C’est ce que les Américains appellent « une good story », une belle histoire. Des agents de la DEA, l’Agence fédérale de lutte contre les stupéfiants, sillonnent l’Afrique de l’Ouest depuis quatre mois. Leur objectif ? Pincer trois jeunes Maliens pour « narco-terrorisme », autrement dit réunir les preuves, pour faire arrêter ces jeunes. Sauf que les jeunes en question ne sont peut-être pas ce que veut bien croire la DEA.
Tout commence en septembre 2009. Un agent de la DEA, dix ans d’expérience, traîne sa bosse entre Accra et Lomé. En fait, on le sait aujourd’hui, c’est d’abord un indic, intéressé par le gain facile, qui donne à cet Américain, l’information : « Je connais les réseaux de trafic de drogue liés à al-Qaïda. Un jeune qui généralement travaille au port de Lomé, et qui s’appelle Issa Oumar est dans cette mafia.» L’Américain jubile. Dans sa déposition au mois de décembre 2009 devant le juge Kevin N. Fox du district sud de New York, cet agent de la DEA, précise que pour identifier Issa Oumar, la DEA a « payé » l’indic.
La « bande des trois »
Le pauvre Oumar identifié est donc, sans le savoir, attiré dans un
guet-apens. Nous sommes au Ghana. A l’insu d’Oumar, l’entretien est filmé, et enregistré. L’agent américain se présente comme un membre des FARC, les Forces armées révolutionnaires colombiennes, parle de son sentiment anti-américain, et très rapidement explique à Oumar que s’il accepte de travailler avec lui, « parce qu’ils partagent la même cause », cela pourra lui procurer de l’argent.
Oumar qui gagne durement sa vie au port de Lomé, saute sur l’aubaine. Il prête une oreille attentive à ce que dit le faux membre des FARC : Les Colombiens ont besoin de gens pour assurer le transport de cocaïne de l’Afrique de l’Ouest vers l’Espagne en passant par le Sahara. Oumar, répond « oui ». Il y a des gens pour le faire. Il ne cache plus, pour séduire son interlocuteur, « sa haine » des Etats-Unis, et son admiration pour la nébuleuse al-Qaïda. Issa va même plus loin, en disant qu’il peut aller dans le nord du Mali, pour prendre contact avec d’autres membres de sa bande. Apparaissent désormais deux autres têtes : Harouna Touré, et Idriss Abelrahman. Ils formeront désormais « la bande des trois ».
Oumar regagne rapidement la ville de Gao, vend l’idée à ses deux compères, et entre en contact téléphonique avec les agents de la DEA à Accra. Des billets d’avions Bamako-Lomé sont établis. De Lomé, la bande prend par route la direction du Ghana. Harouna Touré, rencontre pour la première fois physiquement les agents de la DEA déguisés. Le montage de l’affaire se précise. Les jeunes Maliens savent désormais qu’il y a de l’argent à gagner. Harouna enfonce le clou, et balance, ce qui lui coûtera cher par la suite : il a déjà travaillé dans le domaine de la cocaïne. Il a des contacts avec al-Qaïda pour assurer le transport de la cargaison : 500 kilos de cocaïne. Emballé, Harouna repart pour revenir. Il oublie même sur place son passeport.
Les agents de la DEA, l’épluchent. Il y a des visas brésiliens, et un saoudien. Toute la conversation avec Harouna était aussi filmée, enregistrée. Les agents de la DEA font le compte : ils sont sur le point de « réussir » un coup. Dans la législation américaine, les FARC, sont considérées depuis 1997 comme une organisation terroriste. Al-Qaïda aussi. Or la « bande des trois » se reconnaît en ces deux ennemis des Américains.
Dernière ligne droite
Les jeunes posent leurs conditions. L’exercice est périlleux, il faut beaucoup d’argent : 2000 dollars par kilo de cocaïne et un camion pour le transport de la marchandise. Les Américains déboursent 25 000 dollars cash. « La bande des trois », réclame aussi 75 000 euros d’avance. Là, les discussions patinent. Les agents américains, ont déjà ce qu’ils souhaitent : « Les preuves » de la « collusion » des jeunes avec « les narco-terroristes ». Les jeunes Maliens sont arrêtés et très rapidement, transférés directement à New York pour y être inculpés de « narco-terrorisme ». Selon la loi américaine, ils risquent 20 ans de prison, ou même la prison à vie.
Mais l’affaire est loin d’être terminée. Les Américains auraient du mal à prouver que les trois jeunes Maliens sont en « collusion » avec l’ennemi juré des Etats-Unis, al-Qaïda. Et pour plusieurs raisons. Leur avocat s’insurge déjà : « Je vais aux Etats-Unis pour voir mes clients, et porter plainte contre les agents de la DEA pour incitation à la commission d’un crime » (…). « Ce sont les agents américains qui les ont poussés à accepter le deal. Mes clients ont peut-être accepté de faire le jeu, parce qu’il y a de l’argent en jeu. C’est tout. Ils n’ont rien à voir avec al-Qaïda, ni les Forces armées révolutionnaires colombiennes », explique t-il.
L’appât du gain
A Gao, Oumar, Idriss, et Harouna sont connus, ils se « débrouillaient » pour vivre. L’auteur de ces lignes a particulièrement connu le jeune Harouna Touré. Il facilitait notamment la traversée du Sahara aux ressortissants de la péninsule indienne, candidats à l’émigration clandestine en Europe. Il guidait dans le désert, les pas de ces clandestins de luxe qui faisaient le trajet dans des 4X4 climatisés, contre monnaie sonnante et trébuchante.
A Gao, toutes les personnes interrogées sont formelles : Harouna, n’a rien à voir avec al-Qaïda. C’est l’argent qui l’intéressait peut-être. « Puisqu’il faisait des affaires, même si quelqu’un lui demandait de lui amener dans le fin fond du désert des vivres ou une autre marchandise contre de l’argent, je crois qu’il pouvait le faire. Mais dire qu’il a un lien avec al-Qaïda, ça c’est faux », affirme Ali Kouré, infirmier dans la région de Gao.
« En plus de l’indic qui les a balancés contre de l’argent, ces jeunes ont été probablement victimes d’un règlement de comptes entre petites bandes », analyse un commissaire de police de Gao. Selon la même source, « la bande des trois », aurait été « enfoncée » par « des concurrents directs » de Harouna Touré, dans le monde de l’émigration clandestine.
Selon le vieux flic, le transport des Pakistanais vers l’Europe, rapportait beaucoup d’argent. Harouna partageait le monopole de ce business avec des Nigérians et des Maliens et des Ghanéens. « C’est un peu la technique du billard à trois bandes : vous posez un acte, pour qu’on l’attribue à votre ennemi. Il est dans la merde, et vous, personne ne voit votre main. C’est ce qui est, je crois arriver aussi à ces jeunes », ajoute le vieux briscard.
Par Serge Daniel
Tout commence en septembre 2009. Un agent de la DEA, dix ans d’expérience, traîne sa bosse entre Accra et Lomé. En fait, on le sait aujourd’hui, c’est d’abord un indic, intéressé par le gain facile, qui donne à cet Américain, l’information : « Je connais les réseaux de trafic de drogue liés à al-Qaïda. Un jeune qui généralement travaille au port de Lomé, et qui s’appelle Issa Oumar est dans cette mafia.» L’Américain jubile. Dans sa déposition au mois de décembre 2009 devant le juge Kevin N. Fox du district sud de New York, cet agent de la DEA, précise que pour identifier Issa Oumar, la DEA a « payé » l’indic.
La « bande des trois »
Le pauvre Oumar identifié est donc, sans le savoir, attiré dans un
guet-apens. Nous sommes au Ghana. A l’insu d’Oumar, l’entretien est filmé, et enregistré. L’agent américain se présente comme un membre des FARC, les Forces armées révolutionnaires colombiennes, parle de son sentiment anti-américain, et très rapidement explique à Oumar que s’il accepte de travailler avec lui, « parce qu’ils partagent la même cause », cela pourra lui procurer de l’argent.
Oumar qui gagne durement sa vie au port de Lomé, saute sur l’aubaine. Il prête une oreille attentive à ce que dit le faux membre des FARC : Les Colombiens ont besoin de gens pour assurer le transport de cocaïne de l’Afrique de l’Ouest vers l’Espagne en passant par le Sahara. Oumar, répond « oui ». Il y a des gens pour le faire. Il ne cache plus, pour séduire son interlocuteur, « sa haine » des Etats-Unis, et son admiration pour la nébuleuse al-Qaïda. Issa va même plus loin, en disant qu’il peut aller dans le nord du Mali, pour prendre contact avec d’autres membres de sa bande. Apparaissent désormais deux autres têtes : Harouna Touré, et Idriss Abelrahman. Ils formeront désormais « la bande des trois ».
Oumar regagne rapidement la ville de Gao, vend l’idée à ses deux compères, et entre en contact téléphonique avec les agents de la DEA à Accra. Des billets d’avions Bamako-Lomé sont établis. De Lomé, la bande prend par route la direction du Ghana. Harouna Touré, rencontre pour la première fois physiquement les agents de la DEA déguisés. Le montage de l’affaire se précise. Les jeunes Maliens savent désormais qu’il y a de l’argent à gagner. Harouna enfonce le clou, et balance, ce qui lui coûtera cher par la suite : il a déjà travaillé dans le domaine de la cocaïne. Il a des contacts avec al-Qaïda pour assurer le transport de la cargaison : 500 kilos de cocaïne. Emballé, Harouna repart pour revenir. Il oublie même sur place son passeport.
Les agents de la DEA, l’épluchent. Il y a des visas brésiliens, et un saoudien. Toute la conversation avec Harouna était aussi filmée, enregistrée. Les agents de la DEA font le compte : ils sont sur le point de « réussir » un coup. Dans la législation américaine, les FARC, sont considérées depuis 1997 comme une organisation terroriste. Al-Qaïda aussi. Or la « bande des trois » se reconnaît en ces deux ennemis des Américains.
Dernière ligne droite
Les jeunes posent leurs conditions. L’exercice est périlleux, il faut beaucoup d’argent : 2000 dollars par kilo de cocaïne et un camion pour le transport de la marchandise. Les Américains déboursent 25 000 dollars cash. « La bande des trois », réclame aussi 75 000 euros d’avance. Là, les discussions patinent. Les agents américains, ont déjà ce qu’ils souhaitent : « Les preuves » de la « collusion » des jeunes avec « les narco-terroristes ». Les jeunes Maliens sont arrêtés et très rapidement, transférés directement à New York pour y être inculpés de « narco-terrorisme ». Selon la loi américaine, ils risquent 20 ans de prison, ou même la prison à vie.
Mais l’affaire est loin d’être terminée. Les Américains auraient du mal à prouver que les trois jeunes Maliens sont en « collusion » avec l’ennemi juré des Etats-Unis, al-Qaïda. Et pour plusieurs raisons. Leur avocat s’insurge déjà : « Je vais aux Etats-Unis pour voir mes clients, et porter plainte contre les agents de la DEA pour incitation à la commission d’un crime » (…). « Ce sont les agents américains qui les ont poussés à accepter le deal. Mes clients ont peut-être accepté de faire le jeu, parce qu’il y a de l’argent en jeu. C’est tout. Ils n’ont rien à voir avec al-Qaïda, ni les Forces armées révolutionnaires colombiennes », explique t-il.
L’appât du gain
A Gao, Oumar, Idriss, et Harouna sont connus, ils se « débrouillaient » pour vivre. L’auteur de ces lignes a particulièrement connu le jeune Harouna Touré. Il facilitait notamment la traversée du Sahara aux ressortissants de la péninsule indienne, candidats à l’émigration clandestine en Europe. Il guidait dans le désert, les pas de ces clandestins de luxe qui faisaient le trajet dans des 4X4 climatisés, contre monnaie sonnante et trébuchante.
A Gao, toutes les personnes interrogées sont formelles : Harouna, n’a rien à voir avec al-Qaïda. C’est l’argent qui l’intéressait peut-être. « Puisqu’il faisait des affaires, même si quelqu’un lui demandait de lui amener dans le fin fond du désert des vivres ou une autre marchandise contre de l’argent, je crois qu’il pouvait le faire. Mais dire qu’il a un lien avec al-Qaïda, ça c’est faux », affirme Ali Kouré, infirmier dans la région de Gao.
« En plus de l’indic qui les a balancés contre de l’argent, ces jeunes ont été probablement victimes d’un règlement de comptes entre petites bandes », analyse un commissaire de police de Gao. Selon la même source, « la bande des trois », aurait été « enfoncée » par « des concurrents directs » de Harouna Touré, dans le monde de l’émigration clandestine.
Selon le vieux flic, le transport des Pakistanais vers l’Europe, rapportait beaucoup d’argent. Harouna partageait le monopole de ce business avec des Nigérians et des Maliens et des Ghanéens. « C’est un peu la technique du billard à trois bandes : vous posez un acte, pour qu’on l’attribue à votre ennemi. Il est dans la merde, et vous, personne ne voit votre main. C’est ce qui est, je crois arriver aussi à ces jeunes », ajoute le vieux briscard.
Par Serge Daniel