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Société Publié le samedi 26 décembre 2009 | Notre Voie

Quand les grèves menacent la démocratie

Lecteurs miens, le mot «grève» n’est pas un inconnu dans ces colonnes vôtres. Bien au contraire et pour cause. Il y revient une fois encore parce que depuis quelques semaines voire des mois, il occupe hélas et de fort mauvaise manière le front de l’actualité, rendant ainsi le climat socio-politique lourd et tendu. D’une semaine à une autre, nous sommes passés, sans pause syndicale, de la grève des enseignants de l’Education Nationale, à la grève des greffiers… et comme si cela ne suffisait pas à la grève du personnel de la santé (médecins, infirmiers, sages-femmes)… Quelle histoire ! Dieu merci, au moment où nous écrivons ces lignes, le mot d’ordre de chacune de ces grèves a été levé. Les négociations sont passées par-alà, les menaces du gouvernement aussi. Nous y reviendrons sous l’autorité de Maurice Thorez qui disait ceci : «Il faut savoir terminer une grève», ce qui n’est pas le fort des syndicats sous nos cieux locaux. Sous nos yeux on s’est rendu compte qu’avec ce mot qui ne va pas sans perturbation et très souvent sans violence , l’actualité est parue, à des moments, chargée comme un canon à longue portée pointé sur le mur en construction de la paix, à fissurer absolument afin que le cafard, toujours aux aguets comme le Diable (maudit soit-il !)… y entre.

1/- Analyse linguistique du mot et de ses alliés Du point de vue sémantique le mot «grève» signifie «cessation volontaire, collective et concertée par du travail par les salariés afin d’exercer une pression sur le chef d’entreprise ou les pouvoirs publics… Par extension sémantique le mot grève peut désigner de nos jours, toute cessation d’activité dans un but revendicatif (cf «la grève de la faim»). Autour du mot se sont formées plusieurs expressions : «se mettre en grève», «être ou entrer en grève»… «briseur de grève», «piquet de grève» (pour la surveiller) et le nom «gréviste». Attention, une phrase comme «nous sommes ou entrons en grève», n’est pas interchangeable avec la phrase, «nous grevons» qui ne se dit pas pour cet «arrêt de travail» particulier. L’on retiendra de ces définitions que le mot «grève» (avec ou sans préavis) ne va pas sans le mot «revendication» ; du latin «rei vindicatio» qui signifie «réclamation de son dû devant un tribunal» ou «réclamation en justice. Le mot «vindicatio» qui appartient au langage juridique, connote le désir de justice, non pas par soi-même (cf. la loi du Talion ou œil pour œil, dent pour dent), mais par la force du droit. Sur l’histoire du mot, (revendication) l’étymologiste français Alain Rey affirme qu’il fait partie du groupe de mots qui gardent sournoisement des marques de leur passé. Il ajoute que «revendication» conserve une force qui correspond à de la colère face à l’injustice. Ce mot est sorti du vocabulaire juridique ; de la «reivindication» du 15ème siècle, devant un tribunal, on est passé à une réclamation qui s’adresse au détenteur du pouvoir. Cela s’est passé précisément avec les socialistes français du 19ème siècle, notamment avec Proudhon et avec l’apparition du syndicalisme moderne entre 1830 et 1848 (cf. «A mots découverts», Ed. Robert Laffont, Paris, 2006, P.165). Au total, la grève est un moyen de revendication et comme l’indiquent les définitions supra on entre en grève pour revendiquer des améliorations de ses conditions de vie et de travail (cf. la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs dont parlent les syndicats). Mais les choses ne s’arrêtent pas là, même si les hommes et les femmes arrêtent de travailler pour protester. La protestation qui s’ensuit peut ouvrir ou pas des négociations. Et quand le débat s’engage entre les parties (grévistes/détenteur du pouvoir), ce sont les mots qui s’affrontent. A la guerre comme à la guerre. Pour intensifier la pression, les syndicats qui ont décrété la grève, sonneront la mobilisation : mot tiré du vocabulaire militaire qui signifie «départ forcé pour l’armée» (cf. son contraire «démobilisation» entré dans notre vocabulaire avec la fin de la guerre et l’insertion des ex-combattants). Sur le champ syndical, le mot «mobilisation» traduit «une action sociale» Du côté des détenteurs du pouvoir, l’on peut jouer la carte de la carotte ou celle du bâton (qui est celle de la fermeté). Sous nos yeux, l’Etat, après avoir épuisé sa carte de carotte (celle de la négociation qui traduit aussi sa grande capacité d’écoute et sa volonté de trouver des solutions aux problèmes à lui posés) a fini par opter pour la fermeté inacceptable, le bras de fer que les syndicats voulaient engager avec lui, l’employeur. Ensemble lisons quelques titres de journaux. - «Grève des greffiers. L’Etat frappe fort : appel à de nouveaux recrutements, suspension des salaires des grévistes… (cf. la Une de Frat-Mat, Notre Voie, Le Temps du 15/12/09. - «Grève du personnel de la santé. L’Etat décrète la réquisition» (cf. Frat-Mat du 18/12/09). Ici on parle de poursuite judiciaire contre tout personnel impliqué dans un cas de décès lié à la grève ; de blâme contre les dirigeants syndicaux, de suspension de solde de Décembre chez tous les grévistes… Lecteurs miens, vous avez bien lu le mot «réquisition», un mot terrible et effrayant en démocratie où le leitmotiv : est «Asseyons-nous et discutons». Le mot est musclé, violent et il traduit certes la victoire de l’argument de la force sur la force de l’argument mais il a le mérite d’affirmer l’autorité de l’Autorité, de mettre le holà et de l’ordre. Ce qui bien entendu ne valorise point les grévistes… qui, sans doute, ignorent cette phrase de Maurice Thorez : «Il faut savoir terminer une grève». Et cela n’est pas le fort du nouveau syndicalisme et bien entendu les grévistes en font hélas les frais (cf. la reprise du travail du personnel de la santé, sans gain, mais que de gâchis et de désolation…). A dénoncer absolument. 2/ - Analyse d’un point de revendication sournois Sous nos cieux locaux les grèves ont ceci de commun, c’est qu’elles se terminent après la rencontre entre les grévistes et le Président de la République, et non la tutelle ministérielle (qui du reste, accompagne les premiers chez le second). Ainsi, la rencontre avec le chef de l’Etat devient un point de revendication, ce qui, à mon sens, n’enrichit point la démocratie. Bien au contraire, cela l’appauvrit et pis des pis, cela peut amener un démocrate à se prendre pour un «demi-dieu», ce qui, n’est pas sa vocation. On se demande souvent devant cette façon de faire si les populations ne préfèrent pas l’autocratie (ou la monarchie) avec la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’un seul individu… à la démocratie. Il nous faut relever cela et le dénoncer avant qu’il ne soit trop tard car un seul homme ne peut pas tout faire. Que font les ministres, nommés certes par le Président de la République, mais individuellement responsables devant l’avenir de leur Département ? Leurs discours ne seraient-ils plus crédibles pour ne plus être entendus ou pris au sérieux par les syndicats ? On me dira que l’Accord de Linas-Marcoussis est passé par-là, les ministres défendent leurs chapelles-politiques et non la République et son Président, mais l’argument ne me semble ni suffisant ni bon.

Pour nous qui surveillons la vie des mots, la construction de la démocratie s’appuie forcément sur un impératif kantien selon lequel chacun doit faire le travail pour lequel il est payé. Il est inadmissible que le chef d’Etat, en plus de ses lourdes tâches, fasse aussi le travail de gens à qui il a délégué par nomination, une partie de son pouvoir. Aux syndicats, disons que la plus mauvaise manière (en démocrate) de terminer une grève, c’est d’inscrire la rencontre avec le chef de l’Etat, comme point de revendication. Il y va de la santé et de l’avenir de l’Etat de droit et de la démocrate. Je m’arrête là pour ce dernier «Dire bien» de l’année 2009. Et je vous souhaite lecteurs miens, «Bonnes fêtes et que Dieu fasse que nous nous retrouvions en 2010, en bonne santé. Une fois encore, merci pour vos précieux et linguistiques soutien. Que Dieu vous bénisse et protège notre beau pays».

Koné Dramane
direbien@live.fr
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