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Showbizz Publié le mardi 30 juin 2009 |

Werewere-Liking Gnepo : mémoire de femmes, mémoire d’Afrique

Entretien avec l’auteur de "La mémoire amputée", Prix Noma 2005

La mémoire amputée, publié aux Nouvelles Editions Ivoiriennes (NEI), est le dernier livre de l’écrivain ivoiro-camerounaise Werewere-Liking Gnepo, qui se verra décerner, en juin prochain au premier salon du livre de Cape Town en Afrique du Sud, le Prix Noma, édition 2005. Elle nous parle de sa dernière œuvre, à l’occasion du dernier salon du livre de Paris, dont elle était un des auteurs invités.

Le cœur Werewere-Liking Gnepo se partage entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun, où elle a vu le jour en 1950. Mais c’est sur la Terre d’Eburnie, qu’elle a trouvé l’espace nécessaire à sa soif créatrice, dont l’une des émanations est le village Ki-Yi Mbock créé en 1985. Un espace de création et d’expression artistique dans lequel évolue, aujourd’hui, à Abidjan une quarantaine de personnes. Entre ses multiples activités artistiques de comédienne, de chanteuse, de dramaturge, de poète, de costumière, etc., elle a trouvé le temps de signer une nouvelle œuvre La mémoire amputée, l’histoire exceptionnelle d’une octogénaire : Halla Njocké. La vie remplie de cette Camerounaise, aux talents artistiques multiples, comme l’écrivaine qui lui a donné vie, se mêle à la grande Histoire de l’Afrique contemporaine, de la période coloniale à nos jours, où les femmes ont joué et jouent un rôle de premier plan. Décidée à rendre hommage à sa Tante Roz, à travers ce livre, elle se replonge dans ses souvenirs, « ses silences de l’Afrique » et de ses femmes, en général, que l’oubli ne cesse de vouloir engloutir.

Si l’on s’en tient à votre livre La Mémoire amputée, un livre hommage à toutes les femmes du continent, le renouveau de l’Afrique viendra selon vous des femmes...
Werewere-Liking Gnepo : Oh oui ! Juste parce qu’en Afrique, il est encore normal qu’une femme se considère comme mère, même si elle n’a pas d’enfants, et qu’elle se sente responsable en tant que telle. Cela donne naissance à une autre forme d’engagement et c’est un avantage pour les femmes africaines.

Vous traitez de nombreux thèmes, notamment du sous-développement. Et l’une de ses causes est la démission et la corruption des élites africaines dans la mesure où elles ont renoncé à prendre leurs responsabilités. Et ceux qui l’on fait ont fini écrasé sous le rouleau compresseur de la politique...
Werewere-Liking Gnepo : Mais ça ne doit pas s’interrompre. Aucune chaîne de vie ne doit l’être. On ne doit pas baisser les bras sous prétexte que ceux qui nous ont précédés ont échoué. Je pense qu’il y a effectivement une démission de beaucoup d’Africains, à tous les niveaux. Que ce soit au niveau des parents, qui laissent les enfants dehors, de la communauté, qui ne se sent pas concernée, des intellectuels, qui ont du mal à protester par peur, ou qui ont du mal à être force de proposition tout simplement par qu’ils n’ont plus l’élan et l’engagement nécessaires pour travailler et chercher des solutions. Ailleurs aussi, les gens n’avaient pas les moyens, mais ils se sont battus et continuent à se battre pour convaincre d’autres personnes de s’investir dans leurs projets. Je pense qu’avant de responsabiliser qui que ce soit d’autre, nous devons d’abord nous responsabiliser. Personne ne viendra développer ce continent à notre place, ça c’est certain !

Parfois, on ne peut s’empêcher d’être pessimiste...
Werewere-Liking Gnepo : Le pessimisme peut effectivement nous gagner de temps en temps, mais il ne doit pas nous paralyser.

Vous êtes chercheur en traditions et esthétiques négro-africaines. En quoi une plus grande maîtrise de notre patrimoine culturel peut nous aider à prendre en main l’avenir de notre continent ? Sur quels exemples pouvons-nous nous appuyer ?
Werewere-Liking Gnepo : Il y en a beaucoup. Les modèles ne manquent pas en Afrique ! Seulement, c’est à chacun d’identifier son propre modèle. C’est de l’ordre de la responsabilité individuelle. Les gens attendent qu’on leur dise : "Voilà un modèle"...C’est à nous de chercher. Nous pouvons trouver, dans les contes, dans l’histoire...de grands mouvements de résistance chez les Africains. Et cette résistance continue d’exister. Ce qui veut dire que ce sont des peuples qui avaient de la substance, comme en témoigne les moyens importants et le temps qui ont été engagés pour" irresponsabiliser" ses populations. Les modèles pullulent. Si on ne les trouve pas à la télévision, il faut les chercher au quotidien et autour de nous.

La plupart des universités africaines, lieux de savoir et de connaissance par excellence, fonctionnent mal. Dans ces conditions, peuvent-elles être des espaces où cette connaissance de l’Afrique se transmet comme Halla, l’héroïne de votre livre, le découvre à travers Maître Minlon ?
Werewere-Liking Gnepo : L’enseignement qu’a reçu Halla n’a pas été donné que sur les bancs de l’école, il provient aussi de son quotidien. L’adage dit : " Quand l’élève est prêt, le maître apparaît. ". Il faut que la jeunesse africaine sache que quand elle est disponible, quand elle a sa propre soif, des interrogations qui viennent du tréfonds d’elle-même, elle rencontre forcément des gens pour y répondre. Il en saura autrement, si au contraire, elle reste superficielle et se complaît dans la consommation. L’école africaine est foutue, mais il n’y a pas qu’elle ! Il suffit de regarder ici aussi en Occident. A l’occasion de ce tour de France des écrivains que nous faisons, nous avons assisté aux mouvements d’une jeunesse (fait allusion aux mouvements de protestation anti-CPE - Contrat Première Embauche - en France, ndlr) qui n’a besoin que de garanties, qui oublie que c’est à elle de créer l’avenir. Pour nous en Afrique, c’est effrayant et effarant. Cette jeunesse est-elle au moins consciente qu’il y a des interrelations dans le monde, que peut-être son confort vient d’ailleurs et a des incidences sur d’autres personnes ? S’interroge-t-elle seulement des garanties dont disposent ces dernières ? Même dans les pays plus développés comme les Etats-Unis, on n’a pas de garanties quand on vient de terminer ses études. Il y a donc quelque chose qui ne va pas, même ici. Les garanties, on les conquiert soi-même par sa propre compétence, au fur et à mesure de ses aventures et de ses audaces. Ils disent qu’ils veulent être autonomes à 25 ans, pourtant ils ne savent pas ce qu’il faut faire pour l’être. Si le gouvernement n’a plus les moyens de leur offrir des garanties, ne peuvent-ils pas créer d’autres conditions pour y accéder ? Comment font les autres populations du monde ? Ce n’est pas qu’en Afrique que l’école ne fonctionne pas bien, il y va de même dans d’autres parties du monde. Tout simplement parce que l’Homme ne se pose plus les vraies questions. C’est tout le système de l’enseignement, de la formation, des idéaux et des valeurs qui est en cause.

Quelles sont les conséquences et les séquelles de cette mémoire amputée que vous évoquez dans votre dernier livre ?
Werewere-Liking Gnepo : D’abord cette habitude de dépendance et d’irresponsabilité. Ça ce sont les séquelles de plusieurs siècles de harcèlement. Il y a également la difficulté pour un Africain de se penser et de trouver une spiritualité qui lui soit propre. C’est comme s’il n’en avait jamais eu. Sa spiritualité, quant à elle, a toujours une connotation négative. Ce sont là de très grosses séquelles qui font que les Africains se retrouvent dans une situation où ils n’ont pas leur propre rapport avec Dieu. Ils sont condamnés à faire appel à des médiations extérieures - c’est d’ailleurs grave parce qu’il faut négocier doublement (rires) - et ont une vision d’un dieu qui ne leur ressemble pas. Si les Africains, et nous sommes les seuls, ont accepté de considérer leurs pratiques traditionnelles comme diaboliques, cela laisse supposer qu’ils n’avaient pas de relation avec Dieu auparavant... Cela est un très gros handicap pour pouvoir se sentier créateur et se projeter dans l’avenir.

Vous avez mis six ans à écrire La mémoire amputée. A-t-il une couleur particulière et marque-t-il un tournant dans votre œuvre ?
Werewere-Liking Gnepo : C’est certainement un roman, tout en ayant conservé l’esthétique du chant-roman (prose et textes s’alternent pour porter le récit, ndlr), qui me caractérise. Plus simple que ce que je fais d’habitude. C’est un livre qui s’est également travaillé dans le temps, en prenant beaucoup de distance pour analyser et approfondir les personnages, a contrario de mes autres romans qui ont été écrits d’un jet. Il y a eu un gros travail de sélection et de collecte avant de pouvoir le construire. Je voulais des personnages bien charnus à l’opposé des précédents qui étaient assez abstraits. Ce qui n’enlève rien à leur force, mais pour la majorité des gens cela demandait plus de connaissances et de références. C’est le cas ici aussi, cependant cela n’empêche pas de rentrer profondément dans le roman, quitte à s’interroger par ailleurs. Je pense que c’est effectivement le premier que j’écris de cette façon.

Et il vous vaut le Prix Noma [1] 2005 qui vous sera remis au premier Salon du livre de Cape Town qui se tiendra, en juin prochain, en Afrique du Sud. Comment avez-vous réagi en apprenant que ce prix allait vous être décerné ?
Werewere-Liking Gnepo : Avec beaucoup de plaisir, parce que mon éditeur m’a fait confiance. A la lecture du manuscrit, il m’avait affirmé que nous allions gagner des prix avec ce roman. J’aurai été déçue de découvrir qu’il avait misé sur le mauvais cheval (rires).

Quelles sont les sources d’inspiration de Werewere-Liking ?
Werewere-Liking Gnepo : Tous les créateurs sont source d’inspiration pour moi. J’aime aller à la rencontre de ceux qui ont tracé de nouvelles voies, regarder ce que d’autres gens ont réalisé dans les différentes disciplines artistiques. J’aime regarder la grande création des temps passés, parce que cela nous rend plus exigeants quant à ce que nous allons laisser aux générations futures, tout en nous permettant de nous projeter dans l’avenir.

Comment se porte ce vivier de création justement qu’est le village Ki-Yi dont vous êtes la fondatrice ?
Werewere-Liking Gnepo : Le village fonctionne bien eu égard aux difficultés que nous connaissons tous actuellement dans notre pays. Nous nous accrochons, nous continuons à créer, à expérimenter sur le terrain un certain nombre de choses et à former. Notre engagement social s’est aussi renforcé avec la transformation de notre centre en Fondation. Une Fondation pour la formation de la jeunesse, la création et le développement des arts. Nous avons ainsi de plus en plus d’actions sociales. Notamment à l’attention des jeunes.

Halla se plaint, au début de votre livre de s’exprimer dans une langue que les siens ne comprennent pas. Ressentez-vous un malaise similaire en tant qu’écrivain francophone ?
Werewere-Liking Gnepo : Si je m’exprimais en langue bassa, ma langue maternelle je serais tout aussi à l’aise que je le suis quand j’écris en français. Le problème ne se pose pas réellement en ces termes, il tient plutôt au fait que la littérature n’est pas accessible à tous en Afrique.

Qu’est-ce que Halla, qui comme vous a été élevée par ses grands-parents, a de Werewere-Liking ?
Werewere-Liking Gnepo : Pour moi, tous les romans sont autobiographiques. Ecrire, c’est une manière de rendre, notre vécu, notre imaginaire, ce que nous voyons et entendons. Mais quelque que soit la part de nous-mêmes que nous mettons dans un livre, elle n’en reste pas moins une œuvre romanesque.
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