Pour la première fois dans l’histoire, depuis une vingtaine d’années, la Chine et les autres grands pays coexistent désormais en tant que puissances dans le même monde. C’est là l’un des aspects majeurs de l’ère actuelle de la mondialisation, antérieure même à la disparition de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (Urss) en 1991, qui met fin au monde dit « bipolaire » caractérisé par un demi-siècle de suprématie militaire des Etats-Unis et de l’URSS et par la division du monde en deux systèmes à la fois hégémoniques et antagonistes, auxquels le Tiers-monde de l’époque, celui de Bandoeng, essayait d’échapper.
La période de l’isolement à celle du retour au monde.
Certes la Chine est une puissance très ancienne, héritière de l’une des plus vieilles civilisations connues de l’humanité, la seule qui ait traversé, sans se défaire, les cinq derniers millénaires.
Mais, jusqu’au XIX siècle, elle a vécu au rythme de sa propre histoire et de ses dynasties, dans un monde à part, « Empire du milieu ».
Alternant moments d’unité et de désunion, rejetant ses conquérants ou les absorbant à la longue, répandant sa culture jusqu’aux confins de l’Asie, à peu près indifférente au reste du monde.
Parallèlement à celui-ci, empires, royautés, papauté, vivaient leur propre vie, sans se soucier de la Chine, voire l’ignoraient.
L’existence depuis l’antiquité de quelques liens commerciaux entre l’Europe, l’Orient et la Chine grâce aux routes de la soie, aux expéditions de quelques marchands ou missionnaires, aux périgrinations de l’Amiral Chian-Zheng He jusqu’en Afrique, à l’échange occasionnel de présents entre souverains par l’intermédiaire de messagers au cours des siècles passés, n’avait en rien modifié cette compartimentation du monde.
Et quand les puissances occidentales en pleine expansion coloniale, ainsi que le Japon, convoite la Chine au XIXe siècle, celle-ci, affaiblie, n’est plus alors une vraie puissance en état de se défendre mais une cible, une proie ou un marché (entre autres pour l’opium britannique). Dépecée par des puissances étrangères rivales, la Chine entre alors dans le long tunnel où elle subit occupants, traités inégaux, attribution forcée de concessions aux occidentaux, guerre civile. Il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour que les Communistes chinois, avec Mao Tsé-toung, réussissent à refaire l’unité de la Chine et à restaurer sa souveraineté.
Ensuite, et pour près de 30 ans, la Chine se referme sur elle-même, à la seule exception de son alliance avec l’URSS qui dure environ dix ans. Elle s’ engagée dans une confrontation directe avec les Etats-Unis en Corée (en 1950-1951), puis indirecte avec la France dans la première guerre du Vietnam jusqu’en 1955, Puis, à nouveau, avec les Etats-Unis dans la seconde guerre du Vietnam jusqu’en 1957. Avec l’assistance soviétique, au départ, puis seule, elle développe son propre arsenal nucléaire.
Par réalisme, certains pays européens préconisant, dès cette période, le rétablissement des relations diplomatiques en 1979.
Pour la Chine, c’est une satisfaction de prestige, une assistance et une sécurité vis-à-vis de l’Urss, hostile et très armée. Pour les Etats-Unis, c’est une carte précieuse dans leur jeu central avec l’Union soviétique, et leurs relations multiples et complexes en Asie.
Cependant, la Chine et le reste du Monde ne vivent pas encore tout à fait dans le même monde.
Après avoir récupéré le siège de membre permanent au conseil de sécurité, Pékin fait un usage prudent et discret, veillant à son statut, mais évitant tout geste pouvant conduire à une confrontation. C’est dans les années 1980 que se produit une gigantesque mutation, aux conséquences colossales. Après une période de transitions consécutive à la mort de Mao en 1976, Deng Xiaoping prend en main, en décembre 1979, les destinées de la République populaire de Chine (RPC) et la lance dans l’aventure de la modernisation économique, changeant par là même, à terme, les équilibres du monde. Il le fait prudemment (« traverser la rivière en tâtant les pierres »). Mais de façon résolue. Elu président des Etats-Unis la même année, Ronald Reagan a, quant à lui, pour objectif de briser la menace idéologique et militaire soviétique, ainsi que de déréguler et d’étendre au monde, avec le soutien ardent de Margareth Thatcher, élue Premier Ministre de Grande –Bretagne en 1979, et des plus grandes entreprises occidentales, l’économie capitaliste. Il atteint son premier objectif et donne une impulsion décisive dans la direction du second. En Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev est appelé au pouvoir en 1985 par un système soviétique à bout de force, qu’il libéralise (Glasnost) et tente de la reformer (Perestroïka). Le refus affiché de M. Gorbatchev d’employer la force pour maintenir les régions communistes d’Europe de l’Est, fondé sur une conviction profonde et ancienne, mène, à partir de son accession au sommet, à leur chute comme des châteaux de cartes, rendant de ce fait possible la réunification allemande (1989-1991) et donne le coup d’envoi du rapprochement des pays d’Europe centrale et orientale avec l’organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et l’Union Européenne (UE, 1989-2004). Après un putsch d’arrière garde qui tente vraiment d’interrompre le nouveau cours de l’histoire en 1991, l’Union soviétique disparaît en décembre 1991 par retrait des Etats constituants, à commencer par celui de la Russie qui n’hérite qu’en partie de la puissance soviétique.
En occident, de nombreux analystes et responsables politiques, et l’opinion publique dans sa majorité n’interprètent ces éléments qu’en tant que victoire occidentale, voire américaine. Pour beaucoup d’Américains, cela annonce la « fin de l’histoire » (Francis Fukuyama) par le triomphe des valeurs politiques et économiques occidentales et un « Nouvel ordre international » sous le leadership américain (George Bush Senior). Pour d’autres occidentaux, plus idéalistes, ou moins nationalistes particulièrement en Europe, cela fait espérer l’avènement d’une « communauté internationale » au sein de laquelle les relations internationales se conformeraient enfin aux principes de la charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Il y a un monde global certes, mais en réalité, la notion Communauté internationale reste un bel objectif. Les USA sont devenues une « hyper puissance » (Hubert Védrine en 1998), puissance plus forte que tout autre puissance. Les «civilisations » ne se comprennent pas toutes encore. Les antagonismes n’ont pas disparu les valeurs jugées « universelles » par les Occidentaux ne sont pas encore universellement reconnues comme telles. L’histoire et les rapports de force se poursuivent. L’un des principaux enjeux en est, du point de vue chinois comme du point de vue du reste du Monde, l’insertion dans le Monde globalisé, d’une Chine qui a connu, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, puis de Jiang Zemin et de Hu Jin tao, le formidable développement que l’on sait, résultat d’une libération des énergies et d’une stratégie d’hyper croissance, et qui dispose en outre, à l’extérieur, d’une diaspora nombreuse et active.
A quel point ce monde « global » sera-t-il modifié par ce processus ? C’est, au même titre que l’évolution de la relation entre l’Islam et l’Occident, l’une des plus formidables questions de notre temps.
JEAN VINCENT ZINSOU HISTORIEN ET AMBASSADEUR
La période de l’isolement à celle du retour au monde.
Certes la Chine est une puissance très ancienne, héritière de l’une des plus vieilles civilisations connues de l’humanité, la seule qui ait traversé, sans se défaire, les cinq derniers millénaires.
Mais, jusqu’au XIX siècle, elle a vécu au rythme de sa propre histoire et de ses dynasties, dans un monde à part, « Empire du milieu ».
Alternant moments d’unité et de désunion, rejetant ses conquérants ou les absorbant à la longue, répandant sa culture jusqu’aux confins de l’Asie, à peu près indifférente au reste du monde.
Parallèlement à celui-ci, empires, royautés, papauté, vivaient leur propre vie, sans se soucier de la Chine, voire l’ignoraient.
L’existence depuis l’antiquité de quelques liens commerciaux entre l’Europe, l’Orient et la Chine grâce aux routes de la soie, aux expéditions de quelques marchands ou missionnaires, aux périgrinations de l’Amiral Chian-Zheng He jusqu’en Afrique, à l’échange occasionnel de présents entre souverains par l’intermédiaire de messagers au cours des siècles passés, n’avait en rien modifié cette compartimentation du monde.
Et quand les puissances occidentales en pleine expansion coloniale, ainsi que le Japon, convoite la Chine au XIXe siècle, celle-ci, affaiblie, n’est plus alors une vraie puissance en état de se défendre mais une cible, une proie ou un marché (entre autres pour l’opium britannique). Dépecée par des puissances étrangères rivales, la Chine entre alors dans le long tunnel où elle subit occupants, traités inégaux, attribution forcée de concessions aux occidentaux, guerre civile. Il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour que les Communistes chinois, avec Mao Tsé-toung, réussissent à refaire l’unité de la Chine et à restaurer sa souveraineté.
Ensuite, et pour près de 30 ans, la Chine se referme sur elle-même, à la seule exception de son alliance avec l’URSS qui dure environ dix ans. Elle s’ engagée dans une confrontation directe avec les Etats-Unis en Corée (en 1950-1951), puis indirecte avec la France dans la première guerre du Vietnam jusqu’en 1955, Puis, à nouveau, avec les Etats-Unis dans la seconde guerre du Vietnam jusqu’en 1957. Avec l’assistance soviétique, au départ, puis seule, elle développe son propre arsenal nucléaire.
Par réalisme, certains pays européens préconisant, dès cette période, le rétablissement des relations diplomatiques en 1979.
Pour la Chine, c’est une satisfaction de prestige, une assistance et une sécurité vis-à-vis de l’Urss, hostile et très armée. Pour les Etats-Unis, c’est une carte précieuse dans leur jeu central avec l’Union soviétique, et leurs relations multiples et complexes en Asie.
Cependant, la Chine et le reste du Monde ne vivent pas encore tout à fait dans le même monde.
Après avoir récupéré le siège de membre permanent au conseil de sécurité, Pékin fait un usage prudent et discret, veillant à son statut, mais évitant tout geste pouvant conduire à une confrontation. C’est dans les années 1980 que se produit une gigantesque mutation, aux conséquences colossales. Après une période de transitions consécutive à la mort de Mao en 1976, Deng Xiaoping prend en main, en décembre 1979, les destinées de la République populaire de Chine (RPC) et la lance dans l’aventure de la modernisation économique, changeant par là même, à terme, les équilibres du monde. Il le fait prudemment (« traverser la rivière en tâtant les pierres »). Mais de façon résolue. Elu président des Etats-Unis la même année, Ronald Reagan a, quant à lui, pour objectif de briser la menace idéologique et militaire soviétique, ainsi que de déréguler et d’étendre au monde, avec le soutien ardent de Margareth Thatcher, élue Premier Ministre de Grande –Bretagne en 1979, et des plus grandes entreprises occidentales, l’économie capitaliste. Il atteint son premier objectif et donne une impulsion décisive dans la direction du second. En Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev est appelé au pouvoir en 1985 par un système soviétique à bout de force, qu’il libéralise (Glasnost) et tente de la reformer (Perestroïka). Le refus affiché de M. Gorbatchev d’employer la force pour maintenir les régions communistes d’Europe de l’Est, fondé sur une conviction profonde et ancienne, mène, à partir de son accession au sommet, à leur chute comme des châteaux de cartes, rendant de ce fait possible la réunification allemande (1989-1991) et donne le coup d’envoi du rapprochement des pays d’Europe centrale et orientale avec l’organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et l’Union Européenne (UE, 1989-2004). Après un putsch d’arrière garde qui tente vraiment d’interrompre le nouveau cours de l’histoire en 1991, l’Union soviétique disparaît en décembre 1991 par retrait des Etats constituants, à commencer par celui de la Russie qui n’hérite qu’en partie de la puissance soviétique.
En occident, de nombreux analystes et responsables politiques, et l’opinion publique dans sa majorité n’interprètent ces éléments qu’en tant que victoire occidentale, voire américaine. Pour beaucoup d’Américains, cela annonce la « fin de l’histoire » (Francis Fukuyama) par le triomphe des valeurs politiques et économiques occidentales et un « Nouvel ordre international » sous le leadership américain (George Bush Senior). Pour d’autres occidentaux, plus idéalistes, ou moins nationalistes particulièrement en Europe, cela fait espérer l’avènement d’une « communauté internationale » au sein de laquelle les relations internationales se conformeraient enfin aux principes de la charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Il y a un monde global certes, mais en réalité, la notion Communauté internationale reste un bel objectif. Les USA sont devenues une « hyper puissance » (Hubert Védrine en 1998), puissance plus forte que tout autre puissance. Les «civilisations » ne se comprennent pas toutes encore. Les antagonismes n’ont pas disparu les valeurs jugées « universelles » par les Occidentaux ne sont pas encore universellement reconnues comme telles. L’histoire et les rapports de force se poursuivent. L’un des principaux enjeux en est, du point de vue chinois comme du point de vue du reste du Monde, l’insertion dans le Monde globalisé, d’une Chine qui a connu, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, puis de Jiang Zemin et de Hu Jin tao, le formidable développement que l’on sait, résultat d’une libération des énergies et d’une stratégie d’hyper croissance, et qui dispose en outre, à l’extérieur, d’une diaspora nombreuse et active.
A quel point ce monde « global » sera-t-il modifié par ce processus ? C’est, au même titre que l’évolution de la relation entre l’Islam et l’Occident, l’une des plus formidables questions de notre temps.
JEAN VINCENT ZINSOU HISTORIEN ET AMBASSADEUR