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Politique Publié le mercredi 1 juillet 2009 | Fraternité Matin

Fin officielle de l’enrôlement, hier : des milliers d`ivoiriens sur la touche • Des agents recenseurs pris en otages

Démarrée le 15 septembre 2008, l’opération d’enrôlement des électeurs a pris officiellement fin hier, partout en Côte d’Ivoire et à l’étranger.



Yopougon, Institut de formation de la Sotra, l’un des cinq centres de collecte retenus pour la dernière phase de ratissage pour l’opération d’identification des populations et de recensement des électeurs dans cette commune. Il est 17 h 20 quand nous y arrivons. Comme partout en Côte d’Ivoire et à l’étranger, ce centre de collecte est censé être fermé aux pétitionnaires depuis 17 h, conformément au communiqué de la Commission électorale indépendante (Cei) diffusé dans la presse le 24 juin. Une vingtaine de jeunes, visiblement désolés et en colère rôdent à l’entrée de l’Institut. «On était très nombreux. Les autres sont partis», lance une voix. Dès que nous descendons de voiture, ils nous encerclent et parlent tous à la fois. «Nous sommes ici depuis hier pour la plupart. Mais vous constatez que nous sommes encore là ; parce que nous n’avons pas pu nous faire enrôler. On vient de fermer le centre», avance un jeune homme. «Il fallait que la Cei dise ouvertement aux Ivoiriens que l’enrôlement est payant», renchérit une jeune fille, un bébé sur les bras. «Dites au Président Laurent Gbagbo et à Mambé (Robert Beugré, président de la Cei. Ndlr) de nous donner encore au moins deux semaines. Tous les Ivoiriens ont droit aux papiers, nous voulons nous faire enrôler», crie une femme. Nous avons du mal à calmer les esprits bien surchauffés. Yoké Marius, Mel Arthur, N’Drama Gbala parviennent à se présenter à nous et soutiennent presque en chœur qu’ils n’ont pas pu se faire enrôler «à cause de la corruption et du favoritisme qui ont entouré l’opération dans ce centre». Selon eux, avec la complicité des agents recenseurs, les vigiles de la Sotra font entrer les pétitionnaires moyennant la somme de 1500 Fcfa. Mais les vigiles ont fermement réfuté cette accusation. «En plus, accuse une jeune fille, pendant que nous sommes dans le rang, ils font entrer des gens qui viennent d’arriver. Aujourd’hui, moins de dix personnes du rang ont pu se faire enrôler. Tous les autres sont venus comme ça et sont entrés. Les uns ont payé, les autres sont des parents ou des protégés des agents recenseurs ou des policiers».



Mais pourquoi se font-ils enrôler seulement maintenant, alors que l’opération grandeur nature, assortie déjà de trois rattrapages, est passée ? A cette question, les uns répondent que c’est maintenant qu’ils ont pu établir leurs papiers. Quand les autres accusent «le cafouillage» qui a entouré les phases passées.



Dans ce centre d’enrôlement, l’équipe (qui s’est enfermée dans une salle) a refusé tout contact avec nous.



Cours sociaux d’Abobo. Autre centre de collecte, mais presque le même décor. Quand nous y arrivons à 16 h, ce sont aussi de nombreux pétitionnaires en colère et dans le désarroi qui nous accueillent. Dans les rangs, ils accusent les forces de l’ordre chargées de la sécurité de les racketter et des jeunes de leur vendre des places. «Nous sommes ici depuis 4 h pour certains, 5 h pour d’autres et 6 h pour d’autres encore. Mais il n’y a que ceux qui entrent par la petite porte, qui payent entre 1000 F et 3000 F et les protégés des agents recenseurs qui entrent», grogne N’Guessan Bodo. Sous l’approbation de plusieurs autres jeunes. Lago Aimé, un chef coutumier de PK 18, lui, dénonce également le racket et l’opacité qui entourent l’opération dans ce centre et exige «la transparence».



Mais Tokoré Fulbert, travailleur aux Cours sociaux, lui, indexe «des jeunes qui viennent de partout pour semer la zizanie dans le centre et s’attaquent aux matériels de l’école». Pour lui, s’il y a racket, ce sont eux qui en sont les auteurs. Il confie qu’un portail de l’établissement a été abîmé par ces jeunes. «Si la Cei doit continuer l’opération, nous n’allons plus accepter qu’elle se déroule dans notre école», avertit-il. Le Secrétaire régional de la Cei d’Abobo, Abdoulaye Koné, avoue que ce centre a été l’objet de désordre qui a du nécessiter son déplacement pour apporter secours à l’équipe. En outre, face à la forte affluence, dit-il, une équipe d’enrôlement initialement affectée à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), a été réaffectée aux Cours sociaux. Celle-ci, dirigée par Soro Yaladjouma, y a commencé le travail seulement hier à partir de midi. Le chef de la première équipe du centre, Mme Cissé Kadidiatou, elle, soutient que l’opération s’y déroule «normalement». Pour elle, s’il y a racket, cela se passe dehors, mais pas dans la salle. Aucun de ses agents n’y est donc impliqué, selon elle. «A 17 h, nous fermons. Je suis désolée pour ceux qui ne seront pas encore enrôlés», déclare Mme Cissé. Quand nous quittons ce centre à 16 h 50, soit à dix minutes de la fin de l’opération, ce sont de multiples pétitionnaires, conscients de leur sort, telles que Dames Gogbé Léléllou, Kouassi Diane et N’Guessan Amenan, qui ont plaidé que l’opération se poursuive.



Au centre de collecte logé au Groupe scolaire Williamsville, où nous sommes resté de 14 h 55 à 15 h 20, la colère et l’amertume des pétitionnaires étaient également perceptibles. «Depuis 4 h, je suis là. Mais ils ne font qu’enter les gens. Je ne sais pas comment faire. Je suis fatiguée», murmure une jeune fille, entre plusieurs sanglots, à la porte de la salle où se déroule l’opération. C’est qu’elle n’est pas sûre de pouvoir enfin y accéder. C’est donc pour cela qu’elle pleure à chaudes larmes. Finalement, elle glisse par la porte entre baillée et tenue par un policier. Nous la suivons dans la salle. Là, nous découvrons un beau monde et un désordre… organisé. Quatre policiers et de nombreux pétitionnaires s’y trouvent. Mais dès que le chef de centre, Dame Obité Blandine, nous y aperçoit (nous sommes déjà passé le 24 juin), elle s’énerve et exige de l’ordre. Des pétitionnaires et trois des policiers sortent. «J’attends 17 h pour fermer», lance Blandine qui se plaint de fatigue et refuse de nous parler. Mais dehors, la foule, très en colère, comme Guéi épouse Kouassi, Yaleti Maxwell et Bléon Jaquelle, accusent les policiers et agents recenseurs de corruption et de favoritisme. Tous demandent que l’opération soit repoussée de quelques semaines et qu’elle soit mieux organisée. Des sources concordantes indiquent que des équipes d’enrôlement ont été prises en otage, pendant plusieurs heures, par des pétitionnaires mécontents dans certains quartiers d’Abidjan.

Pascal Soro
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