Le chef de l`Etat Laurent Gbagbo s`est exprimé, quarante-trois jours après l`annonce officielle du début du délestage. Il a soutenu que cette situation devrait prendre fin dans une semaine, ce qui est techniquement impossible, au décryptage de ses propres propos. Nous avons décelé des contrevérités dans ce discours.
Premier couac dans le discours du chef de l`Etat : des chiffres non concordants. "Nous produisions, déclare-t-il, 830 mégawatts (MW), pour une demande moyenne de 875 mégawatts par jour. Soit un déficit de 30 mégawatts hors pointe". La différence entre 875 MW et 830 MW n`est pas 30 MW mais 45 MW. Un lapsus linguae, peut-être… La deuxième information qui ne semble pas juste est celle liée à l`importation de l`électricité du Ghana. "Depuis début février, ce pays nous fournit 25 MW par jour", note Laurent Gbagbo.
La date indiquée ne colle pas avec celle avancée par le ministère des Mines et de l`Energie. En effet, c`est début février que ledit ministère a annoncé le début du délestage. A cette période, aucune autorité ne parlait de l`importation de l`électricité du Ghana. C`est seulement le 4 mars que Simon Eddy, le directeur général de l`Energie, a prononcé une conférence de presse et a confié que la Côte d`Ivoire commençait à importer de l`électricité du Ghana.
La fin du délestage
dans une semaine ?
"Nous avons encore une semaine à subir le délestage, le temps que la turbine d`Azito soit réparée", révèle Laurent Gbagbo.
Faux ! La contrevérité dans cette allégation est contenue dans la déclaration elle-même. En effet, le chef de l`Etat révèle que deux centrales d`une "capacité de production totale de 105 mégawatts" seront mises en service, "l`une, fin mars et l`autre, début mai". Pendant le même temps, il affirme que "la centrale Ciprel qui a une capacité de production de 110 mégawatts, va s`arrêter pour cause d`entretien". Quand va-t-elle rouvrir ? Il reste muet là-dessus. Une chose est sûre, la fermeture de Ciprel va entraîner un déficit de 5 MW même si les centrales de location sont mises en service. La première centrale de location (laquelle ? Celle de Vridi dont personne ne parle ?) ne devrait être ouverte que "fin mars", par quelle magie le délestage pourrait prendre fin le samedi prochain, 20 mars surtout que même si le groupe d`Azito est réparé au cours de cette semaine, il restera toujours un déficit de production que les 25 MW importés du Ghana ne pourront combler. Au demeurant, le chef de l`Etat et les producteurs du secteur de l`énergie ne parlent pas le même langage : "Les opérateurs m`ont assuré que les équipements seront à nouveau fonctionnels avant la fin de ce mois de mars. Je leur demande de tout faire pour que, dans un délai d`une semaine, Azito retrouve son rythme normal de production".
Propos contradictoires
Du coup, l`on est amené à douter de la sincérité des propos du chef de l`Etat quand il déclare que "Depuis le début de cette pénurie d`électricité, aucun effort n`est épargné pour faire face à l`urgence". Le seul effort visible qui a été jusque-là consenti, après plus d`un mois de délestage, est l`importation de 25 MW du Ghana. L`on est d`autant plus amené à douter de la sincérité du propos, dès lors que le chef de l`Etat révèle que la panne survenue sur le groupe numéro un de la centrale d`Azito remonte au "22 décembre 2009". Les autorités ont mis près de deux mois (1er février 2010) pour annoncer la nouvelle aux Ivoiriens et pour solliciter le Ghana.
Concernant la cause du délestage, Laurent Gbagbo et son ancien ministre des Mines et de l`Energie, Léon Emmanuel Monnet, se contredisent. Le premier soutient que "cet accident sur la centrale d`Azito est la cause du délestage que nous subissons actuellement". Le second, invité le jeudi 11 février dernier par TV2 pour se prononcer sur la question, a révélé que "toutes les estimations concordaient sur le fait que la croissance de la demande était forte et que fin 2009, si rien n`était fait dans l`urgence, nous serions à cette période pris en délestage". Plus précis, il a soutenu qu`"en 2006, pour prévenir cette situation, nous avons organisé un séminaire important.
Tous les acteurs étaient présents : les opérateurs gaziers, les opérateurs producteurs d`électricité, l`administration elle-même. Et nous avons défini un plan qui devrait normalement nous éviter cette situation".
La position défendue par Léon Emmanuel Monnet, qui n`a pas assez de mérite en ce sens qu`il n`a pas eu assez d`entregent pour faire réaliser des investissements, est plus proche de la vérité que celle soutenue par Laurent Gbagbo. Cette position est corroborée par Jean Louis Billon, le président de la Chambre de commerce et d`industrie de Côte d`Ivoire (CCI-CI). Depuis février, il répète que "depuis 2006, l`Etat était prévenu par les soins de la CIE".
Du coup, quand le chef de l`Etat affirme que "d`après les spécialistes, le type d`accident survenu à Azito en décembre dernier est rare. Ni l`Etat ni les opérateurs eux-mêmes ne pouvaient le prévoir", cela résonne comme une autre contrevérité. L`explication est, ici encore, contenue dans la révélation faite par le chef de l`Etat lui-même, quand il explique que "la centrale Ciprel va s`arrêter pour cause d`entretien". C`est ce qui a manqué à la centrale d`Azito, surexploitée et contrainte de fonctionner en dépit des alertes des dirigeants.
Une autre contrevérité est celle qui veut que le délestage relève du fonctionnement normal d`un Etat : "On se souvient des séries de pannes d`électricité qui ont ébranlé les pays d`Amérique et d`Europe en 2003. Ici même en Côte d`Ivoire, nous avons connu une situation analogue en 1984.
Les délestages ont duré au moins trois (03) mois", souligne Laurent Gbagbo. Dans le premier cas, contrairement à ce qu`il déclare, ce ne sont pas "les pays d`Amérique" qui ont été touchés par des pannes électriques mais l`Amérique du nord. Ce ne sont pas en outre, "les pays d`Europe" mais seulement la Suisse et l`Italie. Ces pays ont géré en moins de deux semaines leurs pannes électriques, qui ne relevaient pas d`un manque de prévision mais de faits ponctuels qualifiés par la "Revue de l`Energie" de "pannes spectaculaires".
Faux espoirs
Laurent Gbagbo qui a mis quarante-trois jours pour réagir à la question de délestage en a profité pour régler ses comptes : "La politique des barrages hydroélectriques produisant de l`électricité à bon marché, a été abandonnée au profit de centrales thermiques. Ces infrastructures nous ont certes permis de combler le déficit de production mais elles ont contribué à creuser le déficit financier structurel du secteur". Laurent Gbagbo feint d`ignorer que c`est parce qu`elles avaient tiré les conséquences du délestage de 1984 (dû à la grande sécheresse de la même année, qui a provoqué, ce que lui-même appelle "la baisse saisonnière du niveau de l`eau dans les barrages") que les autorités d`alors, conduites par Henri Konan Bédié, ont choisi de trouver une autre source de production d`électricité, à savoir les centrales thermiques. Quand Laurent Gbagbo déclare que "La construction (du barrage de Soubré) nous permettra d`apporter une réponse durable à l`équilibre du secteur", il ne dit pas que la construction d`un barrage peut, à en croire l`ex-ministre des Mines et de l`Energie, prendre quatre ans. Dans quatre ans, (il est bien de souligner que les travaux n`ont pas encore commencé), les 270 MW du barrage de Soubré, seront insuffisants pour couvrir une demande nationale qui croît de façon exponentielle. Ce n`est donc pas juste de soutenir que la construction d`un seul barrage hydroélectrique "permettra d`apporter une réponse durable à l`équilibre du secteur".
En définitive, il est bien dommage que Laurent Gbagbo ne montre aucune volonté d`encourager la production d`électricité à partir des énergies renouvelables (EnR) que sont l`énergie solaire, les ordures ménagères (dont la Côte d`Ivoire est l`une des grandes productrices mondiales) et la biomasse énergie (cabosses de cacao dont la Côte d`Ivoire est premier producteur mondial).
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr
Premier couac dans le discours du chef de l`Etat : des chiffres non concordants. "Nous produisions, déclare-t-il, 830 mégawatts (MW), pour une demande moyenne de 875 mégawatts par jour. Soit un déficit de 30 mégawatts hors pointe". La différence entre 875 MW et 830 MW n`est pas 30 MW mais 45 MW. Un lapsus linguae, peut-être… La deuxième information qui ne semble pas juste est celle liée à l`importation de l`électricité du Ghana. "Depuis début février, ce pays nous fournit 25 MW par jour", note Laurent Gbagbo.
La date indiquée ne colle pas avec celle avancée par le ministère des Mines et de l`Energie. En effet, c`est début février que ledit ministère a annoncé le début du délestage. A cette période, aucune autorité ne parlait de l`importation de l`électricité du Ghana. C`est seulement le 4 mars que Simon Eddy, le directeur général de l`Energie, a prononcé une conférence de presse et a confié que la Côte d`Ivoire commençait à importer de l`électricité du Ghana.
La fin du délestage
dans une semaine ?
"Nous avons encore une semaine à subir le délestage, le temps que la turbine d`Azito soit réparée", révèle Laurent Gbagbo.
Faux ! La contrevérité dans cette allégation est contenue dans la déclaration elle-même. En effet, le chef de l`Etat révèle que deux centrales d`une "capacité de production totale de 105 mégawatts" seront mises en service, "l`une, fin mars et l`autre, début mai". Pendant le même temps, il affirme que "la centrale Ciprel qui a une capacité de production de 110 mégawatts, va s`arrêter pour cause d`entretien". Quand va-t-elle rouvrir ? Il reste muet là-dessus. Une chose est sûre, la fermeture de Ciprel va entraîner un déficit de 5 MW même si les centrales de location sont mises en service. La première centrale de location (laquelle ? Celle de Vridi dont personne ne parle ?) ne devrait être ouverte que "fin mars", par quelle magie le délestage pourrait prendre fin le samedi prochain, 20 mars surtout que même si le groupe d`Azito est réparé au cours de cette semaine, il restera toujours un déficit de production que les 25 MW importés du Ghana ne pourront combler. Au demeurant, le chef de l`Etat et les producteurs du secteur de l`énergie ne parlent pas le même langage : "Les opérateurs m`ont assuré que les équipements seront à nouveau fonctionnels avant la fin de ce mois de mars. Je leur demande de tout faire pour que, dans un délai d`une semaine, Azito retrouve son rythme normal de production".
Propos contradictoires
Du coup, l`on est amené à douter de la sincérité des propos du chef de l`Etat quand il déclare que "Depuis le début de cette pénurie d`électricité, aucun effort n`est épargné pour faire face à l`urgence". Le seul effort visible qui a été jusque-là consenti, après plus d`un mois de délestage, est l`importation de 25 MW du Ghana. L`on est d`autant plus amené à douter de la sincérité du propos, dès lors que le chef de l`Etat révèle que la panne survenue sur le groupe numéro un de la centrale d`Azito remonte au "22 décembre 2009". Les autorités ont mis près de deux mois (1er février 2010) pour annoncer la nouvelle aux Ivoiriens et pour solliciter le Ghana.
Concernant la cause du délestage, Laurent Gbagbo et son ancien ministre des Mines et de l`Energie, Léon Emmanuel Monnet, se contredisent. Le premier soutient que "cet accident sur la centrale d`Azito est la cause du délestage que nous subissons actuellement". Le second, invité le jeudi 11 février dernier par TV2 pour se prononcer sur la question, a révélé que "toutes les estimations concordaient sur le fait que la croissance de la demande était forte et que fin 2009, si rien n`était fait dans l`urgence, nous serions à cette période pris en délestage". Plus précis, il a soutenu qu`"en 2006, pour prévenir cette situation, nous avons organisé un séminaire important.
Tous les acteurs étaient présents : les opérateurs gaziers, les opérateurs producteurs d`électricité, l`administration elle-même. Et nous avons défini un plan qui devrait normalement nous éviter cette situation".
La position défendue par Léon Emmanuel Monnet, qui n`a pas assez de mérite en ce sens qu`il n`a pas eu assez d`entregent pour faire réaliser des investissements, est plus proche de la vérité que celle soutenue par Laurent Gbagbo. Cette position est corroborée par Jean Louis Billon, le président de la Chambre de commerce et d`industrie de Côte d`Ivoire (CCI-CI). Depuis février, il répète que "depuis 2006, l`Etat était prévenu par les soins de la CIE".
Du coup, quand le chef de l`Etat affirme que "d`après les spécialistes, le type d`accident survenu à Azito en décembre dernier est rare. Ni l`Etat ni les opérateurs eux-mêmes ne pouvaient le prévoir", cela résonne comme une autre contrevérité. L`explication est, ici encore, contenue dans la révélation faite par le chef de l`Etat lui-même, quand il explique que "la centrale Ciprel va s`arrêter pour cause d`entretien". C`est ce qui a manqué à la centrale d`Azito, surexploitée et contrainte de fonctionner en dépit des alertes des dirigeants.
Une autre contrevérité est celle qui veut que le délestage relève du fonctionnement normal d`un Etat : "On se souvient des séries de pannes d`électricité qui ont ébranlé les pays d`Amérique et d`Europe en 2003. Ici même en Côte d`Ivoire, nous avons connu une situation analogue en 1984.
Les délestages ont duré au moins trois (03) mois", souligne Laurent Gbagbo. Dans le premier cas, contrairement à ce qu`il déclare, ce ne sont pas "les pays d`Amérique" qui ont été touchés par des pannes électriques mais l`Amérique du nord. Ce ne sont pas en outre, "les pays d`Europe" mais seulement la Suisse et l`Italie. Ces pays ont géré en moins de deux semaines leurs pannes électriques, qui ne relevaient pas d`un manque de prévision mais de faits ponctuels qualifiés par la "Revue de l`Energie" de "pannes spectaculaires".
Faux espoirs
Laurent Gbagbo qui a mis quarante-trois jours pour réagir à la question de délestage en a profité pour régler ses comptes : "La politique des barrages hydroélectriques produisant de l`électricité à bon marché, a été abandonnée au profit de centrales thermiques. Ces infrastructures nous ont certes permis de combler le déficit de production mais elles ont contribué à creuser le déficit financier structurel du secteur". Laurent Gbagbo feint d`ignorer que c`est parce qu`elles avaient tiré les conséquences du délestage de 1984 (dû à la grande sécheresse de la même année, qui a provoqué, ce que lui-même appelle "la baisse saisonnière du niveau de l`eau dans les barrages") que les autorités d`alors, conduites par Henri Konan Bédié, ont choisi de trouver une autre source de production d`électricité, à savoir les centrales thermiques. Quand Laurent Gbagbo déclare que "La construction (du barrage de Soubré) nous permettra d`apporter une réponse durable à l`équilibre du secteur", il ne dit pas que la construction d`un barrage peut, à en croire l`ex-ministre des Mines et de l`Energie, prendre quatre ans. Dans quatre ans, (il est bien de souligner que les travaux n`ont pas encore commencé), les 270 MW du barrage de Soubré, seront insuffisants pour couvrir une demande nationale qui croît de façon exponentielle. Ce n`est donc pas juste de soutenir que la construction d`un seul barrage hydroélectrique "permettra d`apporter une réponse durable à l`équilibre du secteur".
En définitive, il est bien dommage que Laurent Gbagbo ne montre aucune volonté d`encourager la production d`électricité à partir des énergies renouvelables (EnR) que sont l`énergie solaire, les ordures ménagères (dont la Côte d`Ivoire est l`une des grandes productrices mondiales) et la biomasse énergie (cabosses de cacao dont la Côte d`Ivoire est premier producteur mondial).
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr