La tension est remontée brusquement entre Paris et Abidjan après des efforts réels de normalisation. Mais, après les éclats de voix, la diplomatie devrait bientôt reprendre ses droits entre Nicolas Sarkozy et Laurent Gbagbo.
Le couple franco-ivoirien va-t-il toiser l'Accord politique de Ouagadougou ? Si l'arrangement conclu dans la capitale burkinabé le 4 mars 2007 a remis la Côte d'Ivoire sur les rails pour des élections libres, transparentes et démocratiques, il lui faudra encore un peu de temps pour consolider le début de réchauffement entre Abidjan et Paris. Certes, le fil n'est pas rompu entre les deux capitales, mais la confiance, elle, tangue quelque peu. Les échanges peu courtois de ces dernières semaines, et surtout les charges lourdes du numéro un français contre son homologue ivoirien, notamment devant le secrétaire général de l'Onu à New York en juillet, ont remis en cause les avancées d'une normalisation bien visible. A la surprise des milieux diplomatiques.
Car, après l'ère Chirac, le dialogue avait repris entre Laurent Gbagbo et Nicolas Sarkozy. C'est le très influent avocat parisien Robert Bourgi qui en a donné un aperçu dans un entretien accordé à la chaîne 3 A télé-Sud. Il explique dans quelles conditions les deux présidents avaient échangé le 25 septembre 2007 à New York, à l'occasion de la réunion du Conseil de sécurité. Après s'être excusé auprès de ses pairs en ces termes : « Excusez-moi, je dois aller saluer un ami », Nicolas Sarkozy aurait foncé directement sur Laurent Gbagbo. Leurs échanges selon l'avocat.
-Sarkozy : Monsieur le président, je suis très heureux de vous rencontrer.
-Gbagbo: Moi aussi, je suis très heureux de vous rencontrer. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
-Sarkozy: Président Gbagbo, Robert Bourgi est à l'origine de cette rencontre que j'ai acceptée immédiatement et avec le soutien et les conseils éclairés de Claude Guéant. Je compte sur vous pour les élections.
-Gbagbo : Monsieur le président, vous serez tenu informé régulièrement. Ces élections auront lieu dans la transparence la plus complète, avec le concours de mon Premier ministre (Ndlr : Guillaume Soro) avec lequel je m'entends très bien. Les accords de Ouagadougou seront respectés. D'ailleurs si vous avez en ligne Blaise Compaoré, il vous le confirmera.
-Sarkozy : Vous étiez proscrits à l'Elysée depuis quatre ans, vous y êtes les bienvenus maintenant
Un scénario bien ficelé
Selon une source diplomatique, la brève rencontre de New York a mis en marche un processus de normalisation négocié à l'avance.
Pour dérouler le tapis rouge à son homologue ivoirien, Sarkozy exigeait le règlement du contentieux de novembre 2004 (Départ de milliers de ressortissants français, victimes de violences suite à la destruction de la flotte aérienne de guerre ivoirienne par la chasse française), l'indemnisation des entrepreneurs français, la tenue d'élections ouvertes et transparentes etc.
Finalement, Paris acceptera un début de normalisation contre un engagement ferme pour des élections transparentes et non violentes. « Je pense qu'il y a eu un changement d'attitude depuis que le gouvernement a changé à Paris. Je n'ai jamais été agressé verbalement par le président Sarkozy. Cela est un premier signe. Deuxième signe : il n'y avait plus de contact du tout, et Nicolas Sarkozy a passé un coup de téléphone. Puis, nous nous sommes vu à New York, et plus posément à Lisbonne (Décembre 2007), lors du Sommet Europe-Afrique. La France et la Côte d'Ivoire évoluent vers une renormalisation des relations », a révélé Gbagbo dans une interview accordée en juin 2008, au Figaro.
Effectivement le processus s'enclenche. De part et d'autres, les signes du réchauffement ne manquent pas. Abidjan remet en état le lycée français qui a rouvert en septembre 2008. Une caisse est mise en place pour les petits entrepreneurs français victimes de novembre 2004. De son côté, Paris ne mesure pas son soutien. Il faut tout son poids diplomatique pour surmonter les dernières réticences des institutions de Breton Wood à déclarer Abidjan éligible à l'initiative pour l'allègement de la dette (PPTE). Ensuite, ce même soutien assouplit la position du Conseil de sécurité de l'Onu vis-à-vis du chef de l'Etat ivoirien qui avait toujours dû s'y battre bec et ongles pour faire entendre sa voix.
Puis, les visites officielles se succèdent sur les bords de la lagune Ebrié. Le Medef, le secrétaire d'Etat à la Coopération internationale et à la Francophonie, Alain Joyandet, la secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner puis le ministre de la Défense, Hervé Morin. C'est dans l'attente de l'avant dernière étape à des retrouvailles publiques, la visite de Claude Guéant, homme de confiance de Sarkozy, que la mécanique se grippe.
Un directeur de cabinet
En visite privée à Paris, le directeur de cabinet de Gbagbo, N'Zi Paul David, met le feu aux poudres. Il remet clairement en cause la date du 29 novembre et même la candidature de certains leaders de l'opposition. Une sortie perçue comme une trahison par l'Elysée, bien que les propos de N'Zi Paul aient été tenus en dehors des circuits jusque-là utilisés pour le réchauffement. Pour les diplomates français, une personnalité de ce niveau ne saurait tenir de tels propos sans l'aval de son patron. C'est alors le branle-bas de combat. A Libreville puis à New York, Sarkozy ne cache pas sa colère. Curieusement, Gbagbo lui évite tout commentaire public. Mais, en privé, il ne digère pas le rôle de « préfet de la France » que veut lui faire jouer son homologue. Certes, l'ambassadeur ivoirien apporte la riposte à son homologue français à l'Onu, mais, le chef de l'Etat semble plutôt bouder. Toutefois, les réseaux commencent à s'activer pour renouer le contact. Après avoir bien fait comprendre à l'Elysée qu'il n'avait dépêché personne pour parler en son nom et qu'il tenait au respect dû à son rang, Laurent Gbagbo ne serait pas opposé au dialogue. « Il est vrai que la France nous a beaucoup donné. Nous savons aussi que la facture du processus est lourde pour elle (Ndlr, environ 20 millions d'euros par mois). Mais, c'est dans le respect mutuel que nous devons travailler », souligne un de ses conseillers. A l'Elysée aussi les lignes bougent. Il est vrai que sur les bords de la Seine, l'on aurait bien aimé que le chef de l'Etat ivoirien prenne de manière significative ses distances avec les déclarations de son directeur de cabinet. L'ambassadeur de France, Jean-Paul Simon est envoyé en éclaireur au Palais du Plateau. Il est reçu, un premier signe d'apaisement. Mais, le plus dure reste à venir, rétablir le niveau de confiance qui existait jusqu'au mois de juin dernier. Le sacrifice de N'Zi Paul David est-il envisageable ? « Avec son discours anti-colonialiste, je ne crois pas que Gbagbo irait jusque-là. Car, il revendique d'avoir décomplexé les relations entre son pays et l'ancienne puissance coloniale », analyse un observateur politique. Selon une source bien informée, Gbagbo serait sur le point de confier le dossier à son Premier ministre. Une mission bien sensible pour Guillaume Soro qui cherche à réunir toutes les conditions pour la tenue d'élections libres, ouvertes et transparentes.
Kesy B. Jacob
Le couple franco-ivoirien va-t-il toiser l'Accord politique de Ouagadougou ? Si l'arrangement conclu dans la capitale burkinabé le 4 mars 2007 a remis la Côte d'Ivoire sur les rails pour des élections libres, transparentes et démocratiques, il lui faudra encore un peu de temps pour consolider le début de réchauffement entre Abidjan et Paris. Certes, le fil n'est pas rompu entre les deux capitales, mais la confiance, elle, tangue quelque peu. Les échanges peu courtois de ces dernières semaines, et surtout les charges lourdes du numéro un français contre son homologue ivoirien, notamment devant le secrétaire général de l'Onu à New York en juillet, ont remis en cause les avancées d'une normalisation bien visible. A la surprise des milieux diplomatiques.
Car, après l'ère Chirac, le dialogue avait repris entre Laurent Gbagbo et Nicolas Sarkozy. C'est le très influent avocat parisien Robert Bourgi qui en a donné un aperçu dans un entretien accordé à la chaîne 3 A télé-Sud. Il explique dans quelles conditions les deux présidents avaient échangé le 25 septembre 2007 à New York, à l'occasion de la réunion du Conseil de sécurité. Après s'être excusé auprès de ses pairs en ces termes : « Excusez-moi, je dois aller saluer un ami », Nicolas Sarkozy aurait foncé directement sur Laurent Gbagbo. Leurs échanges selon l'avocat.
-Sarkozy : Monsieur le président, je suis très heureux de vous rencontrer.
-Gbagbo: Moi aussi, je suis très heureux de vous rencontrer. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
-Sarkozy: Président Gbagbo, Robert Bourgi est à l'origine de cette rencontre que j'ai acceptée immédiatement et avec le soutien et les conseils éclairés de Claude Guéant. Je compte sur vous pour les élections.
-Gbagbo : Monsieur le président, vous serez tenu informé régulièrement. Ces élections auront lieu dans la transparence la plus complète, avec le concours de mon Premier ministre (Ndlr : Guillaume Soro) avec lequel je m'entends très bien. Les accords de Ouagadougou seront respectés. D'ailleurs si vous avez en ligne Blaise Compaoré, il vous le confirmera.
-Sarkozy : Vous étiez proscrits à l'Elysée depuis quatre ans, vous y êtes les bienvenus maintenant
Un scénario bien ficelé
Selon une source diplomatique, la brève rencontre de New York a mis en marche un processus de normalisation négocié à l'avance.
Pour dérouler le tapis rouge à son homologue ivoirien, Sarkozy exigeait le règlement du contentieux de novembre 2004 (Départ de milliers de ressortissants français, victimes de violences suite à la destruction de la flotte aérienne de guerre ivoirienne par la chasse française), l'indemnisation des entrepreneurs français, la tenue d'élections ouvertes et transparentes etc.
Finalement, Paris acceptera un début de normalisation contre un engagement ferme pour des élections transparentes et non violentes. « Je pense qu'il y a eu un changement d'attitude depuis que le gouvernement a changé à Paris. Je n'ai jamais été agressé verbalement par le président Sarkozy. Cela est un premier signe. Deuxième signe : il n'y avait plus de contact du tout, et Nicolas Sarkozy a passé un coup de téléphone. Puis, nous nous sommes vu à New York, et plus posément à Lisbonne (Décembre 2007), lors du Sommet Europe-Afrique. La France et la Côte d'Ivoire évoluent vers une renormalisation des relations », a révélé Gbagbo dans une interview accordée en juin 2008, au Figaro.
Effectivement le processus s'enclenche. De part et d'autres, les signes du réchauffement ne manquent pas. Abidjan remet en état le lycée français qui a rouvert en septembre 2008. Une caisse est mise en place pour les petits entrepreneurs français victimes de novembre 2004. De son côté, Paris ne mesure pas son soutien. Il faut tout son poids diplomatique pour surmonter les dernières réticences des institutions de Breton Wood à déclarer Abidjan éligible à l'initiative pour l'allègement de la dette (PPTE). Ensuite, ce même soutien assouplit la position du Conseil de sécurité de l'Onu vis-à-vis du chef de l'Etat ivoirien qui avait toujours dû s'y battre bec et ongles pour faire entendre sa voix.
Puis, les visites officielles se succèdent sur les bords de la lagune Ebrié. Le Medef, le secrétaire d'Etat à la Coopération internationale et à la Francophonie, Alain Joyandet, la secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner puis le ministre de la Défense, Hervé Morin. C'est dans l'attente de l'avant dernière étape à des retrouvailles publiques, la visite de Claude Guéant, homme de confiance de Sarkozy, que la mécanique se grippe.
Un directeur de cabinet
En visite privée à Paris, le directeur de cabinet de Gbagbo, N'Zi Paul David, met le feu aux poudres. Il remet clairement en cause la date du 29 novembre et même la candidature de certains leaders de l'opposition. Une sortie perçue comme une trahison par l'Elysée, bien que les propos de N'Zi Paul aient été tenus en dehors des circuits jusque-là utilisés pour le réchauffement. Pour les diplomates français, une personnalité de ce niveau ne saurait tenir de tels propos sans l'aval de son patron. C'est alors le branle-bas de combat. A Libreville puis à New York, Sarkozy ne cache pas sa colère. Curieusement, Gbagbo lui évite tout commentaire public. Mais, en privé, il ne digère pas le rôle de « préfet de la France » que veut lui faire jouer son homologue. Certes, l'ambassadeur ivoirien apporte la riposte à son homologue français à l'Onu, mais, le chef de l'Etat semble plutôt bouder. Toutefois, les réseaux commencent à s'activer pour renouer le contact. Après avoir bien fait comprendre à l'Elysée qu'il n'avait dépêché personne pour parler en son nom et qu'il tenait au respect dû à son rang, Laurent Gbagbo ne serait pas opposé au dialogue. « Il est vrai que la France nous a beaucoup donné. Nous savons aussi que la facture du processus est lourde pour elle (Ndlr, environ 20 millions d'euros par mois). Mais, c'est dans le respect mutuel que nous devons travailler », souligne un de ses conseillers. A l'Elysée aussi les lignes bougent. Il est vrai que sur les bords de la Seine, l'on aurait bien aimé que le chef de l'Etat ivoirien prenne de manière significative ses distances avec les déclarations de son directeur de cabinet. L'ambassadeur de France, Jean-Paul Simon est envoyé en éclaireur au Palais du Plateau. Il est reçu, un premier signe d'apaisement. Mais, le plus dure reste à venir, rétablir le niveau de confiance qui existait jusqu'au mois de juin dernier. Le sacrifice de N'Zi Paul David est-il envisageable ? « Avec son discours anti-colonialiste, je ne crois pas que Gbagbo irait jusque-là. Car, il revendique d'avoir décomplexé les relations entre son pays et l'ancienne puissance coloniale », analyse un observateur politique. Selon une source bien informée, Gbagbo serait sur le point de confier le dossier à son Premier ministre. Une mission bien sensible pour Guillaume Soro qui cherche à réunir toutes les conditions pour la tenue d'élections libres, ouvertes et transparentes.
Kesy B. Jacob