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Société Publié le jeudi 11 février 2010 | Nord-Sud

Black market, marché gouro : Les commerçants laissés pour compte

Une semaine après les incendies du black market et de la ‘‘Tour de Babel’’, à Adjamé, les commerçants se plaignent du manque de moyen pour se réinstaller.

La plupart des magasins incendiés qui se trouvent à la façade du black market, ont repris du service. A part des morceaux de briques entassés devant certains box, difficile de deviner que le feu est passé par là, il y a une semaine. Toutefois, il faut entrer dans le marché pour vivre le désarroi des commerçants. Les « magasins verts » contellés, jadis, de montres, bijoux et appareils électroniques, sont sens dessus-dessous, pareil pour les box bleus et jaunes destinés à la vente de vêtements. Leurs couloirs, restreints, sont encombrés de planches, de tas de cendres, de débris de bois, de verres et de cartons. En les traversant, on entend les coups de marteaux des menuisiers qui montent la charpente de certains magasins ainsi que les grincements de scies sur les planches. Dans des couloirs, des maçons mélangent le ciment au sable pour refaire les murs. C’est un spectacle de reconstruction. Tout le monde est à pied d’œuvre. Des ouvriers, sous contrat, jusqu’aux commerçants eux-mêmes. Dans l’un des box, Kamé Abdoulaye, un vendeur de vêtements, bouche des trous avec du mortier. Il refait son commerce. Selon le commerçant, il faut environ 300.000 Fcfa pour s’acheter un nouveau box. Après, il faut songer à équiper le magasin. Un vrai casse-tête chinois pour ceux qui n’ont pas d’économie. « C’est la plupart des commerçants du black market qui sont dans cette situation. Quand ils ont de l’argent, ils préfèrent investir dans d’autres marchandises plutôt que d’économiser», explique-t-il. Inutile de préciser que quand vos marchandises vont en fumée dans ces conditions, ce sont vos économies qui s’envolent. Et beaucoup de commerçants du black market vivent cette situation désatreuse: plus de box, plus de marchandises, plus d’argent. Le pire, c’est qu’ils ne sont pas assurés et devront supporter seuls les dommages. « Moi aussi, je n’étais pas assuré», reconnaît tristement Abdoulaye. Il n’avait pas non plus grand chose à la maison comme économie. « Il m’a fallu l’aide de mon frère pour refaire le magasin » Il compte d’ailleurs approcher un grossiste pour espérer avoir des marchandises à crédit. Il est marié et papa. « Si je ne fais pas cela, ma famille et moi allons mourir de faim » Pour ne pas se retrouver sans argent, les sinistrés n’ont pas d’autre choix que de reprendre vite leur commerce, quoi que cela en coûte. Kalil le sait bien. Ce vendeur de montres est ce matin dans son box presque rétabli, mais il s’est endetté jusqu’au cou pour le refaire et l’équiper de montres.


Les box trop chers


Ces dépenses lui ont coûté presque un million de Fcfa. Mais, c’est la devise ici : reprendre le commerce, ou mourir de faim. Berthé a sa philosophie à lui: « Il faut avoir la foi. » Ce vendeur de vêtements refait son box, ce matin. Le peu d’argent qu’il avait sur lui a été utilisé pour retaper le magasin. Comme Abdoulaye, il espère qu’un grossiste aura l’amabilité de lui prêter des vêtements pour les revendre. Cependant, une remarque importante ressort dans ce cafouillage : les commerçants se réinstallent, souvent dans des conditions d’insécurité plus précaires qu’avant. Aucune mesure de sécurité n’est prise pour éviter de revivre le même cauchemar de ce samedi 30 janvier. La sécurité ne semble pas à l’ordre du jour. « Quand nous aurons fini de nous installer, nous allons chercher à établir les mesures de sécurité du marché », explique Berthé. Même explication pour Ouattara, un grossiste venu sur les lieux pour construire son magasin de vêtements qui n’a pas échappé aux flammes. «Nous allons insister pour que les bouches d’incendie soient disponibles au marché ». C’est pour lui le plus important. Or, selon Berthé, Abdoulaye et d’autres commerçants, c’est le manque de solidarité des commerçants qui a fait défaut. Ceux-ci avaient la possibilité d’éteindre le feu, parce que les flammes ont commencé dans un box, alors que les commerçants étaient là. « Au lieu d’éteindre le feu, chacun a cherché à protéger son magasin », explique Abdoulaye. Manque de solidarité ou défaut de bouche d’incendie ? En tout cas, tous ces problèmes, disent-ils, seront réglés pendant une grande réunion qu’ils comptent tenir au black market dans les jours à venir. Pour l’instant, ce qui presse, c’est la reprise de leur activité. Et on s’endette fort pour cela. Si, bien sûr, certaines âmes généreuses acceptent de leur donner des crédits. « Vous voyez tous ces commerces brûlés qui sont laissés pour compte, c’est parce que leurs propriétaires n’ont rien pour reprendre leurs magasins, ils ont tout perdu », raconte Ouattara. En effet, des magasins noircis par le feu, avec des portes défoncées, se dressent autour de lui. Ils sont abandonnés. Bamba, un sinistré qui erre sur les lieux paraît soucieux : « je n’ai rien pour refaire mon box. J’ai espéré l’aide de certains de mes proches, mais rien. Et beaucoup de sinistrés sont dans ma situation. Si rien n’est fait dans l’immédiat, nous n’allons pas pouvoir payer le loyer, nourrir nos familles dans les jours à venir. » Ce commerçant tenait, il y a quelques semaines, un magasin de vêtements parti en fumée.


On ne compte pas sur l’aide des autorités


Mais si au black market on se lamente, à ‘‘La Tour de Babel’’ (marché Gou­ro), on pleure plutôt. Ce matin, le spectacle est le même depuis le passage du feu, mardi 02 février. Le bâtiment n’a pas été retouché. En haut, où l’incendie a tout cramé, il ne reste que des pilliers de murs qui soutenaient les hangars réduits en cendres. Sur les marches circulaires qui y conduisent, des jeunes farouches montent la garde. Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire là-haut ? Ces questions s’adressent aux inconnus. Il faut y répondre clairement avant d’avoir accès à l’étage du bâtiment, où les commerces ont brûlés. Sur une partie de l’étage, Diallo Ibrahim, un commerçant et ses camarades sont devenus maçon malgré eux. Ils montent les murs de leur commerce qui s’est écroulé pendant le feu. Dans la vingtaine de magasins brûlés ou pillés, c’est la seule boutique qui est en train de sortir des cendres. Encore que c’est un kiosque à café.


Derrière eux, des jeunes visitent des pièces délabrés aux murs fissurés. Ce sont aussi des commerçants. Alarmés, impuisants, ils viennent observer ce qui reste de leurs magasins. Ali, le responsable du bâtiment, vient de leur rendre visite, il ne leur a laissé aucun message d’espoir. Il semblait même plus soucieux qu’eux. De visu, tout semble fichu pour ces sinistrés qui n’ont plus aucune activité pour survivre. Sans moyen, la plupart ont une femme, des enfants, des frères à nourrir. « Nous avons besoin d’aide », lâche Diallo. Contrairement aux commerçants du black market, les commerçants que nous trouvons sur place, affirment n’avoir jamais reçu la visite des autorités pour leur apporter leur soutien. Au black market, on ne compte pas trop sur ces fameuses aides. Et pour cause. « Le Rdr est passé ici la semaine dernière pour donner un million de Fcfa aux commerçants, nous ne savons pas où est allé cet argent », affirme Abdoulaye. Aucune liste n’a été faite pour identifier les sinistrés, selon ceux-ci. « Ici, il faut compter sur soi-même », note Kalil. Et quand on évoque l’aide que leur promet le président de la République pour sortir les sinistrés du désastre, beaucoup haussent les épaules avec indifférence. Berthé s’abstient carrément : « avec les divisions qu’il y a entre les commerçants, il ne faut pas trop compter là-dessus. »


Raphaël Tanoh
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