Le chef de l`Etat a pris avant-hier une décision qui met en congé les greffiers grévistes et procède à leur remplacement par des greffiers ad hoc. C`est une tactique politique longuement mûrie avec ses juristes.
Face à la grève des greffiers qui depuis une quinzaine de jours paralysait l`appareil judiciaire et, par effet induit, grippait le processus de sortie de crise, le chef de l`Etat a décidé d`engager la confrontation. Et le moins qu`on puisse dire, c`est qu`il a eu la main lourde. Ainsi, il a décidé que «les salaires des greffiers en grève seront suspendus», a ordonné au ministre de la Justice et des Droits de l`homme et à celui de la Fonction publique et de l`Emploi, « pour la période allant du mardi 15 décembre 2009 jusqu`à la fin des élections, de recruter en qualité de greffier ad hoc toute personne ayant les compétences nécessaires pour accomplir cette tâche ». Mieux ou pis, il a annoncé la suspension de «l`ordonnance n° 2008-16 du 11 février 2008, portant statut particulier des greffiers ». Cette ordonnance visait à réévaluer le statut général du personnel des greffes de Côte d`Ivoire.
Face à la menace que faisait planer cette grève sur le respect de l`échéance fixée pour la tenue du premier tour de l`élection présidentielle, Laurent Gbagbo a réuni avant-hier ses conseillers juridiques et les experts du ministère de la Justice et de la Primature pour savoir l`attitude à tenir. Tous ont convenu qu`il était matériellement impossible d`engager des discussions, qui s`annonçaient longues et pénibles, avec les greffiers et espérer tenir le délai catégorique de 38 jours fixé pour la période de traitement du contentieux électoral. Les greffiers revendiquaient, entre autres choses, un salaire similaire à celui des magistrats. Le consensus s`est fait sur la nécessité d`agir rapidement pour ne pas mettre en péril les élections. Les juristes ont indiqué deux voies au chef de l`Etat. La première avait été appliquée par Henri Konan Bédié, en 1995, lorsqu`il était chef d`Etat. Face aux troubles sociaux occasionnés par le «boycott actif» lancé par un certain… Laurent Gbagbo, le président Bédié avait pris une ordonnance dérogatoire au code électoral. Cette ordonnance autorisait toute personne détentrice d`une carte d`identité, à aller s`inscrire sur les listes électorales et à aller voter, même si elle ne disposait pas de carte d`électeur. Dans une logique similaire, Gbagbo aurait pu prendre une ordonnance portant ajustement du code électoral. Notamment en ses dispositions sur le traitement du contentieux de l`inscription sur la liste électorale. La disposition actuelle préconise que le traitement des contentieux est fait par des juridictions. L`article 12 , alinéa 2 du Code électoral stipule, en effet : « Les omissions et irrégularités constatées par la Commission chargée des élections, en ce qui concerne la mention des nom, prénoms, sexe, profession, résidence ou domicile des électeurs, pourront faire l`objet d`un recours devant les juridictions de première instance sans frais, par simple déclaration au greffe du tribunal. Les décisions rendues par ces juridictions ne sont susceptibles d`aucun recours. » Il aurait suffit de modifier le texte en disant que le recours est fait devant un juge, étant entendu qu`un juge à lui seul peut constituer une juridiction.
Une puissante arme de négociation
Il y avait également une autre voie, celle qui consistait à remplacer les greffiers défaillants par des greffiers ad hoc. Un greffier ad hoc, c`est une personne à qui le juge fait prêter serment, et qui sous la foi de ce serment, rend compte par écrit de toutes les décisions prises par les juges. L`avantage de cette voie, c`est qu`elle ne touche pas à la composition des tribunaux et n`autorise donc pas à douter de l`impartialité de la décision rendue parce que cette décision aura été rendue par une juridiction au complet, et non par un juge seul. L`inconvénient de cette méthode c`est qu`elle soulève un grand nombre de problèmes futurs. D`abord, il faut recruter des candidats sur toute l`étendue du territoire. Cela prendra un mois au bas mot. Ensuite, il faudra donner un minimum de formation à ces greffiers ad hoc. Cette formation ne peut se faire en moins d`un mois. Même s`ils ont fait du Droit, la connaissance préalable des règlements et des procédures est nécessaire avant toute entrée en activité. Cela peut prendre du temps. Enfin, il faut examiner le sort de ces greffiers ad hoc après les élections. Va-t-on les conserver définitivement dans le corps des greffiers ? Pour cela, il faut les envoyer d`abord à l`Ecole normale d`administration (Ena) pour une formation de deux ans. Sinon ils seront dévalués aux yeux de leurs pairs. Faudra-t-il les renvoyer tous après les élections ? Ne serait-ce pas une forme d`ingratitude pour des gens qui sont venus apporter leur concours à la sortie pacifique de la crise ? N`était-ce pas créer d`autres problèmes plus graves dans le futur ? En prenant l`option de faire nommer des greffiers ad hoc, Gbagbo en réalité, s`est doté d`une arme de négociation. La décision présidentielle, précise en effet, que les greffiers ad hoc seront gardés pendant toute la durée des élections. Or, il y a la présidentielle, les législatives, les municipales, les conseils généraux… En tout, près d`un an de cycle électoral. Pendant tout ce cycle, les greffiers grévistes n`auront pas de salaire. Imaginez un fonctionnaire assis durant un an, à la maison, sans travail, sans salaires… C`est difficilement tenable pour des gens habitués à vivre, en plus de leur salaire, de primes et de divers frais de greffes, qui souvent s`élèvent à des millions de francs. L`on pouvait gager qu`au bout de quelques semaines, la division se serait installée dans les rangs des grévistes. Les moins nantis étant plus enclins à venir reprendre leur travail. Et les rangs des durs risquaient fort de s`étioler avant la tenue du premier tour de la présidentielle. C`est une guerre d`usure que Gbagbo avait déclenchée contre les greffiers. Au cours de la rencontre avec ses juristes l`un d`entre eux avait déclaré au chef de l`Etat, selon nos sources : « on ne fait pas chanter l`Etat ». L`Etat, en revanche, s`est doté de moyens juridiques et administratifs pour faire chanter les grévistes. Et le résultat ne s`est fait pas attendre.
Touré Moussa
Face à la grève des greffiers qui depuis une quinzaine de jours paralysait l`appareil judiciaire et, par effet induit, grippait le processus de sortie de crise, le chef de l`Etat a décidé d`engager la confrontation. Et le moins qu`on puisse dire, c`est qu`il a eu la main lourde. Ainsi, il a décidé que «les salaires des greffiers en grève seront suspendus», a ordonné au ministre de la Justice et des Droits de l`homme et à celui de la Fonction publique et de l`Emploi, « pour la période allant du mardi 15 décembre 2009 jusqu`à la fin des élections, de recruter en qualité de greffier ad hoc toute personne ayant les compétences nécessaires pour accomplir cette tâche ». Mieux ou pis, il a annoncé la suspension de «l`ordonnance n° 2008-16 du 11 février 2008, portant statut particulier des greffiers ». Cette ordonnance visait à réévaluer le statut général du personnel des greffes de Côte d`Ivoire.
Face à la menace que faisait planer cette grève sur le respect de l`échéance fixée pour la tenue du premier tour de l`élection présidentielle, Laurent Gbagbo a réuni avant-hier ses conseillers juridiques et les experts du ministère de la Justice et de la Primature pour savoir l`attitude à tenir. Tous ont convenu qu`il était matériellement impossible d`engager des discussions, qui s`annonçaient longues et pénibles, avec les greffiers et espérer tenir le délai catégorique de 38 jours fixé pour la période de traitement du contentieux électoral. Les greffiers revendiquaient, entre autres choses, un salaire similaire à celui des magistrats. Le consensus s`est fait sur la nécessité d`agir rapidement pour ne pas mettre en péril les élections. Les juristes ont indiqué deux voies au chef de l`Etat. La première avait été appliquée par Henri Konan Bédié, en 1995, lorsqu`il était chef d`Etat. Face aux troubles sociaux occasionnés par le «boycott actif» lancé par un certain… Laurent Gbagbo, le président Bédié avait pris une ordonnance dérogatoire au code électoral. Cette ordonnance autorisait toute personne détentrice d`une carte d`identité, à aller s`inscrire sur les listes électorales et à aller voter, même si elle ne disposait pas de carte d`électeur. Dans une logique similaire, Gbagbo aurait pu prendre une ordonnance portant ajustement du code électoral. Notamment en ses dispositions sur le traitement du contentieux de l`inscription sur la liste électorale. La disposition actuelle préconise que le traitement des contentieux est fait par des juridictions. L`article 12 , alinéa 2 du Code électoral stipule, en effet : « Les omissions et irrégularités constatées par la Commission chargée des élections, en ce qui concerne la mention des nom, prénoms, sexe, profession, résidence ou domicile des électeurs, pourront faire l`objet d`un recours devant les juridictions de première instance sans frais, par simple déclaration au greffe du tribunal. Les décisions rendues par ces juridictions ne sont susceptibles d`aucun recours. » Il aurait suffit de modifier le texte en disant que le recours est fait devant un juge, étant entendu qu`un juge à lui seul peut constituer une juridiction.
Une puissante arme de négociation
Il y avait également une autre voie, celle qui consistait à remplacer les greffiers défaillants par des greffiers ad hoc. Un greffier ad hoc, c`est une personne à qui le juge fait prêter serment, et qui sous la foi de ce serment, rend compte par écrit de toutes les décisions prises par les juges. L`avantage de cette voie, c`est qu`elle ne touche pas à la composition des tribunaux et n`autorise donc pas à douter de l`impartialité de la décision rendue parce que cette décision aura été rendue par une juridiction au complet, et non par un juge seul. L`inconvénient de cette méthode c`est qu`elle soulève un grand nombre de problèmes futurs. D`abord, il faut recruter des candidats sur toute l`étendue du territoire. Cela prendra un mois au bas mot. Ensuite, il faudra donner un minimum de formation à ces greffiers ad hoc. Cette formation ne peut se faire en moins d`un mois. Même s`ils ont fait du Droit, la connaissance préalable des règlements et des procédures est nécessaire avant toute entrée en activité. Cela peut prendre du temps. Enfin, il faut examiner le sort de ces greffiers ad hoc après les élections. Va-t-on les conserver définitivement dans le corps des greffiers ? Pour cela, il faut les envoyer d`abord à l`Ecole normale d`administration (Ena) pour une formation de deux ans. Sinon ils seront dévalués aux yeux de leurs pairs. Faudra-t-il les renvoyer tous après les élections ? Ne serait-ce pas une forme d`ingratitude pour des gens qui sont venus apporter leur concours à la sortie pacifique de la crise ? N`était-ce pas créer d`autres problèmes plus graves dans le futur ? En prenant l`option de faire nommer des greffiers ad hoc, Gbagbo en réalité, s`est doté d`une arme de négociation. La décision présidentielle, précise en effet, que les greffiers ad hoc seront gardés pendant toute la durée des élections. Or, il y a la présidentielle, les législatives, les municipales, les conseils généraux… En tout, près d`un an de cycle électoral. Pendant tout ce cycle, les greffiers grévistes n`auront pas de salaire. Imaginez un fonctionnaire assis durant un an, à la maison, sans travail, sans salaires… C`est difficilement tenable pour des gens habitués à vivre, en plus de leur salaire, de primes et de divers frais de greffes, qui souvent s`élèvent à des millions de francs. L`on pouvait gager qu`au bout de quelques semaines, la division se serait installée dans les rangs des grévistes. Les moins nantis étant plus enclins à venir reprendre leur travail. Et les rangs des durs risquaient fort de s`étioler avant la tenue du premier tour de la présidentielle. C`est une guerre d`usure que Gbagbo avait déclenchée contre les greffiers. Au cours de la rencontre avec ses juristes l`un d`entre eux avait déclaré au chef de l`Etat, selon nos sources : « on ne fait pas chanter l`Etat ». L`Etat, en revanche, s`est doté de moyens juridiques et administratifs pour faire chanter les grévistes. Et le résultat ne s`est fait pas attendre.
Touré Moussa