“En politique, on ne résout pas les problèmes. On les déplace», a-t-on coutume de dire. Mais on oublie souvent une chose. Tous les problèmes qu’on déplace, finissent tôt ou tard par nous rattraper. C’est ce qui arrive en ce moment au président Laurent Gbagbo. Depuis l’année 2005, le patron de la refondation, dans la perspective des élections, a fait aux fonctionnaires de nombreuses promesses en ce qui concerne la revalorisation de leur salaire. Le président de la République est même allé plus loin. Il a signé ou promis de signer des décrets dans ce sens. Son objectif était certes, dans un premier temps, de contenter les cadres et agents de la Fonction publique qui menaçaient de débrayer. Mais surtout, de s’assurer de leur soutien pour les prochaines élections. Au plus fort de la grève des instituteurs conduite par le Mouvement des Instituteurs pour la Défense de leurs Droits (MIDD) en 2007, le président Laurent Gbagbo a promis à Mesmin Comoé et ses camarades, des augmentations substantielles sur leur traitement. Un protocole d’accord avait même été trouvé avec les enseignants du primaire. Laurent Gbagbo s’était engagé à prendre en compte le nouveau glissement catégoriel dès la signature du point de décision de l’initiative PPTE avec les institutions de Breton Woods en 2008. La même promesse, il l’avait faite aux enseignants du supérieur et du secondaire, aux médecins, aux infirmiers, aux sages-femmes et aux assistants sociaux, pour ne citer que ces corps. Malheureusement pour lui, l’argent octroyé par le Fonds monétaire international après la signature n’a pas atteint les espérances des autorités ivoiriennes. Pis, lors de son passage en terre ivoirienne, le directeur général du FMI, M. Dominique Strauss-Kahn a été on ne plus clair, sur l’utilisation des milliards alloués à la Côte d’Ivoire. «Ils ne doivent pas servir à augmenter les salaires. Mais plutôt à épurer une partie de la dette intérieure», a rappelé le patron du FMI. Du coup, le président Laurent Gbagbo qui pensait pouvoir user de cette manne financière pour tenir ses promesses électoralistes s’est retrouvé pris à son propre jeu. A partir de janvier 2008, les fonctionnaires qui réclamaient l’application de différents accords et décrets arrachés de hautes luttes ont compris que la partie était loin d’être gagnée. Car ils se sont rendu compte qu’ils ont été victimes d’une supercherie présidentielle. C’est plutôt à une augmentation de salaire sur papier qu’ils ont eu droit. En dépit des démarches entreprises par les différents syndicats auprès de leur tutelle, le salaire des fonctionnaires est resté en l’état. Au niveau des enseignants du secondaire et du supérieur, un débrayage avait été envisagé en fin d’année. Mais, pour ne pas remettre gravement en cause l’année académique et les examens de fin d’année, les acteurs du système scolaire ont dû surseoir à leur action. Avant de revenir en force en début de cette année académique. Le chef de l’Etat, face à la détermination des professeurs, a dû envoyer en pompier, son épouse pour éteindre l’incendie. Un compris a pu être arraché par Mme Simone Gbagbo. Mais son effectivité reste une autre paire de manche. Les médecins qui ont attendu pendant un an, ont décidé eux aussi de réclamer l’application du décret signé par Laurent Gbagbo. Lundi dernier, le secrétaire général du Syndicat national des cadres et agents de santé de Côte d’Ivoire, Dr. Ernest Boka, a menacé en ces termes: «Nous ne serons pas responsables de tout ce qui se passera après le 14 décembre». Doit-on s’attendre à une grève sauvage comme celle de 2007 qui a coûté la vie à plusieurs centaines d’Ivoiriens? Cela n’est pas à exclure, vu la détermination cette fois-ci et la grosse déception des hommes en blouse blanche. D’autant plus que ces derniers estiment qu’ils ont suffisamment fait preuve de patience vis-à-vis du pouvoir. Les greffiers, depuis deux semaines pour certains et quatre jours pour d’autres, sont également en grève. Après avoir observé un modus vivendi, ils ont décidé de rentrer dans une grève illimitée tant que Laurent Gbagbo ne signe pas le décret de 2008 portant leur nouveau statut. Le chef de l’Etat, en effet, avait promis aux acteurs clés de notre justice de signer le décret au retour de sa visite d’Etat dans le Worodougou. Mais comme à son habitude, Laurent Gbagbo, jusque là, n’a pas encore tenu parole. Aujourd’hui, à cause de cette grève, les justiciables qui ont besoin d’un certificat de nationalité en cette période de contentieux électoral sont en passe d’être forclos pour leur intégration sur la liste électorale. Car le délai d’un mois huit jours prévu pour cette phase est presqu’à son terme. Et il n’est pas sûr que la Commission électorale indépendante (CEI) qui a averti qu’il n’y aura pas de prolongation, en tienne compte. Une situation qui menace sérieusement la nouvelle date de l’élection présidentielle obtenue à la dernière réunion du Cadre permanent de Concertation (CPC) à Ouagadougou. Une chose que l’opposition et la communauté internationale n’observeront pas sans réagir. Les semaines à venir s’annonce donc sulfureuses. Laurent Gbagbo qui croyait pouvoir ruser avec tout le monde, se retrouve pris à son propre piège. C’est à lui d’en tirer toutes les conséquences. «On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps. Mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps», aimait à répéter le président Abraham Lincoln. A Laurent Gbagbo de méditer ces paroles.
Jean-Claude Coulibaly
Jean-Claude Coulibaly