Ettien Brou, expert en énergie et finance carbone, chercheur au centre de recherche et économie du développement soutenable en France, pense que la Côte d`Ivoire n`a pas besoin d`investissements immédiats pour sortir de la crise énergétique qu`elle vit, en ce moment.
Que pensez-vous du délestage que connaît la Côte d`Ivoire ?
C`est dommage qu`une telle situation arrive en Côte d`Ivoire qui ne s`y est visiblement pas préparée. Le délestage est une forme de gestion couramment utilisée pour gérer les problèmes de pointe notamment dans les pays développés. En France, Edf est souvent contrainte d`utiliser en été ce moyen de gestion pour assurer l`équilibre de son réseau. Pourquoi y a-t-il souvent délestage ? Eh bien, c`est à cause d`un problème que malheureusement la technologie n`a pu encore trouver de réponse. En effet, si pour stocker quelques kilowatts, on peut utiliser des batteries notamment à lithium, on ne peut pas conserver l`électricité à grande échelle. C`est-à-dire que l`électricité doit être consommée au fur et à mesure qu`elle est produite. Sinon, elle est perdue. C`est pourquoi, il faut produire ce dont on a besoin c`est-à-dire maintenir constamment l`équilibre offre/demande dans le temps (à toute heure et à toute saison). Mais il se trouve qu`en Côte d`Ivoire, cet équilibre est occasionnellement rompu entre 18h 22h où on constate une pointe dont l`écrasement nécessite 150 à 180 Mw supplémentaires. Et pour couronner le tout, une turbine à gaz d`un des producteurs indépendants serait depuis janvier dernier tombée en panne d`après ce que j`ai entendu. Ceci étant, quand le délestage se fait occasionnellement comme partout ailleurs sur quelques heures seulement dans l`année, c`est peu anormal. Mais quand on prive les Ivoiriens d`électricité pendant de longues heures et souvent des jours entiers, bien sûr que ce n`est pas normal.
Avez-vous une solution à cela ?
Vous savez, aujourd`hui avec les nouvelles technologies, pour installer un Mw thermique, il faut dépenser entre 300 et 400 millions et un Mw hydraulique installé vaut entre 800 millions et 1 milliard de nos francs. Vu le contexte économique actuel du pays, on peut penser, à mon avis, que cela ne saurait être pour demain. Pour revenir à votre question, il existe bien évidemment des solutions. Si ailleurs, la définition et la mise en oeuvre de plan de gestion cohérent ont aidé à réduire la consommation électrique, pourquoi pas en Côte d`Ivoire ? En 2009, je travaillais dans un bureau d`étude français quand le Sénégal nous a fait appel pour l`aider à mettre en place un programme de gestion de son réseau électrique. Aujourd`hui, ce sont 15% d`économie d`énergie que la Senelec réalise. Un programme de ce type en Côte d`Ivoire permettrait de gagner 35 à 40 Mw. Et avec d`autres mesures d`accompagnement on peut écraser une bonne partie de la pointe et éviter ainsi le délestage. L`avantage de ce système de gestion est que ni l`Etat, ni la Cie, ni les producteurs indépendants, ni les industriels encore moins les ménages ne perdent quoi que ce soit. Au contraire, on réduirait les dépenses énergétiques des industriels à court et à long terme, on permettrait à l`Etat d`épargner de grosses sommes d`argent. On parle de location d`un générateur, mais on se soucie peu de la quantité de barils de pétrole qu`on achèterait pour l`alimenter. Pourquoi acheter quand on peut gérer ce qu`il y a ?
Quelle solution proposez-vous donc dans l`immédiat ?
Il faut avoir à l`idée qu`il y a trois étapes de production de l`électricité : la production proprement dite (pour le cas du thermique, c`est la transformation du gaz naturel en vapeur et électricité), la distribution (transport via la toile conductrice) et l`utilisation (consommation). Je le disais tantôt, l`urgence fait qu`il faut agir maintenant sur la consommation. Il est moins coûteux et plus rapide de gérer la consommation de ce qui est produit en cohérence avec les besoins, que d`investir pour l`achat de matériel de production complémentaire. Pour information, les principaux projets planifiés sur la période 2005-2010 pour répondre à l`accroissement de la demande nationale, nécessitent un investissement global de 898 milliards de Fcfa dont 344 milliards pour le secteur de la production. Concrètement, il va falloir travailler d`abord sur la consommation (tout autant la quantité que le déplacement de cette consommation dans le temps). Après, on envisagerait la cogénération puis l`efficience des équipements de production et de distribution existant et enfin sur la mise en oeuvre de nouveaux équipements complémentaires de production notamment les Enr.
Voulez-vous dire qu`il n`est pas utile d`acheter d`autres turbines à gaz ?
Ce serait inapproprié, dans l`immédiat, d`investir dans les équipements de production trop chers pour régler le problème de délestage. Il faut juste agir en partie sur le système de management qui consiste à effacer ou reporter la demande de consommation des industriels (c`est ce qu`on appelle peak shaving) et pour cela, on a besoin de jouer sur la tarification et la réglementation pour respectivement éviter des pertes de chiffres d`affaires des abonnés industriels, mobiliser et aussi responsabiliser les différents acteurs. Et à long terme, on pourrait envisager une réforme générale du système avec l`achat d`équipement de production ou de consommation ; exemple, les lampes à économie d`énergie (Compact Fluorescent Lamps) pour l`éclairage public et le résidentiel ou les technologies propres (Best Avalable Technology) pour le secteur industriel. On pourrait aussi envisager la libéralisation totale du marché de l`énergie pour attirer d`autres investisseurs notamment des locaux dans le domaine des énergies renouvelables. Mais tout ça, demande des études préalables.
Existe-t-il d`autres solutions sur le long terme dont personne n`a encore parlé ?
En France, il y a ce qu`on appelle "schémas directeurs d`aménagement lumière" ou "Plans lumière". Ils font partie de la politique globale d`aménagement territorial. Leur mise en oeuvre dans les collectivités territoriales a pour objectif d`éviter un éclairage anarchique et incohérent. En Côte d`Ivoire, avec la libéralisation partielle du marché, il a été créé dans les années 1990, diverses structures de contrôle et de gestion de l`électricité qui ne seraient à mon avis pas forcément utiles (Sogepie, Sopie, Anaré) et qui n`existent à mon avis que de nom. Je ne veux pas m`attarder sur les causes de la situation pour éviter de politiser le débat, mais je ne veux pas non plus me contenter d`envisager des solutions sans évoquer l`essentiel des causes du mal. Vous savez lorsqu`un homme ne fait pas ses vaccins, il ne fait pas de prévention, et donc tout ce qui peut lui arriver de mieux c`est la maladie. Pour une entreprise ou un Etat, c`est bien pareil. Quand il n`y a pas une bonne politique d`analyse et de veille prospective, il n`y a pas de stratégie de développement, de recherche et d`innovation, on va inexorablement vers la catastrophe. Donc à mon avis, ce qui arrive à la Côte d`Ivoire était prévisible ; je ne parle pas seulement du problème de délestage qui est seulement la face visible du gros bloc. Je parle du déficit énergétique global auquel le pays est confronté. C`est-à-dire la conséquence de la baisse de production hydraulique due en partie au changement climatique, de l`augmentation de la population et donc forcément de la demande d`électricité et de la précarité de l`équilibre actuel.
Quelles propositions pouvez-vous faire au gouvernement de votre pays ?
Une bonne politique de planification énergétique nécessite et pour ce qui est de la Côte d`Ivoire, en tout cas, une réforme du système. Il faut d`abord un diagnostic, premier outil d`aide à la décision qui permettra de faire des projections tendancielles avec des scénarii de maîtrise de la demande d`électricité. Après, on pourra encourager les Ppp (Partenariat public/privé) ou étudier la contribution des conseils généraux ou communaux à la gestion de l`électricité dans les collectivités notamment en encadrant les initiatives privées ou en définissant leur propre plan local d`aménagement lumière. Vous savez combien d`économie d`énergie ferait-on en remplaçant avantageusement un éclairage public par des dispositifs en plastic réfléchissants les phares des voitures ? Une telle solution sur nos routes et autoroutes déjà mal éclairées, permettrait ainsi de réaliser d`importantes économies : pas d`installation de lignes électriques, matériel beaucoup moins cher, pas de consommation d`électricité, maintenance réduite au minimum. Mais tout ceci, demande des études préalables qui prennent en compte la réglementation, la dynamique du territoire, les ressources et autres réalités…
Joseph Atoumgbré
attjoseph@yahoo.fr
Que pensez-vous du délestage que connaît la Côte d`Ivoire ?
C`est dommage qu`une telle situation arrive en Côte d`Ivoire qui ne s`y est visiblement pas préparée. Le délestage est une forme de gestion couramment utilisée pour gérer les problèmes de pointe notamment dans les pays développés. En France, Edf est souvent contrainte d`utiliser en été ce moyen de gestion pour assurer l`équilibre de son réseau. Pourquoi y a-t-il souvent délestage ? Eh bien, c`est à cause d`un problème que malheureusement la technologie n`a pu encore trouver de réponse. En effet, si pour stocker quelques kilowatts, on peut utiliser des batteries notamment à lithium, on ne peut pas conserver l`électricité à grande échelle. C`est-à-dire que l`électricité doit être consommée au fur et à mesure qu`elle est produite. Sinon, elle est perdue. C`est pourquoi, il faut produire ce dont on a besoin c`est-à-dire maintenir constamment l`équilibre offre/demande dans le temps (à toute heure et à toute saison). Mais il se trouve qu`en Côte d`Ivoire, cet équilibre est occasionnellement rompu entre 18h 22h où on constate une pointe dont l`écrasement nécessite 150 à 180 Mw supplémentaires. Et pour couronner le tout, une turbine à gaz d`un des producteurs indépendants serait depuis janvier dernier tombée en panne d`après ce que j`ai entendu. Ceci étant, quand le délestage se fait occasionnellement comme partout ailleurs sur quelques heures seulement dans l`année, c`est peu anormal. Mais quand on prive les Ivoiriens d`électricité pendant de longues heures et souvent des jours entiers, bien sûr que ce n`est pas normal.
Avez-vous une solution à cela ?
Vous savez, aujourd`hui avec les nouvelles technologies, pour installer un Mw thermique, il faut dépenser entre 300 et 400 millions et un Mw hydraulique installé vaut entre 800 millions et 1 milliard de nos francs. Vu le contexte économique actuel du pays, on peut penser, à mon avis, que cela ne saurait être pour demain. Pour revenir à votre question, il existe bien évidemment des solutions. Si ailleurs, la définition et la mise en oeuvre de plan de gestion cohérent ont aidé à réduire la consommation électrique, pourquoi pas en Côte d`Ivoire ? En 2009, je travaillais dans un bureau d`étude français quand le Sénégal nous a fait appel pour l`aider à mettre en place un programme de gestion de son réseau électrique. Aujourd`hui, ce sont 15% d`économie d`énergie que la Senelec réalise. Un programme de ce type en Côte d`Ivoire permettrait de gagner 35 à 40 Mw. Et avec d`autres mesures d`accompagnement on peut écraser une bonne partie de la pointe et éviter ainsi le délestage. L`avantage de ce système de gestion est que ni l`Etat, ni la Cie, ni les producteurs indépendants, ni les industriels encore moins les ménages ne perdent quoi que ce soit. Au contraire, on réduirait les dépenses énergétiques des industriels à court et à long terme, on permettrait à l`Etat d`épargner de grosses sommes d`argent. On parle de location d`un générateur, mais on se soucie peu de la quantité de barils de pétrole qu`on achèterait pour l`alimenter. Pourquoi acheter quand on peut gérer ce qu`il y a ?
Quelle solution proposez-vous donc dans l`immédiat ?
Il faut avoir à l`idée qu`il y a trois étapes de production de l`électricité : la production proprement dite (pour le cas du thermique, c`est la transformation du gaz naturel en vapeur et électricité), la distribution (transport via la toile conductrice) et l`utilisation (consommation). Je le disais tantôt, l`urgence fait qu`il faut agir maintenant sur la consommation. Il est moins coûteux et plus rapide de gérer la consommation de ce qui est produit en cohérence avec les besoins, que d`investir pour l`achat de matériel de production complémentaire. Pour information, les principaux projets planifiés sur la période 2005-2010 pour répondre à l`accroissement de la demande nationale, nécessitent un investissement global de 898 milliards de Fcfa dont 344 milliards pour le secteur de la production. Concrètement, il va falloir travailler d`abord sur la consommation (tout autant la quantité que le déplacement de cette consommation dans le temps). Après, on envisagerait la cogénération puis l`efficience des équipements de production et de distribution existant et enfin sur la mise en oeuvre de nouveaux équipements complémentaires de production notamment les Enr.
Voulez-vous dire qu`il n`est pas utile d`acheter d`autres turbines à gaz ?
Ce serait inapproprié, dans l`immédiat, d`investir dans les équipements de production trop chers pour régler le problème de délestage. Il faut juste agir en partie sur le système de management qui consiste à effacer ou reporter la demande de consommation des industriels (c`est ce qu`on appelle peak shaving) et pour cela, on a besoin de jouer sur la tarification et la réglementation pour respectivement éviter des pertes de chiffres d`affaires des abonnés industriels, mobiliser et aussi responsabiliser les différents acteurs. Et à long terme, on pourrait envisager une réforme générale du système avec l`achat d`équipement de production ou de consommation ; exemple, les lampes à économie d`énergie (Compact Fluorescent Lamps) pour l`éclairage public et le résidentiel ou les technologies propres (Best Avalable Technology) pour le secteur industriel. On pourrait aussi envisager la libéralisation totale du marché de l`énergie pour attirer d`autres investisseurs notamment des locaux dans le domaine des énergies renouvelables. Mais tout ça, demande des études préalables.
Existe-t-il d`autres solutions sur le long terme dont personne n`a encore parlé ?
En France, il y a ce qu`on appelle "schémas directeurs d`aménagement lumière" ou "Plans lumière". Ils font partie de la politique globale d`aménagement territorial. Leur mise en oeuvre dans les collectivités territoriales a pour objectif d`éviter un éclairage anarchique et incohérent. En Côte d`Ivoire, avec la libéralisation partielle du marché, il a été créé dans les années 1990, diverses structures de contrôle et de gestion de l`électricité qui ne seraient à mon avis pas forcément utiles (Sogepie, Sopie, Anaré) et qui n`existent à mon avis que de nom. Je ne veux pas m`attarder sur les causes de la situation pour éviter de politiser le débat, mais je ne veux pas non plus me contenter d`envisager des solutions sans évoquer l`essentiel des causes du mal. Vous savez lorsqu`un homme ne fait pas ses vaccins, il ne fait pas de prévention, et donc tout ce qui peut lui arriver de mieux c`est la maladie. Pour une entreprise ou un Etat, c`est bien pareil. Quand il n`y a pas une bonne politique d`analyse et de veille prospective, il n`y a pas de stratégie de développement, de recherche et d`innovation, on va inexorablement vers la catastrophe. Donc à mon avis, ce qui arrive à la Côte d`Ivoire était prévisible ; je ne parle pas seulement du problème de délestage qui est seulement la face visible du gros bloc. Je parle du déficit énergétique global auquel le pays est confronté. C`est-à-dire la conséquence de la baisse de production hydraulique due en partie au changement climatique, de l`augmentation de la population et donc forcément de la demande d`électricité et de la précarité de l`équilibre actuel.
Quelles propositions pouvez-vous faire au gouvernement de votre pays ?
Une bonne politique de planification énergétique nécessite et pour ce qui est de la Côte d`Ivoire, en tout cas, une réforme du système. Il faut d`abord un diagnostic, premier outil d`aide à la décision qui permettra de faire des projections tendancielles avec des scénarii de maîtrise de la demande d`électricité. Après, on pourra encourager les Ppp (Partenariat public/privé) ou étudier la contribution des conseils généraux ou communaux à la gestion de l`électricité dans les collectivités notamment en encadrant les initiatives privées ou en définissant leur propre plan local d`aménagement lumière. Vous savez combien d`économie d`énergie ferait-on en remplaçant avantageusement un éclairage public par des dispositifs en plastic réfléchissants les phares des voitures ? Une telle solution sur nos routes et autoroutes déjà mal éclairées, permettrait ainsi de réaliser d`importantes économies : pas d`installation de lignes électriques, matériel beaucoup moins cher, pas de consommation d`électricité, maintenance réduite au minimum. Mais tout ceci, demande des études préalables qui prennent en compte la réglementation, la dynamique du territoire, les ressources et autres réalités…
Joseph Atoumgbré
attjoseph@yahoo.fr