Même s’ils détiennent encore des leviers importants, les entrepreneurs français sont concurrencés par les libanais. La lutte sera ardue.
Treichville et Adjamé, deux marchés populaires pour les tissus, les produits de beauté, les chaussures, le textile, l’électroménager et l’électronique. Ce pan fructueux du commerce ivoirien est en passe de changer de main. Il y a quelques années, il était la chasse gardée des libanais. Mais avec le dynamisme de l’informel et surtout la ruée des chinois, ces libanais tentent de réorienter leurs activités vers des secteurs plus porteurs et lourds en investissements que le tertiaire. Selon Roger Dagher, chef d’entreprise et conseiller économique et social, aujourd’hui, les activités de la communauté libanaise se sont étendues aux secteurs du transport, de l’immobilier, à la distribution d’hydrocarbure, à la recherche minière ainsi qu’à l’exploitation, et surtout à la création de fonderies pour produire le fer et l’acier. «Je ne pourrai pas citer tous les domaines dans lesquels les libanais se sont investis, mais je voudrais indiquer que suite aux évènements de 2002 et 2004, ces domaines se sont diversifiés suite au départ de certains opérateurs économiques », lance-t-il à Elan, le conclave de la société civile. En effet, ils sont dans l’industrie, l’importation et le conditionnement de produits alimentaires tels le beurre, le lait, les cubes de bouillon, les savons, l’hôtellerie, la restauration. Selon l’hebdomadaire français Le Point, depuis les évènements de 2004 qui a vu des dizaines d’entreprises ravagées par les «Jeunes patriotes », les petites et moyennes entreprises seraient contrôlées à 60% par la communauté libanaise. Dans tous les cas, Mohamed Ghassam, membre de la plateforme libanaise (Chafi), note que sa communauté est aujourd’hui créditée de plus de 60% du parc immobilier privé ivoirien, 80% de la distribution, 70% de l’imprimerie et du packaging, 43% de l’activité industrielle. Ces chiffres peuvent être sujets à caution d’autant que ni le Cepici, ni l’Ins n’a conduit d’étude statistique récente en la matière. Toutefois, ils montrent l’influence grandissante de la diaspora libanaise dans l’économie nationale. Quoi qu’il en soit, surfant sur les départs en cascade des entrepreneurs français de la Côte d’Ivoire pour cause de crise militaro-politique, la diaspora libanaise a renforcé ses positions dans le paysage économique ivoirien.
Les Français en disgrâce
Des sociétés comme Technibat, Bernabé et bien d’autres sont tombées dans leurs escarcelles. M. Dagher préfère s’en tenir aux aspects macro et évalue à « 35 voire 40% le poids de la communauté libanaise dans l’économie ivoirienne». Son compatriote Walid Fouad estime, en outre, qu’elle offre «sensiblement le même niveau d’emplois, sinon un peu plus que la fonction publique ivoirienne». Pesante dans le domaine économique, la communauté libanaise forte de 60.000 personnes selon les chiffres officiels, bien intégrée au tissu social, prend de plus en plus les airs de «carnivores» vis-à-vis des entreprises françaises. Le marché est d’autant plus florissant que les besoins d’équipements sont pressants. «Nous changeons d’activités parce que nous constatons que le secteur où nous opérons, comprend déjà des nationaux. Nous prospectons de nouvelles filières», explique Bilal Fahouzi anciennement quincaillier, reconverti dans l’agroalimentaire. Parallèlement, il a acquis une ébénisterie sur le boulevard Giscard d’Estaing. Cette usine de transformation des bois emploie une centaine de spécialistes locaux. Ils produisent des meubles aux normes européennes qui ont rapidement conquis de la clientèle parmi les grandes entreprises et les services publics. Dans le secteur des transports, les opérateurs libanais imposent leur nette domination avec de gros porteurs qui transportent essentiellement des grumes ou des marchandises destinées aux autres pays de la région. «J’ai opté pour le taxi et les grumiers», explique Nouredine Mostefa. Autre secteur d’activité qui enregistre, dit-il, une présence importante des hommes d’affaires libanais, l’exploitation forestière. Dans les régions du Sud, de l’Ouest et de l’Est du pays, principales zones d’exploitation forestière, des investisseurs libanais contrôlent des concessions importantes. Totalement à l’écart des sujets politiques, la communauté libanaise ne s’en est pas moins impliquée dans les activités caritatives ou sportives, qui renforcent son intégration et marquent la différence avec d’autres communautés. Ces activités caritatives et associatives leur permettent aussi de disposer de la passerelle d’accès aux centres de décision, pour d’éventuelles opérations de lobbying. Ainsi, les hommes d’affaires libanais disposent d’épais carnets d’adresses donnant accès aux plus hautes sphères de décision, où ils entretiennent souvent de solides amitiés. Aux hommes d’affaires libanais de la première génération, arrivés autour des années 1960-1970 suite aux crises politiques dans leur pays, s’ajoutent les générations plus récentes, fils des premiers immigrants, ou même des opérateurs économiques plus récemment installés. Dans les sillons industriels tracés par le patriarche Roger Abinader, Khaled Nadjib, entre autres, ils ont essaimé la plupart des secteurs d’activité économiques. Cette migration vers des secteurs d’activité non traditionnels tient aussi des mutations au sein de la communauté libanaise elle-même. Les anciens, faiblement alphabétisés, sont en train de passer la main à leur descendance. Une génération formée pour nombre dans les meilleures écoles ivoiriennes et internationales. «Au titre de commerçant dont s’accommodait avec fierté nos devanciers, nous préférons celui, plus valorisant, d’entrepreneur ou de chef d’entreprise», argumente Karim Farhat qui souhaite créer une société de transformation de caoutchouc. Sous leur impulsion, les boutiques aux allures de bazars ont pris des airs d’entreprise, aussi bien dans leur organisation que dans leur fonctionnement. Face à cette montée fulgurante, l’Etat ivoirien nourrit quelques appréhensions. «Ces gens ont souvent des problèmes pour être en règle vis-à-vis du fisc. Avez-vous vu comment ils se sont opposés à la facture normalisée», murmure un cadre du ministère de l’Economie et des Finances.
Lanciné Bakayoko
Treichville et Adjamé, deux marchés populaires pour les tissus, les produits de beauté, les chaussures, le textile, l’électroménager et l’électronique. Ce pan fructueux du commerce ivoirien est en passe de changer de main. Il y a quelques années, il était la chasse gardée des libanais. Mais avec le dynamisme de l’informel et surtout la ruée des chinois, ces libanais tentent de réorienter leurs activités vers des secteurs plus porteurs et lourds en investissements que le tertiaire. Selon Roger Dagher, chef d’entreprise et conseiller économique et social, aujourd’hui, les activités de la communauté libanaise se sont étendues aux secteurs du transport, de l’immobilier, à la distribution d’hydrocarbure, à la recherche minière ainsi qu’à l’exploitation, et surtout à la création de fonderies pour produire le fer et l’acier. «Je ne pourrai pas citer tous les domaines dans lesquels les libanais se sont investis, mais je voudrais indiquer que suite aux évènements de 2002 et 2004, ces domaines se sont diversifiés suite au départ de certains opérateurs économiques », lance-t-il à Elan, le conclave de la société civile. En effet, ils sont dans l’industrie, l’importation et le conditionnement de produits alimentaires tels le beurre, le lait, les cubes de bouillon, les savons, l’hôtellerie, la restauration. Selon l’hebdomadaire français Le Point, depuis les évènements de 2004 qui a vu des dizaines d’entreprises ravagées par les «Jeunes patriotes », les petites et moyennes entreprises seraient contrôlées à 60% par la communauté libanaise. Dans tous les cas, Mohamed Ghassam, membre de la plateforme libanaise (Chafi), note que sa communauté est aujourd’hui créditée de plus de 60% du parc immobilier privé ivoirien, 80% de la distribution, 70% de l’imprimerie et du packaging, 43% de l’activité industrielle. Ces chiffres peuvent être sujets à caution d’autant que ni le Cepici, ni l’Ins n’a conduit d’étude statistique récente en la matière. Toutefois, ils montrent l’influence grandissante de la diaspora libanaise dans l’économie nationale. Quoi qu’il en soit, surfant sur les départs en cascade des entrepreneurs français de la Côte d’Ivoire pour cause de crise militaro-politique, la diaspora libanaise a renforcé ses positions dans le paysage économique ivoirien.
Les Français en disgrâce
Des sociétés comme Technibat, Bernabé et bien d’autres sont tombées dans leurs escarcelles. M. Dagher préfère s’en tenir aux aspects macro et évalue à « 35 voire 40% le poids de la communauté libanaise dans l’économie ivoirienne». Son compatriote Walid Fouad estime, en outre, qu’elle offre «sensiblement le même niveau d’emplois, sinon un peu plus que la fonction publique ivoirienne». Pesante dans le domaine économique, la communauté libanaise forte de 60.000 personnes selon les chiffres officiels, bien intégrée au tissu social, prend de plus en plus les airs de «carnivores» vis-à-vis des entreprises françaises. Le marché est d’autant plus florissant que les besoins d’équipements sont pressants. «Nous changeons d’activités parce que nous constatons que le secteur où nous opérons, comprend déjà des nationaux. Nous prospectons de nouvelles filières», explique Bilal Fahouzi anciennement quincaillier, reconverti dans l’agroalimentaire. Parallèlement, il a acquis une ébénisterie sur le boulevard Giscard d’Estaing. Cette usine de transformation des bois emploie une centaine de spécialistes locaux. Ils produisent des meubles aux normes européennes qui ont rapidement conquis de la clientèle parmi les grandes entreprises et les services publics. Dans le secteur des transports, les opérateurs libanais imposent leur nette domination avec de gros porteurs qui transportent essentiellement des grumes ou des marchandises destinées aux autres pays de la région. «J’ai opté pour le taxi et les grumiers», explique Nouredine Mostefa. Autre secteur d’activité qui enregistre, dit-il, une présence importante des hommes d’affaires libanais, l’exploitation forestière. Dans les régions du Sud, de l’Ouest et de l’Est du pays, principales zones d’exploitation forestière, des investisseurs libanais contrôlent des concessions importantes. Totalement à l’écart des sujets politiques, la communauté libanaise ne s’en est pas moins impliquée dans les activités caritatives ou sportives, qui renforcent son intégration et marquent la différence avec d’autres communautés. Ces activités caritatives et associatives leur permettent aussi de disposer de la passerelle d’accès aux centres de décision, pour d’éventuelles opérations de lobbying. Ainsi, les hommes d’affaires libanais disposent d’épais carnets d’adresses donnant accès aux plus hautes sphères de décision, où ils entretiennent souvent de solides amitiés. Aux hommes d’affaires libanais de la première génération, arrivés autour des années 1960-1970 suite aux crises politiques dans leur pays, s’ajoutent les générations plus récentes, fils des premiers immigrants, ou même des opérateurs économiques plus récemment installés. Dans les sillons industriels tracés par le patriarche Roger Abinader, Khaled Nadjib, entre autres, ils ont essaimé la plupart des secteurs d’activité économiques. Cette migration vers des secteurs d’activité non traditionnels tient aussi des mutations au sein de la communauté libanaise elle-même. Les anciens, faiblement alphabétisés, sont en train de passer la main à leur descendance. Une génération formée pour nombre dans les meilleures écoles ivoiriennes et internationales. «Au titre de commerçant dont s’accommodait avec fierté nos devanciers, nous préférons celui, plus valorisant, d’entrepreneur ou de chef d’entreprise», argumente Karim Farhat qui souhaite créer une société de transformation de caoutchouc. Sous leur impulsion, les boutiques aux allures de bazars ont pris des airs d’entreprise, aussi bien dans leur organisation que dans leur fonctionnement. Face à cette montée fulgurante, l’Etat ivoirien nourrit quelques appréhensions. «Ces gens ont souvent des problèmes pour être en règle vis-à-vis du fisc. Avez-vous vu comment ils se sont opposés à la facture normalisée», murmure un cadre du ministère de l’Economie et des Finances.
Lanciné Bakayoko