Une affaire de volant et non des moindres agite le marigot politique. Laurent Gbagbo, sûr de son fait, nargue ses opposants, s’impose comme ce driver hors pair, ce Michaël Schumacher qu’attendait la Côte d’Ivoire. Pourtant depuis dix ans qu’il nous conduit, par temps de pluie et de beau temps, le véhicule n’a jamais été aussi en mauvais état et notre destination encore plus incertaine. Navigation à vue. Panne mécanique. Défaillance humaine. Les passagers ont tout subi, au point que, à bord de ce véhicule branlant, ils ont manqué de tomber dans le ravin, les quatre roues en l’air. A Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, Gbagbo annonçait il y a quelques jours : « on ne peut plus vous confier le volant ». L’allégorie du volant fait découvrir ici toutes les facettes sombres d’un homme, ses lumières et ses déceptions. Car pour lui, au volant ou sur la banquette arrière, il n’y a de place que pour lui. La voiture devra rouler que pour le bonheur de la Majorité présidentielle. Alors, il faudra empêcher que le volant tombe dans les mains de ses alliés d’hier. Des alliés qu’ils lapident aujourd’hui dans ses meetings comme de vulgaires bandits. Depuis quelques semaines, sous l’égide du chef de la Refondation, la politique flirte avec la boue d’Adjamé, comme dans nos gares routières où règnent en maître bien souvent l’anarchie et le désordre. S’identifier à ce fatras ne relève pas du hasard. Le subconscient trahit toujours le moi… Si pour lui, ces deux hommes sont incapables de présider aux destinées du pays du fait de leur « incompétence » et de leur « pauvreté » (tu n’es rien et tu ne seras rien, disait-il), on doit objectivement se poser des questions sur l’état de la voiture qui suscite tant de convoitises et d’attaques. Et surtout pourquoi, le chef qui a vanté les mérites de l’Accord politique de Ouagadougou devient si hargneux et agressif dans le discours même s’il tient encore le gouvernail. Nul n’ignore que la Ferrari d’Houphouët qui avait conduit dans les années 1970 le pays vers un miracle économique a perdu de sa superbe. Le tableau de bord ne s’allume plus, le moteur a coulé bielle, les pneus sont usés. Par-dessus tout, cette voiture n’a ni assurance ni visite technique. Imaginez donc les souffrances du prochain conducteur pour remettre en état un vieux tacot abandonné, défiguré par un conducteur imprudent qui affirmait, urbi et orbi, qu’il savait à quels feux tricolores s’arrêtaient ses ennemis. Si le volant change de mains, que deviendra-t-il ? Quel sort pour les apprentis-sorciers, qui ont transporté la haine et les déchets toxiques jusque dans nos cités ? Sous d’autres cieux, la fin d’un pouvoir n’est pas un évènement tragique. Mais nous sommes en Côte d’Ivoire où la politique s’exerce et se vit comme une tragédie grecque. Nous vivons malheureusement dans un pays sans logique, dans un Etat où le rouge est noir et le bleu jaune. Ceux qui ont pillé le véhicule, enlever les freins, les bras, les coupoles, les phares et les pneus, pour les brader à la casse, ne sont plus en sécurité à l’aune d’une possible alternance de pouvoir. La question de la confiscation du volant se posera désormais avec beaucoup plus d’acuité. Au-delà des attaques, c’est la santé du véhicule ivoire qui doit préoccuper le chef de l’Etat dont le discours s’écarte de la cohésion sociale. Les attaques en dessous de la ceinture se multiplient, les injures aussi. L’Ivoirité revient au galop malgré les promesses de révision de la constitution. Des promesses qui témoignent d’un fait : la politique à la calculette arrosée à l’opportunisme a de beaux jours devant elle. A la vérité, ce qui intéresse le camp présidentiel, ce n’est pas la voiture elle-même, encore moins l’état du moteur mais le volant, symbole du diriger, du décider et de l’agir. En clair, le leadership. L’allégorie du Volant, c’est l’état psychologique et mental d’un clan avide de pouvoirs, de privilèges et de fastes.
Assoumane Bamba
Assoumane Bamba
