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Afrique Publié le vendredi 26 mars 2010 | Nuit & Jour

Reportage : Togo / Election présidentielle du 04 mars 2010 - Comment Faure Gnassingbé a vaincu l’opposition

Coincée entre le 6e et le 11e degré de la latitude Nord et entre 0 et 1,6° de la longitude Est, la République du Togo, limitée au Nord par le Burkina Faso, à l’Est par le Bénin et à l’Ouest par le Ghana s’étend sur une superficie de 56.600 km2 que partagent 5 millions d’habitants, soit une densité moyenne de 88,3 habitant / km2. Cinq (5) ans après la disparition du « timonier », Etienne Gnassingbé Eyadema, le Togo a, pour la seconde fois, tenté de consolider son encrage démocratique à travers l’organisation du scrutin présidentiel du 04 mars 2010. Une compétition remportée de haute lutte par le candidat du rassemblement du peuple Togolais (RPT) Faure Essozimna Gnassingbé au détriment d’une opposition fragilisée, atomisée par des dissensions internes et surtout en panne d’idée et de stratégie. « Nuit & Jour », témoin oculaire de ces évènements relate les péripéties de cette « rude » bataille et fait une incursion au cœur d’un pays qui semble avoir irrémédiablement opéré une rupture épistémologique d’avec l’ère Gnassingbé Eyadema. Témoignage !

Togo ! Le nom claque au vent comme un drapeau. Le pays d’Etienne Eyadema s’éveillait à peine des brumes d’une nuit chaude et torride lorsque notre équipe de reportage a foulé le sol de la capitale économique. Lomé, cœur ouvert, cœur offert sur le Golf du Bénin, s’étire comme une mégalopole de légende avec ses deux (2) millions d’habitants, à l’ombre tutélaire et omniprésente de la statue du général Gnassingbé Eyadema, le rédempteur des années 68. Lomé, dans l’opulence insolente des quartiers chics comme Lomé II, la Cité OUA, Nyekonapoé… une véritable injure aux huit (8) poches de pauvreté et de misère qui ne sont autres que des amoncellements de baraques sans eaux ni sanitaires telles que Bové, Akouézongo, etc… « L’ouverture » et la « reforme » préconisées par Faure Gnassingbé, cinq (5) ans après la mort du « timonier » restent certes encore timides, mais ne suscitent pas moins beaucoup d’espoirs dans les cœurs des populations togolaises.

Où est mon frère Baoulé ?

Ceci étant, revenons à la réalité. Parti d’Abidjan le lundi 1er mars 2010 à 6h 56 mn à bord d’un véhicule de type Peugeot 504, nous arrivons à Noé à 10h 05 mn. Comme par enchantement, ledit véhicule compte parmi ses passagers, deux membres de l’Union fraternelle des populations de l’Afrique de l’Ouest (UFRAPAO) dépêchés pour la circonstance en vue de superviser ce scrutin présidentiel togolais en tant « qu’observateurs internationaux ». Ils seront donc, des heures durant, mes compagnons d’infortunes. Après donc les formalités d’usages aux postes de la police de Noé et d’Elubo, nous voici au Ghana ! Commence alors un long calvaire pour notre équipe de reportage. Les ghanéens, passés maîtres dans l’art de l’intimidation, du harcèlement, de l’escroquerie et de la manipulation, vont ainsi faire parler d’eux. Une fois à Elubo, l’un deux m’accoste et me propose un kit « MTN » qui dit il devrait couvrir toute la sous-région à 2500 FCFA. Croyant même avoir eu une aubaine, je m’exécute sans autre forme de procès. Ce n’est que plus tard que j’apprendrai que, non seulement ce kit ne coûte en réalité que 1000 FCFA, mais aussi et surtout qu’il est inopérant au Togo. Entre temps, le même Ghanéen m’a encore convaincu de payer mon titre de transport « Elubo-Afflao » à 8.500 FCFA alors que le tarif normal est de 7.000 FCFA. Il n’empêche ! Arrivée à Elubo à 10h 35 mn, ce n’est qu’aux environs de 15 h que notre véhicule, une Ford Climatisée unique dit-on en son genre dans toute la sous-région embarquera pour Afflao, la ville frontalière entre le Ghana et le Togo située à près de 700 km d’Elubo. Qu’il est long ! A qui le dites-vous ? Le chauffeur de ce « bolide », visiblement très concentré, nous fait profiter des merveilles du voyage nocturne, notamment le féérique ballet qu’offre la nuit ghanéenne à travers les grandes réalisations du pays de Kwame N’kruma qui semble désormais avoir pris une longueur d’avance sur la Côte d’Ivoire, depuis le déclenchement de la crise armée. Les grandes villes ghanéennes, singulièrement Takoradi, Cap-Coast, Accra… n’ont absolument rien à envier à Abidjan. D’autant plus qu’elles disposent toutes, des infrastructures ultra-modernes. Aux environs de 1h 30mn après plus de dix (10) heures de voyage, nous voici à Afflao ! A cette heure, la frontière entre le Ghana et le Togo est déjà fermée. Nous sommes donc contraints de passer la nuit dans cette ville frontalière. Mais, pour se faire, il faut absolument débourser deux « billets rouges » ghanéens qui sont l’équivalent de 1000 FCFA pour avoir la chance de dormir à même le sol. Le mardi 02 mars 2010, dès l’ouverture de la frontière, nous sommes enfin à Lomé, la capitale du Togo. Le premier quartier qui nous accueille « Kodjowakopè » est semble-t-il le centre des affaires, c`est-à-dire exactement comme le Plateau à Abidjan. C’est là que se trouvent le Palais de l’Assemblée nationale la quasi-totalité des ministères, la Commission nationale électorale indépendante (CENI), etc… Le second quartier « Ebê » où se trouve le grand marché de Lomé semble, quant à lui, totalement acquis à la cause de l’opposition, notamment le candidat de l’Union des forces du changement (UFC). Déjà, la campagne présidentielle dont la fin est prévue au 03 mars 2010 à minuit bat son plein à Lomé. Mais, premier fait majeur : il n’y a ni taxis compteurs, ni bus, ni gbakas à Lomé. Les rues sont donc gorgées de motos. Les taxis « Wôrô-wôrô » comme ont les appelle à Abidjan ne sont pas des masses et apparaissent de manière sporadique. A Lomé, les accidents de voitures sont aussi rarissimes, contrairement à ceux des motos plus fréquents. L’Ivoirien qui débarque au Togo recherche presqu’en un réflexe de consanguinité, son frère Baoulé. D’autant plus que la légende populaire a fait état de ce que des Baoulé, plus connus sous l’appellation de « Kotokoli » s’exprimant clairement comme ceux de la Côte d’Ivoire vivraient au pays d’Eyadema. Où se trouve donc cet autre moi-même qui est allé à la recherche de la gloire et la fortune au Togo ! J’avoue l’avoir cherché en vain. Il n’était ni au quartier Adéwi, le fief du candidat du RPT, ni à Gnekonapoe au Centre-ville, ni à Assiguamin, où se trouve l’un des marchés de Lomé, ni même au foyer des Ivoiriens. J’ai poursuivi ma quête jusqu’à Lomé II. Là-aussi, rien ! Cette cité, sans doute la plus huppée de Lomé est peut-être trop belle pour mon introuvable frère Baoulé. De guerre lasse, j’ai dû poser la question à ceux qui connaissent le Togo : « où est le frère Baoulé ? ». On m’a-t-on répondu : « allez à Sokoré la Sokoré ». Or, le programme de mon reportage à Lomé n’a pas prévu cela. En attendant, je continue à m’interroger sur les conditions de vie et de travail au Togo qui demeurent très précaires. En effet, le niveau de vie des Togolais se lit sur leur visage et leurs différentes façons de se vêtir. L’alimentation, la télécommunication et le transport semblent être hors de portée des populations. Un appel téléphonique en destination d’Abidjan peut facilement être facturé à 700 FCFA la minute comme en Côte d’Ivoire des années 80. Au Togo, contrairement à bien d’autres pays de la sous-région, seules deux opérateurs de téléphonie mobile (TOGOCEL et MOOV) se disputent le rude marché de la téléphonie mobile. Là-bas, il n’y a donc ni le réseau MTN, ni ORANGE, ni GREEN’N, ni Koz’. Se doter au pays d’Emmanuel Adebayor d’un téléphone portable de haut standing et se payer le luxe de communiquer avec interlocuteur au-delà de trois (3) minutes relève de l’embourgeoisement.

La prostitution ivoirienne se déporte à Lomé

Autre constat d’envergure, la prostitution ivoirienne s’est désormais déportée à Lomé. Exactement comme à la « rue princesse » de Yopougon, la « rue des stars » du quartier « Deukon » a les mêmes caractéristiques que celle d’Abidjan. A partir de 19 h chaque jour, des jeunes filles de différentes nationalités (Ivoirienne, Ghanéenne, Béninoises, Nigériane, Sénégalaise…) y accourent pour « draguer », avec des tenues à vous couper le souffle. Ces filles dont les agissements dépassent l’entendement, opèrent à visage découvert et ne se gênent pas à marchander leur nudité. Et cela, au son de la musique ivoirienne d’ailleurs présente dans la quasi-totalité des maquis du Togo. De DJ Arafat aux groupes Magic System en passant par Yodé et Siro, toute la panoplie de la musique ivoirienne est présente au Togo. Un pays dans lequel la résolution de l’équation du transport demeure toujours un casse-tête chinois avec le règne seigneurial des « Zemidjammanes » qui dictent leur loi, même aux autorités. Il convient cependant de préciser que, pendant toute la durée du séjour de notre équipe de reportage en terre Togolaise, jamais nous n’avons aperçu un policier au gendarme en train de contrôler les pièces d’un automobiliste. Et pourtant, la sécurité des biens et des personnes semble valablement assurée par les forces républicaines au Togo. A Lomé comme partout ailleurs dans le pays, même à Atakpamé, Akodé, Kara… la boisson la plus prisée demeure sans aucun doute la bière « Eku Bavaria » le « Drogba togolais » qui coûte 550 FCFA et dont la qualité semble largement dépasser les frontières togolaises. D’ailleurs, un Togolais avec qui j’échangeais à ce propos m’a laissé entendre que le Togo détient la plus performante brasserie de l’Afrique de l’Ouest. Ceci pourrait donc bien expliquer cela. Mais à côté de cela, l’on découvre également les autres bières dont « Pils », « Awooyo », « Castel Beer » qui sont aussi de bonne qualité. Contrairement à certains pays, à Lomé, c’est à l’aide des grelots qu’un client appelle le serveur ou la serveuse d’un maquis, d’un restaurant. Preuve certaine de ce que ce pays a accusé un sacré retard sur bon nombre de ses voisins. En plus, les immeubles comme le « Postel 2001 » ou la « CAISTAB » d’Abidjan sont aussi rarissime au Togo. Excepté l’Hôtel du 2 février, aucune autre réalisation d’envergure n’a été faite pendant les trente (30) années de règne du général Eyadema, même si l’on s’accorde à reconnaître qu’il fut un homme doté d’une générosité incommensurable. C’est donc, semble-t-il, dans le but d’annoncer le plongeon régénérateur que son successeur, Gnassimgbé Faure Essozimna s’est résolu à briguer un second mandat pour apporter les « reformes » tant attendues par le peuple togolais, de plus en plus en proie au doute. L’élection présidentielle du 04 mars 2010 apparaissait donc, en mille lieux, comme un défi du Rassemblement du peuple togolais (RPT) parti sociologiquement majoritaire avec 50 députés sur les 80 compte le Togo. Parallèlement, ces consultations électorales se présentent aussi pour l’opposition, comme étant celle de la rupture d’avec la « dynastie des Gnassimgbé » au Togo.

La division de l’opposition profite à Faure Gnassimgbé

Et ce n’est pas le chauffeur du taxi « Wôrô-wôrô » qui nous conduisait le premier jour de notre arrivée à notre Hôtel qui dira le contraire. « Au Togo, nous sommes fatigués des Gnassimgbé. Depuis 40 ans, ils nous gouvernent mais cette fois, nous allons instaurer le changement ». Malheureusement, le cri de cœur de ce citoyen togolais ne sera pas entendu. Car, le manque de cohésion, d’union et de solidarité entre les opposants a permis à Faure Essozimna de s’offrir un deuxième mandat présidentiel. De fait, au Togo, il se susurre que la candidature unique de l’opposition tant prônée par l’Union des forces du changement (UFC) de Jean-Pierre Fabre a été, au dernier moment, balayée du revers de la main par Me Yaovi Agboyibo du Comité d’action pour le renouveau (CAR) et de Nicolas Lawson porte-flambeau du Parti pour le renouveau et la renaissance (PRR). Dès lors, l’opposition partait à ces consultations électorales, totalement fissurée au nom des ambitions personnelles. Or, pour éviter d’éventuelles surprises désagréables, le camp de Faure Essozimna a habilement manœuvré pour obtenir du facilitateur de la crise togolaise, le Président Blaise Compaoré, l’annulation d’un scrutin à deux tours. Cette tactique du leader du RPT, il faut l’avouer, a coupé l’herbe sous les pieds des opposants qui ambitionnaient de sceller l’union sacrée au second tour de cette compétition. Autre stratégie qui s’est avérée payante pour Faure Essozimna, de fut la campagne de proximité menée dans le sud du pays, qui constitue le véritable bastion de l’opposition. En effet, se sentant dominateur dans le nord du pays d’où il est d’ailleurs originaire, le candidat du RPT a concentré l’essentiel de sa campagne dans la région du sud. Et c’est cette stratégie qui lui a permis d’obtenir plus de 15% des suffrages à Lomé et de prendre son envol dans le nord. C’est donc, fort de cette maitrise du terrain qu’il a pu venir à bout du candidat de l’Union des forces du changement, Fabre Jean-Pierre, avec 1.243.440 vois soit 64,66% de suffrage exprimé contre 692.684 voix soit 31% de suffrage exprimé du chef de l’opposition togolaise qui continue d’ailleurs de remettre en cause l’élection de Faure Gnassimgbé. A cette consultation électorale annoncée comme étant celle de tous les dangers, le mérite est surtout revenu à la seule femme candidate, Brigitte Adjamagbo Johnson de la Convergence démocratique des peuples africains (CDPA) qui a obtenu plus de 40.000 voix loin derrière Nicolas Lawson, Bassabi Kagbari du Parti pour le développement du peuple (PDP) avec 6.357 voix Kodjo Agbeyomé, l’ex-Premier ministre d’Eyadema avec 17.397 voix. Ainsi donc, excepté le candidat Fabre Jean-Pierre, aucun des cinq (5) autres candidats ne pourra bénéficier du remboursement de sa caution de 20 millions de FCFA puisque n’ayant pu obtenu les 10% de voix exigées. En tout état de cause, de la confirmation de la victoire de Faure Gnassimgbé le week-end dernier et la cérémonie d’investiture du nouveau Président prévue le 02 avril prochain, il semble évident que ce scrutin est loin de garantir la stabilité du peuple togolais.

Réalisé par Michel Ziki

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