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Faits Divers Publié le mercredi 16 décembre 2009 | Nord-Sud

Professeur Marcel Yoro (Sociologue à l’université de Cocody) : “Il y a de plus en plus de sorciers en Côte d’Ivoire”

Toujours dans le cadre de notre enquête sur la sorcellerie, nous avons donné la parole au Pr Yoro qui connaît le fonctionnement de ce monde cruel.

Croyez-vous en la sorcellerie ?

Qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas, cette question défraie la chronique. L’observation empirique montre que les rites funéraires sont des lieux où les accusations de sorcellerie sont les plus nombreuses. Par ailleurs, les faits de sorcellerie relatés dans les journaux, à la télévision et les spots publicitaires pour la délivrance des ensorcelés montrent bien cette réalité. Les scientifiques sont donc obligés de jeter un regard là-dessus. Dans l’imaginaire des africains, la sorcellerie existe bel et bien.


Si elle existe, alors comment devient-on sorcier ?

On ne peut pas dire exactement comment on devient sorcier. Pour le dire, il faut être soi-même sorcier, il faut avoir été initié. Mais, on sait que la logique du sorcier, c’est le nivellement par le bas. Si vous êtes un homme riche, il cherche à vous appauvrir, si vous être pauvre, il cherche à vous rendre laid, par exemple en provoquant un accident. Il y a plusieurs raisons qui justifient l’action du sorcier. Mais, pour le commun des mortels, ce qui le fait penser à l’action du sorcier, c’est par exemple la maladie. Quand sa maladie persiste, il s’interroge sur les raisons de cette maladie, et l’incapacité de trouver une solution thérapeutique lui fait penser au sorcier. Il y a aussi l’appauvrissement. Quelqu’un qui gagne l’argent et qui n’arrive pas à économiser met cela sur le compte des sorciers.


Cela voudrait-il dire qu’il y a donc plusieurs catégories de sorciers ?

Non, ce sont des indices qui font penser à l’action du sorcier. Le nivellement vers bas.


Comment devient-on sorcier ?

On peut vous faire consommer une chair humaine dans la nourriture. On peut vous faire boire du sang humain. C’est à partir de ce moment que vous devenez sorcier. Mais, vous le découvrez plus tard.


Est-ce que ce sont des études qui le révèlent ?

Bien sûr. Les confréries de sorcier fonctionnent selon la logique de la guêpe. Un exemple. Le sorcier est mû par le besoin de consommer la chair humaine et de rembourser cette dette. Si vous prenez part à un repas dans lequel il y a une chair humaine, vous êtes automatiquement endetté. C’est régi par un système de don et contre don. La psychologie du sorcier est mue par le goût de la chair de l’homme. Quand il commence, il ne peut plus s’arrêter. Quand vous prenez part à un repas dans lequel il y a une chair humaine, automatiquement, vous êtes endetté vis-à-vis de celui qui vous a donné cette chair humaine.


Est-ce en songe où dans la réalité que vous consommez cette chair humaine ?

Dans la réalité. Ce sont des études qui le montrent. Notamment l’étude du Pr Gadou Dakouri. Si vous n’avez pas organisé de repas de chair humaine et que vous mangez celui d’autrui, vous êtes endetté. C’est un processus irréversible. Quand vous commencez, vous ne pouvez plus vous arrêter, vous allez de dette en dette.


On a tendance à dire que certaines régions regorgent plus de sorciers que d’autres. Vous êtes de l’Ouest, une région réputée regorger de beaucoup de sorciers. Est-ce vrai ?

Je n’y crois pas. La sorcellerie se pratique dans toutes les sociétés ivoiriennes. Il n’y a pas de région plus affectée que d’autres. Ce qu’il faut retenir, c’est que la logique du sorcier est une logique de nivellement par le bas. Ce sont les conditions économiques, les conditions de développement actuel, qui encouragent les sorcières à agir. La société d’avant, traditionnelle, c’était une société égalitaire. Aujourd’hui, des gens sont plus nantis que d’autres, les inégalités sociales sont plus acerbes. Ainsi, le sorcier trouve une justification pour agir. La sorcellerie, si on le veut, joue un rôle d’égalisateur. Le rôle du sorcier, c’est que personne ne soit au-dessus de l’autre, il faut qu’on soit égaux.


Voulez-vous dire que la sorcellerie évolue selon la réalité sociale…

Oui. Dans nos sociétés traditionnelles, la sorcellerie n’avait pas la même ampleur qu’aujourd’hui. Les gens étaient au même niveau dans la société. Avant, tant que le chef du village n’avait pas décidé de l’enterrement d’un corps, on ne le faisait pas. Tant qu’il n’avait pas décidé de loa construction d’un dispensaire dans le village, on ne le faisait pas.


Cela veut-il dire que le pouvoir a changé de camp aujourd’hui pour se retrouver aux mains des intellectuels ?

Oui, ça veut dire qu’il y a de nouveaux aînés sociaux. Les intellectuels, ceux qui ont les moyens financiers, sont devenus des nouveaux aînés sociaux. Or, ce pouvoir revenait aux anciens.


Cette situation peut-elle rendre sorcière une personne qui n’y était pas prédestinée ?
Oui. On devient sorcier par jalousie.


Peut-on dire qu’avec la situation que nous vivons, la pauvreté a poussé certaines personnes à une jalousie exagérée qui s’est muée en sorcellerie ? Y a-t-il beaucoup plus de sorciers aujourd’hui qu’avant ?

Il y a de plus en plus de sorciers aujourd’hui. Vous savez, les raisons pour lesquelles on devenait sorcier avant et les raisons pour lesquelles on le devient aujourd’hui ne sont pas les mêmes. Ce n’est plus le même contexte économique, politique et social. Avant, la richesse de quelqu’un se mesurait au nombre de ses enfants, au nombre de ses femmes. Ce n’était pas forcement de l’argent. Aujourd’hui, l’argent prend le dessus. Dans la logique d’un sorcier, c’est un parent proche qu’on attaque. Et si vous avez réussi socialement que vous n’aidez pas vos parents, c’est une raison pour vous attaquer.


Ce changement de contexte n’a-t-il pas un effet sur la puissance du sorcier d’aujourd’hui par rapport à celui d’hier ?

Le pouvoir du sorcier est toujours le même. C’est la façon de devenir sorcier qui change.


On raconte aussi que la sorcellerie peut être positive. Des sorciers qui délivrent des personnes victimes de la sorcellerie.

La sorcellerie n’est pas positive. Le devin guérisseur vous aide à vous départir de votre sorcellerie. Certains disent que le sorcier peut enlever l’intelligen­ce de certains enfants pour la mettre dans celle de ses enfants. Mais cette forme de sorcellerie n’est pas positive.


Et le sorcier qui combat un autre sorcier ?

D’après les études que nous avons faites sur le terrain, le devin guérisseur va en négociation avec les sorciers.


Lui arrive-t-il lui-même de nuire ?

Il y a la sorcellerie anthropophagique qui consiste à manger les êtres humains et la sorcellerie positiviste qui aide les ensorcelés à s’en sortir. Dans ce sens, on peut dire que le devin guérisseur mène une action positive. Toujours est-il qu’il utilise des rituels qui ne sont pas toujours catholiques. Il enfreint à certaines règles.


Les valeurs culturelles et religieuses diffèrent d’une région à une autre. Ces valeurs n’influencent-elles pas les formes de sorcellerie ?

L’action du sorcier, c’est de faire du mal. Le rôle de la religion c’est de faire du bien. Il va de soi que quelqu’un qui est religieux et quelqu’un qui ne l’est pas, n’ont pas la même perception de la valeur humaine. Je vous ai parlé de certaines religions qui organisent des prières de délivrance contre la sorcellerie. La conception de la sorcellerie du religieux est différente de celle de l’animiste.


On a l’impression qu’il y a plus de sorciers à l’Ouest qu’au Nord.
C’est une impression. Il n’y a pas une étude qui a cherché à quantifier le nombre de sorcier par région ou selon les groupes ethniques. Seulement, à l’Ouest, à l’occasion des rites funéraires, les accusations des sorciers sont fréquentes, alors qu’au Nord, on enterre vite les défunts sans ces cérémonies.


Au-delà de ce qu’on sait, que peuvent être les dangers de la sorcellerie pour une société comme lcella de la Côte d’Ivoire ?

Le problème de la sorcellerie devient un problème de développement. De peur des attaques des sorciers, nombres de cadres refusent de faire des réalisations chez eux, de peur d’être tué en sorcellerie. Chez nous, des cadres refusent de construire ne serait-ce qu’une tente. C’est donc un frein au développement, parce que le sorcier cherche aussi à nuire à la vie des gens, en tout cas, dans l’imaginaire des personnes. Donc, que la sorcellerie soit réelle ou pas, elle crée une psychose dans la société ivoirienne. La crainte de la mort et désocialisation sont des choses qui permettent de comprendre la logique qui justifie que certaines personnes vont à la sorcellerie. C’est-à-dire, d’une part on craint pour sa vie, d’autre part on a peur de ne pas avoir du travail. C’est tout cela qui justifie que certains cadres refusent d’aller chez eux. La sorcellerie est donc un frein au développement de nos communes et de nos villages.


Interview réalisée par Raphaël Tanoh
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