Le palais de justice d'Abidjan ressemblait, hier, à un champ de riz après le passage des oiseaux tisserins: calme et vide. N'étaient visibles que quelques grosses cylindrées, et deux cargos de la Compagnie républicaine de sécurité (Crs) avec à leur bord des policiers postés à l'entrée du palais, pour contrôler tous les accès. La zone était interdite à tous les greffiers. Le contrôle était renforcé à l'entrée du palais de justice. Suite à la décision n° 2009-19 du 14 décembre 2009 portant mesure sociale, relative à la grève des greffiers du chef de l'Etat et rendue publique le lundi dernier par le secrétaire général du Gouvernement, en plus de la suspension des salaires, la police et l'armée ont été mobilisées pour assurer la sécurité des personnes et des biens au sein des juridictions. A vrai dire, ce sont les greffiers qui ont été interdits d'accès à leur lieu de travail. Par petits groupes, ils étaient aux alentours du palais, pour tenter de mieux comprendre la décision du chef suprême de la magistrature jugée "surprenante, incompréhensible impopulaire et très curieuse". "Sur instruction du gouvernement, on nous interdit l'accès au tribunal comme des badauds", s'est indigné l'un des nombreux greffiers que nous avons rencontrés, hier et qui a requis l'anonymat. Sur la décision du gouvernement, les greffiers rétorquent : "Ce qui a été fait est du non droit. Nous parlons d'ordonnance et une décision telle que prise par Gbagbo ne peut annuler une ordonnance. C'est une question de droit. Nous dénonçons cette manière de faire". Me Kamagaté Ali, secrétaire général de la faîtière des avocats, quant à lui, ne comprend pas et ne sait comment expliquer la décision du chef de l'Etat. "Nous prenons acte de cette décision et nous ne pouvons faire autrement", nous a -t-il simplement répondu. Très remonté, il ne cache pas son indignation "Au moment où les greffiers s'attendent à la signature du décret, le gouvernement vient tout remettre en cause, nous avons l'impression qu'on se fout de nous", a déploré Me Kamagaté. Et d'ajouter : "Ce n'est pas sur ce terrain-là que nous attendions l'autorité et non pas sur des décisions remettant tout en cause. Les travaux sur le projet de décret ont duré 11 mois, tous les ministères techniques ont travaillé de concert avec nous sur tous les points du projet de décret et tous, sommes tombés d'accord. Donc c'est un projet de décret élaboré par les greffiers et les ministères techniques de façon consensuelle". Certains greffiers disent attendre le gouvernement sur le recrutement des greffiers ad hoc. "On refuse de revaloriser notre statut et on s'empresse de faire d'autres recrutements qui engendreront d'autres dépenses. Plutôt que de recruter, pourquoi ne pas nous reverser cette somme sur nos salaires simplement?". Pregnon Seri membre du bureau de crise pour la libération des greffiers de Côte d'Ivoire, lui, impute la situation actuelle à leur responsable notamment Dakoury Roger. Il accuse (celui-ci d'avoir menti aux greffiers le 11 février dernier en leur faisant croire que le décret avait été signé par le président de la République. "Dakoury nous a menti et il nous a opposé par ce fait à l'Etat. C'est en cela que nous demandons une rencontre avec le chef de l'Etat de sorte que nous nous parlions. Nous disons aussi que notre mouvement n'est pas politique, nous réclamons un mieux-être, nous ne faisons pas de politique". Taxés de rouler pour l'opposition, la réponse des greffiers est sans équivoque : "Nos revendications dépassent le cadre politique". La grève se poursuit et les greffiers ne sont pas prêts à lâcher prise.
Jean Prisca
Jean Prisca