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Société Publié le vendredi 16 octobre 2009 | Nord-Sud

Pénurie d’eau à Abadjin-Kouté : Le marigot remplace le robinet

Les habitants d’Abadjin-Kouté traversent des moments difficiles. L’eau est rare dans ce village de la banlieue abidjanaise. Notre reportage.


Chaque matin, ces femmes doivent parcourir une piste longue de plus de 2 km pour approvisionner leurs familles en eau. Elles ne vivent pas dans un village reculé de la Côte d’Ivoire, mais à Abadjin- Kouté, un village de la commune de Songon (banlieue d’Abidjan), sur la route de Dabou. Quand notre équipe de reportage y arrive mercredi, il est 6 heures du matin. A cette heure, le village est déjà animé. Image marquante, plusieurs femmes portant des cuvettes remplies d’eau sur la tête se dirigent vers leurs habitations. Des jeunes transportent des bidons remplis d’eau sur des pousse-pousse.

Images du drame de ces banlieusards

En effet, les quelques 1.000 habitants Abadjin-Kouté sont privés d’eau de robinet depuis bientôt deux ans. Des bassines sur la tête, les femmes parcourent chaque jour la piste tortueuse et glissante qui mène au marigot. Entre les arbres d’hévéa, une côte rend les cho­ses plus difficiles. Elles y tombent parfois non sans manquer de renverser le peu d’eau qu’elles ont pu re­cueillir. Pour celles qui ont un peu de chance, c’est avec la qualité petite quantité d’eau qu’elles retrouvent le village tant la distance est longue. Le plus effroyable, c’est l’état de l’eau du marigot. Elle est là, stagnante et sale. Des feuilles mortes nagent à sa surface. Cette eau ne doit même pas servir à faire la lessive. Mais elle est consommée directement par la population. Les femmes d’Abadjin l’utilisent pour la cuisine, la lessive, le bain. En clair pour tout. Les pieds dans cette mare d’eau, elles se servent de seaux ou de vieilles boîtes de tomate, pour remplir les différentes bassines ou bidons. Djanto Antoinette, cinquantaine révolue, est veuve. Ce matin du 14 octobre, cette adulte, une canne en main, marche difficilement pour regagner le village, avec sur la tête, sa ration de la journée. Elle souffre à cause de la distance. Son âge avancé n’allège pas les choses. Chaque matin, c’est la même corvée. Elles sont nombreuses ces femmes qui, très tôt le matin, en file indienne, prennent le chemin du marigot. Adoussou Sophie est mère de famille. Son bébé au dos, elle fait partie de la longue file de femmes qui s’ébranle dès 5 heures du matin vers le marigot. Lorsque les bassines sont pleines, elles les recouvrent de plastiques blancs. Certaines, à défaut de plastiques, se servent de feuilles. C’est une technique qu’elles utilisent pour retenir l’eau dans les bassines. Ces femmes ne dorment pratiquement plus. Leur hantise, l’eau qu’elles devront rapporter le matin pour faire vivre le village. «Nous souffrons ici. Le peu d’eau qu’on arrive à avoir ne suffit pas. Nous sommes obligées de gérer l’eau que nous rapportons sur deux ou trois jours», indique-t-elle. Dans ce village, on ne peut prendre qu’un bain une fois par jour. «Les hommes sont obligés de se contenter d’une petite quantité le soir pour la toilette», explique Mme Akré. Celles qui n’arrivent pas à se déplacer jusqu’au marigot sont obligées de payer l’eau. Les jeunes du village, à l’aide de pousse-pousse, proposent leurs services moyennant la somme de 2000 Fcfa. Ils remplissent des bidons de 20 litres dont le contenu est ensuite revendu à ceux qui peuvent le payer. Le pousse-pousse ne contient que douze bidons.

Obligé de mendié l’eau

« Pour une personne qui vit au village, c’est énorme comme budget», souligne Asseké Albertine. Avec l’état de la piste, les jeunes sont obligés de solliciter l’aide de plusieurs personnes. Il n’y a plus de puits qui fonctionne. Certains vont à la station du Cnra (Centre national de recherches agronomiques), très éloigné du village, pour quémander de l’eau. Il est 8 heures, notre équipe de reportage, accompagnée des notables, se rend dans le centre de santé intégré du village. La situation de l’eau crée beaucoup de problèmes dans cet hôpital. Un établissement sanitaire ne peut fonctionner sans eau. Face à cette réalité cruciale, le personnel médical est obligé de mendier de l’eau chez les femmes pour les accouchements. En l’absence des responsables du centre, la fille de salle, Agoussi Béké Suzanne, ne cache pas son amertume. «C’est extrêmement difficile de travailler dans ces con­ditions », regrette-elle. «Il y a des jours quand la situation est désespérée, l’infirmier est obligé de payer l’eau », ajoute-t-elle. L’école maternelle d’Abadjin-Kouté jouxte le centre de santé. Ici, pour les toilettes, les enfants sont obligés de se rendre dans la broussaille. Pareil au lycée moderne de Songon, situé dans le village. Cet établissement compte deux bâtiments et une administration. Il n’y a pas d’eau à boire. Comment étudier dans ces conditions ? «C’est dur pour les élèves, les enseignants, pour nous tous », avoue Ireminké Clotaire, conseillé extrascolaire. Les conséquences de la pénurie d’eau dans le village sont désastreuses. Notamment pour la santé de la population. Les maladies encourues en buvant l’eau du marigot sont nom­breuses : la diarrhée, la fièvre typhoïde, l’hépatite A etc. Lydie se plaint d’une diarrhée chronique. « On avait tous le même problème dans ma famille. J’étais obligée d’envoyer mes enfants à Abidjan pour poursuivre les études », souligne-t-elle. Les professeurs, les élèves, les écoliers de la maternelle en allant satisfaire leurs besoins dans la brousse risquent à tout moment de tomber sur des serpents.

Des promesses n’ont tenues

Paradoxe des paradoxes. Abadjin-Kouté a été relié au réseau Sodeci depuis 10 ans. Les robinets sont installés dans pratiquement toutes les concessions. Mais, à la place de l’eau potable, c’est de l’air qui résonne dans ces parois de fer. Aké Danho Félicien, cadre du village, est professeur de mathéma­tiques à la retraite. Depuis un an, il est venu s’installer dans son village. Selon lui, les autorités n’ont jamais tenu leurs promesses. « L’explication qu’on nous a donnée est que le village est relié au réseau d’Abidjan, précisément à Andokoi. Si nous avions été reliés à Songon, nous n’aurions peut-être pas eu de problème. Quand les autorités viennent dans le village, c’est un langage politique qui est servi», déplore-t-il. Lors d’une réunion, le préfet d’Abidjan, Sam Etiassé, a promis de régler la situation en trois jours. Mais, rien n’a été fait. Lasses d’attendre, les femmes ont organisé un sit-in le 29 septembre 2008 au grand carrefour du village. Elles ont été gazées par la Brigade anti-émeute (Bae). Plus grave, les habitants reçoivent les factures d’eau. «Le village est résigné à vivre dans cette situation», soupire Akéko Vincent, notable. «Nous sommes-là, nous ne bougeons pas», c’est la traduction d’A­ba­djin-Kouté en langue ébrié. Le village est effectivement là, ne bouge pas, mais il attend une aide.


Soro Sita (Stagiaire)
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