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Société Publié le lundi 25 janvier 2010 | L’expression

Korhogo/Les porteuses de fistules : Ces femmes qui vivent avec la ‘’honte’’

Obligés de vivre avec l’odeur fétide des urines, les porteuses de fistules, souvent incomprises et délaissées vivent un calvaire.

Une sonde urinaire en main, G. Ténédja, cette fille de plus de la vingtaine a le sourire aux lèvres.

Elle vient d’être libérée des fistules qu’elle portait depuis 2002. Pendant sept ans, elle a porté « sept années de la honte.» Son mari ne pouvant supporter l’odeur fétide des urines l’a abandonnée. Comme un lâche, il s’est tiré en laissant la pauvre femme sans défense. 12 novembre dernier, elle a pu être sauvée par l’équipe de Dr Bilé. A la question de savoir si elle va reprendre sa vie avec son ex-mari, sa réponse est catégorique. «Je ne vais quand même plus retourner chez un homme qui m’a abandonnée au moment où j’avais le plus besoin de lui. A supposer que je retourne chez lui et qu’il m’abandonne à nouveau parce que j’aurais contracté une autre maladie. Qui l’aurait cherché ? Non ! Je ne veux plus» a indiqué Ténédja. Fofana Salimata, elle, souffre de fistule depuis quatre ans, certes, mais est logée à une meilleure enseigne. Dans son lit d’hospitalisation, elle explique que son mari l’a toujours assistée. «Mon mari, dit-elle, ne m’a pas abandonnée. Il s’occupe de moi, il était même là à l’hôpital tout à l’heure.» Et dame Fofana de poursuivre : « Les dessous que je portais, c’était des pagnes (Ndlr appelé communément codjo ou ablakon ou blan) que je changeais d’ailleurs toutes les minutes, parce que c’était toujours mouillé de mon pipi. A part ma coépouse qui me répugnait, mes enfants m’ont toujours entourée de leur affection.»

« A cause de cette maladie, a révélé Fofana Salimata, je ne sentais plus mes membres. L’activité que je menais, j’ai été obligée de l’arrêter.»

Les deux dames que nous avons interrogées au centre hospitalier de Korhogo, sont la face visible de l’iceberg. Elles sont légion les malades qui en souffrent terriblement.

6 à 7 cas par semaine

«Elles sont nombreuses, a indiqué Mme Mominé, sage-femme à la maternité du Chr. Par semaine, on peut traiter 6 à 8 cas de fistules.» « C’est parce qu’il n’y a pas suffisamment de lits et c’est la journée, a-t-elle poursuivi, que vous ne les voyez pas en grand nombre. Mais, venez les nuits, tout le hall de la maternité est bondé de femmes portant des fistules. Chacune dresse son pagne pour dormir.» Là-dessus, Dr Bilé qui conduit le programme UNFPA est formel : « C’est un problème national. Ce n’est pas spécifique à une région donnée.» Et de préciser : « Une enquête à Korhogo pour dénombrer les porteuses de fistules avait révélé qu’il n’y en avait pas. La problématique, c’est comment dénombrer des malades qui se cachent ? Mais il faut aller les chercher. Nous avons fait une prospection active sur le terrain par le biais des communautés.

Quand nous sommes arrivés en janvier dernier à Korhogo, nous sommes allés avec des Ong locales qui maîtrisent la langue, la culture, en une journée, au moins 15 cas se sont signalés.» « Aujourd’hui, nous sommes débordés. Nous n’arrivons plus à faire face. Cette semaine par exemple, nous avons traité 8 à 12 cas. Et cela ne diminue pas. On ne peut donc pas dire combien de cas il y a.» a expliqué Dr Bilé. « C’est un véritable problème de santé publique. Nous avons fait une caravane dans le Dengélé, dans cinq localités, avec le directeur régional des affaires sociales, nous avons fait le même constat. On a été édifiés par un proverbe de chez nous qui dit : "Tapez sur le tas d’ordures et vous connaîtrez la direction du vent". C’est une pathologie qui touche plusieurs pays. Ce n’est donc pas un problème lié à la Côte d’Ivoire» a tranché Dr Bilé. En matière de lutte, a ajouté le spécialiste, « la Côte d’Ivoire est avant-gardiste de la lutte. Et depuis toujours, il y a une prise en charge au CHU de Cocody, avec le professeur Kébé et bien d’autres. Le ministre Alphonse Djédjé Mady avait même trouvé une technique de traitement.

Malheureusement, nous avons levé le pied sur le plancher parce qu’on croyait qu’il n’y avait plus de problème.» A en croire Dr Bilé, le ministère de la Santé a mis en place un programme, celui d’amener les soins auprès des populations. « Avec une telle maladie, il est difficile de voyager.

Imaginer une femme qui porte des fistules et qui doit se changer toutes les quinze minutes, il lui est difficile de voyager. Quand on connaît l’intolérance des uns et des autres dans les compagnies de transport, on comprend que la malade ne peut pas se déplacer dans ces conditions. Voilà pourquoi, le ministre de la Santé a voulu rapprocher les centres de prise en charge. L’idéal aurait été que dans tous les centres, il y ait une prise en charge. Pour le moment, seuls les grands centres comme Bouaké, Man, Korhogo, Bondoukou, San Pédro existent.
Mais comment les femmes contractent-elles cette maladie ? Selon Ganon Ténédja et Fofana Salimata, cette maladie est survenue après un accouchement. « J’étais en travail et au moment d’accoucher j’ai eu des difficultés. C’est seulement la tête de l’enfant qui est sortie. Les sages-femmes ont tout fait, mais l’enfant n’est pas sorti. On était à l’hôpital de Mankono, j’ai été évacuée à Séguéla, puis à Daloa. Et c’est depuis lors que j’ai une incontinence urinaire » explique Fofana Salimata. Pareil pour Ganon Ténédja. Selon le spécialiste, c’est suite à un travail difficile que surviennent les problèmes d’incontinence urinaire. « Mais derrière la pathologie, souligne Dr Bilé, se cache un volet social. En effet, il y en a qui sont de sorcellerie par les siens. On dit à certaines que c’est à cause d’un acte adultérin qu’elles ont contracté la maladie. Toute personne qui porte de l’estime à sa propre personne et qui à un moment donné traîne des odeurs d’urine, cette personne-là perd l’estime qu’elle a pour elle-même. Devant cette situation, il y en a qui se cachent. Mais c’est sans compter avec celles qui se suicident.

A la question de savoir, si cette pathologie peut être éradiquée, Dr Bilé répond qu’on peut en opérer des milliers et des milliers, mais il continuera d’exister des femmes qui portent des fistules.

A l’en croire, pour arriver à bout de cette pathologie, il faut de nouveaux comportements avec l’implication de tout le monde. Selon lui, pour arriver à bout, il faut éduquer les populations à abandonner un certain nombre de pratiques. A savoir, l’excision, les mariages et grossesses précoces. Pour lui, l’autonomie doit être donnée à la femme qui est un facteur de lutte. « On nous a rapporté que les gens ont refusé d’évacuer une femme qui était en travail sous prétexte que son mari était absent» révèle Dr Bilé. Autre élément d’éradication, c’est la lutte contre la pauvreté. « C’est à ce prix que les populations auront accès aux soins » a ajouté le spécialiste.

Ensuite, a-t-il poursuivi, régler les problèmes d’infrastructures. Combien sont-elles les maternités proches des populations ? Y a-t-il des routes praticables pour l’évacuation des parturientes ? Y a-t-il des sages femmes, du personnel qualifié suffisant pour s’occuper des populations ivoiriennes ? Autant de préoccupations soulevées par Dr Bilé. Et le spécialiste de conclure : « La lutte est pluridimensionnelle. La santé de la reproduction, ce n’est pas le fait de prendre chaque matin un bistouri.»

Mazola
Correspondant régional
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