Depuis 14 mois, des dirigeants des structures de la filière café-cacao croupissent dans les geôles de la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) sans jugement. Accusés de détournements de fonds, d’abus de biens sociaux, de faux et usages de faux, ils attendent en vain la date de leur procès. Nous avons rencontré l’un des avocats du collectif des détenus, Me Narcisse Aka, pour savoir ce qu’il en est exactement. Entretien.
Le Patriote: L’on vous a entendu dénoncer l’incarcération des dirigeants de la filière café-cacao. A quel titre? Et qu’en est-il de leurs avoirs?
Narcisse Aka: Je fais partie du Collectif des Avocats des détenus. Je défends principalement Mme Obodji Houssou Roselyne. Ma cliente ne possède pas de patrimoine significatif susceptible d’être gelé. Nos clients sont aujourd’hui privés de liberté et ne peuvent gérer librement les modestes biens qu’ils ont, nonobstant tout ce qui se raconte sur les prétendus milliards qu’ils détiendraient et qui n’ont toujours pas été identifiés. Il y a également lieu de noter que depuis plus d’un an, nos clients qui sont toujours présumés innocents (on l’oublie trop souvent!), sont privés de rémunération et se trouvent désormais à la charge de leurs familles respectives.
L.P.: Mais voici plus d’une année que ces dirigeants sont emprisonnés à la Maca. Quels commentaires faites-vous de cette situation?
N.A.: J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’exprimer mon exaspération et mon indignation relativement à cette situation particulièrement choquante, qui heurte selon nous, aussi bien nos dispositions constitutionnelles que les différents textes internationaux que nous avons ratifiés.
L.P.: Que reprochez-vous précisément à la procédure actuelle?
N.A.: Dans le cadre de cette procédure, toutes les personnes poursuivies, qu’il s’agisse des Présidents de Conseils d’Administration, de Directeurs Généraux ou de Directeurs Administratifs et Financiers, ont été inculpées pour les mêmes faits; abus de biens sociaux, détournement de fonds, faux et usage de faux…D’une part, ces inculpations identiques paraissent curieuses d’autant que les niveaux de responsabilité ne peuvent être les mêmes, compte tenu des fonctions occupées. D’autre part, je m’interroge sur les motifs réels de l’acharnement des juges à maintenir nos clients en détention préventive depuis plus d’un an. Deux exemples vous permettront de comprendre notre indignation. Dans le dossier relatif aux 20 morts du stade Houphouët-Boigny, aucun inculpé n’a été placé en détention préventive. Même après la décision de condamnation, aucun mandat de dépôt n’a été décerné, de sorte que les principaux condamnés jouissent de leur totale liberté, dans l’attente de l’épuisement des voies de recours. Dans l’affaire des déchets toxiques qui a occasionné près d’une vingtaine de morts, les principaux accusés de faits criminels passibles de la Cour d’Assises, n’ont pas passé autant de mois en détention préventive que les détenus du café cacao. Alors faut-il croire que la protection de la vie humaine a moins d’importance dans nos juridictions que celle des biens matériels? Qu’est ce qui justifie encore la détention préventive de nos clients après 14 mois d’enquête?
L.P.: Mais il y a quelques temps, le président Laurent Gbagbo a affiché sa volonté d’aller jusqu’au bout du procès des dirigeants de la filière…
N.A.: C’est vrai, au cours d’une intervention récente relative au procès des dirigeants de la filière café cacao, le Président de la République SEM Laurent GBAGBO a déclaré vouloir aller jusqu’au bout de cet important dossier. Nos clients qui se réjouissent de cette volonté du Chef de l’Etat, attendent avec impatience l’ouverture de leur procès, qui leur permettra de faire définitivement la lumière sur les prétendus détournements invoqués dans la filière café cacao. Aux termes de l’article 9.3 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, «tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale, sera traduit dans le plus court délai devant un juge ... et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré». Après 14 mois de détention préventive, nos clients devraient légitimement aspirer à l’ouverture de leur procès. Dans le cas contraire, le Pacte International précité exige que ces personnes soient libérées. Au surplus, le Pacte International ajoute que «la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du jugement». S’agissant du dossier café-cacao, l’hypothèse d’une liberté sous caution n’a même pas été envisagée, de sorte que l’on se trouve face à une violation flagrante «du droit à être jugé sans retard excessif» expressément prévu par les textes internationaux approuvés et ratifiés par notre pays. Il convient de faire observer par ailleurs que l’article 10-2a du Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, impose la mise en place d’un régime spécifique de détention au profit de nos clients. «Les prévenus sont (...) séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées». Nonobstant ces prescriptions impératives, le système de détention en vigueur à la MACA, n’a nullement prévu pour nos clients en détention préventive, «un régime distinct approprié à leur condition de personnes non condamnées». Cette omission inacceptable entraîne une confusion regrettable entre des personnes condamnées et celles qui ne sont qu’en détention préventive. Il s’agit manifestement de cas de violations par la Côte d’Ivoire des ses engagements internationaux.
L.P.: Justement que dit la Commission nationale des Droits de l’Homme à propos du non respect des engagements internationaux par la Côte d’Ivoire?
N.A.: Je me réjouis que Mme Victorine Wodié, Présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, dans un courrier qu’elle nous a adressé le 28 avril 2009, ait admis que dans ce dossier «certaines dispositions du droit international des Droits de l’Homme n’ont pas été respectées» et qu’elle ait saisi expressément le Doyen des Juges d’instruction, le Procureur de la République et le Président de la Chambre d’Accusation, dans le sens souhaité. Malheureusement, je constate que ni nos protestations ni celles de Mme Victorine Wodié n’ont eu d’échos favorables puisque selon le Doyen des juges d’instruction, «la détention préventive reste nécessaire à la manifestation de la vérité».
L.P.: Quand on sait que tout est parti de l’affaire de l’usine de Fulton, aux Etats-Unis, l’on s’étonne que des responsables ivoiriens comme Amon Jean-Claude et Yallé Agbré Gabriel qui ont pris une part active dans l’achat de cette usine et qui résident aux Etats-Unis n’aient pas été entendus. A votre avis pourquoi?
N.A.: Posez la question au Procureur de la République et au Doyen des Juges d’instruction.
L.P.: (Nous insistons) Répondez à la question s’il vous plaît
N.A.: Posez la question au Procureur de la République et Doyen des Juges d’instruction.
L.P.: Curieusement, tous les présidents de Conseil d’administration, les directeurs généraux et les Directeurs administratifs et financiers des structures de la filière café-cacao sont à la Maca. Mais l’on s’étonne que M. Sansan Kouao qui a été président du Conseil d’administration de Sifca-coop n’ait pas été incarcéré?
N.A. : Posez la question au Procureur de la République et au Doyen des Juges d’instruction. M. Sansan Kouao a même déclaré dans une interview accordée à votre confrère «l’Intelligent d’Abidjan», qu’il pouvait faire libérer les détenus. Cela n’a ému personne et n’a suscité aucune réaction des autorités judiciaires alors que de tels propos laissent supposer que M. Sansan Kouao a les moyens de donner des injonctions au pouvoir judiciaire.
L.P.: Récemment, un avocat a affirmé que ce procès n’aura jamais lieu parce qu’il y a trop de gens dans des systèmes qui sont impliqués dans ce dossier. Qu’en pensez-vous?
N.A. : Je ne me permettrai pas de donner une quelconque indication sur des faits qui concernent le fond du dossier, compte tenu des contraintes liées au secret de l’instruction. Je me contenterai de faire observer que ce procès nous réservera beaucoup de surprises. Soyez patients.
L.P.: Il a été évoqué une autre audition de certains ministres sur instruction du Président de la République. Croyez-vous que cela soit normal?
N.A.: Je ne crois pas que le Président de la République puisse donner des instructions au juge pour l’audition des Ministres de la République.
Le juge d’instruction apprécie l’opportunité de ces auditions en fonction des nécessités de l’enquête.
L.P.: Le Juge d’instruction peut-il inculper les Ministres s’il estime qu’il existe des charges suffisantes relativement à leur participation aux infractions relevées?
N.A.: Il ne peut pas le faire, parce que seule la Commission d’Instruction près la Haute Cour de Justice est compétente pour instruire les dossiers mettant en cause les membres du Gouvernement.
Or jusqu’à ce jour, ni la Haute Cour de Justice, compétente pour juger les membres du gouvernement, ni la Commission d’Instruction n’ont été mises en place, alors qu’il s’agit d’exigences impératives de notre Constitution. Les Ministres jouissent-ils alors d’une impunité totale? Quid de l’égalité de tous les citoyens devant la loi? Quid du principe du procès équitable? Pourquoi si peu d’empressement à la mise en place de la Haute Cour de Justice? Voilà quelques pistes de réflexion que vous pourriez soumettre au Ministre de la Justice à toutes fins utiles.
L.P.: En son temps vous aviez saisi la Cour de justice d’Abuja et certaines juridictions pour porter plainte contre l’Etat de Côte d’Ivoire. Qu’en est-il exactement?
N.A.: La procédure pour violations des Droits de l’Homme suit son cours au niveau de la Cour de Justice de la CEDEAO (haute juridiction communautaire) à Abuja. L’Etat de Côte d’Ivoire a répondu à notre mémoire; le procès aura lieu courant septembre à Abuja. La date exacte vous sera communiquée incessamment.
L.P.: L’on parle de plus en plus de liberté provisoire que vous réclamez à cor et cri…
N.A.: Nous la réclamons parce que la liberté est un droit pour nos clients et la détention préventive est supposée être une mesure exceptionnelle. Il est donc anormal que l’exception soit devenue le principe et que l’on maintienne en détention préventive pour une période aussi longue, des personnes présumées innocentes présentant toutes les garanties de représentation.
L.P.: Au cas où vos clients ne bénéficieraient pas de cette liberté provisoire?
N.A.: Nous sommes respectueux de l’indépendance de la justice de sorte que les seules voies qui s’offrent à nous sont celles qui nous sont offertes par la réglementation nationale et internationale. J’ai l’intention de saisir également le Conseil Constitutionnel afin de soulever l’inconstitutionnalité des dispositions du Code de procédure pénale qui permettent au juge d’instruction de renouveler indéfiniment la détention préventive. Cette liberté accordée au juge relativement à une mesure supposée être exceptionnelle, me paraît contraire au principe de la présomption d’innocence, consacré par la Constitution.
Réalisé par Jean Eric ADINGRA
Le Patriote: L’on vous a entendu dénoncer l’incarcération des dirigeants de la filière café-cacao. A quel titre? Et qu’en est-il de leurs avoirs?
Narcisse Aka: Je fais partie du Collectif des Avocats des détenus. Je défends principalement Mme Obodji Houssou Roselyne. Ma cliente ne possède pas de patrimoine significatif susceptible d’être gelé. Nos clients sont aujourd’hui privés de liberté et ne peuvent gérer librement les modestes biens qu’ils ont, nonobstant tout ce qui se raconte sur les prétendus milliards qu’ils détiendraient et qui n’ont toujours pas été identifiés. Il y a également lieu de noter que depuis plus d’un an, nos clients qui sont toujours présumés innocents (on l’oublie trop souvent!), sont privés de rémunération et se trouvent désormais à la charge de leurs familles respectives.
L.P.: Mais voici plus d’une année que ces dirigeants sont emprisonnés à la Maca. Quels commentaires faites-vous de cette situation?
N.A.: J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’exprimer mon exaspération et mon indignation relativement à cette situation particulièrement choquante, qui heurte selon nous, aussi bien nos dispositions constitutionnelles que les différents textes internationaux que nous avons ratifiés.
L.P.: Que reprochez-vous précisément à la procédure actuelle?
N.A.: Dans le cadre de cette procédure, toutes les personnes poursuivies, qu’il s’agisse des Présidents de Conseils d’Administration, de Directeurs Généraux ou de Directeurs Administratifs et Financiers, ont été inculpées pour les mêmes faits; abus de biens sociaux, détournement de fonds, faux et usage de faux…D’une part, ces inculpations identiques paraissent curieuses d’autant que les niveaux de responsabilité ne peuvent être les mêmes, compte tenu des fonctions occupées. D’autre part, je m’interroge sur les motifs réels de l’acharnement des juges à maintenir nos clients en détention préventive depuis plus d’un an. Deux exemples vous permettront de comprendre notre indignation. Dans le dossier relatif aux 20 morts du stade Houphouët-Boigny, aucun inculpé n’a été placé en détention préventive. Même après la décision de condamnation, aucun mandat de dépôt n’a été décerné, de sorte que les principaux condamnés jouissent de leur totale liberté, dans l’attente de l’épuisement des voies de recours. Dans l’affaire des déchets toxiques qui a occasionné près d’une vingtaine de morts, les principaux accusés de faits criminels passibles de la Cour d’Assises, n’ont pas passé autant de mois en détention préventive que les détenus du café cacao. Alors faut-il croire que la protection de la vie humaine a moins d’importance dans nos juridictions que celle des biens matériels? Qu’est ce qui justifie encore la détention préventive de nos clients après 14 mois d’enquête?
L.P.: Mais il y a quelques temps, le président Laurent Gbagbo a affiché sa volonté d’aller jusqu’au bout du procès des dirigeants de la filière…
N.A.: C’est vrai, au cours d’une intervention récente relative au procès des dirigeants de la filière café cacao, le Président de la République SEM Laurent GBAGBO a déclaré vouloir aller jusqu’au bout de cet important dossier. Nos clients qui se réjouissent de cette volonté du Chef de l’Etat, attendent avec impatience l’ouverture de leur procès, qui leur permettra de faire définitivement la lumière sur les prétendus détournements invoqués dans la filière café cacao. Aux termes de l’article 9.3 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, «tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale, sera traduit dans le plus court délai devant un juge ... et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré». Après 14 mois de détention préventive, nos clients devraient légitimement aspirer à l’ouverture de leur procès. Dans le cas contraire, le Pacte International précité exige que ces personnes soient libérées. Au surplus, le Pacte International ajoute que «la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du jugement». S’agissant du dossier café-cacao, l’hypothèse d’une liberté sous caution n’a même pas été envisagée, de sorte que l’on se trouve face à une violation flagrante «du droit à être jugé sans retard excessif» expressément prévu par les textes internationaux approuvés et ratifiés par notre pays. Il convient de faire observer par ailleurs que l’article 10-2a du Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, impose la mise en place d’un régime spécifique de détention au profit de nos clients. «Les prévenus sont (...) séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées». Nonobstant ces prescriptions impératives, le système de détention en vigueur à la MACA, n’a nullement prévu pour nos clients en détention préventive, «un régime distinct approprié à leur condition de personnes non condamnées». Cette omission inacceptable entraîne une confusion regrettable entre des personnes condamnées et celles qui ne sont qu’en détention préventive. Il s’agit manifestement de cas de violations par la Côte d’Ivoire des ses engagements internationaux.
L.P.: Justement que dit la Commission nationale des Droits de l’Homme à propos du non respect des engagements internationaux par la Côte d’Ivoire?
N.A.: Je me réjouis que Mme Victorine Wodié, Présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, dans un courrier qu’elle nous a adressé le 28 avril 2009, ait admis que dans ce dossier «certaines dispositions du droit international des Droits de l’Homme n’ont pas été respectées» et qu’elle ait saisi expressément le Doyen des Juges d’instruction, le Procureur de la République et le Président de la Chambre d’Accusation, dans le sens souhaité. Malheureusement, je constate que ni nos protestations ni celles de Mme Victorine Wodié n’ont eu d’échos favorables puisque selon le Doyen des juges d’instruction, «la détention préventive reste nécessaire à la manifestation de la vérité».
L.P.: Quand on sait que tout est parti de l’affaire de l’usine de Fulton, aux Etats-Unis, l’on s’étonne que des responsables ivoiriens comme Amon Jean-Claude et Yallé Agbré Gabriel qui ont pris une part active dans l’achat de cette usine et qui résident aux Etats-Unis n’aient pas été entendus. A votre avis pourquoi?
N.A.: Posez la question au Procureur de la République et au Doyen des Juges d’instruction.
L.P.: (Nous insistons) Répondez à la question s’il vous plaît
N.A.: Posez la question au Procureur de la République et Doyen des Juges d’instruction.
L.P.: Curieusement, tous les présidents de Conseil d’administration, les directeurs généraux et les Directeurs administratifs et financiers des structures de la filière café-cacao sont à la Maca. Mais l’on s’étonne que M. Sansan Kouao qui a été président du Conseil d’administration de Sifca-coop n’ait pas été incarcéré?
N.A. : Posez la question au Procureur de la République et au Doyen des Juges d’instruction. M. Sansan Kouao a même déclaré dans une interview accordée à votre confrère «l’Intelligent d’Abidjan», qu’il pouvait faire libérer les détenus. Cela n’a ému personne et n’a suscité aucune réaction des autorités judiciaires alors que de tels propos laissent supposer que M. Sansan Kouao a les moyens de donner des injonctions au pouvoir judiciaire.
L.P.: Récemment, un avocat a affirmé que ce procès n’aura jamais lieu parce qu’il y a trop de gens dans des systèmes qui sont impliqués dans ce dossier. Qu’en pensez-vous?
N.A. : Je ne me permettrai pas de donner une quelconque indication sur des faits qui concernent le fond du dossier, compte tenu des contraintes liées au secret de l’instruction. Je me contenterai de faire observer que ce procès nous réservera beaucoup de surprises. Soyez patients.
L.P.: Il a été évoqué une autre audition de certains ministres sur instruction du Président de la République. Croyez-vous que cela soit normal?
N.A.: Je ne crois pas que le Président de la République puisse donner des instructions au juge pour l’audition des Ministres de la République.
Le juge d’instruction apprécie l’opportunité de ces auditions en fonction des nécessités de l’enquête.
L.P.: Le Juge d’instruction peut-il inculper les Ministres s’il estime qu’il existe des charges suffisantes relativement à leur participation aux infractions relevées?
N.A.: Il ne peut pas le faire, parce que seule la Commission d’Instruction près la Haute Cour de Justice est compétente pour instruire les dossiers mettant en cause les membres du Gouvernement.
Or jusqu’à ce jour, ni la Haute Cour de Justice, compétente pour juger les membres du gouvernement, ni la Commission d’Instruction n’ont été mises en place, alors qu’il s’agit d’exigences impératives de notre Constitution. Les Ministres jouissent-ils alors d’une impunité totale? Quid de l’égalité de tous les citoyens devant la loi? Quid du principe du procès équitable? Pourquoi si peu d’empressement à la mise en place de la Haute Cour de Justice? Voilà quelques pistes de réflexion que vous pourriez soumettre au Ministre de la Justice à toutes fins utiles.
L.P.: En son temps vous aviez saisi la Cour de justice d’Abuja et certaines juridictions pour porter plainte contre l’Etat de Côte d’Ivoire. Qu’en est-il exactement?
N.A.: La procédure pour violations des Droits de l’Homme suit son cours au niveau de la Cour de Justice de la CEDEAO (haute juridiction communautaire) à Abuja. L’Etat de Côte d’Ivoire a répondu à notre mémoire; le procès aura lieu courant septembre à Abuja. La date exacte vous sera communiquée incessamment.
L.P.: L’on parle de plus en plus de liberté provisoire que vous réclamez à cor et cri…
N.A.: Nous la réclamons parce que la liberté est un droit pour nos clients et la détention préventive est supposée être une mesure exceptionnelle. Il est donc anormal que l’exception soit devenue le principe et que l’on maintienne en détention préventive pour une période aussi longue, des personnes présumées innocentes présentant toutes les garanties de représentation.
L.P.: Au cas où vos clients ne bénéficieraient pas de cette liberté provisoire?
N.A.: Nous sommes respectueux de l’indépendance de la justice de sorte que les seules voies qui s’offrent à nous sont celles qui nous sont offertes par la réglementation nationale et internationale. J’ai l’intention de saisir également le Conseil Constitutionnel afin de soulever l’inconstitutionnalité des dispositions du Code de procédure pénale qui permettent au juge d’instruction de renouveler indéfiniment la détention préventive. Cette liberté accordée au juge relativement à une mesure supposée être exceptionnelle, me paraît contraire au principe de la présomption d’innocence, consacré par la Constitution.
Réalisé par Jean Eric ADINGRA