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Économie Publié le samedi 13 mars 2010 | Le Temps

Délestage en Côte d`Ivoire/ Ettien Brou (Expert en planification énergétique) : “La Côte d`Ivoire n’a pas besoin de nouveaux investissements...”

Ettien Brou, expert en énergie et finance carbone, chercheur au centre de recherche et économie du développement soutenable en France, pense que la Côte d`Ivoire n`a pas besoin d`investissements immédiats pour sortir de la crise énergétique qu`elle vit, en ce moment.

Que pensez-vous du délestage que connaît la Côte d`Ivoire ?

C`est dommage qu`une telle situation arrive en Côte d`Ivoire qui ne s`y est visiblement pas préparée. Le délestage est une forme de gestion couramment utilisée pour gérer les problèmes de pointe notamment dans les pays développés. En France, Edf est souvent contrainte d`utiliser en été ce moyen de gestion pour assurer l`équilibre de son réseau. Pourquoi y a-t-il souvent délestage ? Eh bien, c`est à cause d`un problème que malheureusement la technologie n`a pu encore trouver de réponse. En effet, si pour stocker quelques kilowatts, on peut utiliser des batteries notamment à lithium, on ne peut pas conserver l`électricité à grande échelle. C`est-à-dire que l`électricité doit être consommée au fur et à mesure qu`elle est produite. Sinon, elle est perdue. C`est pourquoi, il faut produire ce dont on a besoin c`est-à-dire maintenir constamment l`équilibre offre/demande dans le temps (à toute heure et à toute saison). Mais il se trouve qu`en Côte d`Ivoire, cet équilibre est occasionnellement rompu entre 18h 22h où on constate une pointe dont l`écrasement nécessite 150 à 180 Mw supplémentaires. Et pour couronner le tout, une turbine à gaz d`un des producteurs indépendants serait depuis janvier dernier tombée en panne d`après ce que j`ai entendu. Ceci étant, quand le délestage se fait occasionnellement comme partout ailleurs sur quelques heures seulement dans l`année, c`est peu anormal. Mais quand on prive les Ivoiriens d`électricité pendant de longues heures et souvent des jours entiers, bien sûr que ce n`est pas normal.

Avez-vous une solution à cela ?

Vous savez, aujourd`hui avec les nouvelles technologies, pour installer un Mw thermique, il faut dépenser entre 300 et 400 millions et un Mw hydraulique installé vaut entre 800 millions et 1 milliard de nos francs. Vu le contexte économique actuel du pays, on peut penser, à mon avis, que cela ne saurait être pour demain. Pour revenir à votre question, il existe bien évidemment des solutions. Si ailleurs, la définition et la mise en oeuvre de plan de gestion cohérent ont aidé à réduire la consommation électrique, pourquoi pas en Côte d`Ivoire ? En 2009, je travaillais dans un bureau d`étude français quand le Sénégal nous a fait appel pour l`aider à mettre en place un programme de gestion de son réseau électrique. Aujourd`hui, ce sont 15% d`économie d`énergie que la Senelec réalise. Un programme de ce type en Côte d`Ivoire permettrait de gagner 35 à 40 Mw. Et avec d`autres mesures d`accompagnement on peut écraser une bonne partie de la pointe et éviter ainsi le délestage. L`avantage de ce système de gestion est que ni l`Etat, ni la Cie, ni les producteurs indépendants, ni les industriels encore moins les ménages ne perdent quoi que ce soit. Au contraire, on réduirait les dépenses énergétiques des industriels à court et à long terme, on permettrait à l`Etat d`épargner de grosses sommes d`argent. On parle de location d`un générateur, mais on se soucie peu de la quantité de barils de pétrole qu`on achèterait pour l`alimenter. Pourquoi acheter quand on peut gérer ce qu`il y a ?

Quelle solution proposez-vous donc dans l`immédiat ?

Il faut avoir à l`idée qu`il y a trois étapes de production de l`électricité : la production proprement dite (pour le cas du thermique, c`est la transformation du gaz naturel en vapeur et électricité), la distribution (transport via la toile conductrice) et l`utilisation (consommation). Je le disais tantôt, l`urgence fait qu`il faut agir maintenant sur la consommation. Il est moins coûteux et plus rapide de gérer la consommation de ce qui est produit en cohérence avec les besoins, que d`investir pour l`achat de matériel de production complémentaire. Pour information, les principaux projets planifiés sur la période 2005-2010 pour répondre à l`accroissement de la demande nationale, nécessitent un investissement global de 898 milliards de Fcfa dont 344 milliards pour le secteur de la production. Concrètement, il va falloir travailler d`abord sur la consommation (tout autant la quantité que le déplacement de cette consommation dans le temps). Après, on envisagerait la cogénération puis l`efficience des équipements de production et de distribution existant et enfin sur la mise en oeuvre de nouveaux équipements complémentaires de production notamment les Enr.

Voulez-vous dire qu`il n`est pas utile d`acheter d`autres turbines à gaz ?

Ce serait inapproprié, dans l`immédiat, d`investir dans les équipements de production trop chers pour régler le problème de délestage. Il faut juste agir en partie sur le système de management qui consiste à effacer ou reporter la demande de consommation des industriels (c`est ce qu`on appelle peak shaving) et pour cela, on a besoin de jouer sur la tarification et la réglementation pour respectivement éviter des pertes de chiffres d`affaires des abonnés industriels, mobiliser et aussi responsabiliser les différents acteurs. Et à long terme, on pourrait envisager une réforme générale du système avec l`achat d`équipement de production ou de consommation ; exemple, les lampes à économie d`énergie (Compact Fluorescent Lamps) pour l`éclairage public et le résidentiel ou les technologies propres (Best Avalable Technology) pour le secteur industriel. On pourrait aussi envisager la libéralisation totale du marché de l`énergie pour attirer d`autres investisseurs notamment des locaux dans le domaine des énergies renouvelables. Mais tout ça, demande des études préalables.

Existe-t-il d`autres solutions sur le long terme dont personne n`a encore parlé ?

En France, il y a ce qu`on appelle "schémas directeurs d`aménagement lumière" ou "Plans lumière". Ils font partie de la politique globale d`aménagement territorial. Leur mise en oeuvre dans les collectivités territoriales a pour objectif d`éviter un éclairage anarchique et incohérent. En Côte d`Ivoire, avec la libéralisation partielle du marché, il a été créé dans les années 1990, diverses structures de contrôle et de gestion de l`électricité qui ne seraient à mon avis pas forcément utiles (Sogepie, Sopie, Anaré) et qui n`existent à mon avis que de nom. Je ne veux pas m`attarder sur les causes de la situation pour éviter de politiser le débat, mais je ne veux pas non plus me contenter d`envisager des solutions sans évoquer l`essentiel des causes du mal. Vous savez lorsqu`un homme ne fait pas ses vaccins, il ne fait pas de prévention, et donc tout ce qui peut lui arriver de mieux c`est la maladie. Pour une entreprise ou un Etat, c`est bien pareil. Quand il n`y a pas une bonne politique d`analyse et de veille prospective, il n`y a pas de stratégie de développement, de recherche et d`innovation, on va inexorablement vers la catastrophe. Donc à mon avis, ce qui arrive à la Côte d`Ivoire était prévisible ; je ne parle pas seulement du problème de délestage qui est seulement la face visible du gros bloc. Je parle du déficit énergétique global auquel le pays est confronté. C`est-à-dire la conséquence de la baisse de production hydraulique due en partie au changement climatique, de l`augmentation de la population et donc forcément de la demande d`électricité et de la précarité de l`équilibre actuel.

Quelles propositions pouvez-vous faire au gouvernement de votre pays ?

Une bonne politique de planification énergétique nécessite et pour ce qui est de la Côte d`Ivoire, en tout cas, une réforme du système. Il faut d`abord un diagnostic, premier outil d`aide à la décision qui permettra de faire des projections tendancielles avec des scénarii de maîtrise de la demande d`électricité. Après, on pourra encourager les Ppp (Partenariat public/privé) ou étudier la contribution des conseils généraux ou communaux à la gestion de l`électricité dans les collectivités notamment en encadrant les initiatives privées ou en définissant leur propre plan local d`aménagement lumière. Vous savez combien d`économie d`énergie ferait-on en remplaçant avantageusement un éclairage public par des dispositifs en plastic réfléchissants les phares des voitures ? Une telle solution sur nos routes et autoroutes déjà mal éclairées, permettrait ainsi de réaliser d`importantes économies : pas d`installation de lignes électriques, matériel beaucoup moins cher, pas de consommation d`électricité, maintenance réduite au minimum. Mais tout ceci, demande des études préalables qui prennent en compte la réglementation, la dynamique du territoire, les ressources et autres réalités…

Joseph Atoumgbré
attjoseph@yahoo.fr
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