Un an après les éboulements qui ont causé plus de vingt morts à Abidjan, les populations n’ont toujours pas été déguerpies des zones à risque. La mort rôde dans ces quartiers avec le retour de la saison des pluies. Reportage.
Le village d’Agban-Aghien encore appelé Banco1(Yopougon), présente le même visage, ce lundi, que celui d’il y a 9 mois (en juin 2009). Des centaines de maisons basses et agglutinées bordent la route. Les habitations sont, soit engoncées dans des cuvettes, élevées sur des versants de terre, ou construites en bas des terrains glissants qui menacent de s’écrouler à tout moment. Aux abords du quartier, des garagistes, quelques kiosques, une boutique et un vendeur de garba (semoule de manioc) donnent les premiers signes de vie. Dans les ruelles humides qui laissent couler, à longueur de journée, les eaux usées des toilettes, des enfants, sac au dos, vont à l’école, cet après-midi. Les plus petits jouent dans le sable, quelquefois dans ces eaux puantes. Les maisons sont si basses et si engoncées dans des creux qu’en marchant à côté, on peut effleurer leurs toitures. Dans certaines cours, des femmes font la lessive, quelques jeunes préparent du thé ou bavardent tranquillement devant leurs portes. Personne ne semble se soucier de rien, alors que les pluies sont de retour. On se rappelle que ce quartier d’environ mille âmes a vécu, l’année dernière, de douloureux moments pendant la saison pluvieuse. Des éboulements de terrain avaient causé dix-neuf morts et mis les autorités en alerte. Celles-ci, par le biais du plan Orsec (Organisation des secours) avaient promis déguerpir la population et lui trouver un terrain sécurisant. Mais, 9 mois après, force est de constater que les résidents de ce village menacés par les pylônes et les terrains glissants, n’ont pas bougé d’un iota. Et personne, parmi les habitants, ne trouve d’explications à cette situation. « Vous voyez, nous sommes-là, depuis. Nous n’avons pas bougé », explique Aboudramane, un vigile qui se repose cet après-midi là dans une petite cour commune faite de maisons précaires et construites dans une cuvette.
Banco sous menace !
A Gobelet, également, l’ambiance est la même. Avant Banco1, ce quartier précaire, situé aux II-Plateaux 7ème tranche, détenait le record de morts dus aux glissements de terrains, survenus ces dernières années dans la capitale économique. En juin 2008, 6 personnes y ont péri à la suite d’un éboulement. Et, l’année dernière, les glissements de terrains n’ont pas épargné la zone : un mort. Ce qui fait de Gobelet un quartier classé zone à risque. Pourtant, ce mardi, les habitants du site font le baptême d’un enfant, sous une bâche élevée sur une petite esplanade. Les boomers distillent de la musique à tout vent. Les résidents se réjouissent, l’air insouciant. Après le baptême, le train-train quotidien reprend. Seule nouveauté : une partie du quartier a été déblayée par un particulier qui y construit son immeuble. Les quelques habitants qui se trouvaient sur le lot, ont dû établir leur domicile sur un autre pan de terrain. Outre ce nouveau décor, Gobelet reste Gobelet avec ses maisons précaires élevées à proximité des terrains glissants. La population n’a pas abandonné le site. Et la plupart appréhendent les prochaines pluies avec incertitude. « Avec le retour de la pluie, les nuits ne sont plus les mêmes. Nous avons peur de rester dans les maisons», affirme un résident. N’ayant nulle part où aller, ils restent impuissants devant cette situation. « C’est comme voir la mort venir et ne rien faire pour l’éviter», qualifie un autre habitant du quartier. Dans la commune d’Adama Toungara, aussi, on voit la mort venir sans « vouloir » l’éviter. Notamment à Abobo-Clotcha, une des zones à risques. La dernière saison des pluies avait fait un mort dans ce quartier construit dans un ravin. Malgré les interpellations soutenues de la population, les autorités sont restées inactives. « Quand il y a de fortes pluies, l’eau envahit les domiciles et c’est effrayant », rage Abdoulaye, un des habitants de Clotcha. Les familles ont renoué avec la peur de l’eau car les inondations menacent. Contrairement à la plupart des zones à risque, les autorités avaient plutôt misé sur la construction d’un ouvrage permettant l’évacuation de l’eau en cas de pluie. L’ouvrage peine à voir le jour. Malheureusement, voilà de nouveau la pluie qui pointe du nez ! C’est le même constat écœurant à Adjouffou, un quartier précaire de Port-Bouët où les pluies de 2009 avaient fait un mort : les populations n’ont pas été déguerpies. Pourquoi, alors que le plan Orsec avait tout organisé pour qu’il n’y ait plus de résidents dans les zones à risque aux prochaines pluies?
Les résidents, des laissés-pour-compte.
Ako Yapo, chef du village D’Agban-Aghien (Banco1) indexe le préfet d’Abidjan, Sam Etiassé, auprès de qui leurs protestations, dit-il, ont été une tempête dans un verre d’eau. Quand le préfet Sam Etiassé nous a reçus, il voulait mettre ensemble tous les problèmes. C’est-à-dire, la question des pylônes et celle des éboulements », explique-t-il. Et quand on poursuit deux lièvres à la fois… «Nous n’avons rien eu de concret avec lui », ajoute le chef du village. Découragé : c’est le qualificatif qu’il trouve à sa situation et à celle des habitants de Banco1, toujours sur la trajectoire d’éventuels éboulements. « C’est lorsqu’il y a mort d’homme, que nous voyons les autorités accourir ; quand la pluie disparaît, elles disparaissent aussi », commente Ako Yapo. A ce jour, selon lui, aucun site approprié n’a encore été trouvé où les loger. Le dernier site « irréaliste » que les organisateurs du plan Orsec avaient trouvé, c’était une école, où tous ont d’ailleurs refusé d’y aller. Depuis, pas la silhouette d’une autorité. C’est donc tout dire, il n’y a pas d’endroit où les reloger. « Nous avons fait un recensement des habitants de ce village, il faut qu’on nous trouve un endroit où aller. L’Etat peut transformer, par exemple, Banco1 en une caserne de sapeurs-pompiers vu qu’il y a trop d’accidents sur l’autoroute », propose même le chef du village pour ne pas paraître inactif à son niveau. Comme lui, à Gobelet, Karim Ouédraogo, le représentant des résidents, affirme que depuis la fin des dernières saisons des pluies, ils n’ont plus été en contact avec une autorité du pays pour parler de déguerpissement. Il ajoute, sur le gril : «nous avons été abandonnés, et avec le retour des pluies, nous ne dormons pas tranquille» On le voit, malgré le drame des éboulements de l’année dernière (plus de 20 morts), rien n’a été fait pour éviter une éventuelle catastrophe. Avec le changement climatique en toile de fond, les pluies, cette année, risquent encore de frapper là où ça fait mal.
Raphaël Tanoh
Le village d’Agban-Aghien encore appelé Banco1(Yopougon), présente le même visage, ce lundi, que celui d’il y a 9 mois (en juin 2009). Des centaines de maisons basses et agglutinées bordent la route. Les habitations sont, soit engoncées dans des cuvettes, élevées sur des versants de terre, ou construites en bas des terrains glissants qui menacent de s’écrouler à tout moment. Aux abords du quartier, des garagistes, quelques kiosques, une boutique et un vendeur de garba (semoule de manioc) donnent les premiers signes de vie. Dans les ruelles humides qui laissent couler, à longueur de journée, les eaux usées des toilettes, des enfants, sac au dos, vont à l’école, cet après-midi. Les plus petits jouent dans le sable, quelquefois dans ces eaux puantes. Les maisons sont si basses et si engoncées dans des creux qu’en marchant à côté, on peut effleurer leurs toitures. Dans certaines cours, des femmes font la lessive, quelques jeunes préparent du thé ou bavardent tranquillement devant leurs portes. Personne ne semble se soucier de rien, alors que les pluies sont de retour. On se rappelle que ce quartier d’environ mille âmes a vécu, l’année dernière, de douloureux moments pendant la saison pluvieuse. Des éboulements de terrain avaient causé dix-neuf morts et mis les autorités en alerte. Celles-ci, par le biais du plan Orsec (Organisation des secours) avaient promis déguerpir la population et lui trouver un terrain sécurisant. Mais, 9 mois après, force est de constater que les résidents de ce village menacés par les pylônes et les terrains glissants, n’ont pas bougé d’un iota. Et personne, parmi les habitants, ne trouve d’explications à cette situation. « Vous voyez, nous sommes-là, depuis. Nous n’avons pas bougé », explique Aboudramane, un vigile qui se repose cet après-midi là dans une petite cour commune faite de maisons précaires et construites dans une cuvette.
Banco sous menace !
A Gobelet, également, l’ambiance est la même. Avant Banco1, ce quartier précaire, situé aux II-Plateaux 7ème tranche, détenait le record de morts dus aux glissements de terrains, survenus ces dernières années dans la capitale économique. En juin 2008, 6 personnes y ont péri à la suite d’un éboulement. Et, l’année dernière, les glissements de terrains n’ont pas épargné la zone : un mort. Ce qui fait de Gobelet un quartier classé zone à risque. Pourtant, ce mardi, les habitants du site font le baptême d’un enfant, sous une bâche élevée sur une petite esplanade. Les boomers distillent de la musique à tout vent. Les résidents se réjouissent, l’air insouciant. Après le baptême, le train-train quotidien reprend. Seule nouveauté : une partie du quartier a été déblayée par un particulier qui y construit son immeuble. Les quelques habitants qui se trouvaient sur le lot, ont dû établir leur domicile sur un autre pan de terrain. Outre ce nouveau décor, Gobelet reste Gobelet avec ses maisons précaires élevées à proximité des terrains glissants. La population n’a pas abandonné le site. Et la plupart appréhendent les prochaines pluies avec incertitude. « Avec le retour de la pluie, les nuits ne sont plus les mêmes. Nous avons peur de rester dans les maisons», affirme un résident. N’ayant nulle part où aller, ils restent impuissants devant cette situation. « C’est comme voir la mort venir et ne rien faire pour l’éviter», qualifie un autre habitant du quartier. Dans la commune d’Adama Toungara, aussi, on voit la mort venir sans « vouloir » l’éviter. Notamment à Abobo-Clotcha, une des zones à risques. La dernière saison des pluies avait fait un mort dans ce quartier construit dans un ravin. Malgré les interpellations soutenues de la population, les autorités sont restées inactives. « Quand il y a de fortes pluies, l’eau envahit les domiciles et c’est effrayant », rage Abdoulaye, un des habitants de Clotcha. Les familles ont renoué avec la peur de l’eau car les inondations menacent. Contrairement à la plupart des zones à risque, les autorités avaient plutôt misé sur la construction d’un ouvrage permettant l’évacuation de l’eau en cas de pluie. L’ouvrage peine à voir le jour. Malheureusement, voilà de nouveau la pluie qui pointe du nez ! C’est le même constat écœurant à Adjouffou, un quartier précaire de Port-Bouët où les pluies de 2009 avaient fait un mort : les populations n’ont pas été déguerpies. Pourquoi, alors que le plan Orsec avait tout organisé pour qu’il n’y ait plus de résidents dans les zones à risque aux prochaines pluies?
Les résidents, des laissés-pour-compte.
Ako Yapo, chef du village D’Agban-Aghien (Banco1) indexe le préfet d’Abidjan, Sam Etiassé, auprès de qui leurs protestations, dit-il, ont été une tempête dans un verre d’eau. Quand le préfet Sam Etiassé nous a reçus, il voulait mettre ensemble tous les problèmes. C’est-à-dire, la question des pylônes et celle des éboulements », explique-t-il. Et quand on poursuit deux lièvres à la fois… «Nous n’avons rien eu de concret avec lui », ajoute le chef du village. Découragé : c’est le qualificatif qu’il trouve à sa situation et à celle des habitants de Banco1, toujours sur la trajectoire d’éventuels éboulements. « C’est lorsqu’il y a mort d’homme, que nous voyons les autorités accourir ; quand la pluie disparaît, elles disparaissent aussi », commente Ako Yapo. A ce jour, selon lui, aucun site approprié n’a encore été trouvé où les loger. Le dernier site « irréaliste » que les organisateurs du plan Orsec avaient trouvé, c’était une école, où tous ont d’ailleurs refusé d’y aller. Depuis, pas la silhouette d’une autorité. C’est donc tout dire, il n’y a pas d’endroit où les reloger. « Nous avons fait un recensement des habitants de ce village, il faut qu’on nous trouve un endroit où aller. L’Etat peut transformer, par exemple, Banco1 en une caserne de sapeurs-pompiers vu qu’il y a trop d’accidents sur l’autoroute », propose même le chef du village pour ne pas paraître inactif à son niveau. Comme lui, à Gobelet, Karim Ouédraogo, le représentant des résidents, affirme que depuis la fin des dernières saisons des pluies, ils n’ont plus été en contact avec une autorité du pays pour parler de déguerpissement. Il ajoute, sur le gril : «nous avons été abandonnés, et avec le retour des pluies, nous ne dormons pas tranquille» On le voit, malgré le drame des éboulements de l’année dernière (plus de 20 morts), rien n’a été fait pour éviter une éventuelle catastrophe. Avec le changement climatique en toile de fond, les pluies, cette année, risquent encore de frapper là où ça fait mal.
Raphaël Tanoh