En accordant à Laurent Gbagbo, une interview-fleuve parue dans son édition d’hier, notre confrère Jeune Afrique ne croyait pas si bien se poser en un véritable canal d’évacuation du trop-plein de ressentiments, d’aigreur, de morgue, parfois à la lisière de l’animosité et de la haine, d’un homme vis-à-vis de ses adversaires politiques ! Mais J.A. a sans doute également offert une tribune au président-candidat, lui permettant de tenter, comme à son habitude, la réécriture à son avantage d’une histoire politique ivoirienne pourtant extrêmement récente.
En cette période préélectorale où tous les coups – parfois en-dessous de la ceinture – peuvent s’avérer déterminants pour certains dans la conquête de l’opinion (et des voix), on ne peut pas dire que le candidat du FPI ait craché sur cette formidable perche à lui tendue par le magazine panafricain. Bien au contraire.
En tout cas, ce n’est pas Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, les épicentres de cet exutoire verbal, qui s’en réjouiraient. Le « fils du peuple » dépositaire autoproclamé d’une « ère nouvelle », comme Gbagbo s’est présenté à ses interlocuteurs, n’ayant évidemment fait aucun quartier aux «tenants de l’ordre ancien » incarnés à ses yeux par les deux opposants.
Un raccourci bien grotesque autour duquel Gbagbo aura construit un argumentaire de campagne, via Jeune Afrique, truffé d’abjections, de mesquineries, de contrevérités, de mystifications et de falsification de l’histoire de ce pays.
Un raccourci qui lui aura surtout permis d’esquiver la question fondamentale de son bilan, neuf ans après son accession au pouvoir d’Etat.
Car, lorsqu’on lui demande ce qu’il entend dire aux Ivoiriens pour les convaincre de porter à nouveau leur choix sur sa personne, il n’a que cette phrase à la bouche : « on m’a empêché de gouverner ! ». Et derrière ce « on », il voit évidemment Konan Bédié, mais surtout Alassane Ouattara, qui auraient « porté la guerre au cœur de la nation ». En ce qu’ils auraient, à l’en croire, usé de la « violence politique », du « divisionnisme ethnique », engendrant du coup une guerre qui aura fait « souffrir le peuple ». Farouchement vissé à cette conviction, il peut tranquillement déclarer : « je n’irai pas à cette élection comme un mouton à l’abattoir (…) mes adversaires ont un passif et un exercice du pouvoir que je compte mettre en lumière ».
On est interloqué devant une telle tentative d’effacement de neuf ans d’histoire d’un pays, fut-il sorti d’une guerre qui n’aura duré, en réalité, comme personne ne peut le nier, que quelques mois ! Une guerre que Laurent Gbagbo a toujours considérée comme vraiment nuisible à seulement une partie de la Côte d’Ivoire, celle qu’il a qualifiée dès les premières heures de la crise, d’« inutile » et qui ne l’empêchait guère de gouverner un pays « debout », dont les institutions gardaient la même stature et dont les salaires des fonctionnaires n’avaient jamais été menacés. C’est à croire, en lisant cette interview que Laurent Gbagbo, dès le déclenchement de la guerre, s’est muré dans son palais, sans aucune possibilité de gérer les affaires de l’Etat. On aurait dit un poupon de la pratique du pouvoir d’Etat, qui entreprend, pour la toute première fois, de s’essayer aux arcanes de la gestion d’un pays. Il parle du passif et de l’exercice du pouvoir des autres comme s’il n’est pas celui-là même à qui les Ivoiriens sont en droit de demander en premier des comptes, du fait de son statut de président sortant. Gouverner pendant neuf ans et faire comme si de rien n’était, il faut s’appeler Gbagbo pour le faire et croire que le peuple est si dupe qu’il va mordre à l’hameçon.
Et le peuple est tellement lucide, contrairement à ce que Gbagbo semble croire, qu’il sait bien que cette guerre à laquelle il s’accroche, et qui semble être son fonds de commerce électoral favoris, n’est pas venue ex-nihilo, encore moins de ceux qu’il qualifie de candidats de l’ordre ancien. Elle est venue, en grande partie, de la très mauvaise gestion par Gbagbo lui-même d’un sentiment national déjà fragilisé, avant son accession au pouvoir, par des pratiques attentatoires à la cohésion nationale, à l’unité des citoyens d’un même pays. La guerre, personne ne l’ignore aujourd’hui, est d’origine identitaire et c’est sous le pouvoir de Gbagbo que ce malaise identitaire s’est exacerbé.
A dire vrai, cette sortie de Gbagbo trahit une amertume, qui prend ancrage dans sa volonté, qu’il croit sérieusement hypothéquée, au regard de la réalité du terrain électoral, à quelques semaines de la grande confrontation présidentielle. Gbagbo tient à semer la division au sein du RHDP qui lui trouble le sommeil qu’il ne s’y prendrait autrement. Car lorsqu’il prétend, parlant de Ouattara, que « Bédié s’est allié à celui qui est soupçonné d’avoir voulu cette guerre », ce n’est rien d’autre qu’une volonté de diviser ces deux alliés en donnant mauvaise conscience au président Bédié. C’est d’avantage l’expression d’une aigreur mal contenue, qui prend sa source dans les nombreux échecs que Gbagbo a essuyés pour se rapprocher de Ouattara, au détriment du candidat du PDCI. A ce propos, il faut bien savoir que, sous l’égide du président Compaoré, celui qui pose aujourd’hui en pourfendeur de Ouattara, a tenté maintes fois, sans succès, de s’allier à l’ancien DGA du FMI, à qui il était prêt à offrir le poste de Premier ministre. Mal lui en a pris. Ouattara n’a jamais voulu se comporter comme un apostat politique. Son éducation et l’idée qu’il se fait de la politique ne lui a pas permis de franchir ce rubicon.
KORE EMMANUEL
En cette période préélectorale où tous les coups – parfois en-dessous de la ceinture – peuvent s’avérer déterminants pour certains dans la conquête de l’opinion (et des voix), on ne peut pas dire que le candidat du FPI ait craché sur cette formidable perche à lui tendue par le magazine panafricain. Bien au contraire.
En tout cas, ce n’est pas Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, les épicentres de cet exutoire verbal, qui s’en réjouiraient. Le « fils du peuple » dépositaire autoproclamé d’une « ère nouvelle », comme Gbagbo s’est présenté à ses interlocuteurs, n’ayant évidemment fait aucun quartier aux «tenants de l’ordre ancien » incarnés à ses yeux par les deux opposants.
Un raccourci bien grotesque autour duquel Gbagbo aura construit un argumentaire de campagne, via Jeune Afrique, truffé d’abjections, de mesquineries, de contrevérités, de mystifications et de falsification de l’histoire de ce pays.
Un raccourci qui lui aura surtout permis d’esquiver la question fondamentale de son bilan, neuf ans après son accession au pouvoir d’Etat.
Car, lorsqu’on lui demande ce qu’il entend dire aux Ivoiriens pour les convaincre de porter à nouveau leur choix sur sa personne, il n’a que cette phrase à la bouche : « on m’a empêché de gouverner ! ». Et derrière ce « on », il voit évidemment Konan Bédié, mais surtout Alassane Ouattara, qui auraient « porté la guerre au cœur de la nation ». En ce qu’ils auraient, à l’en croire, usé de la « violence politique », du « divisionnisme ethnique », engendrant du coup une guerre qui aura fait « souffrir le peuple ». Farouchement vissé à cette conviction, il peut tranquillement déclarer : « je n’irai pas à cette élection comme un mouton à l’abattoir (…) mes adversaires ont un passif et un exercice du pouvoir que je compte mettre en lumière ».
On est interloqué devant une telle tentative d’effacement de neuf ans d’histoire d’un pays, fut-il sorti d’une guerre qui n’aura duré, en réalité, comme personne ne peut le nier, que quelques mois ! Une guerre que Laurent Gbagbo a toujours considérée comme vraiment nuisible à seulement une partie de la Côte d’Ivoire, celle qu’il a qualifiée dès les premières heures de la crise, d’« inutile » et qui ne l’empêchait guère de gouverner un pays « debout », dont les institutions gardaient la même stature et dont les salaires des fonctionnaires n’avaient jamais été menacés. C’est à croire, en lisant cette interview que Laurent Gbagbo, dès le déclenchement de la guerre, s’est muré dans son palais, sans aucune possibilité de gérer les affaires de l’Etat. On aurait dit un poupon de la pratique du pouvoir d’Etat, qui entreprend, pour la toute première fois, de s’essayer aux arcanes de la gestion d’un pays. Il parle du passif et de l’exercice du pouvoir des autres comme s’il n’est pas celui-là même à qui les Ivoiriens sont en droit de demander en premier des comptes, du fait de son statut de président sortant. Gouverner pendant neuf ans et faire comme si de rien n’était, il faut s’appeler Gbagbo pour le faire et croire que le peuple est si dupe qu’il va mordre à l’hameçon.
Et le peuple est tellement lucide, contrairement à ce que Gbagbo semble croire, qu’il sait bien que cette guerre à laquelle il s’accroche, et qui semble être son fonds de commerce électoral favoris, n’est pas venue ex-nihilo, encore moins de ceux qu’il qualifie de candidats de l’ordre ancien. Elle est venue, en grande partie, de la très mauvaise gestion par Gbagbo lui-même d’un sentiment national déjà fragilisé, avant son accession au pouvoir, par des pratiques attentatoires à la cohésion nationale, à l’unité des citoyens d’un même pays. La guerre, personne ne l’ignore aujourd’hui, est d’origine identitaire et c’est sous le pouvoir de Gbagbo que ce malaise identitaire s’est exacerbé.
A dire vrai, cette sortie de Gbagbo trahit une amertume, qui prend ancrage dans sa volonté, qu’il croit sérieusement hypothéquée, au regard de la réalité du terrain électoral, à quelques semaines de la grande confrontation présidentielle. Gbagbo tient à semer la division au sein du RHDP qui lui trouble le sommeil qu’il ne s’y prendrait autrement. Car lorsqu’il prétend, parlant de Ouattara, que « Bédié s’est allié à celui qui est soupçonné d’avoir voulu cette guerre », ce n’est rien d’autre qu’une volonté de diviser ces deux alliés en donnant mauvaise conscience au président Bédié. C’est d’avantage l’expression d’une aigreur mal contenue, qui prend sa source dans les nombreux échecs que Gbagbo a essuyés pour se rapprocher de Ouattara, au détriment du candidat du PDCI. A ce propos, il faut bien savoir que, sous l’égide du président Compaoré, celui qui pose aujourd’hui en pourfendeur de Ouattara, a tenté maintes fois, sans succès, de s’allier à l’ancien DGA du FMI, à qui il était prêt à offrir le poste de Premier ministre. Mal lui en a pris. Ouattara n’a jamais voulu se comporter comme un apostat politique. Son éducation et l’idée qu’il se fait de la politique ne lui a pas permis de franchir ce rubicon.
KORE EMMANUEL