Selon le Pr Bohoussou Marcellin, gynécologue obstétricien, de nombreuses personnes sont emprisonnées en Côte d’Ivoire pour des viols qu’elles n’ont pas commis. Après avoir lu un de nos articles sur les violences sexuelles, le praticien a jugé important d’apporter quelques précisions sur le diagnostic du viol.
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A la suite de notre enquête de la semaine écoulée sur le drame des femmes violées, la décision de la publication de cette interview n’était pas chose aisée. Fallait-il prendre le risque de révolter des âmes sensibles qui pourraient y voir un encouragement au viol ? Fallait-il pour cela censurer autant de révélations qui, tout en instruisant le public sur les aspects médicaux et juridiques du viol, démontrent comment des innocents croupissent en prison pour des viols qui n’ont jamais existé. C’est avec cet embarras que nous sommes allés écouter le Pr Bohoussou Marcellin dont l’expertise en matière de gynécologie fait l’unanimité tant au plan national qu’international. Au final, nous réalisons que l’entretien qu’il nous a accordé était plutôt indispensable. Bonne lecture.
Professeur, nos récents articles sur le viol ne vous ont pas laissé indifférent.
J’ai été intéressé par l’article d’une dame sur la prise en charge psychologique (L’interview de Konan Jeannette, psychologue, parue dans Nord-Sud N°1385 du 29 décembre 2009). Mais, avant de faire cette prise en charge, il faut s’assurer que la personne a été effectivement violée. Parce que moi-même, en tant que praticien, j’ai été saisi par la justice pour examiner des femmes déclarées violées. J’ai eu à faire des contre-expertises, c’est-à-dire à contrôler des certificats médicaux qui ont été délivrés pour viols. J’ai été personnellement convoqué par la justice, parce que j’avais refusé de délivrer un certificat de viol. Je me suis dit que ce sont des éléments qui doivent intéresser la population.
Selon vous, de nombreuses situations présentées comme des cas de viols n’en sont pas réellement. Pouvez-vous être plus précis ?
Je dirai que près de 50% des situations déclarées comme cas de viols sont des erreurs.
l A quelles conditions peut-on dire qu’il y a viol ?
On parle de viol quand une personne a été possédée contre sa volonté. Je dis bien une personne, parce que la jurisprudence a évolué. Autrefois, on disait qu’il y avait viol lorsqu’un homme, en érection, pénètre de force le vagin d’une femme. C’était la définition française. Cette même France, vers les années 1996-1997, a modifié la définition. La nouvelle définition désigne tout acte de pénétration sexuelle, de quelle que nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise. La définition du viol est donc devenue plus large. Autrefois, on tenait compte du sexe et du fait que la femme pouvait tomber enceinte. Maintenant, on ne tient plus compte de ces seuls facteurs, puisque la sodomisation et le coït buccal forcé, sont considérés comme des viols. Avant, on disait qu’il fallait que l’objet du viol soit une verge. Aujourd’hui, que ce soit une verge, un bâton ou tout autre objet, quand vous pénétrez un orifice naturel de l’homme contre sa volonté, c’est un viol.
Dans quels cas n’y a-t-il pas viol ?
Si la fille est vierge, l’hymen est rond et n’est pas déchiré. L’hymen est une membrane mince comme du voile qui se déchire lors de la pénétration. D’ailleurs, chez les musulmans, c’est à travers le saignement qui provient de ce déchirement qu’on atteste que la jeune mariée était vierge. Dans le diagnostic des viols, on regarde la déchirure, les saignements. En médecine légale, on dit que le viol est impossible avant l’âge de 6 ans. Entre 6 et 10 ans, il y a d’importantes lésions vaginales qui peuvent parfois être mortelles, c’est-à-dire, quand il y a une grave déchirure. Même quand le médecin ne maîtrise pas l’anatomie, il peut, au moins, face à une telle déchirure grave, affirmer qu’il y a eu agression. J’ai vu une fillette de 5 ans qui a été violée. Elle vivait dans une cour commune. Et c’est un chef de famille qui l’a violée. Au bloc opératoire, j’ai passé une heure et demie pour arrêter le sang qui coulait de son vagin. J’ai fait un certificat médical terrible, et le violeur a été arrêté. Seulement, ce que je ne tolère pas, c’est que des gens soient envoyés en prison par erreur médicale. Entre 10 et 13 ans, on a une déchirure incomplète de l’hymen. La fille vierge de 14 à 16 ans présente une déchirure complète de l’hymen. C’est chez elle que le diagnostic de viol est patent. Chez la femme âgée ou la femme qui a déjà eu des rapports sexuels, ou qui a accouché, l’hymen ne rentre plus en compte. On se réfère aux signes de violences et à la présence de sperme ou de sang.
Au niveau génital ou au niveau général ?
Au niveau génital comme général. On m’a présenté une jeune fille qui a été violentée par des hommes. Pour qu’elle cède, ils lui ont tailladé le dos avec des lames de rasoir. Elle a reçu 50 coups de lame dans le dos et elle a été sodomisée.
Dans quel cas parle-t-on d’erreur de diagnostic ?
C’est le deuxième aspect du diagnostic, c’est-à-dire l’expertise. Je vais vous donner un exemple. Le boy d’une famille a été arrêté et envoyé dans un commissariat au motif qu’il avait violé la fillette de 6 ans de son patron. Le jeune Burkinabé a juré par tous les dieux qu’il n’était pas l’auteur du viol. Le commissaire de police l’a envoyé chez moi pour une expertise avant de l’envoyer au parquet. Après observation qu’avons-nous découvert ? Nous avons constaté que l’hymen était intact. Ce qui signifie que la fillette était vierge. Cette fille de 6 ans portait une maladie qu’on appelle le prolapsus de l’urètre. Elle apparaît souvent chez des filles de 4, 5, 6,7 ans. Elle fait saigner dans le caleçon. Entre temps, le premier médecin avait délivré un certificat médical attestant que la fille avait été violée. J’ai répondu à la réquisition du commissaire en disant qu’après examen, nous avions découvert que la fille n’avait pas été violée parce que son hymen était intact, et qu’elle présentait plutôt un prolapsus de l’urètre qui doit être traité. Si on n’était pas tombé sur quelqu’un qui a une bonne expertise, le boy serait parti en prison pour un viol qu’il n’avait pas commis.
Comment en est-on arrivé à cette accusation ?
Le père ayant vu du sang dans le caleçon de sa fille, il l’a conduite dans une formation sanitaire où on lui a délivré un certificat médical de viol. Le boy a été automatiquement arrêté. Il a nié les faits, et c’est devant son insistance qu’on l’a envoyé chez moi pour une contre-expertise. Elle avait un prolapsus de l’urètre qui se caractérise par un bourgeon charnu au niveau de l’urètre avec des difficultés à uriner. La fillette a été soignée et le boy a été libéré. Autre exemple. Des gendarmes d’une ville que je ne nommerai pas sont venus se plaindre à moi en disant qu’ils ont été dégradés. Ils avaient été en prison pour avoir violé des filles qu’ils disent n’avoir pas violées. Ils voulaient une contre-expertise. Je leur ai fait remarquer que si ces filles étaient des mineures au moment des faits, trois ans après, elles pourraient ne plus l’être. Aussi, on ne fait pas une contre expertise sans avoir été saisi par la justice. Dieu merci, quelques jours après, on m’envoie une fillette pour viol. Je devais délivrer un certificat. La procédure demande la présence d’une tierce personne. Soit un agent de santé, un parent ou une parente de la fille. J’appelle ce confrère qui était médecin-chef dans la localité en question, où il avait délivré beaucoup de certificats médicaux pour viols. J’ai exposé les parties génitales de la fille et je lui ai demandé de me dire si cette fille avait été violée ou non. Il m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai demandé pourquoi. Il me dit qu’il a vu un trou, et que chaque fois qu’il voyait ce type de trou chez une fille, il l’a déclarait violée. Je lui ai fait savoir qu’il avait fait condamner inutilement des personnes. Le trou dont il parle, c’est l’orifice de l’hymen. Ce monsieur ne savait pas que l’appareil génital de la femme présente un orifice qu’on appelle hymen, par où sort le sang des règles chez la petite fille. Et ce médecin a délivré plusieurs certificats médicaux qui ont envoyé des gens en prison.
Interview réalisée par Cissé Sindou
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A la suite de notre enquête de la semaine écoulée sur le drame des femmes violées, la décision de la publication de cette interview n’était pas chose aisée. Fallait-il prendre le risque de révolter des âmes sensibles qui pourraient y voir un encouragement au viol ? Fallait-il pour cela censurer autant de révélations qui, tout en instruisant le public sur les aspects médicaux et juridiques du viol, démontrent comment des innocents croupissent en prison pour des viols qui n’ont jamais existé. C’est avec cet embarras que nous sommes allés écouter le Pr Bohoussou Marcellin dont l’expertise en matière de gynécologie fait l’unanimité tant au plan national qu’international. Au final, nous réalisons que l’entretien qu’il nous a accordé était plutôt indispensable. Bonne lecture.
Professeur, nos récents articles sur le viol ne vous ont pas laissé indifférent.
J’ai été intéressé par l’article d’une dame sur la prise en charge psychologique (L’interview de Konan Jeannette, psychologue, parue dans Nord-Sud N°1385 du 29 décembre 2009). Mais, avant de faire cette prise en charge, il faut s’assurer que la personne a été effectivement violée. Parce que moi-même, en tant que praticien, j’ai été saisi par la justice pour examiner des femmes déclarées violées. J’ai eu à faire des contre-expertises, c’est-à-dire à contrôler des certificats médicaux qui ont été délivrés pour viols. J’ai été personnellement convoqué par la justice, parce que j’avais refusé de délivrer un certificat de viol. Je me suis dit que ce sont des éléments qui doivent intéresser la population.
Selon vous, de nombreuses situations présentées comme des cas de viols n’en sont pas réellement. Pouvez-vous être plus précis ?
Je dirai que près de 50% des situations déclarées comme cas de viols sont des erreurs.
l A quelles conditions peut-on dire qu’il y a viol ?
On parle de viol quand une personne a été possédée contre sa volonté. Je dis bien une personne, parce que la jurisprudence a évolué. Autrefois, on disait qu’il y avait viol lorsqu’un homme, en érection, pénètre de force le vagin d’une femme. C’était la définition française. Cette même France, vers les années 1996-1997, a modifié la définition. La nouvelle définition désigne tout acte de pénétration sexuelle, de quelle que nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise. La définition du viol est donc devenue plus large. Autrefois, on tenait compte du sexe et du fait que la femme pouvait tomber enceinte. Maintenant, on ne tient plus compte de ces seuls facteurs, puisque la sodomisation et le coït buccal forcé, sont considérés comme des viols. Avant, on disait qu’il fallait que l’objet du viol soit une verge. Aujourd’hui, que ce soit une verge, un bâton ou tout autre objet, quand vous pénétrez un orifice naturel de l’homme contre sa volonté, c’est un viol.
Dans quels cas n’y a-t-il pas viol ?
Si la fille est vierge, l’hymen est rond et n’est pas déchiré. L’hymen est une membrane mince comme du voile qui se déchire lors de la pénétration. D’ailleurs, chez les musulmans, c’est à travers le saignement qui provient de ce déchirement qu’on atteste que la jeune mariée était vierge. Dans le diagnostic des viols, on regarde la déchirure, les saignements. En médecine légale, on dit que le viol est impossible avant l’âge de 6 ans. Entre 6 et 10 ans, il y a d’importantes lésions vaginales qui peuvent parfois être mortelles, c’est-à-dire, quand il y a une grave déchirure. Même quand le médecin ne maîtrise pas l’anatomie, il peut, au moins, face à une telle déchirure grave, affirmer qu’il y a eu agression. J’ai vu une fillette de 5 ans qui a été violée. Elle vivait dans une cour commune. Et c’est un chef de famille qui l’a violée. Au bloc opératoire, j’ai passé une heure et demie pour arrêter le sang qui coulait de son vagin. J’ai fait un certificat médical terrible, et le violeur a été arrêté. Seulement, ce que je ne tolère pas, c’est que des gens soient envoyés en prison par erreur médicale. Entre 10 et 13 ans, on a une déchirure incomplète de l’hymen. La fille vierge de 14 à 16 ans présente une déchirure complète de l’hymen. C’est chez elle que le diagnostic de viol est patent. Chez la femme âgée ou la femme qui a déjà eu des rapports sexuels, ou qui a accouché, l’hymen ne rentre plus en compte. On se réfère aux signes de violences et à la présence de sperme ou de sang.
Au niveau génital ou au niveau général ?
Au niveau génital comme général. On m’a présenté une jeune fille qui a été violentée par des hommes. Pour qu’elle cède, ils lui ont tailladé le dos avec des lames de rasoir. Elle a reçu 50 coups de lame dans le dos et elle a été sodomisée.
Dans quel cas parle-t-on d’erreur de diagnostic ?
C’est le deuxième aspect du diagnostic, c’est-à-dire l’expertise. Je vais vous donner un exemple. Le boy d’une famille a été arrêté et envoyé dans un commissariat au motif qu’il avait violé la fillette de 6 ans de son patron. Le jeune Burkinabé a juré par tous les dieux qu’il n’était pas l’auteur du viol. Le commissaire de police l’a envoyé chez moi pour une expertise avant de l’envoyer au parquet. Après observation qu’avons-nous découvert ? Nous avons constaté que l’hymen était intact. Ce qui signifie que la fillette était vierge. Cette fille de 6 ans portait une maladie qu’on appelle le prolapsus de l’urètre. Elle apparaît souvent chez des filles de 4, 5, 6,7 ans. Elle fait saigner dans le caleçon. Entre temps, le premier médecin avait délivré un certificat médical attestant que la fille avait été violée. J’ai répondu à la réquisition du commissaire en disant qu’après examen, nous avions découvert que la fille n’avait pas été violée parce que son hymen était intact, et qu’elle présentait plutôt un prolapsus de l’urètre qui doit être traité. Si on n’était pas tombé sur quelqu’un qui a une bonne expertise, le boy serait parti en prison pour un viol qu’il n’avait pas commis.
Comment en est-on arrivé à cette accusation ?
Le père ayant vu du sang dans le caleçon de sa fille, il l’a conduite dans une formation sanitaire où on lui a délivré un certificat médical de viol. Le boy a été automatiquement arrêté. Il a nié les faits, et c’est devant son insistance qu’on l’a envoyé chez moi pour une contre-expertise. Elle avait un prolapsus de l’urètre qui se caractérise par un bourgeon charnu au niveau de l’urètre avec des difficultés à uriner. La fillette a été soignée et le boy a été libéré. Autre exemple. Des gendarmes d’une ville que je ne nommerai pas sont venus se plaindre à moi en disant qu’ils ont été dégradés. Ils avaient été en prison pour avoir violé des filles qu’ils disent n’avoir pas violées. Ils voulaient une contre-expertise. Je leur ai fait remarquer que si ces filles étaient des mineures au moment des faits, trois ans après, elles pourraient ne plus l’être. Aussi, on ne fait pas une contre expertise sans avoir été saisi par la justice. Dieu merci, quelques jours après, on m’envoie une fillette pour viol. Je devais délivrer un certificat. La procédure demande la présence d’une tierce personne. Soit un agent de santé, un parent ou une parente de la fille. J’appelle ce confrère qui était médecin-chef dans la localité en question, où il avait délivré beaucoup de certificats médicaux pour viols. J’ai exposé les parties génitales de la fille et je lui ai demandé de me dire si cette fille avait été violée ou non. Il m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai demandé pourquoi. Il me dit qu’il a vu un trou, et que chaque fois qu’il voyait ce type de trou chez une fille, il l’a déclarait violée. Je lui ai fait savoir qu’il avait fait condamner inutilement des personnes. Le trou dont il parle, c’est l’orifice de l’hymen. Ce monsieur ne savait pas que l’appareil génital de la femme présente un orifice qu’on appelle hymen, par où sort le sang des règles chez la petite fille. Et ce médecin a délivré plusieurs certificats médicaux qui ont envoyé des gens en prison.
Interview réalisée par Cissé Sindou