficultés de plus en plus grandes à conservé ses alliés les plus sûrs ou les plus anciens en Afrique dont le Burkina-Faso, et en Amérique Latine : Il n'en compte plus que 23 contre 31 en 1996. Pour autant, la diplomatie chinoise ne se borne pas à activer ce facteur de puissance. Elle fait preuve d'un dynamisme sans précédent qui la conduit sur un nombre croissant de dossiers à sortir de sa réserve et de sa prudente neutralité. Ainsi, depuis plusieurs années, la Chine prend part aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies. En 2007, environ 1600 soldats de l'Armée populaire de Libération (APL) participaient à neuf (9) missions de l'Onu, au Libéria, en République démocratique du Congo, en Haïti et plus récemment au Liban. Désireuse d'être plus présente au Moyen-orient depuis la fin des années 1990, elle y a dépêché un envoyé spécial chargé de suivre en particulier le conflit israélo-Palestinien. En 2006, faisant l'objet de pression sans précédent au sujet de sa relation avec le régime soudanais, elle a progressivement assoupli sa position, acceptant l'envoi de troupes au Darfour, et elle a nommé un ambassadeur itinérant chargé de favoriser un compromis entre les belligérants. La Chine a en effet relancé sa politique africaine avec des moyens économiques et politiques autrement plus importants que dans les années 1960 ou 1970. A travers l'organisation de sommets sino-africains dont celui de Pekin en 2006, la mise en place de programmes de coopération industrielle, culturelle et l'attribution d'aides financières ou de prêts à faible taux d'intérêt, au grand dam des institutions financières internationales qui redoutent un ré endettement des pays africains et un nouveau trop moderne, le gouvernement chinois est parvenu à modifier l'équilibre diplomatique maintenu par de nombreux pays africains. Il est clair que la Chine n'est pas totalement un nouveau venu dans un continent qui reste par ailleurs particulièrement ouvert aux influences extérieurs, non seulement celles des anciens puissances coloniales mais aussi celles des autres grands pays importateurs (Etats-Unis, Japon, Inde). Mais le facteur chinois a acquis un poids sans précédent dans de nombreux. Etats africains (Algérie, les deux Congo, l'Egypte, le Kenya, la Côte d'Ivoire, la Sénégal). " L'Afrique est mal partie ". C'est à ce vieux cliché qu'avec ignorance ou défi postcolonial que certains pays restent attachés. Or, depuis une dizaine d'années, l'Afrique part, son taux de croissance moyen y avoisine par an 5%. Pour cette conquête postcoloniale, la Chine, aligne de nombreux atouts qui n'appartiennent qu'à elle. Elle exporte quelques banquiers, médecins et ingénieurs, mais surtout et au coup par coup, de dizaines de milliers de manœuvres asservis à des conditions plus que spatiales.

-deuxième atout, cynique mais efficace : la Chine néglige la "bonne gouvernance de ses hôtes et le souci démocratique prisé par l'occident.

-Enfin, dernier "joker" l'Etat Chinois, assis sur de grosses réserves financières qui financent le déficit d'un pays riche très endetté, comme les USA garantit à 48 Etats d'Afrique noire sur 53 des prêts léonins qui se soucient peu des normes du FMI ou de l'OMC. Si en cinq ans le président Chinois Hu Jintao a visité en 4 voyages 18 états africains, ce ne fut pas pour le tourisme. Outre les acquis empôchés dans la vaste foire d'empoigne des matières premières, la Chine peut déjà compter à l'ONU plus de soutiens africains que des pays européens. Pour autant, la Chine est-elle devenue une super puissance à part entière ? Peut-elle véritablement rivaliser avec les autres puissances ? Avec plus de 9 millions de km2 et 1,300 milliards d'habitants, un certain nombre de points restent cependant obscures en Chine. Démocratie, information, internement, les droits de l'Homme, le Tibet, les autorités chinoises laissent-elles se nouer les liens entre la société civile chinoise et le monde extérieur ? Laissent-elle se créer, en partant de la base, un espace démocratique ? Comment faudra-t-il interpréter, par exemple, les propos tenus le 29 juin 2006 par le président Hu Jinta ? " Nous devons faire progresser et perfectionner un système démocratique et assurer des élections démocratiques en conformité avec la loi " au moment même où était rappelé le principe de l'autorité du peuple "aujourd'hui, cette démocratie se conçoit strictement à l'intérieur du parti. Et demain ? Pour l'heure, en ce qui concerne l'Afrique, nous voyons en tout cas, que dans le monde, les conquêtes nouvelles n'obéiront pas à des critères bénins. Elles se font selon d'éternelles lignes de force par la démographie, la volonté hégémonique, le courage, le travail et le temps. En Afrique, ce temps-là ne sied pas aux cigales. Il sied aux fourmis, et la Chine a ce qu'il faut.

Zinsou Jean Vincent
Ambassadeur
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