Dr Gervais KK, officiant dans l`un des Chu d`Abidjan et dans des cliniques privées, a bien voulu répondre à nos différentes préoccupations.
Comment expliquez-vous, docteur, la prolifération des hôpitaux privés ?
Nous vivons aujourd`hui une situation très délicate. Tout cela fait partie de la pauvreté. De nos jours, chacun a besoin d`avoir une rémunération en fonction de ce qu`il fait. Or, nous faisons 7 ans pour avoir un salaire de 250 à 300 mille. Le salaire ne suffit pas. C`est ce qui pousse les uns et les autres à s`installer à leur propre compte.
Que répondez-vous aux patients qui déplorent l`accueil dans le public ainsi que le manque d`attention des médecins ?
A ce niveau, chacun a sa manière de voir les choses. Les patients trouvent que les médecins sont absents et qu`ils vont faire leur business dans le privé, mais c`est peut-être parce que nous avons fini nos heures de travail. Ce sont des choses qui ne finiront pas, si nous ne sommes pas satisfaits. Nous faisons quand même l`effort de bien nous occuper de nos patients.
Pourquoi certains d`entre vous exigent-ils des examens cliniques venant d`un hôpital privé précis ?
Il n`y a rien dans nos hôpitaux. C`est la mauvaise gestion de nos responsables. Ils n`ont pas su gérer. Tous les appareils sont en panne. Quand nous recevons un patient et que nous avons besoin d`un examen, nous sommes obligés de le diriger vers les cliniques parce que nous n`avons pas de matériels fiables dans nos hôpitaux. Même quand il y en a, le laborantin demande de revenir une semaine plus tard alors que le malade souffre. Les parents des patients qui ont les moyens financiers demandent eux-mêmes la permission de faire les examens dans les cliniques où ils paient plus cher, afin de sauver leur malade.
Signez-vous donc des partenariats avec des cliniques médicales ?
Nous n`avons pas de partenariat avec les cliniques. Les hôpitaux ne sont pas équipés et certains appareils sont défaillants. Donc, souvent, pour un meilleur résultat, nous recommandons des cliniques équipées qui ont un personnel qualifié.
Pourquoi n`administrez-vous pas les premiers soins avant de réclamer le reçu de la caisse ?
Qui payera ces premiers soins ? Ce n`est pas le médecin qui le payera de sa propre poche. Certaines autorités clament sur les antennes que les premiers soins sont gratuits. Ils ne font rien pour la gratuité des soins. Nous nous plaignons de nos salaires qui sont maigres, on ne peut donc pas donner des soins gratuits, car nous avons des familles à nourrir. Il n` y a jamais de soins gratuits. C`est peut-être au temps du président Houphouët, sinon je n`ai jamais vu notre ministère envoyer des médicaments pour que nous les donnions gratuitement aux patients. Faire croire à la population que les premiers soins sont gratuits, c`est peut-être un marketing qu`ils font ou une manière de salir le corps médical. Nous, nous payons même les produits quand nos enfants vont à l`hôpital. Le gouvernement n`a jamais pris l`initiative de dire aux médecins qu`il fallait donner gratuitement les premiers soins. Donc je suis désolé.
On nous dit qu`il y a un manque de médecins dans les hôpitaux. Où vont donc tous les médecins qui sortent des universités chaque année ?
Quand un médecin sort, on lui demande de passer un concours professionnel, c`est-à-dire, le concours d`intégration. Si tu n`a pas les moyens financiers, comment fais-tu ? Nombreux sont ceux qui échouent chaque année. Après trois (3) échecs, tu perds tout. Tu ne peux pas devenir infirmier, ni garçon de salle, tu te retrouves à la rue. Ils sont donc obligés de se tourner vers les cliniques qui les utilisent et leur permettent au moins de survivre. Aujourd`hui, ce sont les Libanais qui ont le marché, et certains de nos aînés vont dans ces cliniques faire des vacations. C`est la faiblesse de nos dirigeants, de nos aînés. Avant, nos parents étaient installés quand ils sortaient des universités, mais nous faisons aujourd`hui 7 ans pour nous retrouver au chômage. Cela explique aussi le grand nombre de cliniques. Car c`est une chaîne. Tu travailles pendant 5 à 6 ans dans une clinique si tu as les moyens financiers, à ton tour, tu vas t`installer, faire ton infirmerie. C`est une continuité.
Pourquoi prescrivez-vous des ordonnances à des patients même quand vous savez qu`ils n`ont aucune chance de guérir ?
C`est parce que nous ne voulons pas, en tant que médecin, perdre notre patient. Nous gardons toujours espoir. On ne peut pas non plus dire aux parents que leur malade est en phase terminale. On se dit très souvent dans ce cas, que ce sont les médicaments que le malade rejette, donc nous prescrivons d`autres tout en espérant qu`il ira mieux.
A qui appartiennent les pharmacies des hôpitaux publics et qui leur livre les médicaments ?
Les médicaments sont livrés par les différents laboratoires et la pharmacie publique qu`on appelle Dpci. Ce sont des laboratoires des français. Ce sont eux qui livrent les médicaments à toutes les pharmacies. Nos pharmacies internes n`appartiennent pas à l`Etat. C`est pour les blancs. C`est tout cela qui fait que nous sommes déclarés, pays pauvre endetté parce que nous ne pouvons pas payer tous ces produits. C`est vrai que les gens nous font des dons tout le temps, mais nous ne savons pas où vont ces dons. Nous gérons les médicaments pour ces laboratoires à qui nous faisons des comptes.
Que pensez-vous des “pharmacies ambulantes” ?
C`est un danger pour notre pays. Ces médicaments sont très dangereux pour la santé. Mais les gens disent que c`est moins cher. Il y a un adage qui dit que "le moins cher est cher". Nous ne connaissons pas la posologie de ces médicaments et nous les prenons. Il y a une mauvaise conservation. Tout cela peut détruire, c`est ce qui donne les hépatonéphrites, les insuffisances rénales. Il faut que nous nous unissions pour sensibiliser la population afin qu`elle évite les médicaments de la rue.
Les médecins, depuis quelque temps, font des grèves. Etes-vous insensibles à la mort de vos patients ?
Nous sommes humains, nous savons que demain, nous pouvons nous aussi mourir. Tout le monde peut faire la grève, je suis d`accord mais le corps médical ne doit pas en faire. Ce n`est pas notre faute. Nous prenons trop de risques pour que cela ne porte pas fruit au niveau de nos salaires. Dans les urgences, souvent il n`y a pas d`intraveineuses, c`est-à-dire les seringues. Un médecin ne perçoit rien quand il finit la garde. Nous ne sommes pas contents de faire la grève, car certains d`entre nous perdent aussi des parents. Rien n`est modernisé dans les laboratoires. Il arrive que les laborantins mettent des pipettes dans la bouche, pendant les analyses, ce qui n`existe pas en Europe. Pour tous ces risques, nous méritons un bon salaire.
Pour finir, quel appel pouvez-vous lancer à votre ministère de tutelle ?
Chacun doit être conscient. Malgré leur poste, ils sont aussi passés par le primaire. Il y a trop de morts dans nos hôpitaux parce que nous n`avons pas le nécessaire pour soigner nos patients. C`est ce qui conduit ceux qui ont les moyens financiers dans les cliniques. Que chacun soit responsable. On a besoin de laboratoires et d`équipements pour les hôpitaux publics.
Interview réalisée parM.A.
Stagiaire)
Comment expliquez-vous, docteur, la prolifération des hôpitaux privés ?
Nous vivons aujourd`hui une situation très délicate. Tout cela fait partie de la pauvreté. De nos jours, chacun a besoin d`avoir une rémunération en fonction de ce qu`il fait. Or, nous faisons 7 ans pour avoir un salaire de 250 à 300 mille. Le salaire ne suffit pas. C`est ce qui pousse les uns et les autres à s`installer à leur propre compte.
Que répondez-vous aux patients qui déplorent l`accueil dans le public ainsi que le manque d`attention des médecins ?
A ce niveau, chacun a sa manière de voir les choses. Les patients trouvent que les médecins sont absents et qu`ils vont faire leur business dans le privé, mais c`est peut-être parce que nous avons fini nos heures de travail. Ce sont des choses qui ne finiront pas, si nous ne sommes pas satisfaits. Nous faisons quand même l`effort de bien nous occuper de nos patients.
Pourquoi certains d`entre vous exigent-ils des examens cliniques venant d`un hôpital privé précis ?
Il n`y a rien dans nos hôpitaux. C`est la mauvaise gestion de nos responsables. Ils n`ont pas su gérer. Tous les appareils sont en panne. Quand nous recevons un patient et que nous avons besoin d`un examen, nous sommes obligés de le diriger vers les cliniques parce que nous n`avons pas de matériels fiables dans nos hôpitaux. Même quand il y en a, le laborantin demande de revenir une semaine plus tard alors que le malade souffre. Les parents des patients qui ont les moyens financiers demandent eux-mêmes la permission de faire les examens dans les cliniques où ils paient plus cher, afin de sauver leur malade.
Signez-vous donc des partenariats avec des cliniques médicales ?
Nous n`avons pas de partenariat avec les cliniques. Les hôpitaux ne sont pas équipés et certains appareils sont défaillants. Donc, souvent, pour un meilleur résultat, nous recommandons des cliniques équipées qui ont un personnel qualifié.
Pourquoi n`administrez-vous pas les premiers soins avant de réclamer le reçu de la caisse ?
Qui payera ces premiers soins ? Ce n`est pas le médecin qui le payera de sa propre poche. Certaines autorités clament sur les antennes que les premiers soins sont gratuits. Ils ne font rien pour la gratuité des soins. Nous nous plaignons de nos salaires qui sont maigres, on ne peut donc pas donner des soins gratuits, car nous avons des familles à nourrir. Il n` y a jamais de soins gratuits. C`est peut-être au temps du président Houphouët, sinon je n`ai jamais vu notre ministère envoyer des médicaments pour que nous les donnions gratuitement aux patients. Faire croire à la population que les premiers soins sont gratuits, c`est peut-être un marketing qu`ils font ou une manière de salir le corps médical. Nous, nous payons même les produits quand nos enfants vont à l`hôpital. Le gouvernement n`a jamais pris l`initiative de dire aux médecins qu`il fallait donner gratuitement les premiers soins. Donc je suis désolé.
On nous dit qu`il y a un manque de médecins dans les hôpitaux. Où vont donc tous les médecins qui sortent des universités chaque année ?
Quand un médecin sort, on lui demande de passer un concours professionnel, c`est-à-dire, le concours d`intégration. Si tu n`a pas les moyens financiers, comment fais-tu ? Nombreux sont ceux qui échouent chaque année. Après trois (3) échecs, tu perds tout. Tu ne peux pas devenir infirmier, ni garçon de salle, tu te retrouves à la rue. Ils sont donc obligés de se tourner vers les cliniques qui les utilisent et leur permettent au moins de survivre. Aujourd`hui, ce sont les Libanais qui ont le marché, et certains de nos aînés vont dans ces cliniques faire des vacations. C`est la faiblesse de nos dirigeants, de nos aînés. Avant, nos parents étaient installés quand ils sortaient des universités, mais nous faisons aujourd`hui 7 ans pour nous retrouver au chômage. Cela explique aussi le grand nombre de cliniques. Car c`est une chaîne. Tu travailles pendant 5 à 6 ans dans une clinique si tu as les moyens financiers, à ton tour, tu vas t`installer, faire ton infirmerie. C`est une continuité.
Pourquoi prescrivez-vous des ordonnances à des patients même quand vous savez qu`ils n`ont aucune chance de guérir ?
C`est parce que nous ne voulons pas, en tant que médecin, perdre notre patient. Nous gardons toujours espoir. On ne peut pas non plus dire aux parents que leur malade est en phase terminale. On se dit très souvent dans ce cas, que ce sont les médicaments que le malade rejette, donc nous prescrivons d`autres tout en espérant qu`il ira mieux.
A qui appartiennent les pharmacies des hôpitaux publics et qui leur livre les médicaments ?
Les médicaments sont livrés par les différents laboratoires et la pharmacie publique qu`on appelle Dpci. Ce sont des laboratoires des français. Ce sont eux qui livrent les médicaments à toutes les pharmacies. Nos pharmacies internes n`appartiennent pas à l`Etat. C`est pour les blancs. C`est tout cela qui fait que nous sommes déclarés, pays pauvre endetté parce que nous ne pouvons pas payer tous ces produits. C`est vrai que les gens nous font des dons tout le temps, mais nous ne savons pas où vont ces dons. Nous gérons les médicaments pour ces laboratoires à qui nous faisons des comptes.
Que pensez-vous des “pharmacies ambulantes” ?
C`est un danger pour notre pays. Ces médicaments sont très dangereux pour la santé. Mais les gens disent que c`est moins cher. Il y a un adage qui dit que "le moins cher est cher". Nous ne connaissons pas la posologie de ces médicaments et nous les prenons. Il y a une mauvaise conservation. Tout cela peut détruire, c`est ce qui donne les hépatonéphrites, les insuffisances rénales. Il faut que nous nous unissions pour sensibiliser la population afin qu`elle évite les médicaments de la rue.
Les médecins, depuis quelque temps, font des grèves. Etes-vous insensibles à la mort de vos patients ?
Nous sommes humains, nous savons que demain, nous pouvons nous aussi mourir. Tout le monde peut faire la grève, je suis d`accord mais le corps médical ne doit pas en faire. Ce n`est pas notre faute. Nous prenons trop de risques pour que cela ne porte pas fruit au niveau de nos salaires. Dans les urgences, souvent il n`y a pas d`intraveineuses, c`est-à-dire les seringues. Un médecin ne perçoit rien quand il finit la garde. Nous ne sommes pas contents de faire la grève, car certains d`entre nous perdent aussi des parents. Rien n`est modernisé dans les laboratoires. Il arrive que les laborantins mettent des pipettes dans la bouche, pendant les analyses, ce qui n`existe pas en Europe. Pour tous ces risques, nous méritons un bon salaire.
Pour finir, quel appel pouvez-vous lancer à votre ministère de tutelle ?
Chacun doit être conscient. Malgré leur poste, ils sont aussi passés par le primaire. Il y a trop de morts dans nos hôpitaux parce que nous n`avons pas le nécessaire pour soigner nos patients. C`est ce qui conduit ceux qui ont les moyens financiers dans les cliniques. Que chacun soit responsable. On a besoin de laboratoires et d`équipements pour les hôpitaux publics.
Interview réalisée parM.A.
Stagiaire)