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Société Publié le mercredi 21 octobre 2009 | Nord-Sud

Toma’m Constance Yai (Consultante internationale sur la parité et les droits humains et fondatrice de l’Association ivoirienne pour les droits des femmes) : “Les hommes doivent maîtriser leur sexualité”

Dans notre parution de samedi, nous posions la problématique de la légalisation de la polygamie. Les religieux ont réagit sur la question lundi. Après la pause observée hier, nous vous proposons aujourd’hui un face à face de deux militantes féminines.


Comment vous jugez le fait que Nord-sud engage un débat sur la légalisation de la polygamie ?
J’ai trouvé extraordinaire qu’en cette période difficile pour les Ivoiriens Nord-sud ait estimé que l’urgence était la question de la polygamie, la polygamie masculine bien entendu, qui pour moi s’identifie à la pagaille dans les familles.


Qu’avez-vous contre la légalisation de la polygamie ?

Ce qui me dérange, c’est qu’on ne retienne de la polygamie que son aspect masculin. Je ne suis pas contre le fait que les gens choisissent librement de se mettre en ménage à plusieurs. Ce qui me dérange, c’est la manière de poser le problème, sous un seul angle. Si on envisage le débat sur la polygamie masculine, le débat pourrait avoir lieu.


Pourtant la polygamie masculine marche au Sénégal…

Il n’y a pas qu’au Sénégal. Partout dans le monde elle a existé. Ce qui est intéressant à savoir, c’est comment l’on est sorti de cet esclavage pour en arriver à des sociétés où des hommes et des femmes s’unissent, parce qu’ils s’aiment. Si on se marie sur la base de l’amour, on ne peut pas épouser plusieurs partenaires.

La polygamie de fait existe dans des foyers en Côte d’Ivoire!

Les gens se mettent en ménage parce qu’ils ont des choses à partager, à construire. Mais il ne s’agit pas de mettre des femmes au service d’un homme.


Des femmes s’y plaisent…

En général les hommes veulent de la polygamie pour satisfaire une certaine sexualité et bénéficier d’un confort certain. La polygamie masculine nous apprend que nos compagnons ont des besoins sexuels inassouvis. Vous avez d’un côté, des hommes mieux aisés que les femmes mais moralement et sexuellement pauvres. Pour eux, l’activité sexuelle est intéressante quand elle démultipliée. A l’opposé, vous avez des femmes moralement pauvres mais elles le sont aussi matériellement. Elles sont à la recherche de ces hommes là pour atteindre le niveau matériel auquel elles aspirent.


Comment gérer les enfants adultérins ?

Il y en a qui vous disent d’intégrer ces enfants dans les foyers. J’ai l’impression que dans cette société on prend des femmes pour des éléments à boucher des trous. Il s’agit d’épouser une femme parcequ’on l’a mise en grossesse. Mais on ne demande pas comment se fait-il que cette femme soit tombée en grossesse. Qu’est ce qu’on fait d’une femme mariée qui tombe enceinte à l’extérieur de son ménage ? Si vous voulez légaliser la polygamie, allons-y ! Mais avant, il y a un certain nombre de préalable à lever. Il faut permettre la polygamie pour les hommes et pour les femmes.


Pour les femmes polygames ?
Bien sûr !


Comment vous entrevoyez une femme avec plusieurs hommes ?

J’estime qu’un homme, c’est déjà pas facile à gérer. Avec l’éducation que j’ai reçue et mon histoire personnelle, je ne peux pas. Mais lorsque des hommes estiment qu’à un certain âge la femme ne peut plus avoir une activité sexuelle normale, c’est de la diversion pour justifier leur frénésie libidinale. L’homme qui se lasse de sa campagne au prétexte qu’elle est vieille, oublie le blanchiment de ses propres cheveux et son crâne dégarni.


Vous acceptez la polygamie à condition que les femmes s’y mettent aussi ?

Non. J’estime qu’elle est synonyme de pagaille familiale, donc je ne peux pas être pour la polygamie. Aimer, c’est vivre une relation, éprouver des sentiments, se mettre au service l’un de l’autre. Il n’y a pas grand nombre à aimer deux personnes à la fois. Ceci est aussi bien valable pour les femmes que pour les hommes. Il n’est pas tenable de construire la polygamie dans la confiance et le respect des sentiments de l’autre.


Doit-on négliger la polygamie qui est une culture ancestrale ?

Lorsqu’on épousait plusieurs femmes, on achetait de la main d’œuvre pour travailler dans les champs. En cas de grossesse, l’absence temporaire de la femme était utilisée comme prétexte. A cette époque, on ne parlait pas d’égalité entre l’homme et la femme. On se mariait même sans amour : c’était une affaire de famille. Les autres peuples ont évolué vers une nouvelle manière d’être. La génération actuelle estime qu’on devrait se marier que parce qu’on s’aime. Si aujourd’hui, on veut nous amener à une aberration qui veut qu’un homme vaille jusqu’à quatre femmes, il faut appliquer les lois de ce pays.


C’est-à-dire ?

Si on veut légaliser la polygamie, il faut aller vers un référendum. Il faut que les Ivoiriens choisissent si la femme et l’homme ont les mêmes droits, s’ils naissent libres et égaux. On ne légalisera la polygamie que si les Ivoiriens estiment que l’on doit reconnaître plus de droits aux hommes qu’aux femmes. La deuxième condition, c’est que la Côte d’Ivoire dénonce les conventions qu’elle a ratifiées faisant de la discrimination à l’égard des femmes un obstacle au développement. Notre pays est-il prêt à aller si loin pour satisfaire la libido de deux ou trois excités ? Pour avoir une sexualité responsable, il faut s’auto éduquer. Ce n’est pas aux familles qu’il faut imposer de baisser leur niveau de vie parce qu’un homme a envie de passer la nuit avec une fille qui a la moitié de son âge. Il appartient aux hommes de s’autogérer. On oublie souvent les femmes ne sont pas moins attirées par l’activité sexuelle que les hommes. On nous a fait croire qu’à partir de 50 ans, la femme allant vers la ménopause, n’a plus de besoin sexuel. C’est archifaux. On le dit toujours pour justifier qu’un homme est fait pour multiplier ses partenaires.


Et que proposez-vous pour les « deuxièmes bureaux »?

Les concubins ignorent la loi, la loi les ignore. Pour l’heure dans notre pays, des hommes mariés se mettent en ménage avec des femmes qui ne sont reconnues par aucune institution, en dehors des religieux qui déclarent la guerre à la loi. C’est parce qu’on n’a pas poursuivi celui qui célèbre des mariages polygamiques, dans un pays à option monogamique, que certains demandent la légalisation.


Il y a un imam qui dit que la polygamie est un début de solution.

Ces hommes qui ramènent le sida dans leur famille doivent être récompensés ? Vous n’êtes pas aptes au mariage, vous ne vous mariez pas. La polygamie masculine est du vagabondage sexuel sélectif. Les hommes se promènent entre trois voire cinq femmes et ils s’enlèvent de la tête que la femme peut poser cet acte de même. Vous voyez où cela mène comme transport de maladie ? Au moment où on réfléchie aux moyens à mettre en œuvre pour freiner la propagation du Vih…


Mais nous sommes dans un pays laïc madame le ministre…

Dites-plutôt madame la ministre. Le déterminant est fonction du genre, à moins que la fonction de ministre soit trop noble pour une femme ! Pour vous, un pays laïc signifie qu’on peut célébrer des mariages polygamiques alors que la loi l’interdit ? Un pays laïc signifie que vous avez la latitude de vivre votre religion tant qu’elle respecte les lois de la République. Le problème est posé à l’envers. La laïcité, c’est la démocratie. La démocratie, c’est le fait de poser des actes qui tiennent compte de la loi. Il y a un amalgame entre traditions, coutumes et religions. Le vrai problème est ailleurs. On veut nous conduire à opposer les religions et cela ne marchera pas dans ce pays où à l’intérieur de chaque famille, il y a des personnes de religions différentes.


Quel est le vrai problème selon vous ?

Les hommes doivent maîtriser leur sexualité. Ils ne sont pas les seuls à avoir des envies. Il n’est pas question pour nous de payer pour le libertinage des hommes. Il n’est pas question pour nos enfants de souffrir des turpitudes de leurs pères. On a prévu le divorce quand une femme ne vous plaît plus. Or les hommes ont peur de divorcer parce qu’ils ont peut-être raison de croire que beaucoup de femmes se marient pour avoir un abri. C’est ce qui sous-tend leur démarche. Le quart des femmes prêtes à partager à plusieurs leur intimité pour des problèmes d’argent : c’est une autre forme de prostitution. Les hommes devraient avoir honte de savoir que des femmes sont prêtes à accepter leur polygamie à cause de leurs finances.

Et si un homme marié vous proposait des millions pour vous prendre en maîtresse actuellement?
J’ai les mêmes capacités qu’un homme. Je peux travailler et avoir des revenus. C’est pourquoi on dit que le travail est le premier mari de la femme. Mais on ne le dit jamais pour un homme.
l Toutes les femmes n’ont pas vos moyens…

J’ai très peu de moyens. Si la Côte d’Ivoire donnait des moyens conséquents aux femmes pour subvenir à leurs besoins. Ce n’est pas bon pour une société que les femmes soient à la charge des hommes. Les femmes veulent de l’argent des hommes et eux ils veulent la liberté sexuelle alors qu’ils sont mariés. Les femmes acceptent la polygamie à cause du regard que la société porte sur les femmes seules. C’est vrai que c’est difficile d’élever seule les enfants. Nous sommes dans un conditionnement qui veut que la femme ne soit rien sans l’homme. On pense qu’une femme divorcé est forcement fautive. On a de la considération pour une femme que par le nouveau nom. Et pourtant les frustrations dues à la polygamie masculine conduisent à l’infidélité de ces « chastes » épouses. C’est le regard de la société qui doit changer. L’Association ivoirienne pour les droits des femmes (Aidf), croit toujours qu’il est temps que la loi sur le mariage change afin que l’homme ne soit plus seul, le chef de famille. Si l’homme et la femme sont tous deux chefs de famille, il sera difficile d’imposer la polygamie.


On ne voit plus l’Aidf d’alors sur le terrain, que se passe t-il ?

Ce sont les politiques qui sont sur le terrain. Vous me donnez l’occasion de saluer Nord-sud. Parce que dans la grisaille politique ivoirienne aujourd’hui, Nord-sud fait partie des rares journaux qui s’intéressent aux faits de société. Sinon les journaux ne vendent que la politique. Mais avec la crise, une bonne partie de notre temps est consacrée aux activités génératrices de revenus. Nous cherchons des fonds et nous demandons à l’Etat de faire sa part. Les femmes ont développé avec beaucoup d’intelligence des mécanismes de survie face à cette crise et cela donne de l’espoir.

Interview réalisée par N.D
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